• il y a 9 mois
C’est un épisode tragique de l’Histoire ukrainienne peu connu mais qui, peut-être, donne un regard nouveau, de nouvelles clés sur l’agression russe et sur cette guerre qui fait rage depuis maintenant 2 ans… Il s’agit de l’Holodomor, que l’on peut traduire par « extermination par la faim ». Une grande famine qui aurait tué en 1933, 7 millions de Soviétiques, dont 4 millions d’Ukrainiens.

Si le fait que le Kremlin soit à l’origine de ce massacre a longtemps fait débat, aujourd’hui il est reconnu comme un génocide en France, un génocide du peuple ukrainien planifié par le régime de Staline.
Mais alors, quel regard porter sur cet épisode aujourd’hui alors que Vladimir Poutine mène depuis deux ans une guerre en Ukraine ? Que dit-il de la relation historique entre les deux peuples ? Et plus particulièrement sur les Ukrainiens, peuple décidément très résistant ?
Rebecca Fitoussi et ses invités ouvrent le débat.
Année de Production : 2023

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Transcription
00:00 "Moissons sanglantes" 1933, "La famine en Ukraine" de Guillaume Ribot, un film qui fait peut-être découvrir à nos téléspectateurs
00:07 l'existence même de Lolo Domor, un film sans ambiguïté sur la responsabilité soviétique dans cette grande famine. Le fait qu'elle ait été
00:15 planifiée par Staline et qu'elle ait un caractère
00:18 génocidaire a fait débat par le passé. Est-ce que cela fait encore débat ? On va en parler avec nos invités. Nadia Sologou, bienvenue à vous.
00:25 Vous êtes sénatrice union centriste de la Nièvre, présidente du groupe d'amitié France-Ukraine au Sénat et je précise que vous êtes vous-même
00:32 d'origine russo-ukrainienne.
00:34 Stéphane Courtois, bienvenue à vous également, historien, directeur de recherche honoraire au CNRS,
00:39 spécialiste des régimes communistes, auteur de plusieurs dizaines d'ouvrages. Je vais citer celui que vous avez dirigé,
00:44 l'ouvrage collectif "De la cruauté en politique" aux éditions Perrin.
00:48 Je vais citer également "Le livre noir du communisme" et "Le livre noir de Vladimir Poutine" chez Robert Laffont.
00:54 Oksana Melnitschuk, bienvenue à vous également. Vous êtes politologue ukrainienne,
00:58 présidente de l'association Unis pour l'Ukraine.
01:00 Deux de vos grands-parents sont des rescapés de cette grande famine que l'on a découvert dans le film "Lolo d'homme mort".
01:06 Elsa Vidal, bienvenue à vous également, journaliste, rédactrice en chef de la rédaction en langue russe de RFI.
01:12 Vous venez tout juste de publier "La fascination russe,
01:15 politique française, 30 ans de complaisance vis-à-vis de la Russie". C'est aux éditions Robert Laffont. Merci beaucoup à tous les quatre d'être avec nous.
01:22 Le film ne laisse pas l'ombre d'un doute sur la planification de ce génocide par Staline.
01:29 Pourtant, lorsqu'on fait quelques recherches, on s'aperçoit que la thèse de la famine organisée par Moscou ne fait pas complètement l'unanimité.
01:36 Stéphane Courtois, pour que les choses soient bien claires pour nos téléspectateurs,
01:39 Staline a-t-il, oui ou non, organisé le massacre des Ukrainiens par la faim au début des années 30 ?
01:46 Oui, c'est tout à fait clair, même si certains de nos collègues, y compris des collègues très proches comme
01:52 Nicolas Werth, qui a été le conseiller du documentaire qu'on vient de voir,
01:55 quand nous avons publié en 1997 le livre noir du communisme, c'est lui qui avait fait cette partie sur l'URSS,
02:02 il était très hésitant sur la notion de génocide. Mais depuis, il y a beaucoup d'archives qui se sont rouvertes,
02:08 en particulier des correspondances personnelles de Staline, qui ne laissent aucun doute sur le fait qu'à partir d'un certain moment,
02:14 en particulier à l'automne 1932, à la fin de l'automne, là,
02:20 la direction soviétique, sous les ordres directs de Staline, a vraiment passé la vitesse supérieure dans
02:26 le blocage complet de l'Ukraine, le pillage complet de toute la nourriture.
02:33 Alors c'est tout un processus, bien entendu, et en plus, ce n'est pas un processus qui est nouveau,
02:38 parce qu'il faut quand même rappeler, enfin bon, on y reviendra,
02:41 On va y revenir, bien sûr, on va continuer ce tour de table.
02:43 Il faut rappeler que le camarade Lénine n'est pas innocent dans ce genre d'affaires.
02:47 - Oksana Mennychuk, vous êtes une descendante de victime de l'Holodomor.
02:51 Est-ce que le caractère génocidaire a été une évidence pour ceux qui l'ont vécu au plus près ?
02:55 Parce qu'on a aussi dit que c'était un massacre des paysans ukrainiens et pas forcément du peuple ukrainien.
03:01 Est-ce que tout cela a fait débat ou est-ce que pas du tout ?
03:03 - Vous savez, ce qui est très bizarre, c'est qu'on n'a jamais parlé.
03:06 On n'a jamais parlé nulle part.
03:09 Mes grands-parents, ils ont fait juste attention, ils nous ont été éduqués dans la culture du respect du pain.
03:16 On n'a jeté jamais du pain à la nourriture et jusqu'à présent, même ma fille, elle a du mal à jeter le pain en France.
03:20 On ne sait pas où le mettre.
03:22 Parce que normalement chez nous, le pain, tu le mets dans les petits trucs plastiques et tu les jettes dehors.
03:28 Tu les mets dehors et après, il y a un service qui récupère toute cette pincée, je ne sais pas, pour donner après aux animaux, je ne sais pas quoi.
03:35 Mais on ne jette pas dans la pebelle du pain.
