• l’année dernière
Avec Bernard Lugan, historien, pour son livre “Histoire du Sahel Des origines à nos jours” aux éditions du rocher

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##LE_FACE_A_FACE-2023-03-21##

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Transcription
00:00 Sud Radio Bercov dans tous ses états.
00:02 Le face à face.
00:05 - Le face à face avec Bernard Lugan, historien pour ses livres "Histoire du Sahel", "Des origines à nos jours", "Edition du Rocher" et pour son livre "Apparaître,
00:13 on savait vivre aux colonies", "Edition la nouvelle librairie". Bonjour Bernard Lugan. - Bonjour.
00:17 Alors Bernard Lugan, je vois que vous reprenez à peu près, à peu près, la célèbre chanson de Michel Sardou,
00:24 le bon temps des colonies, mais on va en parler quand ce livre va paraître, il va paraître d'ailleurs dans quelques jours,
00:30 et vous avez reçu, je me rappelle, pour le premier, qui était une suite de nouvelles tout à fait croquignolesques
00:35 sur la grande époque, on peut dire de la France-Afrique ?
00:39 - Oui, dans ce sens-là, oui, d'ailleurs c'est la suite, c'est la suite de mes aventures dans ce qui était la fin,
00:46 comment dirais-je, la fin du circuit colonial, post-colonial, parce que j'ai eu le privilège d'être dans un pays
00:53 d'Afrique de l'Est, le Rwanda, dans lequel
00:55 se sont déroulés dans la période 70-80 des événements qui normalement s'étaient déroulés dans l'ancienne Afrique française dans l'année 50-60.
01:04 Un décalage de 20 ans, c'est pour ça qu'il y a ce décalage, et qu'il y a cet anachronisme
01:08 considérable par rapport au reste de l'Afrique. - Oui, c'est-à-dire qu'il y a eu 20 ans de décalage entre le Rwanda et l'Afrique centrale ?
01:14 - Le Rwanda est un pays un peu perdu et oublié du monde sur les hautes terres de l'Afrique centrale.
01:19 - Ou pas oublié depuis le massacre ? - Ah non, c'était avant, c'était avant, et on voyait déjà à l'époque que tout ceci allait s'inscrire dans...
01:27 la situation allait vers l'explosion.
01:30 - Alors parlons de votre livre, le livre passionnant d'ailleurs, "Le Sahel, l'histoire du Sahel, des origines à nos jours",
01:36 "Le Sahel". Alors, c'est intéressant parce que votre livre vient à point, parce qu'on parle tout le temps du Sahel, le Mali,
01:43 le Maroc, enfin toute l'Afrique,
01:46 la liaison entre l'Afrique du Nord et l'Afrique subsaharienne.
01:49 Alors ce Sahel, d'abord, qu'est-ce que c'est Bernard Lucan ?
01:53 Présentez-le parce qu'on parle du Sahel mais au fond ça reste comme, j'allais dire, le monstre du Loch Ness, non, mais l'inconnu du Loch Ness.
02:00 - Le Sahel c'est un tampon, c'est une zone tampon entre le désert au nord et les savannes au sud.
02:05 Une zone tampon qui part du Sénégal et qui arrive jusqu'à la mer Rouge. Une zone tampon dont la
02:10 superficie varie en fonction des changements du climat, parce que le climat passe son temps à changer, le propre du climat s'est changé.
02:16 - Il varie vraiment beaucoup en fonction du climat ?
02:19 - Beaucoup, parce que quand nous sommes en période de pluie, le Sahel remonte vers le nord et gagne sur le désert.
02:26 Et quand nous sommes en période de sécheresse, en cycle sécheresse, alors actuel, le cycle actuel de sécheresse a commencé il y a 3500 ans,
02:33 avec des hauts et des bas.
02:36 - Et des bas, oui.
02:37 - Et alors quand le Sahel, quand le désert du Sahara s'étend, le Sahel descend vers le sud et grignote
02:43 vers les savannes, va vers le fleuve. Alors ce qui est intéressant, c'est que toute l'histoire du Sahel va être celle de ces peuples, parce que
02:49 il y a des peuples qui vont être ballotés par
02:51 ces allers-retours du climat. Alors au nord, nous avons des peuples qui sont nomades et éleveurs,
02:57 et au sud, nous avons des peuples qui sont agriculteurs et sédentaires. Et toute l'histoire du Sahel va être le long de
03:03 cette zone tampon, les anglais diraient un rift, le long de ce rift géographique
03:08 va s'établir un rift racial. Et toute l'histoire du Sahel...
03:12 - Ethnique et racial ?
03:13 - Absolument. Racial, plus qu'ethnique.
03:15 Racial, parce qu'au nord vous avez les berbères blancs tout à règle, au sud vous avez les populations noires. Là c'est racial, c'est plus ethnique.
03:21 Le problème ethnique se pose à l'intérieur des mêmes groupes raciaux.
03:25 - Alors les peuples du nord, donc c'est les peuples... il y a les peuples nomades et les peuples sédentaires.
03:30 - Voilà. Alors là, premier point de la distinction pour
03:34 ce tableau. Les peuples nomades au nord, les peuples sédentaires au sud. Et toute l'histoire de cette bande sahélienne
03:41 va être celle de la confrontation, de la cohabitation, de la coexistence
03:45 entre ces grands ensembles. Deux modes de civilisation totalement différents. L'un qui va intégrer
03:51 la notion de minorité, car les peuples du nord vont aligner leur croix humain
03:58 sur les possibilités de nourriture du bétail,
04:01 sachant que s'il y a trop de bétail sur un pâturage
04:04 réduit, le bétail va mourir. Or, hommeux se nourrissent de lait et de sang,
04:09 ils vont mourir aussi. Donc ils alignent leur croix humain sur les possibilités de nourriture du bétail. Donc ils intègrent dans leur longue durée historique
04:16 la notion de minorité. - On accepte les minorités. - Eux sont minorités.
