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Rebecca Amsellem, économiste, fondatrice de la newsletter féministe "Les Glorieuses" et Dominique Seux, éditorialiste à France Inter et directeur délégué des Echos débattent autour du calcul des "Glorieuses" selon lequel les femmes françaises travaillent "gratuitement" depuis le 6 novembre, 11h25.

Retrouvez le débat du 7/10 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10

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Transcription
00:00 Débat ce matin sur les inégalités salariales entre les hommes et les femmes.
00:04 Débat qui nous a été inspiré par l'édito de Dominique Seux la semaine dernière, dans
00:10 lequel il critiquait la fameuse date à partir de laquelle les femmes travailleraient gratuitement,
00:16 en raison précisément de l'écart de salaire entre les hommes et les femmes.
00:21 Calculée par la newsletter féministe Les Glorieuses, cette date était le lundi 6 novembre
00:27 dernier à 11h25 précise.
00:30 Dominique Seux a critiqué le mode de calcul, les statistiques, ce qui a suscité une lettre
00:36 ouverte de la part des Glorieuses.
00:38 Alors je ne sais pas si on va vous mettre d'accord ce matin, mais vous avez au moins
00:42 accepté de débattre ensemble, Rebecca Amselem, vous êtes docteur en économie, fondatrice
00:48 de cette newsletter Les Glorieuses.
00:50 Dominique Seux, directeur délégué de la rédaction des Échos et éditorialiste de
00:55 France Inter.
00:56 Bonjour à tous les deux, merci d'avoir accepté de débattre tous les deux.
01:01 Merci Rebecca d'être là pour répondre vertement à Dominique Seux.
01:05 D'abord pour ceux qui n'étaient pas devant leur radio la semaine dernière, qui n'ont
01:08 pas écouté votre édito, Dominique, qu'est-ce qui vous a chiffonné dans cette idée qu'à
01:13 partir du lundi 6 novembre à 11h25 précise, les femmes travaillaient gratuitement ?
01:17 C'est un concept qui a eu un succès absolument considérable.
01:20 On a entendu sur la plupart des médias et je me réjouissais dans cette édito en conclusion
01:26 que je disais c'est vertueux, ça a une force symbolique et donc je salue à l'affaire.
01:31 Mais je dois reconnaître que mon métier c'est de décortiquer les chiffres.
01:35 Je faisais à peu près chaque matin, ce matin encore, j'ai décortiqué les chiffres de
01:39 Coca-Cola et quand on décortique les chiffres, il y a un problème.
01:42 Le problème c'est que l'écart affiché, qui correspond à les femmes ne travaillent
01:49 plus à partir du 6 novembre à 11h25, c'est un écart entre les hommes et les femmes pour
01:53 les salaires de 15%.
01:55 Qu'est-ce que ça veut dire que ce 15% ?
01:57 La méthodologie sur le site n'y figure pas.
02:01 Et d'ailleurs dans votre réponse, je vois que vous avez renvoyé à votre compte Instagram,
02:06 pas sur le site, on ne trouve pas la méthodologie.
02:07 La méthodologie, l'écart de salaire 15%, quand on interroge les cotons, on sonde, y
02:15 compris dans ce couloir, y compris dans mon lieu professionnel, les échos, la plupart
02:19 des gens se disent c'est l'écart entre personnes qui travaillent au même poste et
02:23 qui ont le même métier à peu près, et c'est ça, il y a un écart de 15%.
02:25 En réalité ce n'est pas ça.
02:26 Ce n'est pas ça.
02:27 On va rentrer dans la méthodologie, c'est l'écart de salaire entre les hommes et les
02:33 femmes en tenant compte du fait que les métiers sont très différents.
02:36 Et évidemment, cet indicateur est important.
02:40 Mais la précision de l'indicateur est importante.
02:44 Je conteste l'absence de précision sur les chiffres qui a une conséquence malheureusement
02:50 très forte qui est de dire que toutes les personnes qui travaillent dans un bureau se
02:54 disent « ah ben tiens, je gagne 15% de moins que mon voisin de bureau ».
02:57 Et vous avez avancé un autre chiffre, 4%.
02:59 Ah ben qui est avancé par l'INSEE, qui est complètement…
03:02 À poste égal.
03:03 À poste égal, c'est 4%.
03:06 Les femmes gagnent 4% de moins à poste égal que les hommes.
03:11 Rebecca, Rebecca Amselem, vous n'êtes pas d'accord.
03:14 Ce que je veux dire c'est que ce n'est pas la première fois qu'un homme tente de
03:18 délégitimer le mouvement qu'on réalise depuis 8 éditions maintenant pour l'égalité
03:23 salariale.