03:39 - Mais vos grands-parents n'ont pas témoigné au fait de vous ?
03:42 - Non, jamais. Seulement en étant étudiante en faculté d'histoire à l'université de Kiev,
03:48 j'ai appris qu'il y avait l'eau de mort parce que j'étais dans la première promotion qui a parlé de l'eau de mort à l'université.
03:55 C'était tabou.
03:56 - Quelle année ?
03:57 - J'ai fait les études entre 1987 et 88, c'était Perestroïka, c'était encore l'Union soviétique, mais c'était déjà "glass noise" de Perestroïka.
04:05 On a commencé à parler de toutes les pages afro, du goulag, de l'eau de mort.
04:10 Et quand j'ai commencé à poser la question à ma grand-mère, elle ne voulait pas parler.
04:14 Elle a juste dit que les communistes, pour elle, c'était toujours les diables, que c'était l'incarnation du diable.
04:21 Et elle a dit que "je n'oublie jamais les ventres", comme on dit dans le film, "les ventres gonflées".
04:27 - Très gonflées par la faim.
04:28 - Très gonflées. Parce qu'elle, par exemple, elle a eu 22 ans quand il y avait l'eau de mort, quand c'est arrivé.
04:34 Elle a vécu dans la campagne qui est à 70 km de Kyiv, et elle a pris les parties de son collier.
04:41 Elle est allée à Kyiv clandestinement, parce qu'il fallait aussi passer toutes les barrages des gardes, qui ne laissaient pas sortir de la campagne.
04:49 Comme c'était une fille assez courageuse, elle faisait les allers-retours à Kyiv.
04:54 Elle était très mince, elle habillait les vêtements comme les miens.
04:58 J'ai mis tout ça à l'honneur de ma grand-mère, qui permettait de mettre quelque chose par-dessus.
05:03 Elle les rendait toujours très grosses.
05:06 Il y avait les petits sacs avec la farine, qui étaient teignus par la ceinture.
05:12 Et comme ça, elle nourrit pas seulement sa famille, mais aussi la campagne autour.
05:16 Et jusqu'à sa mort, toute la campagne était respectueuse pour Marusia, parce que Marusia, elle a fait survivre toutes les gens de l'eau.
05:25 - Elle a sauvé des vies comme ça.
05:26 - Elle a sauvé des vies comme ça.
05:27 - Il y a un caractère polémique de ce côté génocidaire de l'holodomor.
05:33 C'est vrai que même en France, ce n'est pas complètement reconnu.
05:36 Il y a eu un vote au Sénat et à l'Assemblée.
05:38 Vous nous disiez, Zénadia Solomouk, avant cette émission, que ce n'était pas complètement reconnu comme un génocide.
05:44 - D'abord, je pense que c'est un phénomène historique, un épisode historique qui était complètement en dessous des radars.
05:51 La plupart des Français n'auraient pas eu ce conflit en Ukraine.
05:55 On ne s'intéressait pas beaucoup à ce qui se passe en Ukraine.
05:58 Ce n'est pas un sujet qui apparaissait beaucoup.
06:01 Et puis, évidemment, avec tout ce qui se passe actuellement, ça fait partie des sujets qui sont revenus dans les feux de l'actualité.
06:07 À ma connaissance, précisément, on a voté au Sénat il y a quelques mois une résolution pour que le holodomor soit reconnu comme un génocide.
06:19 Mais on n'a pas voté un texte de loi qui reconnaîtrait vraiment.
06:25 Je pense qu'à l'Assemblée, c'est la même chose.
06:27 Simultanément, deux résolutions ont été prises.
06:30 C'est un peu technique. Je pense que l'idée est là. Le fond est là, évidemment.
06:34 Et on a compris que, malgré tout, je pense qu'on n'a pas fait l'unanimité.
06:38 Il y a eu encore quelques...
06:39 - Mais comment vous l'expliquez, ça ?
06:40 Pourquoi si longtemps après, ce n'est toujours pas si clair que ça, et reconnu comme tel, alors que là, on a un film, un document ?
06:46 - Alors, il faudrait peut-être demander ce qui se passe...
06:48 - Non, mais on y voit quoi ? Une stratégie de Moscou d'avoir nié les faits pendant longtemps ?
06:53 - Oui, pardon, je vous attends.
06:55 - Elvidal ?
06:56 - Peut-être aussi une explication, c'est que, comme il y a parmi les victimes de la famine des membres aussi d'autres groupes ethniques, comme les Kazakhs et certains Russes,
07:06 il y a aussi des gens qui tendent à analyser la famine qui a été organisée pour résister à la collectivation comme une violence politique, plus qu'une violence génocidaire.
07:17 Et peut-être que là, la tromperie ou la stratégie du Kremlin, c'était de savoir qu'on ne pourrait pas ou difficilement l'imputer en tant que génocide,
07:27 parce qu'elle touchait aussi d'autres populations par le même temps.
07:31 - Ce qui vous semble juste.
07:32 - C'était une manière, effectivement, Moscou, alors je suis tout à fait d'accord, Moscou a nié absolument la famine pendant des dizaines d'années,
07:42 elle l'a cachée, elle l'a niée, et en plus elle a trompé par la propagande, on a vu dans le documentaire "Hériault", ça je dois dire que c'est extraordinaire,
07:52 bon le voyage d'Hériault, un voyage entièrement Potemkin, puisqu'on a retrouvé dans les archives le rapport du NKVD, de la police politique, après le voyage,
08:00 faisant le bilan et disant voilà, c'était parfait, sauf qu'à tel endroit, à Kharkov, là, on n'a pas bien fait, et puis là, on n'a pas bien fait.
08:09 Bon, un voyage entièrement bidon, pour dire les choses, mais bon, Hériault a marché complètement, et ce à quoi on assiste aujourd'hui,
08:20 y compris chez certains historiens, mais en particulier du côté de Moscou, on essaie de noyer la famine ukrainienne dans la famine globale
08:30 qui a touché l'URSS entre 1931-32 et 1933. En réalité, il y a deux vraies famines, il y a l'Ukraine et le Kazakhstan.
