Mercredi 14 mai 2025, retrouvez Benjamin Louvet (Directeur de la Gestion Matières Premières, Ofi Invest Asset Management) dans SMART BOURSE, une émission présentée par Grégoire Favet.
Catégorie
🗞
NewsTranscription
00:00Générique
00:00Le dernier quart d'heure de Smart Bourse chaque soir, c'est le quart d'heure thématique.
00:13Le thème ce soir, c'est celui des matières premières.
00:16Nous en parlons avec Benjamin Louvet, avec nous à distance en visio,
00:20le directeur de la gestion de matières premières d'Ophi Invest Asset Management.
00:23Bonsoir Benjamin, merci beaucoup d'être avec nous.
00:26Donald Trump est donc en visite dans le Golfe, l'occasion quand même de parler du pétrole
00:31et de revenir sur les annonces de l'OPEP Plus le 3 avril dernier.
00:36Donc on était en pleine séquence tarifaire et au moment de Liberation Day,
00:40on avait également l'idée de libérer quelques barils supplémentaires au-delà de ce qui était prévu.
00:46Huit pays membres de l'OPEP, emmenés notamment par l'Arabie Saoudite,
00:51annonçait début avril leur volonté de remettre sur le marché trois fois plus de barils jour
00:58que prévu initialement, ce qui avait créé un petit choc sur les prix du pétrole.
01:03Qu'est-ce qu'on peut dire de ce changement de stratégie de l'OPEP, Benjamin ?
01:07Quels sont les objectifs poursuivis ?
01:09Est-ce que c'est, j'allais dire, gagnant-gagnant dans la relation entre le royaume d'Arabie Saoudite
01:15et l'administration américaine de Donald Trump ?
01:19Bonsoir Grégoire.
01:20Alors sur la décision de l'OPEP Plus, ce qui est important de noter,
01:25c'est qu'en réalité, la raison de cette hausse de la production,
01:30c'est une pression mise par l'Arabie Saoudite sur certains États membres
01:35qui ne respectent pas les quotas de production.
01:38On parle principalement de l'Irak et du Kazakhstan
01:44qui ne respectent pas leurs quotas et qui produisent au-dessus de la production qui leur est fixée.
01:49Et donc l'Arabie Saoudite commence un peu à s'impatienter.
01:51Je rappelle que l'Arabie Saoudite, au-delà des coupes qu'elle a faites dans le cadre de l'OPEP,
01:55a en plus daigné faire, à titre personnel, des coupes supplémentaires d'un million de barils par jour.
02:03Et donc là, en fait, elle dit aux autres membres de l'OPEP
02:05« Moi, je veux bien jouer mon rôle de stabilisateur sur ce marché
02:09et aider à ce que le prix du pétrole ne baisse pas trop dans un contexte où la demande a tendance à ralentir.
02:13Mais il faut que tout le monde joue le jeu parce que sinon, moi, Arabie Saoudite,
02:17je suis capable d'encaisser une baisse des cours du pétrole pendant quelques mois
02:20et des prix du pétrole faibles pendant quelques mois.
02:22Ça sera beaucoup moins simple pour vous.
02:23Donc c'est aussi un moyen de faire rentrer tout le monde dans le rang.
02:26Alors le problème, c'est que ça tombe à un moment, enfin c'est tombé à ce moment-là,
02:30à un moment qui n'était pas forcément très opportun,
02:33puisque on était déjà dans un contexte où avec le Liberation Day
02:36et les nouvelles taxes annoncées par Trump d'un côté, puis par la Chine en représailles,
02:41eh bien on avait une demande de pétrole, une croissance de la demande de pétrole
02:44qui était revue en baisse par toutes les agences qui s'intéressent au marché du pétrole,
02:48l'Agence internationale à l'énergie, l'OPEP et l'Agence américaine à l'énergie.
02:53Et donc tout ça a mis une pression assez forte sur le prix du pétrole.
02:55Il se trouve que depuis, on a eu un accord entre la Chine et les États-Unis
03:01qui a permis d'être un petit peu plus optimiste sur la croissance mondiale.
03:05On a vu hier un certain nombre de cabinets d'analyse remonter leurs prévisions de croissance
03:09sur l'Europe, sur la Chine.
03:11Et donc ça devrait soutenir un peu la demande du prix du pétrole.
03:14Mais en faisant ce mouvement de remettre du pétrole sur le marché,
03:20l'Arabie saoudite peut donner l'impression d'aider Donald Trump.
03:25Je rappelle que Donald Trump, au dernier forum de Davos, en visioconférence,
03:28avait demandé l'aide de l'Arabie saoudite pour faire baisser les prix du pétrole.
03:32Le problème, Grégoire, c'est qu'aujourd'hui, Donald Trump se retrouve dans une situation un peu compliquée
03:37où les prix du pétrole ont tellement baissé qu'on arrive sur des niveaux
03:40où, pour les producteurs de pétrole de schiste, c'est plus très intéressant de produire davantage.
03:46Et donc on le voit bien dans le nombre de forages qui sont réalisés aux États-Unis,
03:49qui sont en baisse.
03:50Et le nombre de forages gaz plus pétrole depuis le début de l'année sont au plus bas.