04:21 Et comment eux, minoritaires, vont-ils pouvoir s'imposer aux populations majoritaires du sud par la guerre, par le prestige, etc. Au sud,
04:30 totalement différent, c'est la culture de la multiplication humaine. Parce qu'il faut des bras. Il faut des bras pour défricher
04:37 et il faut des bras pour défendre, justement, contre les nomades prédateurs qui viennent du nord. Et toute l'histoire du Sahel va être l'histoire de
04:45 la mise en relation avec des alternances de périodes, avec des nominations, avec des reculs, avec des constitutions d'État,
04:52 avec
04:54 une péjoration climatique qui va faire qu'aujourd'hui
04:57 tous ces phénomènes s'exacerbent, avec en plus le résultat de la colonisation qui a eu un rôle tout à fait
05:05 important dans la région. Dans la mesure où la colonisation s'est faite au profit des sédentaires du sud,
05:10 qui a délivré les sédentaires du sud des razzias esclavagistes des nordistes,
05:14 et l'indépendance a été donnée au peuple qui était les plus nombreux, selon les lois de la mathématiques, c'est-à-dire l'ethno-mathématique
05:22 électorale, c'est-à-dire que vont devenir les responsables politiques les plus nombreux, c'est-à-dire ceux du sud, qui étaient auparavant
05:30 soit soumis, soit l'objet de razzias, fait par les gens du nord. - Alors Bernard Lugand, bien pour éclaircir,
05:36 qui sont les peuples du nord et qui sont les peuples du sud ? - Alors les peuples du nord, partons de l'ouest, nous avons les Moors.
05:41 Alors qui sont les Moors ? Les Moors qui vivent en Mauritanie et sur une partie du Mali. Les Moors à l'origine sont des berbères,
05:47 qui vont être islamisés et arabisés à partir du 12e-13e siècle. - D'accord. - Ensuite, nous allons vers l'est, nous avons les Touaregs,
05:56 bloc berbère, qui lui va rester berbère. Ensuite, nous allons encore vers l'est, nous avons
06:02 les ensembles toubous.
06:06 Encore plus à l'est, nous avons les Aharois. Et après, nous sortons de la zone sahélienne. C'est une autre définition.
06:12 - Restons sur le Sahel. - C'est autre chose. - D'accord.
06:14 - Donc ça, c'est les peuples du nord. - Alors ces peuples du nord, qui ont tous la même tradition,
06:18 ils ne sont pas tous blancs.
06:21 Les Moors et les Touaregs sont blancs, les autres, les Toubous et les Aharois sont blancs.
06:26 On pense que les Aharois furent berbères à l'origine. Les sources romaines
06:31 du 3e siècle de notre ère parlent déjà des Aharois. On ne sait pas exactement si à l'origine...
06:38 - D'accord. - Quoi qu'ils se sont négrifiés,
06:40 trafiquent des esclaves, ils se sont mélangés, donc ils sont devenus... Peuples guerriers. Alors tous ces peuples sont des peuples guerriers,
06:45 qui cultivent la vertu de la minorité et de la guerre. - Et de la guerre, absolument, confrontation. Alors, peuples du sud.
06:51 - Les peuples du sud, ce sont des agriculteurs,
06:53 ou bien des marchands, qui vont créer des états, qui vont créer des grands états, par exemple le royaume de Ghana,
06:59 le royaume Soninke, le royaume de Mali, l'empire Songhai, ce sont les peuples du sud. Et ces peuples du sud vont, pendant un certain temps,
07:08 contrôler l'expansion des peuples nordistes, parce que leurs états vont être forts. Et ces états vont exploser
07:15 après les grandes découvertes. La grande découverte portugaise va faire que le cœur de l'Afrique, qui battait dans la zone sahélienne,
07:22 mais était en contact, le monde méditerranéen et le monde de la savane, basculent vers l'océan.
07:27 Et à partir de ce moment-là, nous voyons la disparition de ces grands états de l'ouest africain, et nous voyons
07:34 prendre le dessus
07:37 par les peuples nomades, qui vont mettre en coupe réglée... - Ah, les peuples nomades conquièrent, si vous voulez.
07:44 - ...conquérir, ou ils vont se replier. Et tout ceci va se terminer, à partir des années
07:49 1820-1830, par le grand expansionnisme des peules,
07:53 qui vont prendre le pouvoir dans une zone qui s'étend du Sénégal
07:57 jusqu'au Lac Tchad, et qui vont construire des grands empires, des grands empires théocratiques.
08:04 Et pour eux, l'islam va être le paravent de leur expansionnisme ethnique.
08:10 - Très intéressant, on va suivre ça après une petite pause, on va continuer à parler de Sahel, qui nous concerne
08:16 beaucoup plus qu'on ne croit. A tout de suite.
08:19 - L'histoire du Sahel vous intéresse ? Vous nous appelez au 0 826 300 300 pour interpeller Bernard Legand.
08:25 0 826 300 300, à tout de suite sur Sud Radio.
08:28 Sud Radio Bercov, dans tous ses états.
08:38 Vers le Sahel compliqué, je m'envolais avec des idées simples, aurait pu dire un certain général.
08:44 Bernard Legand, on parle de ce Sahel que vous décrivez dans un livre passionnant du Sahel, les origines à nos joues.
08:51 Alors, avançons un peu dans cette historique. Donc effectivement,
08:54 il y a, vous avez parlé de tous ces grands états qui s'étaient formés,
09:00 qui ont été à un moment donné rasiés, dans tous les sens du terme, par les peuples nomades du Nord.
09:05 Et je voudrais qu'on arrive quand même à la colonisation. Qu'est-ce qui s'est passé à ce moment-là,
09:10 et quels états se sont formés ? Parce que la colonisation, c'est encore ce, enfin,
09:15 non pas ce qu'on vit aujourd'hui en colonisation, mais la structure géographique est celle qui a été fabriquée.
09:20 - Alors cette question est fondamentale, parce que la colonisation
09:23 va inverser les rapports de force,
09:27 et aujourd'hui nous assistons à un retour aux rapports de force d'avant la colonisation.
09:34 - D'accord, oui. - Donc la colonisation va se faire au profit des peuples du Sud, qui vont être délivrés
09:39 des radias du Nord, de la mise en esclavage, etc.