08:40 Le problème du Kazakhstan, c'est que c'est une famine qui n'a rien à voir avec la famine ukrainienne. La famine du Kazakhstan, il y a quand même plus de la moitié de la population
08:48 qui est morte de faim en un an et demi, c'est tout simplement parce qu'au Kazakhstan, la population, ce sont des nomades, et on a voulu les enfermer dans des colcoses.
08:57 Quand vous enfermez des troupeaux de moutons, de chèvres, de chameaux, dans un endroit donné, une fois qu'ils ont mangé tout ce qu'il y avait à manger,
09:06 il n'y a plus rien à manger. Donc les animaux crèvent, les éleveurs mangent leurs animaux, et puis quand ils ont mangé leurs animaux, ils crèvent à leur tour.
09:13 En Ukraine, c'est pas une politique absurde, c'est une politique volontaire, délibérée, et qui touche toute la population. Pourquoi ?
09:22 Parce que tout simplement, 90% de la population en Ukraine à ce moment-là, ce sont des paysans. Donc c'est à la fois les paysans et la nation.
09:31 – Le film explique bien aussi que tout le monde s'est arrangé pour décrédibiliser le discours de ce reporter gallois, Elzavidal,
09:37 avec ce prix Pulitzer qui reste entre les mains de Walter Duranty, quand celui qui était le lanceur d'alerte, lui, a été décrédibilisé.
09:43 Ça aussi, c'est très surprenant. – Décrédibilisé, et peut-être assassiné aussi quelques années après.
09:47 – De façon très louche. – Dans une zone où l'Union soviétique avait largement pris pied à partir de 1926.
09:54 Et c'est vrai qu'on peut y voir une manière de punir les éléments qui ont su déjouer la propagande,
10:00 étant donné que Gareth Jones avait quand même joué un sale tour aux autorités soviétiques,
10:06 en se faisant passer pour ce qu'il n'était plus, le secrétaire particulier de Lord George.
10:11 Et c'était sans doute la rançon de son succès à lui, d'avoir pu percer à jour,
10:17 et d'avoir pu percer aussi les lignes qui protégeaient ce secret.
10:21 Donc il y a évidemment une volonté de cacher la réalité du régime et l'intention génocidaire.
10:27 – C'est fou ce que ça dit de l'influence aussi du discours officiel côté Moscou,
10:32 qui a encore un poids aujourd'hui, là, en France, pendant qu'on parle, Nadia Soloukou.
10:36 – Ce qui est vraiment très intéressant dans le fait de regarder de nouveau ce documentaire aujourd'hui,
10:41 c'est combien il résonne dans le quotidien, comment on peut faire taire les voix,
10:46 et même réduire à néant, tuer quelqu'un qui a un discours discordant,
10:51 qui ose s'élever, enfin ça résonne particulièrement en ce moment.
10:55 Et puis sur tout ce qu'il y a autour de la désinformation, cette guerre de communication,
10:59 parce que finalement on se pose la question,
11:01 est-ce qu'un voyage bidon ce sera encore possible aujourd'hui ? Mais peut-être ?
11:04 – Ah bah des voyages bidon au Donbass, il y en a eu, il y en a encore.
11:07 – Oui, il y en a eu. – Il y en a eu, il y en a encore, voilà.
11:09 – On ne citera aucun nom. – On en est toujours au même point.
11:12 – On en est toujours là. – En fait, on n'a pas bougé.
11:14 – Alors je voudrais justement qu'on s'arrête maintenant sur l'attitude ukrainienne,
11:18 et ça va évidemment vous parler Oksana Melnytschuk dans cet épisode très sombre de l'histoire,
11:23 et sur cette idée de résistance ukrainienne particulièrement forte face à la collectivisation.
11:28 Est-ce que cela dit une forme de singularité du peuple ukrainien ?
11:32 On va en parler juste après ce passage du film qui m'a semblé extrêmement important,
11:35 et je vous donne la parole juste après.
11:37 À cause des violences bolchéviques dans les campagnes et des collectes de blé abusives,
11:42 le nationalisme était de plus en plus fort en Ukraine.
11:46 Les Ukrainiens restaient les plus rétifs à la collectivisation,
11:50 car ils entretenaient depuis toujours un rapport viscéral avec leur terre.
11:54 Depuis qu'elle aura été enlevée au début du plan Kakenal,
12:00 les paysans vivaient cela comme un nouveau servage.
12:03 Non plus au profit des Tsars, mais des bolchéviques.
12:10 Oksana Melnytschuk, est-ce qu'il y a quelque chose de propre au peuple ukrainien,
12:17 qui est cette résistance très forte à Moscou,
12:20 qui serait presque, alors pardon pour l'expression, mais dans l'ADN ukrainien, de résister comme cela ?
12:24 Vous avez bien dit dans l'ADN ukrainien, parce que vous savez, je n'aime pas le mot nationaliste.
12:29 Parce qu'il ne s'agit pas de nationalisme ici,
12:31 il s'agit vraiment de la résistance de l'identité ukrainienne.
12:35 On résiste aux Russes dès que les Russes sont venus sur notre terre,
12:38 et c'était, je ne veux pas faire le cours d'histoire, je ne veux pas faire compoutine,
12:41 parce que sinon on est bien parti pour deux ans.
12:43 Mais on en parlera.
12:44 Voilà, mais il faut dire que les paysans ukrainiens,
12:47 en différence des paysans russes, n'étaient jamais les esclaves.
12:50 Ils n'ont jamais été serfs, ils étaient toujours les gens libres.
12:54 Il n'y avait jamais d'esclavage sur le sol ukrainien, même avec le Tsar,
12:58 comme les propriétaires de terre, c'était les héritiers des Cossacks,
13:02 dans la plupart des cas, dans le monde, dans l'esprit Cossack, il n'y avait pas de servage.
