• il y a 10 mois
Grand Prix de l'urbanisme 2023.

Interview de Simon Teyssou, lauréat.

Interview menée par Ariella Masboungi, Grand Prix de l'urbanisme 2016.

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Transcription
00:00 Simon Tessou, vous êtes architecte, vous êtes urbaniste. On vous a décerné cette
00:09 année le Grand Prix de l'urbanisme pour l'ensemble de votre travail et pour votre
00:15 théorisation sur l'urbain. Vous exercez principalement en campagne et vous habitez
00:20 en campagne. Pouvez-vous nous décrire votre mode d'intervention sur ces territoires ?
00:26 Effectivement, j'exerce dans un territoire rural du Cantal, dans un centre-bourg qui
00:32 s'appelle Le Rouget, dans la commune du Rouget-Perse. Depuis maintenant 23 ans, nous avons développé
00:37 une activité extrêmement large, très diversifiée. Pour ce faire, nous avons mis en place une
00:45 équipe pluridisciplinaire avec des architectes, mais aussi des urbanistes, des paysagistes,
00:51 des économistes de la construction, parce qu'il s'agit de considérer que notre pratique
00:56 va aussi bien toucher des projets de réhabilitation en architecture que des édifices neufs.
01:05 Mais surtout, nous avons développé une pratique urbaine visant à régénérer des pans entiers
01:13 des territoires ruraux et périurbains, des centres-bourgs, mais aussi des situations
01:19 de marge métropolitaine, parfois à côté de Clermont-Ferrand ou dans des grandes villes
01:24 comme Limoges. Tout ça dans un périmètre assez restreint, finalement, deux heures à
01:30 peu près autour du Rouget ou de Clermont-Ferrand, plutôt dans l'ouest du Massif Central.
01:35 Et vous pratiquez beaucoup la concertation de fait, puisque vous assurez des permanences
01:41 architecturales, vous échangez beaucoup avec tous les acteurs et principalement avec les
01:44 élus dans un rapport de très grande proximité.
01:47 Oui, ce qui peut-être caractérise la pratique dans ces territoires, c'est cette grande
01:53 proximité avec les acteurs, c'est-à-dire une relation privilégiée avec les élus
01:58 qui sont très investis dans leur territoire, aussi parce qu'il n'y a quasiment pas d'ingénierie
02:02 publique. Et puis, en étant au contact des habitants, qui sont les experts de leur territoire,
02:09 plus que nous, ça nous permet de comprendre leur pratique, de comprendre leur mode d'habiter
02:14 pour mieux agir. Donc, on met en place des stratégies telles que des résidences in situ
02:21 quand on intervient dans des centres-gourds pour essayer d'emmagasiner un maximum d'informations
02:27 et pour ensuite faire des propositions spatiales qui, elles, pour le coup, nous reviennent.
02:31 C'est-à-dire que, autant les habitants sont experts de leur territoire en tant qu'habitants,
02:36 mais il revient à nous, nous autres, donc concepteurs, de spatialiser les transformations
02:43 de ces territoires.
02:44 Et, par ailleurs, parallèlement, vous dirigez l'École d'architecture de Clermont-Ferrand
02:49 qui est engagée de très longue date sur la question du rural et sur le territoire
02:56 du Massif central. Vous avez développé cet enseignement et vous tentez de former des
03:02 professionnels qui sont aptes à travailler sur ces territoires.
03:06 Oui, tout à fait. Alors, effectivement, la question des ruralités est présente de longue
03:11 date dans l'École d'architecture de Clermont-Ferrand. D'ailleurs, j'ai moi-même, en tant qu'étudiant,
03:15 bénéficié de cet enseignement autour de l'urbanisme dans les territoires ruraux,
03:19 ça s'appelait comme ça en quatrième année. Mais le gros travail qui a été fait, c'est
03:23 de considérer vraiment notre école comme étant l'école de notre territoire, mais
03:29 d'un territoire élargi, c'est-à-dire plutôt de l'ouest du Massif central, avec
03:33 une grande diversité de situations. Nous avons la métropole clermontoise, nous avons
03:37 aussi un réseau de petites et moyennes villes, plus ou moins dynamiques. Nous avons aussi
03:42 des territoires ruraux qui sont plutôt caractérisés par une présence de l'agriculture encore
03:47 assez vivace, notamment l'élevage, mais aussi des territoires plus en crise, par
03:51 exemple des anciens territoires ruraux industriels qui se sont effondrés. Il s'agit finalement
03:57 de considérer que nos étudiants, nos anciens chercheurs, nos doctorants, en fait, contribuent
04:05 à faire émerger des problématiques sur ces territoires-là pour nourrir aussi, tout
04:10 simplement, la réflexion des élus locaux. C'est la raison pour laquelle nous avons