09:43 Et la colonisation se passe, et la colonisation ne va pas...
09:47 Pendant la période coloniale, il n'y aura pas de gros problèmes. D'ailleurs, il n'y aura pas des meutes
09:52 anticoloniales, ou très peu.
09:55 Pourquoi n'y aura-t-il pas de problèmes ? Parce que le rapport entre les nomades et les sédentaires ne se posera pas,
10:01 puisque nous serons dans le cadre de l'immense Afrique occidentale française. Il n'y a pas encore de frontières.
10:06 Il y a des frontières de territoires. - Il y a l'Afrique occidentale française. - Et à l'intérieur,
10:11 les peuples se déplacent sans problème, il n'y a pas de problème qui se pose. Le problème va se poser avec la décolonisation.
10:17 - Alors rappelons, rappelons.
10:19 Colonisation, on peut dire, c'est entre... - Ça commence. Nous sommes à Tombouctou, en 1892,
10:24 et la décolonisation se fait dans les années... Elle commence, elle se prépare dès les années 48-50,
10:30 et elle se fait en 61-62, les indépendances qui se fondent les unes après les autres.
10:35 Et, que se passe-t-il ? Ce qui était au sein de la OEF... En fait, le Sahel, c'est essentiellement la France,
10:42 puisque nous sommes présents du Tchad jusqu'au Sénégal. Le Sahel, c'est la France, avec une petite poussée anglaise au nord du Nigeria.
10:50 - Mais enfin, c'est surtout... - C'est la France.
10:52 Et tout ceci, c'est essentiellement l'Afrique occidentale française, la OEF.
10:56 Et à l'intérieur de cette OEF, il y a des territoires, mais qui sont des limites administratives au sein de la OEF,
11:02 qui ne posent pas de problème de circulation. Or, ces limites de territoire deviennent, avec l'indépendance, des limites d'État.
11:10 - Et oui, frontières. - Et là, du jour au lendemain, les peuples sont coupés.
11:13 C'est-à-dire que les voies de nomanisation sont coupées.
11:16 Et les gens sont obligés de limiter leur parcours, ou bien de se sédentariser sur des espaces clos.
11:24 Et on va enfermer dans la même cage les poules et le renard.
11:29 C'est-à-dire qu'on va enfermer dans la même cage les anciens, ou prédateurs, ou dominants, ou ce que vous voulez du nord...
11:37 - Les anciens rasiers, ceux qui rasiaient. - Les radieurs et les rasiers, dans le même état.
11:40 Et on va leur dire "écoutez, où est le problème ? C'est la démocratie."
11:44 Donc il y a une majorité qui va se dégager. Oui, mais je vous ai expliqué tout à l'heure que parmi les peuples du nord,
11:49 l'on a toujours pratiqué le contrôle des naissances, pas les peuples du sud.
11:53 Ce qui fait qu'on se retrouve avec une situation... Les nordistes, par exemple, au Mali, les Touaregs sont 5%.
12:00 Ils perdront toujours les élections face aux 95%, même s'ils sont diviés.
12:04 C'est ce que j'appelle l'ethno-mathématique électorale. Et ça, vous l'avez tout le long.
12:08 Résultat, dès l'indépendance, commencent les guerres du Sahel.
12:12 La première guerre Touareg éclate en 1963.
12:15 La première guerre des Toubous au Tchad éclate fin 1964, début 1965.
12:21 Et depuis, nous avons en permanence ces conflits qui sont résurgents.
12:27 Et nous proposons chaque fois, pour résoudre ces conflits, ce qui a provoqué le conflit, c'est-à-dire la démocratie.
12:33 Ce qui fait que chaque élection conforte le pouvoir des sudistes qui nous disent "Mais écoutez, vous les Blancs, vous êtes extraordinaires.
12:40 Chez vous, en France par exemple, vous avez quelqu'un qui va faire 42% des élections, des voix au deuxième tour,
12:49 mais elle n'a aucun poste de ministre. Il n'y a pas de partage du pouvoir.
12:53 Comment voulez-vous que nous, qui faisons 95% ou 92%, partagions le pouvoir ?
13:00 Il y a donc une démocratie pour les Blancs et une démocratie pour les Noirs. Mais c'est du racisme, notre affaire.
13:06 Donc, nous sommes pris au propre piège de notre philosophie, notre idéologie démocratique.
13:11 Et là, nous sommes dans une situation qui va connaître, les marxistes diraient, un saut qualitatif brusque
13:18 dans la dernière décennie. Un saut qualitatif brusque de deux sortes.
13:23 La suicidaire démographie sahélienne qui va exacerber les conflits de territoire.
13:29 - Pourquoi vous dites "suicidaire démographie" ?
13:31 - Parce que le Sahel avait 10 millions d'habitants au début du siècle et le Sahel va en avoir 160 millions.
13:36 - En un siècle ? - Oui, c'est colossal.
13:41 - C'est 160 millions le Sahel ? - Oui, le Niger. Un sondage a été fait l'an dernier.
13:45 Les femmes du Niger veulent avoir 9 enfants.
13:49 Tout ça sur des espaces utiles qui se réduisent à cause de la démographie et à cause de l'évolution climatique.
13:57 Nous sommes à l'heure actuelle dans une phase de péjoration climatique avec des périodes de haut et de bas.
14:05 Mais sur la longue durée. Une phase qui a commencé il y a 3500 ans environ. Elle est parfaitement connue.
14:11 - Donc, il y a une situation explosive ? - Et l'islam ?
14:15 - Va servir de révélateur.
14:19 Parce que la grande erreur qui a été faite par les décideurs français,
14:24 c'est de croire que la question du Sahel est une question religieuse. Ce n'est pas une question religieuse.
14:29 L'islamisme au Sahel n'est que la surinfection de plaies ethniques millénaires.
14:36 Imaginons... - Elle vient comme un catalyseur ?
14:42 - Non, c'est une surinfection. Imaginons demain que les groupes djihadistes soient tous détruits.