13:07 L'homme ukrainien, c'est l'homme libre, toujours.
13:09 Même le paysan le plus pauvre, il est libre.
13:12 Donc le fait d'avoir les kolkhozes, ça ne l'est pas du tout plus,
13:16 parce que nous sommes très individualistes.
13:18 Nous sommes les cultivateurs de terre depuis 6 000 ans.
13:21 On vénère la terre, on est vers le soleil, on gloire le soleil,
13:25 d'où vient le nom "slav", "slavian", c'est lui qui gloire le soleil.
13:30 Et toute notre culture, elle est liée avec la cultivation de terre.
13:33 Et mettre les cultivateurs historiques de terre dans les kolkhozes,
13:39 c'était déjà pour nous une sorte de génocide contre notre culture, même.
13:43 Donc c'est pour ça qu'il y avait la résistance très très forte.
13:46 Le holodomor, c'est le moyen de briser cet esprit de résistance,
13:51 vous confirmez Nadia Sologou, un peuple de résistance.
13:54 Absolument, en même temps qu'Oksana parlait, je pensais au drapeau ukrainien.
13:57 Ce n'est pas par hasard que c'est le ciel sur les champs fertiles.
14:02 Et oui, je pense qu'en fait, Stalin a fait d'une pierre deux coups,
14:06 parce qu'en même temps, il brisait les koulaks
14:09 qui incarnaient l'esprit de résistance ukrainienne,
14:12 et en même temps, il s'emparait de ce grenier
14:15 qui est une ressource mondiale extraordinaire,
14:17 ce qui fait peut-être d'ailleurs le malheur historique des Ukrainiens,
14:20 puisqu'ils sont tellement riches de ce blé, de ces terres fertiles,
14:23 qu'ils attirent toutes les convoitises, peut-être encore aujourd'hui.
14:26 Et donc, voilà, il faisait d'une pierre deux coups,
14:28 il prenait les céréales et en même temps, il brisait les koulaks
14:31 qui incarnent, comme c'est bien montré dans ces images,
14:33 l'esprit de résistance.
14:34 – Un pays de rebelles, Stéphane Courtois,
14:37 historiquement, c'est le documentaire, il l'est dit,
14:39 dans le documentaire les plus rétifs à la collectivisation.
14:41 – Oui, oui, non mais ça ne date pas des bolcheviques.
14:44 Les Cossacks ont fait quelques sévères révoltes
14:47 contre la grande Catherine et quelques autres,
14:50 donc ça c'est bien connu, Pugachev, etc.
14:53 Donc, effectivement, la question centrale,
14:56 c'est le paysan libre contre le paysan au servage.
14:59 Il faut rappeler que c'est le tsar Ivan IV,
15:02 le fameux Ivan le Terrible, qui a instauré le servage,
15:06 dans sa principauté, a mis toute la paysannerie en servage
15:11 au milieu du XVIe siècle quand même.
15:13 Je ne sais pas si vous voyez la régression que ça pouvait représenter
15:17 par rapport à l'évolution de l'Europe,
15:19 donc il faut quand même rappeler que cette immense région
15:21 qu'on appelle l'Ukraine aujourd'hui, qui allait à l'époque de la Baltique
15:25 jusqu'à la mer Noire, a été entre le IXe siècle et le XIIIe siècle
15:30 une énorme puissance, pas avec un État centralisé,
15:34 mais avec de grandes villes, Kiev, Novgorod, etc.
15:38 Donc voilà, c'est vraiment, et ça c'est une culture politique fondamentale,
15:43 une culture de la liberté.
15:45 Avec un intérêt économique du côté de Moscou, Elzavidal.
15:49 Pour l'Ukraine.
15:50 Oui, pour l'Ukraine, parce que ce sont les terres les plus fertiles d'Europe.
15:53 D'une part, mais aussi parce qu'il y avait un bassin minier très important
15:56 et que pour l'effort industriel qui devait...
15:59 C'est-à-dire que les paysans ont été mis au pas
16:01 pour favoriser l'industrialisation du pays.
16:03 Donc on a sacrifié la paysannerie à l'industrialisation du pays
16:07 pendant l'Union soviétique pour finalement répondre au paradoxe
16:11 qu'on avait une révolution communiste dans un pays largement paysan.
16:15 Dont l'économie était largement paysanne,
16:17 ce qui ne va pas du tout avec l'orthodoxie marxiste.
16:20 Et donc, il a fallu sacrifier les paysans pour permettre l'industrie.
16:24 Et de ce point de vue-là, même à la fin de l'URSS,
16:27 on se rend compte qu'en Ukraine, perdurent des personnages
16:32 qui servent finalement une intégration de l'Ukraine même libre
16:36 au schéma économique qui ramène tout vers Moscou.
16:39 Et c'est pour ça que finalement, les pressions russes
16:42 sur l'Ukraine libre post-1992 s'exercent dès qu'il y a des tentatives
16:48 d'arriver au pouvoir de la part d'hommes politiques
16:51 qui ne sont pas inscrits dans la gouvernance pro-russe.
16:54 Et c'est aussi pour ça que quand les dirigeants actuels de la Russie
16:58 nous disent "attention, l'Ukraine est extrêmement corrompue",
17:01 oui, l'Ukraine est corrompue. Elle l'est parce que vous avez appliqué
17:05 à l'Ukraine, et vous, messieurs, vous vous êtes appliqué à ce que perdure
17:10 un mode de gouvernance qui sert votre État et donc qui détourne
17:13 des ressources ukrainiennes au profit de l'État russe.
17:16 - Qui s'exclut par l'histoire. Ukraine, étymologiquement,
17:19 dites-moi si je me trompe, c'est le pays des confins.
17:21 Il y a aussi une situation géographique du pays. Non, c'est pas ça ?
17:24 - C'est pas ça du tout. Vous savez, il y a beaucoup de fake
17:27 dans les explications et de notre drapeau et de notre symbole.