03:24 Ça fait 8 éditions qu'on met sur le site internet la méthodologie, dans tous les communiqués
03:29 de presse d'ailleurs, on met la méthodologie.
03:31 On explique que quand on parle d'inégalité salariale, on parle de 3 chiffres généralement.
03:35 Le chiffre de 4,3%, c'est le premier chiffre, c'est de dire qu'à travail égal, l'écart
03:41 de rémunération entre les femmes et les hommes est de 4,3%.
03:44 C'est ce que les économistes appellent de la discrimination pure.
03:48 C'est-à-dire qu'il n'y a aucun facteur exogène qui permet d'expliquer pourquoi
03:51 avec un même travail, il y a un écart de rémunération entre les femmes et les hommes.
03:55 Il y a un deuxième chiffre qu'on avance, qui est le chiffre de 24%, qui est également
04:00 produit par l'INSEE.
04:01 C'est l'écart de rémunération, tout temps de travail confondu, tout secteur confondu,
04:06 entre les femmes et les hommes.
04:07 Et il y a un troisième chiffre, le chiffre de 15,4%, qui est produit lui par Eurostat,
04:12 l'organisme de statistiques européen, qui dit qu'à équivalent temps plein dans
04:16 les secteurs de la construction, des marchés, de l'industrie, il y a un écart de rémunération
04:20 entre les femmes et les hommes à hauteur de 15,4%.
04:23 Alors pourquoi est-ce que j'ai choisi ce chiffre de 15,4% ?
04:26 Tout commence en 2016, je suis devant mon bureau, je suis en train de préparer à l'époque
04:31 ma soutenance de thèse et je décide de prendre une petite pause de 5 minutes pour lire un
04:35 article que j'ai vu passer dans Libération, qui stipule que ce jour-là, à 14h38, toutes
04:41 les Islandaises décident de descendre dans la rue pour se battre pour l'égalité salariale.
04:45 Et je ne sais pas si vous avez déjà vu cette image, elle est absolument incroyable.
04:49 Alors c'est vrai qu'il n'y a pas beaucoup d'Islandaises, mais le fait que toutes les
04:53 femmes d'un même pays décident de descendre dans la rue pour réclamer l'égalité salariale,
04:58 une égalité qui leur est due par ailleurs, c'est vraiment une image extrêmement forte.
05:01 Et la journaliste de cet article, Juliette de Borde, que je remercie vivement aujourd'hui,
05:06 termine l'article en disant "ce serait intéressant de savoir quel serait le jour,
05:09 quelle serait l'heure à laquelle les femmes devraient s'arrêter travailler ou commenceraient
05:13 à travailler virtuellement en France".
05:15 Et elle continue par dire que la Commission européenne, elle, a fait ce calcul, en utilisant
05:21 les chiffres d'Eurostat, et dit que les femmes européennes commencent à travailler
05:25 gratuitement à partir du 2 novembre.
05:27 A l'époque c'était en 2016.
05:28 C'est pour ça que j'ai choisi ce chiffre de 15,4%.
05:30 Mais là vous n'êtes pas d'accord.
05:32 Il est d'accord pour que vous arrêtiez de travailler à partir du moment… symboliquement.
05:38 Non mais il dit que ce n'est pas juste, que ce chiffre de 15% n'est pas juste.
05:42 C'est bien ça ? Non, non, non, pas exactement.
05:44 Alors d'abord, j'ai trouvé… Excusez-moi, je veux juste terminer par
05:48 dire quelque chose.
05:49 C'est que là où j'aurais fait une erreur, en tant qu'économiste, et je pense que
05:52 vous le comprenez, c'est si jamais j'avais changé d'une année sur l'autre le référentiel.
05:56 Si j'avais commencé par dire "on prend ce chiffre de 15,1%", en 2016 c'était
06:02 de 15,1% il me semble, et si jamais j'avais changé l'année suivante pour dire "je
06:07 vais prendre le chiffre de l'INSEE pour faire en sorte que ce soit l'écart de rémunération
06:11 à travail égal".
06:12 Donc c'est vrai que ça fait 8 ans qu'on va me dire que le chiffre aurait pu être
06:16 celui de 4,3%.
06:17 D'ailleurs les syndicats me disent que j'ai eu tort et que je devrais prendre le chiffre
06:20 de 24%.
06:21 Et en fait je continue à utiliser ça pour garder le même référentiel et avoir un
06:26 moyen de comparaison d'une année sur l'autre.