14:49 Ils seront peut-être détruits, mais le problème d'opposition entre les Touaregs, les Songhaïs et les Bombaras sera toujours là.
14:54 L'islam est récent en Afrique. L'islam dans ces régions date de quelques siècles.
15:00 L'opposition nordiste-sudiste date du néolithique.
15:04 - Elle est là en créant... - C'est l'avantage du travail de l'historien.
15:09 Mon livre, c'est "Des origines indogènes". Je commence l'histoire du Sahel il y a 30 000 ans.
15:13 Je l'inscris dans l'évolution climatique. C'est fondamental, cette évolution climatique.
15:19 Je montre d'ailleurs que l'évolution climatique n'est pas linéaire.
15:23 Il y a 30 000 ans, quand le désert s'est étendu, il n'y avait pas de moteur diesel, il n'y avait pas de population, il n'y avait pas d'usine.
15:31 Il y a peut-être d'autres raisons que les causes humaines.
15:33 On va continuer à en parler après cette petite pause. Le Sahel aujourd'hui, c'est quoi ? Quel est l'enjeu ? Quel est l'enjeu pour nous ? Vous y pensez ?
15:42 Et vous avez la parole sur Sud Radio. Vous nous appelez au 0826 300 300 pour interpeller Bernard Lugan. A tout de suite sur Sud Radio.
15:49 Les carottes sont cuites. Les carottes sont cuites.
15:55 Sud Radio Bercov dans tous ses états.
15:58 Et nous sommes toujours avec Bernard Lugan, historien pour son livre passionnant "L'histoire du Sahel, des origines à nos jours" qui vient de paraître aux éditions du Rocher.
16:08 Alors justement, Bernard Lugan, on a invoqué rapidement, mais précisément, effectivement, cette histoire du Sahel, de ces peuples nomades, de ces peuples rasieurs, si je peux dire d'un côté, et puis de ces peuples sédentaires.
16:23 Et on a vu ce qui se passait avec la colonisation, la venue de l'islam, etc. Alors aujourd'hui, on est en 2023, on a vu ce qui s'est passé, opération Barkhane, le Sahel, comment protéger, comment ceci, comment cela.
16:36 On voit aujourd'hui qu'une certaine partie de l'Afrique se tourne vers la Chine, vers la Russie, la France, et c'est tout juste, vous avez vu les passes d'armes, on va pas en reparler.
16:48 Elles sont anecdotiques, entre Emmanuel Macron et le président de la République démocratique du Congo.
16:55 Qu'est-ce qui, je veux dire aujourd'hui, quel est l'enjeu, quels sont les enjeux de cette...
17:00 - Alors, je vais vous répondre tout de suite, mais je vais vous citer une phrase extraordinaire d'Yves Hurvois. Yves Hurvois, c'est un des plus grands connaisseurs français du Sahel, de la période de l'entre-deux-guerres.
17:10 Il dit "L'histoire du Sahel est faite de la course et des chocs de ces météores nomades errants dans les immensités sahariennes,
17:20 empoignées un beau jour par l'attraction du sud sahélien, et qui viennent au cours des siècles se précipiter sur le pays des Noirs et les branler."
17:30 - Oui, c'est ça, absolument. C'est ce qu'il avait décrit d'ailleurs.
17:34 - Si nos fonctionnaires actuels spécialistes faisaient plus d'ethnographie au lieu de faire de l'idéologie, et s'ils lisaient les auteurs anciens,
17:43 ça évitera à la France de faire les erreurs dont vous venez de parler avec la situation au Sahel,
17:48 et la manière dont nous nous sommes fait jeter comme des malotrus de cette région du Sahel,
17:54 alors que nous avions été accueillis en sauveurs il y a une dizaine d'années, au moment du début de l'affaire Serval.
18:01 - Oui, est-ce qu'aujourd'hui, effectivement, on est en voie de se faire éliminer ?
18:06 - Ah oui, le prochain coup c'est le Niger. L'erreur absolue que nous venons de faire, c'est de rapatrier tous nos moyens qui étaient sur le Mali et sur le Burkina Faso au Niger.
18:16 Parce que le Niger est dans la même configuration que les autres pays, et qu'en plus le Niger a non seulement une guerre nord-sud,
18:23 mais il a une guerre à l'ouest, le long de la région des trois frontières, et il a une guerre à la frontière du Nigeria et vers le lac Chad avec Boko Haram.
18:32 Sans parler du front potentiel tout bout au nord. Donc le Niger a quatre fronts, et nous mettons nos dispositifs militaires au milieu de ce chaudron.
18:42 C'est sport. C'est sport. C'est un manque d'analyse.
18:47 - C'est un manque de réflexion, d'analyse ?
18:50 - C'est le problème des civils qui font la politique militaire de la France. Les militaires sont parfaitement conscients de tout ça.
18:56 Ils le savent, mais seulement les militaires sont aux ordres. Ils obéissent aux ordres qui sont donnés.
19:01 - C'est un peu leur norme. Ils doivent obéir aux politiques.
19:04 - Absolument. Mais le problème, c'est que le ministère de la Défense est sous le contrôle des civils. Complètement.
19:11 Et de gens qui sont formés à l'idéologie Sciences Po, qui est l'idéologie dominante aujourd'hui,
19:17 et qui considèrent que l'ethnisme n'existe pas, et secondaire, ou que les ethnies ont été créées par la colonisation.
19:23 Alors moi je dis toujours, attention, ne faisons pas de maximalisme ni de réductionnisme.
19:28 L'ethnie n'explique pas tout, mais rien ne s'explique sans l'ethnie. Pas la même chose.
19:33 Alors voilà l'erreur complète qui a été faite, et que je détaille bien sûr dans mon livre.
19:38 Et cette erreur fait que le manque de connaissances historiques, géographiques...
19:43 Vous savez, c'était le dernier gouverneur de l'Afrique, je ne me souviens plus quel était son nom,
19:48 qui avait dit en 1954, moins d'élections et plus d'ethnographie, et tout le monde y trouvera son compte.
19:57 C'est-à-dire connaître les peuples, connaître les peuples, savoir exactement ce qu'ils sont, quels sont les rapports de force, etc.