17:32 - Nadia, je vais aller en contre de tout ce que vous viens de dire
17:37 parce que ça c'est une notion, d'ailleurs bolchevique,
17:39 ils ont eu du mal à combattre notre drapeau bleu-jaune
17:42 et donc pour se calmer, ils ont trouvé l'explication
17:46 que vous avez donnée et c'était devenu très répandu.
17:49 Mais le vrai symbole de couleur jaune et bleue,
17:52 couleur jaune c'est le couleur d'or, c'est le couleur de l'esprit
17:55 et le couleur bleu c'est le couleur de matériel, de le monde matériel.
17:59 Et le vrai drapeau ukrainien c'est jaune qui domine le bleu,
18:02 l'esprit domine le monde matériel.
18:04 Et c'est bolchevique qu'ils ont renversé le drapeau pour nous combattre,
18:09 pour que le matériel domine sur notre esprit, pour briser notre esprit.
18:13 Et le mot l'Ukraine, c'est aussi la connotation communiste
18:17 de dire que c'est les limites du pays.
18:20 - Oui, oui, les confins.
18:22 - Voilà, les confins. L'Ukraine ça se traduit dans le pays.
18:27 Vous avez évoqué l'époque d'Ivan terrible,
18:30 donc après l'envahissement des Mongols,
18:33 les terres de la Russie, du Kiev,
18:36 elles ont été dévastées par les Mongols,
18:38 mais elles n'ont jamais resté sur notre terre.
18:41 Parce qu'après on a été lié avec les Lituaniens,
18:44 avec les Polonais, on a résisté au régime mongolien,
18:48 donc on n'a jamais su le mode de pouvoir à la Mongolie
18:51 comme c'était le cas de Moscou.
18:53 On a resté républicain dans notre terre.
18:56 Et la terre qui n'était pas contrôlée par les Mongols
18:59 à cette époque-là, ça s'appelait "dans le pays",
19:02 ça veut dire "dans les frontières" qui sont protégées
19:05 par les Cossacks, qui bien protégeaient les confins
19:08 de notre pays. Donc être à l'intérieur de ce pays
19:11 protégé par les Cossacks contre les Mongols
19:14 qui nous entouraient, ça s'appelait "vkrayinia"
19:17 en langue ukrainienne. Et "vkrayina" s'est transformé
19:20 un peu comme "Ukrayina", ça veut dire "dans le pays".
19:23 C'est la même chose que vous dites "England" en allemand.
19:27 - Et donc pas dans les confins ni pris en étau
19:30 entre plusieurs pays. - Non, non, non, au contraire.
19:33 C'est le pays dans lequel on a conservé les traditions
19:36 de cultivation de terre, du respect de l'être humain,
19:39 de l'indépendance, de la liberté. On dit toujours que
19:42 voilà, la liberté c'est notre religion.
19:45 - Alors peut-être que là vous ne me contredirez pas,
19:47 mais en tout cas l'Ukraine c'est le caillou dans la chaussure
19:50 depuis, depuis toujours, Stéphane Courtois ?
19:53 - Non mais l'Ukraine, il y a une chose qu'il faut bien rappeler,
19:56 ça a déjà été dit, c'était et c'est toujours
19:59 un pays très riche. Et en particulier à cause de la terre,
20:02 alors effectivement à cause des mines aussi, mais surtout de la terre.
20:05 Déjà Voltaire en 1735, dans un de ses livres,
20:09 parlait de l'Ukraine "les terres les plus riches du monde".
20:13 Donc Lénine a tout de suite compris, dès 1917,
20:16 il a déclaré la guerre immédiatement à l'Ukraine indépendante
20:19 parce qu'il comprenait très bien que s'il perdait l'Ukraine,
20:22 ça allait être un énorme problème.
20:24 Staline le dit d'ailleurs, en 1932, il envoie une note à Molotov,
20:28 à la fin 1932, en disant "si on perd l'Ukraine, c'est une catastrophe,
20:32 il faut à tout prix conserver l'Ukraine".
20:35 Et M. Poutine, il n'y a pas très longtemps, il y a quelques années,
20:38 dans un discours, a reproché aux Occidentaux d'avoir voulu
20:41 le priver d'un juteux morceau.
20:44 Alors ça c'est intéressant, un juteux morceau,
20:47 un intérêt économique et politique.
20:50 - Et pourquoi est-ce qu'on fait la guerre ?
20:52 On fait la guerre pour s'emparer des richesses des autres,
20:55 pour commencer.
20:57 Et évidemment, Adolf Hitler pensait exactement la même chose.
21:00 Il faut savoir que dans les années 30, en Allemagne,
21:03 il y a toute une réflexion sur comment on va faire pour s'emparer
21:06 de l'Ukraine et y installer des colons allemands.
21:09 Donc chacun veut s'emparer de ce juteux morceau.
21:12 - Nadia Sologhou, un intérêt économique d'abord,
21:15 pour briser cette contestation.
21:17 - Tout est lié. Merci beaucoup pour le drapeau,
21:20 j'adore cette explication.
21:23 Pour revenir au sujet, oui, évidemment,
21:26 ce juteux morceau est indispensable quand on veut
21:29 constituer une superpuissance.
21:32 A l'époque, c'était une super entité soviétique,
21:36 mais voilà, aujourd'hui aussi.
21:39 Je crois que dans le film, il est dit à un moment,
21:42 donc voilà, ça résonne aussi.
21:45 - Révélateur.
21:48 Rattraper les Amériques.
21:51 - Justement, parlons de la Russie de Poutine.
21:54 La Russie d'aujourd'hui, rappelons que le chef du Kremlin
21:57 a justifié l'attaque du 24 février 2022
22:00 en disant ceci, trois jours avant l'agression.