06:27 Dominique, je pense qu'on est d'accord sur l'essentiel, sauf sur un détail important
06:31 qui est que vous ne donniez pas la méthode, et je maintiens que vous ne donnez pas sur
06:35 votre site la méthode.
06:37 Ça fait 8 éditions qu'on donne la méthode.
06:38 Ça fait 8 éditions qu'on répète exactement la méthode.
06:41 Néanmoins, quand même, je pense que c'est une vraie difficulté.
06:45 Vous avez commencé votre réponse en disant "parce que vous êtes un homme, vous contestez
06:55 la méthode".
06:56 C'est pas la première fois que la parole d'un homme conteste.
06:58 Voilà, c'est pas la première fois.
06:59 Je trouve ça un peu étrange comme méthode.
07:01 C'est-à-dire que vous mésensialisez, comme on dit, pour décrédibiliser la parole.
07:07 Je trouve ça une méthode un petit peu étonnante.
07:10 Je maintiens que tous les chiffres sont importants.
07:14 Encore une fois de plus, encore il faut préciser de quoi on parle.
07:18 La bonne nouvelle dans tout ça, c'est quoi ? L'INSEE a publié la semaine dernière
07:22 des nouvelles évaluations.
07:23 Alors, Eurostat s'appuiera là-dessus.
07:25 Cet écart de 14 %, prenons votre chiffre, de 15 pour 15,4 % en 2021, les écarts entre
07:32 les hommes et les femmes compte tenu de la différence des métiers qu'ils et elles
07:37 exercent.
07:38 Heureusement, la bonne nouvelle c'est que ça a baissé de 7 points en 15 ans.
07:42 On est passé pour votre chiffre de 21 % à 14 %, l'INSEE dit 14 % la semaine dernière
07:48 pour 2022.
07:49 Voilà, ça va déjà dans le bon sens.
07:52 Évidemment que sur tous les critères, il faut que ça évolue, il faut que le 4 % tombe
07:57 à zéro, il faut que le 14 % tombe à zéro, il faut que le 24 % à terme, alors je ne
08:03 sais pas s'il doit tomber à zéro parce qu'après il y a des choix individuels etc.
08:07 Tout n'est pas contraint mais évidemment ça doit évoluer.
08:12 Une relative bonne nouvelle c'est que les choses, c'est ma nature un peu optimiste,
08:16 avancent quand même dans le bon sens.
08:17 Vous êtes d'accord avec ça ?
08:18 Il y a des très bonnes nouvelles.
08:21 Une économiste qui a travaillé à l'Élysée disait dans une émission de France Culture
08:25 la semaine dernière, elle disait ce qui était incroyable, j'ai travaillé à l'Élysée
08:29 et à Matignon pendant un an, un an et demi et j'ai découvert, disait-elle, que l'ensemble
08:35 des conciers hommes devenus pères prenaient un congé paternité d'un mois.
08:41 C'est absolument certain que ce n'était pas le cas il y a 10-15 ans.
08:45 Et elle disait elle-même que c'était un gros progrès.
08:46 Je pense que si jamais on prend en considération l'évolution des chiffres d'Eurostat,
08:52 ce qu'on remarque c'est que la première année où on a fait ce mouvement c'était
08:55 en 2016, l'écart de rémunération était de 15,1 au 15,8, aujourd'hui il est de 15,4.
09:00 Ce qu'on a remarqué pendant ces 7 années entières de réalisation de cet exercice
09:06 c'est qu'il y a eu un delta différentiel de 0,7 point.
09:10 Ce n'est pas énorme 0,7 point, je ne dis pas que ça va dans le bon sens, je ne dis
09:15 pas que ça va dans le mauvais sens, je dis que ça stagne.
09:17 Et ça stagne pourquoi ? Parce qu'il y a des politiques publiques qui ne sont pas
09:20 mises en place pour corriger ce biais du marché actuel.
09:24 Et c'est ça qu'on réclame depuis 8 ans, c'est pour ça qu'on fait ce calcul.
09:27 On fait ce calcul déjà dans un premier temps pour dire aux femmes, si jamais vous
09:31 êtes victime d'inégalité salariale, ce n'est pas de votre faute, c'est parce
09:34 qu'il y a un marché qui existe qui fait que vous êtes aujourd'hui victime d'inégalité
09:38 salariale.
09:39 Et c'est surtout un mouvement à destination des pouvoirs publics.
09:41 Parce qu'on les a les solutions.
09:42 On sait comment faire en sorte…
09:43 C'est quoi les solutions ?