20:03 - Oui, parce que vous parlez des élections, oui, par rapport aux minorités et majorités. C'est un sacré problème.
20:09 - Et les minorités dans ces zones qui perdent des élections, sont justement les descendants de ceux qui étaient les chefs,
20:16 ou qui étaient les radieurs, qui étaient les dominants, et qui étaient les guerriers à l'époque précoloniale.
20:20 Alors ce que l'on voit aujourd'hui, c'est une tentative de retour à l'ordre ancien, avec...
20:26 - La guerre du Mali, précisément.
20:28 - La guerre du Mali, c'est très simple. C'est la guerre des Touareg au nord, et des Peuls au centre.
20:34 Les deux peuples qui étaient les peuples dominants, et qui ont été réduits à un état secondaire par la colonisation,
20:42 au profit des populations du sud.
20:44 Et aujourd'hui, ces peuples vont prendre le paravent de l'islam, mais ce qui est une tradition.
20:51 Le fondamentalisme musulman est une tradition sahélienne.
20:54 Les Almoravides, d'où viennent les Almoravides, qui étaient des fondamentalistes musulmans, sont des berbères sahéliens,
21:00 qui, au nom de la purification de la foi, vont créer l'empire Almoravide.
21:05 Ensuite, les grands empires peuls, qui vont créer le Sokoto, le royaume de Al-Ajomar, ces grands royaumes expansionnistes peuls,
21:14 se font au nom de l'islam. Ils se font au nom de l'islam, qui va être le justifié.
21:19 - Qui fait l'idéologie, qui fait l'idéologie, la croyance, qui rassemble, qui mobilise.
21:23 - Mais derrière, c'est l'expansionnisme peul.
21:26 Et aujourd'hui, l'islam, je le répète, le djihadisme, tout le monde est musulman dans ces régions,
21:32 avec des petites différences, mais ce n'est pas fondamental.
21:36 Il y a une différence fondamentale, c'est avec l'État islamique, ça c'est sûr.
21:40 Al-Qaïda, l'IS, Al-Qaïda n'est plus le problème fondamental,
21:45 car depuis la mort des chefs algériens d'Al-Qaïda, tués par l'armée française qui a fait des opérations de commando magnifiques,
21:52 Al-Qaïda maintenant est devenu de l'ethno-islamisme,
21:56 avec au nord, Yad Hak Ghali, qui est le chef des Touareg,
22:00 et au sud, Ahmad Koufa, qui est le chef des peuls.
22:04 Donc Al-Qaïda n'est plus universaliste, il est devenu ethnocentré.
22:11 Tandis que l'État islamique, c'est différent.
22:13 L'État islamique est dans la région des trois frontières, lui a une vision califale internationaliste.
22:18 D'ailleurs, c'est la guerre permanente entre Al-Qaïda, ah bah oui, c'est la guerre à mort.
22:23 C'est la guerre à mort parce que, avec l'État islamique,
22:28 se sont mis les populations qui étaient auparavant assujetties aux Touareg.
22:33 - Ah oui, et qui trouvent les conflits ethniques.
22:35 - Absolument, mais j'ai fait une carte, une carte de la situation du Sahel, pardon,
22:41 de la situation ethnique dans la zone des trois frontières.
22:44 Et quand vous prenez cette carte, une carte à la veille de la colonisation,
22:48 quand vous prenez les affiliations des clans, des tribus, avec les uns ou les autres, vous avez la même carte.
22:55 Expliquez ça aux cerveaux haineux et aux danseurs à claquettes qui font la politique africaine de la France.
23:02 Non, les militaires, eux, le savent.
23:04 - Et alors aujourd'hui, vous dites que la France s'est mise dans un étau, dans une espèce de voie sans issue.
23:13 - Alors, nous avons commencé par nous mettre entre l'enclume et le marteau.
23:17 Quand l'opération Serval s'est faite, les nordistes occupaient une grande partie du Mali.
23:24 Et là, nous avons libéré le Mali au profit des sudistes, bien sûr.
23:29 Parce que l'armée sudiste était incapable de remonter dans le Nord,
23:33 elle a sans arrêt été battue par les Touareg, etc.
23:37 Et les sudistes ont dit "Mais les Français, vous êtes merveilleux, les Français, merci, les Français",
23:42 "En 1892, vous nous sauvez", etc.
23:45 Oui, mais donc les Touareg ont dit "Mais attention, là, vous jouez quel jeu, vous les Français ?"
23:49 Mais nous sommes rendus compte qu'il ne fallait quand même pas laisser la reconquête se faire entièrement au profit du Sud,
23:56 donc nous avons quand même tergiversé avec les nordistes.
23:59 Ce qui fait que nous avons mécontenté les sudistes et nous avons ulcéré les nordistes.
24:04 Alors qu'il eut fallu, la solution qu'il eut fallu prendre,
24:09 c'est de subordonner la progression de notre armée vers le Nord,
24:14 la reconquête de Gao, Tombouctou, etc.
24:16 aux avancées juridiques du gouvernement malien du Sud, au profit des nordistes.
24:23 On leur dit "Écoutez, ça fait quand même depuis 1963, vous prenez tous les 5 ans une raclée,
24:28 et tous les 5 ans, les Touareg vous mettent une raclée."
24:31 Bon, il y a un problème qui se pose.
24:34 Cessez donc de considérer les Touareg comme vos sujets,
24:37 et trouvez un moyen permettant d'associer les Touareg au pouvoir du Sud.
24:42 - Mais ça n'a pas été fait ça ? - Non.
24:44 - Ça n'a pas été fait ? - Si, en parole, mais jamais en fait.
24:46 Donc, maintenant, ce que nous allons faire, nous Français, nous sommes là,
24:50 nous faisons tuer nos hommes pour vous,
24:52 mais nous allons subordonner la reconquête du Nord aux avancées juridiques
24:58 que vous ferez au profit de ces populations.
25:01 Ça n'a pas été fait.
25:02 Donc, résultat, nous sommes retrouvés entre l'enclume et le marteau.