22:03 "L'Ukraine contemporaine a été entièrement et complètement créée
22:06 "par la Russie, plus exactement par la Russie communiste,
22:09 "et par la Russie archévique. Aujourd'hui, les radicaux
22:12 "et les nationalistes, y compris et avant tout en Ukraine,
22:15 "s'attribuent le mérite d'avoir conquis l'indépendance.
22:18 "Ce n'est pas le cas du tout."
22:21 Est-ce qu'il est en train de réécrire l'histoire ukrainienne ?
22:24 - Oui, bien sûr, il l'a réécrit. C'est une longue tradition.
22:27 D'ailleurs, en cela, il pratique une tactique politique
22:30 absolument normale et en tout cas récurrente
22:33 du pouvoir installé à Moscou de réécrire l'histoire
22:36 d'une autrefois une vision marxiste et une dialectique marxiste
22:39 et aujourd'hui avec une vision pseudo-impérialiste,
22:42 pas très cohérente, vraiment fait d'éléments empruntés
22:45 à différentes époques, mais qui, globalement,
22:48 parvient à justifier et un peu à mobiliser les imaginaires
22:51 des Russes qui sont nés, on va dire, à l'époque soviétique
22:54 et pour qui tout cela entre en résonance avec ce qu'ils ont connu
22:57 dans leur éducation. C'est par affinité qu'il essaye
23:00 de recréer des sursauts, un peu par réflexe,
23:03 auprès de sa population cible. -Il y croit lui-même ou pas ?
23:06 -J'en ai aucune idée. Honnêtement, c'est très difficile à savoir
23:09 parce qu'il y a quand même un nihilisme politique
23:12 très ambiant parmi les classes dirigeantes russes,
23:15 on va pas dire parmi la population, parmi certaines couches
23:18 de la population, et je ne crois pas que...
23:21 Il y a quand même une approche de la politique
23:24 qui est très différente de la nôtre. Jamais on essaye
23:27 de dire le vrai, c'est pas une question véritable.
23:30 On pratique la parole politique de manière à faire advenir.
23:33 En fait, on fait de la communication. On parle pour poursuivre
23:36 un objectif, non pas pour décrire un état de fait,
23:39 mais pour faire advenir un objectif.
23:42 Donc, on dit tout ce qu'il faut pour réussir
23:45 en vue de cet objectif. Encore une fois,
23:48 ce très grand relativisme, pour ne pas dire du nihilisme,
23:51 fait partie d'une pratique politique que nos propres dirigeants
23:54 connaissent mal quand ils ne l'ignorent pas
23:57 et ce qui les désavantage, finalement, dans la négociation.
24:00 - Il fait du révisionnisme, Nadia Sologoum.
24:03 Vous avez une analyse de ce discours poutinien
24:06 depuis quelques années qui cherche quand même à réécrire l'histoire,
24:09 notamment de l'Ukraine. - Je vais parfaitement
24:12 dans votre sens. Peu importe que ce soit vrai ou pas, il s'adresse
24:15 qu'aux Russes. Donc, voilà, tout est dit.
24:18 Il fait surtout de la désinformation.
24:21 Il écrit son histoire
24:24 de manière à ce qu'elle soit
24:27 connue et intégrée
24:30 par son... - Facile à assimiler.
24:33 - Oui. - D'ailleurs, il y a quelque chose
24:36 d'assez intéressant dans les discours historiques de Vladimir Poutine
24:39 à propos de l'Ukraine qui serait,
24:42 par nécessité et fatalité, russe.
24:45 En fait, il inverse la chronologie quand il dit ça.
24:48 C'est quelque chose qui est très étrange.
24:51 Il dit que l'Ukraine est première pour la Russie.
24:54 C'est donc la Russie qui est ukrainienne et non pas l'Ukraine qui est russe.
24:57 Et ça, ça n'a pas l'air de l'avoir frappé.
25:00 Et personne dans son entourage ne lui a jamais fait remarquer
25:03 parce que, de toute façon, encore une fois, on n'est pas dans une poursuite logique.
25:06 On est dans la création d'entités... - D'un nouveau discours.
25:09 - D'un discours qui puisse être absorbé, communiqué et transmis.
25:12 - Un nouveau récit de l'histoire. Il reconnaît l'oldo-mort ou pas,
25:15 Vladimir Poutine ? - Non. - Pas du tout.
25:18 - Vous savez, pour continuer tout ce qu'il dit, Ilza,
25:21 après notre Maïdan de dignité en 2014,
25:24 quand tout n'était pas tellement sanglant comme maintenant,
25:27 on a plaisanté en disant que c'est le moment de déclarer l'indépendance de la Russie,
25:31 de reconnaître l'indépendance de la Russie et de l'Ukraine
25:34 parce qu'ils sont trop dépendants de nous. On en a marre un peu.
25:37 Mais pour ne pas entrer dans les détails de l'histoire,
25:40 j'invite notre spectateur à notre site unipourlukraine.org.
25:43 Il y a tous les récits courts et récits sur l'histoire de l'Ukraine.
25:47 Mais pour vous donner un exemple, imaginez-vous que les Français
25:51 révindiquent maintenant que c'est eux qui ont créé la Rome antique,
25:56 l'Empire d'Oro. - Exemple parmi d'autres de la volonté
25:59 révisionniste de Vladimir Poutine. Et je vais vous donner la parole,
26:02 Stéphane Courtois. En 2021, la Cour suprême de Russie a liquidé
26:05 l'ONG Memorial. C'est un événement qui est un tout petit peu passé inaperçu ici
26:08 alors qu'il est fondamental. Memorial, fondé vers la fin des années 80
26:12 et qui était voué à la préservation de la mémoire des victimes du stalinisme
26:16 qui ont été emprisonnées dans les camps du Goulag dans les années 30.
26:19 Est-ce que Vladimir Poutine a aussi en tête, dans son plan,
26:23 de redorer l'image du stalinisme ? Et est-ce que ça marche ?
26:26 - Non mais bien entendu. Il a totalement réhabilité Staline.
26:29 Il faut bien voir qu'en Russie aujourd'hui, Staline est réhabilité.
