• il y a 9 mois
Combien vaut un bien ou un service ? Pour un économiste, la réponse est simple : ce que vous êtes prêt à payer, bien sûr. Si, au coin de votre rue, le kilo de pommes de terre est vendu 2 euros, c’est qu’il y a des acheteurs pour qui il vaut 2 euros. La question se complique quand il s’agit d’un service gratuit, comme un réseau social. Sauf si vous faites partie de l’infime minorité qui a choisi récemment l’offre payante sans publicité de Facebook ou d’Instagram, vous accédez à ces services gratuitement. [...]

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00:00 [Générique]
00:08 Combien vaut un bien ou un service ?
00:10 Pour un économiste, la réponse est simple, ce que vous êtes prêt à payer.
00:14 Si au coin de votre rue, le kilo de pommes de terre est vendu 2 euros,
00:17 c'est qu'il y a des acheteurs pour qui il vaut 2 euros.
00:20 La question se complique quand il s'agit d'un service gratuit comme par exemple un réseau social.
00:25 Sauf si vous faites partie de l'infime minorité d'utilisateurs
00:28 qui a récemment choisi une offre payante sans publicité,
00:31 vous accédez à Facebook ou Instagram gratuitement.
00:34 Il en va de même d'ailleurs pour des services d'email comme Gmail ou Outlook,
00:38 pour des moteurs de recherche comme Google
00:40 ou pour les cartes en ligne comme Google Maps ou Apple Plan.
00:43 Tous ces services sont gratuits mais évidemment ils vous apportent de la valeur.
00:47 Cette valeur, c'est ce que les économistes appellent le surplus du consommateur,
00:52 la différence entre ce que le consommateur serait prêt à payer et le prix de marché
00:56 qui, dans le cas d'un service gratuit, est de zéro.
00:58 Ça, c'est le surplus consommateur.
01:00 Alors la méthode la plus simple pour estimer le surplus consommateur,
01:03 c'est de demander aux utilisateurs combien ils seraient prêts à payer
01:07 pour disposer d'un service s'il cessait d'être gratuit.
01:10 Ou, variante, on peut leur demander combien il faudrait les payer
01:14 pour qu'ils acceptent de s'en passer pendant un certain temps
01:17 alors qu'aujourd'hui ils s'en servent gratuitement.
01:18 Depuis le début des années 2010,
01:21 de nombreuses études ont utilisé cette méthode à propos des services Internet.
01:25 Et leur conclusion est que ces services, et les réseaux sociaux en particulier,
01:29 sont une véritable bénédiction pour les consommateurs.
01:32 En 2013, une étude conduite dans six pays européens
01:36 concluait que les internautes étaient prêts à payer environ 38 euros par mois
01:39 pour un ensemble de services Internet gratuits.
01:41 Multipliez ce genre de chiffres par l'ensemble de la population et l'addition monte vite.
01:45 En 2012, par exemple, Eric Brynjolfsson et ses collègues du MIT
01:49 estimaient que les services Internet gratuits créaient, rien qu'aux États-Unis,
01:53 un surplus consommateur de l'ordre de 100 milliards de dollars.
01:56 Le message que ces études nous soufflent est donc simple.
01:58 Le chiffre d'affaires que réalise Google ou Meta et qui provient des annonceurs
02:03 sous-estimerait considérablement la valeur économique que génèrent ces entreprises
02:08 et dont, dans leur grande générosité,
02:10 elles font bénéficier gracieusement les utilisateurs finaux que nous sommes, vous et moi.
02:14 Si vous trouvez ce message quelque peu… biaisé, vous n'êtes pas seul.
02:20 Car les services Internet, et surtout les réseaux sociaux, ont aussi des effets négatifs.
02:25 En 2020, une étude de Hunt O'Cott de la New York University et de ses coauteurs a fait grand bruit.
02:31 Les chercheurs ont payé un échantillon d'Américains, une centaine de dollars chacun,
02:35 pour qu'ils se déconnectent de Facebook pendant quatre semaines.