25:06 - Et juste une dernière question, avant de recevoir nos auditeurs, Bernard Lugan,
25:10 est-ce que la Russie et la Chine occupent déjà le terrain ?
25:16 - La nature a horreur du vide.
25:18 Et nous nous sommes jetés du pays tout seuls.
25:20 Nous avons commencé par nous mettre nous-mêmes à la porte de la Centrafrique.
25:24 Alors, il fallait le faire.
25:25 Parce que la France se trompe au Rwanda, à la limite, on pourrait le comprendre,
25:30 ce n'est pas le territoire traditionnel français.
25:32 La France aurait écouté les experts qui sont sur place.
25:35 Mais ce n'était pas notre zone.
25:37 La Centrafrique, c'était la petite fiancée de la France.
25:41 Et nous nous sommes fait jeter de la Centrafrique, d'abord par Sarkozy,
25:46 qui avait décidé d'éliminer les bases françaises en Afrique
25:50 et qui a décidé de faire évacuer Birao.
25:52 Birao, c'est la clé de l'Afrique centrale et c'est la protection sud du Tchad.
25:57 Et tous les coloniaux, qui tient Birao, tient l'Afrique centrale.
26:01 D'ailleurs, les Russes, en arrivant, ont commencé par s'installer à Birao.
26:04 Parce que eux, ils savent lire une carte.
26:06 Ensuite, il y a eu des opérations françaises en Centrafrique, sous Hollande.
26:12 Et au lieu de taper sur le Séléka, qui arrivait du Soudan,
26:16 une opération militaire, on pouvait régler le problème très rapidement.
26:19 Au lieu de ça, nous avons mis notre armée en interposition,
26:21 c'est-à-dire légitimant la conquête du Séléka.
26:24 Nous nous sommes mis à dos les chrétiens du Sud,
26:27 qui allaient être réduits en esclavage par le Séléka.
26:29 Et nous avons provoqué le Séléka, qui a dit "les français sont faibles,
26:32 car ils ne veulent pas nous affronter".
26:34 Et nous avons distribué des couches culottes et des boîtes de lait concentré.
26:37 Bon, donc on s'est fait jeter.
26:39 Les Russes avaient un ambassadeur qui était en poste depuis 14 ans.
26:43 Depuis 14 ans !
26:45 Alors que nos fonctionnaires changent tous les quelques mois.
26:49 Ensuite, le phénomène s'est reproduit au Mali.
26:52 Et il s'est reproduit au Burkina Faso.
26:55 Nous n'avons pas été chassés par les Russes.
26:58 Les Russes ont profité de notre nullité.
27:01 Il est trop facile de s'exonérer de ces erreurs d'analyse.
27:07 La nature a horreur du vide. Et ce n'est pas fini !
27:10 Parce que maintenant, au Tchad, nous allons nous faire virer par les Turcs.
27:14 Parce que les Turcs sont en train de reprendre leur grand principe expansionniste ottoman,
27:18 qui sont des nationalistes.
27:20 - L'Empire ottoman ! - Erdogan est un grand nationaliste.
27:24 Et il reprend exactement...
27:26 N'oublions pas que dans les 2-3 ans qui ont précédé la conquête italienne
27:30 du territoire ottoman de Libye,
27:32 les Turcs avaient revendiqué la possession du nord du lac Tchad.
27:36 Car ils descendaient jusque vers le lac Tchad.
27:40 Et aujourd'hui, ils poussent dans la même zone.
27:43 - On va en parler. Turquie, Russie, Chine...
27:46 Ecoutez, tout ça nous laisse de très bons augures.
27:50 On va recevoir nos auditeurs.
27:52 - Oui, restez bien avec nous après cette courte page de pub.
27:55 On vous recevra au 0826 300 300 à tout de suite sur Sud Radio.
27:58 - Qu'être bon, je n'aime pas la blanche. Qu'être bon !
28:02 - Sud Radio Bercov dans tous ses états.
28:05 - Le Sahel, mais à quoi mène le Sahel ?
28:09 Bernard Lugin nous a fait une fresque magistrale.
28:11 C'est dans son livre qu'est la fresque et qu'il faut lire.
28:14 "Aux éditions du Rocher" où on parle effectivement,
28:17 on oublie les ethnies, on oublie les peuples, on oublie l'histoire,
28:20 on oublie effectivement la durée.
28:22 Le dur désir de durée, comme disait Paul Éluard.
28:26 - Mais alors je voudrais qu'on quitte un peu l'Afrique, Bernard Lugin,
28:29 quand même vous habitez en France, vous êtes français.
28:32 Et parlons un peu de cet état des lieux.
28:36 Est-ce que cette espèce de ce que vous dénoncez comme aveuglement,
28:41 ou comme étroitesse de vue, ou comme hier,
28:44 est-ce que vous le voyez aussi en France par rapport à ce qui se vit
28:48 dans notre pays aujourd'hui ?
28:50 - Oui, moi je voyage beaucoup.
28:52 Là cette année, en trois mois, j'ai quand même fait un voyage au Gabon,
28:56 j'ai fait un grand voyage en Tanzanie,
28:59 et j'ai fait un grand voyage au Maroc,
29:01 dans les trois mois qui viennent.
29:03 Donc je vais souvent à l'étranger, vers l'Afrique.
29:06 - Et comment on est vu là, justement ?
29:08 - Nous sommes méprisés.
29:09 - Vraiment ?
29:10 - Nous sommes méprisés car nous avons perdu tout notre précis.
29:13 Le gros problème, et c'est ceci, je crois que c'est fondamental,
29:16 et je pense que nos politiques ne l'ont pas vu,
29:18 notre moral à deux balles,
29:21 avec nos injonctions morales,
29:24 le mariage pour tous,
29:27 les LGBT,
29:29 l'animalisme,
29:32 tout ceci fait que, pour les Africains,
29:35 c'est perçu comme contre l'ordre naturel.
29:38 Parce qu'en Afrique, dans les Afriques, aussi bien en Afrique du Nord
29:41 qu'en Afrique au sud du Sahara, un homme c'est un homme,
29:43 une femme c'est une femme,
29:45 - Malheureux, vous dites ça ! Vous osez dire ça !