26:32 On érige à nouveau des statues à la gloire de Staline,
26:36 à la gloire de Tserzhinsky, le fondateur de la Tchéka,
26:39 c'est-à-dire de l'organe de la terreur qui a fonctionné pendant 74 ans.
26:44 Donc voilà, il ne faut quand même pas se tromper, il faut regarder ce qui se passe.
26:48 Ça peut choquer. Alors certains peuvent dire "oh c'est folklorique".
26:52 Non, ça n'est pas du tout folklorique. C'est totalement volontaire, politique, symbolique.
26:57 Ne jamais oublier qui est cet individu, M. Poutine,
27:00 qui a été entièrement formé dans le cadre du KGB.
27:03 Bon, et qu'est-ce qu'on lui apprenait dans le cadre du KGB ?
27:06 - Le mensonge, la manipulation.
27:08 - Alors le mensonge, la manipulation, le secret, la terreur.
27:11 Bon, mais en plus, une histoire bien ficelée, hein ?
27:15 Ah bah oui ! Mais une histoire bien ficelée, vous posiez la question "est-ce qu'il y croit ?"
27:21 Personnellement, je pense qu'il n'en croit pas un mot.
27:23 - Ah ouais ?
27:24 - Il n'en croit pas un mot. Vous le voyez en train de se signer 25 fois.
27:29 Alors que bon, au KGB, quand même, le KGB était l'organe de la terreur
27:33 qui a liquidé l'Église orthodoxe.
27:35 - Mais est-ce qu'on sait si ça marche sur l'opinion ?
27:38 Est-ce qu'on sait si ça marche auprès des russes ?
27:40 - Ça, c'est une autre question.
27:41 Parce que là, on est effectivement dans des phénomènes de communication.
27:44 Mais il a été formé à ça, monsieur Poutine.
27:46 C'est son boulot.
27:48 C'est son boulot.
27:49 Manipulation, chantage, compromat, il a été formé entièrement à ça.
27:54 - Mais est-ce qu'on admire Staline aujourd'hui en Russie ?
27:56 - Malheureusement, oui.
27:58 Mais vous savez, je pense qu'on a fait quand même un procès Nuremberg sur le fascisme,
28:03 mais on n'a jamais fait le procès sur les crimes qui ont commis les communistes,
28:07 pas seulement en Ukraine ou dans la Russie, dans l'Union soviétique,
28:11 mais dans le monde entier.
28:12 Pour le jour d'aujourd'hui, on compte 113 millions de victimes de communisme
28:17 partout dans le monde.
28:18 Le communisme soviétique, c'est particulièrement grave.
28:21 Parlons des Golak, parlons des Golodemors.
28:23 L'Ukraine a perdu au total, pendant les régimes communistes, 13 millions.
28:28 Donc, je pense que pourquoi nous luttons aujourd'hui,
28:32 nous militons aujourd'hui, pour qu'après notre victoire,
28:35 il y aura le tribunal international spécial pour juger pas le Poutine,
28:39 mais le putinisme et peut-être tous les crimes qui ont été commis
28:43 par les régimes dictatoriaux à l'Union soviétique également.
28:48 - Nadia Sologoud ?
28:49 - Oui, alors, je reboucle sur les résolutions qu'on avait votées
28:54 pour reconnaître, oui ou non, le Golodemor comme un génocide.
28:58 En effet, c'est les collègues communistes qui n'avaient pas adhéré à la démarche.
29:03 - Quelle surprise !
29:04 - Bon, après, voilà, on peut comprendre dans quelle logique,
29:07 mais donc, je le signale simplement.
29:09 Et sur le fait que si les Russes y croient ou pas,
29:12 en fait, moi, il y a une petite chose toute simple,
29:14 c'est qu'il y a beaucoup d'Ukrainiens, vous allez me le confirmer,
29:17 qui ont de la famille en Russie, et ils ont l'air de raconter tous la même chose,
29:20 c'est-à-dire qu'ils ne peuvent plus se parler,
29:22 parce qu'ils ne parlent plus de la même chose, ils ne se comprennent plus.
29:25 Il y a des cousins qui avaient de très bonnes relations
29:27 qui se téléphonent et qui disent, mais enfin, regardez ce qui se passe,
29:30 mais non, il ne se passe pas ça du tout,
29:32 et ils n'ont plus la même vérité,
29:34 et ils ne communiquent plus parce qu'ils n'ont plus la même vérité.
29:37 - Donc la stratégie de Poutine fonctionne, il est en train de brouiller l'histoire.
29:41 - Oui, non, mais attendez, la Russie vit entièrement sous censure.
29:44 - Bien sûr.
29:45 - Un russe lambda, comment peut-il s'informer de quoi ?
29:48 - Absolument.
29:49 - Il n'a que le discours officiel.
29:51 - Je lisais que ça avait d'ailleurs, enfin, maintenant,
29:53 on parle d'ailleurs de la guerre contre l'histoire,
29:55 c'est plus seulement une guerre contre l'Ukraine,
29:57 c'est une guerre contre l'histoire que mène Vladimir Poutine,
29:59 et je lisais que ça avait commencé assez tôt.
30:01 - En 1999, le FSB avait visité plusieurs sites d'archives centrales à Moscou,
30:06 effrayant le personnel, et lui faisant comprendre
30:09 que l'âge d'or des archives ouvertes à tout le monde
30:12 touchait à sa fin en Russie.
30:13 Est-ce que ça veut dire qu'on ne peut même plus travailler
30:15 en tant qu'historien et chercheur en Russie aujourd'hui,
30:17 et qu'on ne peut plus, les archives sont fermées ?
30:19 - En tout cas pour les historiens étrangers, oui,
30:21 c'est connu depuis très longtemps pour nous.
30:23 - Moi, la dernière fois que je suis allé à Moscou comme historien,
30:26 et j'ai travaillé en 92, 93, 94 dans les archives,
30:29 et en décembre 94, je suis rentré en France
30:32 et j'ai dit "je ne retourne pas", parce que là, ça commence...