02:38 En comparant ces déconnectés volontaires à un groupe de contrôle,
02:43 les chercheurs ont pu constater que la déconnexion les conduisait à passer moins de temps en ligne,
02:47 forcément, et plus avec leur famille et leurs amis.
02:50 Les individus ainsi déconnectés se déclaraient plus heureux que les autres.
02:54 Bref, cette détox de Facebook leur avait fait du bien.
02:57 Et pourtant, quand on leur redemandait à l'issue de cette expérience
03:02 combien il faudrait les payer pour qu'ils acceptent de se déconnecter,
03:05 leur prix ne chutait que de 14% environ.
03:08 Autrement dit, après avoir constaté que Facebook ne les rendait pas plus heureux, au contraire,
03:14 ils étaient quand même très loin d'être prêts à s'en passer.
03:17 C'est la définition d'une addiction.
03:21 Et dans une étude de 2022 qui s'appelle justement Addiction Digitale,
03:25 le même Olcott et ses collègues approfondissaient le sujet
03:28 et estimaient que 31% de l'usage des médias sociaux s'expliquait par des problèmes de maîtrise de soi.
03:34 On peut pousser le raisonnement encore plus loin.
03:37 C'est ce qu'ont fait Leonardo Burstein de l'Université de Chicago
03:42 et trois de ses coauteurs de Berkeley, Bocconi et Cologne dans une étude qui vient de paraître en 2023.
03:47 Les chercheurs ont demandé à 1 000 étudiants américains
03:50 combien il faudrait les payer pour se déconnecter pendant un mois de TikTok et d'Instagram.
03:54 La réponse, attendue, est un surplus consommateur positif d'une cinquantaine de dollars.
03:59 Mais ensuite, ils leur ont demandé comment leur réponse changerait
04:03 si tous les étudiants de l'université se déconnectaient aussi.
04:07 Et là, la réponse s'inverse.
04:10 64% des utilisateurs de TikTok sur ce campus seraient prêts à payer
04:15 pour que ce service disparaisse du campus, à payer 67 dollars par mois en moyenne.
04:20 D'ailleurs, si on leur demande directement
04:23 « Est-ce que vous préféreriez que TikTok et Instagram n'existent pas ? »,
04:26 la plupart répondent par l'affirmative.
04:29 En d'autres termes, le surplus consommateur est considérable,
04:33 mais seulement parce que les autres utilisent le réseau aussi.
04:37 Chacun préférerait s'en passer à condition que tout le monde se déconnecte.
04:42 Le problème est particulièrement frappant pour les réseaux sociaux,
04:46 mais les auteurs de cette étude l'ont retrouvé dans d'autres domaines
04:49 où il semble moins évident.
04:51 C'est le cas par exemple des produits de luxe,
04:53 dont une grande partie de la valeur consiste à se distinguer de ceux qui n'en possèdent pas.
04:57 De manière assez étonnante,
04:59 44% des possesseurs de produits de luxe ont déclaré aux auteurs de l'étude
05:04 qu'ils préféreraient que ces marques de luxe n'existent pas.
05:07 Le chiffre monte même à 69% pour ceux qui n'en sont pas possesseurs.
05:11 Autre exemple, 91% des possesseurs d'iPhone, presque tous,
05:16 préféreraient qu'Apple ne lance un nouvel iPhone que tous les deux ans,
05:19 et non pas tous les ans.
05:21 Les auteurs parlent en fait de piège de marché.
05:25 Chacun utilise un service ou un produit,
05:27 mais tous préféreraient que ce service ou ce produit n'existe pas.
05:31 On voit que la mesure du surplus consommateur
05:34 est finalement beaucoup plus compliquée qu'il n'y paraît
05:36 parce que nous pouvons être prêts à payer pour des choses qui nous rendent malheureux.
05:42 [Musique entraînante diminuant jusqu'au silence]
05:47 [SILENCE]

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