29:48 - Une famille, et puis il y a plusieurs femmes,
29:51 mais c'est des hommes et des femmes, des enfants, etc.
29:54 Et nous sommes véritablement méprisés.
29:59 Et c'est ce que les Russes ont compris.
30:01 Là encore, ce n'est pas un complot de la Russie contre nous.
30:04 Poutine a parfaitement compris que...
30:07 - Ah oui, il appuie sur cette corde, lui !
30:09 - Complètement ! Tous ses discours, et les Africains sont ravis.
30:12 Les Africains savent très bien que les Russes ne vont pas développer l'Afrique,
30:16 les Russes n'ont même pas les moyens, et ça ne les intéresse pas.
30:19 Mais les Africains disent "Au moins, avec les Russes,
30:22 nous n'avons pas d'injonction morale qui va contre l'ordre naturel.
30:25 On ne va pas nous obliger à nous marier entre hommes,
30:27 ou à nous marier entre femmes,
30:29 ou à se prendre pour des animaux,
30:31 ou alors c'est de la sourcellerie, mais c'est terminé."
30:33 Ça c'est fondamental.
30:35 Et si on ne comprend pas ça, on ne comprend pas le rejet,
30:38 pas de la France, de l'Occident en général.
30:41 Le rejet de l'Occident en général en Afrique.
30:44 - Qui est très fort, qui est monté.
30:46 - Moi je le ressens très bien, je discute avec les gens,
30:49 j'ai eu suffisamment d'étudiants que j'ai formés,
30:52 soit dans le civil, soit à l'armée.
30:54 Donc je vois les militaires que j'ai formés,
30:57 ou les professeurs que j'ai formés.
30:59 Donc il y a une relation de professeur à élève.
31:02 Et on parle, on parle, moi je vais dans les familles.
31:05 Bon, certains que j'ai eus à l'école de guerre,
31:09 des militaires africains,
31:11 "Professeur, on a honte pour vous."
31:14 "On a honte pour vous, parce que regardez
31:17 ce que vous devenez, vous êtes la risée du monde."
31:20 - Ils exagèrent un peu quand même.
31:23 - Ah, nous sommes la risée du monde.
31:25 Quand vous avez un président qui va danser
31:27 dans les boîtes de nuit à Kinshasa,
31:29 vous imaginez De Gaulle ?
31:31 - C'est perçu comment en Afrique ?
31:33 - Un chef doit être un chef,
31:35 il doit avoir une position de chef.
31:37 Ce n'était pas ma tasse de thé, Chirac.
31:39 Mais Chirac était hyper respecté en Afrique,
31:41 parce qu'il avait de l'allure,
31:43 parce qu'il se tenait.
31:45 Même Mitterrand, un chef doit se représenter.
31:50 Mais il ne va pas danser dans une boîte de nuit
31:52 en buvant une canette de bière,
31:54 en se frottant sur des torses ruisslants de sueur.
31:57 Non, non, ça, ça ne va pas.
31:59 Pour l'Afrique, c'est une méconnaissance.
32:01 Les conseillers qui lui ont...
32:03 - Et le coup de la marmite.
32:05 - Et le coup de la marmite.
32:07 Avoir accepté ce débat avec la marmite.
32:09 - Ah oui, on l'a vu en sonore.
32:11 - Vous l'avez passé, oui.
32:13 - Comment est-ce qu'on récure la marmite ?
32:15 - C'est impensable.
32:17 - Et riez au lieu de dire...
32:19 - Il y a une méconnaissance
32:21 qui est prise comme du mépris,
32:23 comme de la suffisance,
32:25 et résultat, nous sommes nous-mêmes méprisés.
32:28 - Alors, Bernard Lugand, retour en France.
32:32 Est-ce que vous croyez qu'il y a une solution de continuité
32:35 entre les deux,
32:37 en tout cas un démonnateur commun,
32:39 entre cette espèce d'avoglement
32:41 vis-à-vis des peuples d'Afrique,
32:43 ou en tout cas de l'opinion publique africaine,
32:45 et une espèce de...
32:47 On voit bien quand même,
32:49 une espèce de désordre établi
32:51 qui dirige ce pays.
32:53 - Moi, ce que je sens, j'habite en province.
32:55 J'habite en province,
32:57 à la fois dans les monts du Forêt l'été,
32:59 et en Bourbonnets l'hiver.
33:02 Je sens une immense colère.
33:04 Une immense colère de la France,
33:06 dite périphérique,
33:08 qui a l'impression que Paris,
33:10 Paris impose des modes totalement surréalistes,
33:13 et que eux,
33:15 qui vivent encore dans un ordre naturel,
33:18 moi je les vois un peu comme des Africains.
33:22 Ils ont à peu près les mêmes réactions que les Africains,
33:25 parce qu'ils ont encore les pieds sur le réel.
33:27 Ils sont...
33:29 Le woke, ils ne connaissent pas le wokisme,
33:31 ils ne connaissent pas ce genre de choses,
33:33 ils ne connaissent pas la théorie du genre.
33:35 Ils sont des gens encore sains.
33:37 - Alors on va voir si c'est le cas,
33:39 et je vois que nous avons Christian dans les Landes.
33:41 - Oui, vous continuez de nous appeler au 0826-300-300.
33:43 On accueille Christian des Landes.
33:45 Bonjour Christian.
33:47 - Oui, bonjour messieurs.
33:49 Je suis donc un officier,
33:52 j'ai parcouru l'Afrique dans une vingtaine de pays.
33:55 - Oui.
33:57 - Ça fait trente ans que je suis les analystes de monsieur Bernard Lugon,
34:00 j'ai acheté plusieurs de ses livres,
34:02 et je suis époustouflé de sa connaissance,
34:05 et j'allais dire,
34:07 de cette...
34:09 Hélas, il est pratiquement le seul en France
34:12 à avoir ces connaissances africaines.