30:35 - On vous empêchait de chercher ?
30:37 - Non, on ne m'empêche pas de chercher.
30:39 En permanence, j'ai un type qui est derrière son journal,
30:42 dans la salle, et qui regarde ce que je fais,
30:45 et puis j'ai des petits camarades, des collègues communistes français,
30:49 très sympathiques, qui m'espionnent aussi,
30:52 qui regardent ce que j'ai demandé, comme copie, comme microfilm,
30:58 comme archive, etc.
31:00 - Vous avez eu peur pour votre sécurité ?
31:02 - Et puis on avait déjà un collègue russe très connu,
31:05 Danilov, justement, un spécialiste de l'agriculture
31:08 et de la paysannerie soviétique,
31:10 qu'on a retrouvé le crâne fracassé en bas de son escalier,
31:13 quand même, début 94.
31:15 On a publié dans la Pravda un faux article de moi.
31:20 Un article...
31:22 - Ce qui est typique vraiment des pratiques.
31:24 - Une interview que j'avais donnée à La Croix,
31:27 et dont on a renversé les termes.
31:30 Et où, immédiatement, il y a toute une équipe russe
31:34 qui a demandé mon interdiction d'accès aux archives.
31:38 Alors j'ai réagi violemment.
31:40 C'est-à-dire que j'ai mis carrément les pieds dans le plat
31:44 lors d'une réunion à Paris, de la direction du CNRS avec les Russes.
31:48 J'ai pris la parole, j'ai dit "je suis très surpris
31:51 de voir que les méthodes du KGB continuent".
31:54 Inutile de vous dire qu'on aurait eu l'impression
31:56 que le plafond était tombé sur la salle.
31:58 Mais cela dit, j'ai pu retourner,
32:00 j'ai pu consulter encore un certain nombre de choses.
32:02 Mais bon, il était clair pour moi que...
32:04 - C'est dissuasif, évidemment.
32:06 Et ce sera peut-être ma dernière question dans ce débat.
32:08 Est-ce que vous pensez qu'il peut la gagner, cette guerre contre l'histoire, Vladimir Poutine ?
32:10 - En tout cas, vis-à-vis du peuple russe,
32:12 à part le segment peut-être de 17-18% de la population
32:15 qui n'est plus du tout en recherche de ce type de régime,
32:19 oui, évidemment, cette guerre sur l'histoire peut tout à fait être gagnée
32:23 dans la mesure où d'abord un grand nombre de Russes
32:26 sont d'abord intéressés à survivre et à préserver les leurs
32:30 et non pas à défendre une vision historique.
32:32 Donc ils savent que c'est un combat qui peut les mener en prison durablement.
32:37 Je pense quand même à Dmitriev qui est en prison,
32:39 Orlov qui vient aujourd'hui d'être condamné à deux ans et six mois de prison,
32:44 alors que jusque-là il avait été condamné à une amende
32:47 pour avoir décrit le régime russe actuel comme fasciste
32:50 et pour ne pas avoir voulu quitter la Russie,
32:53 c'est quand même le vice-président de Memorial
32:55 qui est l'organisation qui devait faire la lumière sur les crimes du communisme.
32:58 - Et oui, sur Oksana Melnychuk, est-ce qu'il peut la gagner cette guerre contre l'histoire
33:01 ou est-ce que là aussi l'Ukraine peut résister à ça ?
33:03 - Vous savez, les Ukrainiens sont très têtueux,
33:05 on a déjà survécu aux 300 ou moins de la juge russe,
33:10 bien sûr nous croyons que c'est nous qui allons gagner.
33:13 Les victoires de l'Ukraine sont essentielles
33:16 parce que la défaite de l'armée russe va nous amener vers plusieurs autres victoires.
33:21 C'est la victoire de la liberté, la victoire de l'humanité, de l'humanisme.
33:25 Et nous vivons aujourd'hui dans la société de post-vérité,
33:29 on ne sait jamais où est la vérité,
33:32 tout est aujourd'hui critiqué, tout est mis en question,
33:36 mais heureusement nous vivons aussi la révolution technologique,
33:40 quand nous avons l'accès de plus en plus libre aux toutes les sources de l'information,
33:44 les archives c'est peut-être dans le passé,
33:47 parce que toutes les archives, tôt ou tard, vont être digitalisées,
33:52 et donc je crois à la victoire de la liberté et de la vérité.
33:57 - Nadia Souloghoub, et encore un mot Stéphane Courtois après ?
34:00 - Moi je ne voudrais pas être aussi optimiste,
34:02 bon j'espère que maintenant la vérité va se faire jour,
34:07 mais ce qui est très inquiétant c'est que pendant quand même si longtemps,
34:10 la désinformation a complètement fonctionné,
34:13 le phénomène est resté complètement en dessous des radars,
34:15 et finalement la vraie question n'est pas de reconnaître le roi de mort comme un génocide,
34:19 la vraie question c'est qu'un phénomène d'une telle ampleur,
34:22 d'une telle monstruosité ait pu rester invisible pendant aussi longtemps.
34:26 - Pour conclure, les ukrainiens sont très têtu,
34:30 mais les historiens aussi sont très têtu,
34:33 et j'ai une maxime, l'historien rattrape toujours son client,
34:37 et croyez-moi ça peut durer 10 ans, 20 ans, 30 ans, 100 ans,
34:40 mais tout ce qui se passe là, aujourd'hui, ce sera connu.
34:44 - Et ce sera documenté.
34:45 Et on est là aussi pour ça.
34:46 Merci, merci beaucoup à tous les quatre d'avoir participé à cet échange.
34:49 Merci à vous de nous avoir suivis comme chaque semaine,
34:52 émissions et documentaires à retrouver évidemment en replay sur notre plateforme publicsena.fr.
34:56 Merci beaucoup, à bientôt.
34:58 [Musique]
35:13 Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org

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