09:44 Les solutions c'est dans un premier temps la transparence des salaires.
09:47 De faire en sorte que quand on postule à un emploi, on sache à quel type de salaire
09:52 on peut prétendre.
09:53 C'est aussi le fait de savoir que quand on demande une augmentation, c'est quoi le
09:56 type d'augmentation qu'on peut demander.
09:57 Ça c'est le premier élément.
09:58 Le deuxième élément c'est appliquer le principe d'égal conditionnalité.
10:01 Le principe d'égal conditionnalité c'est quoi ? C'est de conditionner l'accès
10:06 à l'obtention d'un marché public.
10:08 Les marchés publics en France c'est quand même plus de 150 milliards d'euros en France.
10:12 C'est un très très gros marché.
10:13 Donc de conditionner l'accès au marché public, de conditionner l'accès également
10:17 aux subventions publiques destinées aux entreprises ou encore à différentes incitations fiscales,
10:22 au respect de l'égalité salariale.
10:23 C'est pas seulement ça, c'est aussi le fait d'avoir un congé parental qui soit
10:27 équivalent pour les deux parents post-accouchement.
10:29 Et pour ça je vous renvoie aux travaux de l'économiste Claudia Goldin qui explique
10:34 que si à l'entrée dans le marché du travail, finalement il n'y a pas un écart de salaire
10:38 extrêmement grand entre les femmes et les hommes, en tout cas il y a un écart mais
10:42 qui s'explique plutôt par la ségrégation professionnelle, c'est-à-dire qu'il s'explique
10:46 par le fait que les métiers féminisés sont dans l'ensemble moins rémunérés que les
10:50 hommes.
10:51 Donc si elles étaient dans un même secteur, même si jamais elles choisissaient les mêmes
10:53 secteurs et les mêmes métiers que les hommes, il y aurait un écart de rémunération.
10:56 Et cet écart de rémunération se creuse vraiment considérablement au moment de l'âge
11:00 du premier enfant, vers 30-35 ans.
11:02 Donc qu'est-ce qu'elle se demande la prix Nobel d'économie Claudia Goldin ? C'est
11:05 pourquoi est-ce que cet écart a lieu à ce moment-là ? Et sa réponse c'est quoi ? C'est
11:08 la disponibilité du travailleur.
11:10 On vit dans une société où le marché du travail va récompenser, augmenter, rémunérer,
11:16 donner des promotions, non pas aux travailleurs le plus créatifs, le plus productifs, le
11:20 plus intelligents, peu importe selon les critères de l'emploi, mais aux travailleurs qui
11:25 donnent le plus disponible.
11:27 Et c'est ça qui doit changer aussi.
11:29 Absolument, mais je suis d'accord avec vous, les choses doivent changer, il n'y a aucun
11:31 doute là-dessus.
11:32 Et la bonne nouvelle en fait depuis, j'insiste vraiment sur les nouvelles importantes, c'est
11:36 que vous savez, dans la plupart des sujets, toute inégalité n'est pas une injustice.
11:41 Et tout le monde a compris depuis des années que dans le domaine salarial, et notamment
11:44 les écarts hommes-femmes sur les salaires, les inégalités sont dans la quasi-totalité
11:49 des injustices qu'il faut corriger.
11:51 Et donc ça, c'est une évolution conceptuelle qui est très intéressante.
11:55 Sur les modalités pour que les choses évoluent, la transparence progresse à grands pas.
12:01 On sait qu'aujourd'hui la plupart des offres d'emploi, en tout cas une grande
12:05 majorité des offres d'emploi, et c'est nouveau que sur les sites de Pôle emploi
12:09 ou les sites comme Indeed et autres, affichent des salaires.
12:13 Donc ça, ça va dans le bon sens.
12:15 Et évidemment, par ailleurs, il faut mettre une pression pour que un certain nombre de
12:19 métiers dits féminisés soient revalorisés.
12:23 Moi je me souviens très bien de la proposition de François Ruffin, il était venu en parler
12:27 il y a deux ou trois ans je pense, il avait complètement raison, il n'y a aucun doute
12:32 là-dessus, il portait ça avec un autre député renaissant, je crois Bruno Bonnel de tête.
12:35 Et ça, évidemment, ça va dans le très bon sens.
12:38 Donc il faut mettre la pression, mais encore une fois, il faut être clair sur la méthodologie,
12:44 c'est la seule chose que je disais très modestement, en saluant évidemment la pertinence
12:48 de ces indicateurs.
12:49 NICOLAS ROCHEFORT - Merci à tous les deux, Rebecca Amselem, Dominique Seux.

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