34:15 Alors,
34:17 donc j'ai parcouru beaucoup, en particulier,
34:19 les pays de l'Est et du Sud de l'Afrique,
34:22 c'est-à-dire,
34:24 pas les pays de l'ancienne Afrique occidentale française,
34:28 et donc la vision de la colonisation,
34:31 et pour moi,
34:33 j'ai pu l'analyser, si vous voulez,
34:35 la colonisation, disons, globalement française,
34:38 et l'autre globalement anglaise.
34:40 - Anglaise, oui.
34:42 - Et donc c'est assez amusant, mais quoi qu'il arrive,
34:44 les analyses de monsieur Bernard Lugon
34:47 sont valables, je pense, dans toute l'Afrique.
34:49 Ce sont des conflits multiciculaires,
34:53 et malheureusement,
34:55 personne n'écoute
34:57 ces conseils-là, ces analyses.
35:00 Alors ma question est relativement simple.
35:02 - Allez-y.
35:03 - Bon sang, expert comme vous êtes,
35:05 est-ce que vous êtes reçu au ministère des Armées,
35:09 ou au ministère des Affaires étrangères,
35:11 pour faire part de vos analyses,
35:13 avant même que l'on étudie
35:16 le déclenchement d'une opération ?
35:18 - Ah, bonne question.
35:19 Est-ce que vous êtes reçu, Bernard Lugon ?
35:21 - Alors, cher monsieur, je vais vous mettre à l'aise tout de suite.
35:24 C'est parce que je fais ces analyses
35:28 que j'ai été viré de Saint-Cyr-Cohed-Qui-Dent,
35:32 que j'ai été viré de l'école de guerre,
35:34 et que j'ai été viré de l'IHEDN.
35:37 Non pas par les militaires,
35:38 - IHEDN, expliquez-nous.
35:40 - L'Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale.
35:42 Non pas par les militaires,
35:44 mais par les civils qui commandent aux militaires.
35:46 Alors j'ai continué à conseiller,
35:48 parce que, plus ou moins clandestinement,
35:50 les états-majors de force me faisaient venir
35:53 avant projection à Barkhane.
35:56 Donc, je les ai tous eus entre les mains.
35:58 Et j'ai été sidéré de voir à quel point ces militaires
36:03 étaient des gens qui apprenaient le terrain,
36:05 qui allaient aux bonnes sources,
36:07 mais qui recevaient des ordres
36:09 contraires à la réalité du terrain.
36:11 Et ce sont, c'est le drame, si vous le voulez,
36:14 du ministère de la Défense,
36:16 qui est un ministère dirigé par des civils.
36:19 Alors qu'il y ait un civil à la tête du ministère,
36:21 c'est une très bonne chose.
36:22 Mais en fait, les véritables responsables,
36:25 ce sont les civils du ministère de la Défense
36:27 qui sont formés à l'idéologie moderne.
36:29 Alors maintenant, je vais rebondir sur le début
36:32 fort intéressant de votre intervention,
36:34 parce que moi, j'ai vécu, moi, en ancienne colonie anglaise,
36:37 j'ai vécu une grande partie de ma carrière africaine
36:41 dans les anciens territoires britanniques.
36:43 Et ce que vous dites est tout à fait exact,
36:45 et je l'ai expliqué dans plusieurs de mes livres.
36:47 J'ai résumé cela par une phrase.
36:49 Nous, Français, nous avons laissé des certitudes,
36:55 et les Britanniques ont laissé des habitudes.
36:58 C'est-à-dire que nous, nous avons inculqué
37:01 des principes idéologiques,
37:03 tandis que les Britanniques n'ont pas touché
37:06 à la mentalité de l'homme africain,
37:08 mais ils ont laissé des modes de vie
37:10 et des modes de comportement,
37:12 et non pas des modes philosophiques.
37:14 Et ça, c'est fondamental.
37:15 C'est pour cela que la colonisation française
37:17 a beaucoup moins cassé les structures naturelles,
37:21 parce que la colonisation française
37:23 est une colonisation de gauche
37:25 qui a été faite par des universalistes,
37:27 réalisée par des hommes de droite,
37:29 mais pensée par des hommes de gauche.
37:31 Tout le corpus colonial de Jules Ferry
37:34 et de la gauche coloniale
37:36 est imprégné de la révolution française.
37:38 Pour eux, la colonisation allait être un des moyens
37:41 d'exporter les idées de la révolution dans le monde.
37:43 - Mais pourtant, rappelez-vous que Jules Ferry,
37:45 Bernard Lucan, disait lui,
37:46 il faut éduquer les peuples inférieurs.
37:48 - Absolument !
37:49 - Vous parlez de peuples inférieurs, Jules Ferry.
37:51 - Alors que Lyoté, comment inférieur ?
37:54 - Inférieur, la civilisation des Ming,
37:56 inférieur, la civilisation des Mérinides.
37:59 Qui est inférieur ?
38:01 Non, les Africains ne sont pas inférieurs,
38:03 ils sont autres.
38:04 Lyoté était un ethno-différentialiste.
38:06 Et l'ethno-différentialiste ne fait pas de hiérarchie.
38:09 L'homme de gauche fait de la hiérarchie
38:11 en disant les supérieurs et les inférieurs.
38:13 L'ethno-différentialiste, l'homme de droite,
38:15 Lyoté n'a jamais dit "ils sont inférieurs".
38:18 Nous sommes différents.
38:20 Mais la différence n'est pas l'infériorité.
38:22 - Bien sûr, pas l'inégalité.
38:24 Eh bien, je crois qu'il vous reste à lire le livre
38:27 "Jetez-vous sur le Sahel, vous ne mourrez pas de soif".
38:30 - Je lis.
38:32 - Merci beaucoup, chers éditeurs, d'être toujours aussi nombreux à nous écouter.
38:35 Merci beaucoup à Bernard Lucan, historien, pour son livre
38:38 "Histoire du Sahel, des origines à nos jours", édition du Rocher.
38:41 Et pour son livre "Apparaitre, on savait vivre aux colonies", édition La Nouvelle Ouvrierie.
38:45 Tout de suite, l'émission de Brigitte Leh.
38:47 A tout de suite sur Sud Radio.

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