04:14 beaucoup de partenariats avec ces collectivités, pour justement stimuler le débat sur la transformation
04:21 de ces territoires-là. Ils apprennent à faire tous les métiers et en particulier
04:27 à donner envie aux élus de porter une vraie vision pour leur territoire, ce qui change
04:32 beaucoup par rapport à ce qu'était la formation des archivex précédemment, me semble-t-il.
04:37 Oui, et ça a été aussi possible parce qu'il y a à peu près une quinzaine d'années,
04:42 l'École d'architecture de Clermont-Ferrand a fait le choix de combiner l'enseignement
04:46 du projet urbain et du projet d'architecture, c'est-à-dire de considérer que ce n'était
04:50 pas deux enseignements dissociés, mais bien un seul enseignement transcalaire, avec cette
04:55 idée que finalement les sujets sont très imbriqués et transdisciplinaires aussi. En
05:00 fait, dans ces territoires-là, la question de l'urbanisme se pose assez différemment
05:04 des métropoles, c'est-à-dire qu'on est plutôt dans un urbanisme d'acupuncture,
05:09 de réparation, qui consiste à venir s'inscrire dans des petites centralités, des situations
05:17 de marge, mais par petites touches, avec des stratégies qui pourraient être celles des
05:22 métropoles, type ZAC, etc. C'est-à-dire que là, ce n'est pas du tout cet urbanisme-là
05:27 qu'on envisage, tout simplement aussi parce que ce sont des territoires dits "détendus",
05:34 donc il y a aussi peu d'acteurs, peu d'acteurs du privé par exemple, c'est-à-dire que
05:40 dans l'urbanisme conventionnel, on a des charges et des recettes, et là, il n'y a
05:45 pas vraiment de recettes. Donc, on fait beaucoup confiance aussi aux collectivités, qui portent
05:51 la plupart des projets.
05:52 Alors, votre Grand Prix, vous avez été attribué, comme tous les Grands Prix d'ailleurs, pour
05:57 avoir fait avancer la discipline, c'est le critère principal du Grand Prix, et d'une
06:02 certaine manière, ce Grand Prix vous oblige, il vous oblige à diffuser quelques messages
06:08 en direction des acteurs de la ville, des messages qui parfois correspondent aux politiques
06:13 publiques, comme le zéro archivistialisation nette, mais aussi la sobriété, mais vous
06:19 allez plus loin, puisque vous dites que les pratiques que vous menez peuvent peut-être
06:25 nourrir une réflexion sur les territoires pour ne plus faire seulement, ne plus faire
06:30 du tout, les projets spéculatifs qui sont ceux qui sont dominants en matière d'urbanisme.
06:36 Donc, quels seraient vos messages ?
06:37 Alors, je pense que le premier message que j'aimerais faire passer, c'est l'idée
06:42 selon laquelle l'écologie pourrait devenir un outil de la recomposition urbaine, c'est-à-dire
06:48 qu'après une période de flux qui a anthropisé en fait des pans entiers des territoires
06:53 français, qui a du coup artificialisé beaucoup de sols, on pourrait imaginer une période
06:59 de reflux qui consisterait à finalement réinvestir ces territoires diffus, d'urbanisation
07:07 diffuse, pour finalement les réparer, les reconsidérer, peut-être les renaturer parfois,
07:14 réintroduire des figures paysagères qui se sont dégradées, et puis les densifier
07:21 d'une manière assez douce, mais aussi imaginer toute une stratégie qui viserait à retrouver
07:28 une grande polyvalence de ces territoires qui ont subi les logiques justement de séparation
07:33 des fonctions, qui a créé beaucoup de désordre de mon point de vue.
07:37 Donc, la stratégie, elle serait là, c'est comment rendre ces territoires beaucoup plus
07:41 vivants en articulant les fonctions plutôt qu'en continuant à les séparer.
07:45 Et puis à l'échelle France, c'est aussi peut-être considérer que les gisements en
07:51 termes de logements sont dans ces territoires justement les petites centralités, les petites
07:55 moyennes villes, les centres-bourgs, où il y a une vacance assez considérable.
08:00 Or, les besoins de logement sont très importants.
08:02 Alors évidemment, ces logements ne sont pas forcément là où il y a les emplois, donc
08:08 on pourrait imaginer peut-être une redistribution finalement des emplois et des services à
08:12 l'échelle France, tout simplement pour mettre à profit finalement ce gisement de
08:18 logements qui n'attend que d'être en fait reconsidéré.
08:23 Merci Simon Tessou et félicitations pour votre grand prix.
08:27 Merci Ariella.
08:28 [Musique]
08:38 [SILENCE]

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