03:54Il n'y a plus vraiment de volonté sur ces niveaux de prix des producteurs de pétrole de schiste
03:59d'augmenter leur production.
04:00Puis il y a un deuxième élément qui est problématique pour Donald Trump,
04:04c'est que la baisse des prix du pétrole vient contrarier un de ses plans
04:10qui est de faire baisser le déficit commercial américain.
04:12Parce qu'il ne faut pas oublier que depuis 2015 et le développement du pétrole de schiste,
04:16la très forte augmentation de la production de pétrole aux États-Unis
04:18fait qu'aujourd'hui, les États-Unis sont exportateurs de pétrole.
04:22Et donc ça va un peu à l'encontre de ces objectifs.
04:25Et puis dernier point qui vient en plus encore compliquer la tâche de Donald Trump,
04:30les différentes taxes qu'il a pu mettre, notamment sur l'acier,
04:34ont entraîné un renchérissement des coûts de production pour les pétroliers de schiste.
04:37Et on se retrouve aujourd'hui avec des pétroliers de schiste
04:39qui n'ont pas vraiment vocation à augmenter leur production.
04:42Dernier point, Grégoire, sur un peu plus long terme,
04:45un élément intéressant, dans les conférences sur le pétrole qui ont lieu en ce moment,
04:49on commence à trouver des membres des producteurs de pétrole de schiste,
04:56notamment Harold Hamm, qui est une figure emblématique de ce secteur
04:59et qui est très proche de Donald Trump,
05:01qui commence à évoquer publiquement le fait que le pétrole de schiste
05:05pourrait atteindre son pic de production quelque part entre 2027 et 2030,
05:08c'est-à-dire très bientôt.
05:10Et il ne faut pas oublier que c'est grâce à ce pétrole de schiste
05:12qu'on a réussi à absorber la hausse de la demande depuis 2008.
05:17Sinon, sur le reste de la production, on est plutôt sur un plateau.
05:20Donc ça voudrait dire qu'on pourrait rentrer dans une période
05:22qui pourrait commencer à devenir compliquée,
05:24à moins qu'on accélère sur la transition énergétique.
05:26– Bon, sur le front de la guerre commerciale,
05:30alors il y a plein de sujets qui s'entremêlent,
05:32mais on a compris que c'était une guerre des ressources en général pour Donald Trump.
05:38Les métaux, les métaux industriels, alors si je ne dis pas de bêtises,
05:42je crois qu'on attend des résultats d'enquête du Trésor américain,
05:45par exemple sur le cuivre,
05:47qui pourraient donner lieu à des tarifs peut-être spécifiques,
05:50comme on les met régulièrement sur l'acier et l'aluminium,
05:53qui sont toujours, j'allais dire, les usual suspects dans ces guerres commerciales.
05:58Et puis il y a bien sûr la question des métaux critiques.
06:01Est-ce qu'on a idée dans le cadre de négociations entre les États-Unis et la Chine
06:07de ce qui peut s'arranger sur la question des métaux critiques
06:11et des exports de métaux critiques par la Chine ?
06:15– Alors la première chose, Grégoire, à noter, c'est que vous avez raison,
06:18les métaux critiques sont aujourd'hui une des principales préoccupations de Donald Trump.
06:21Juste un chiffre, depuis qu'il est revenu à la Maison-Blanche,
06:24il a pris 145 décrets sur tous les sujets,
06:27ça va de la religion au wokisme en passant par les produits pharmaceutiques.
06:31Eh bien au milieu de ces 145 décrets,
06:35les produits qui sont le plus cités, qui concernent le plus de décrets,
06:38ce sont les métaux avec 8 décrets pris depuis sa prise de pouvoir.
06:42Et il y a aussi un autre changement intéressant à noter,
06:44c'est que dans un des premiers décrets qu'il a pris,
06:47juste après son investiture, le 20 janvier,
06:50il y a une définition de l'énergie qui est donnée,
06:52et dans la définition de l'énergie, on inclut les métaux critiques.
06:56C'est un profond changement.
06:57Donc maintenant, dès qu'on parle d'énergie aux États-Unis,
06:59il y a eu un ministère de la Domination énergétique qui a été créé,
07:02un comité de la Domination énergétique qui a été créé,
07:04et il inclut les métaux.
07:06Ça montre bien l'importance de ce sujet.
07:08Mais ce sujet, on le voit aussi dans son importance,
07:11effectivement parce que c'est sans doute une des explications
07:14de la reculade et entre guillemets de la baisse des tensions
07:20entre la Chine et les États-Unis.
07:22Il ne faut pas oublier que quand Donald Trump a mis ses taxes en place sur la Chine,
07:26la Chine a répondu par des taxes,
07:28mais elle a aussi répondu à côté par une mesure toute simple
07:30qui consistait à mettre en place des licences d'exportation,
07:32c'est-à-dire tout bonnement suspendre les exportations
07:35de sept terres rares lourdes dont elle produit ou elle raffine
07:3999% de la production mondiale.
07:41Sans ces terres rares lourdes, vous ne faites pas de semi-conducteurs,
07:44vous ne faites pas d'éoliennes, vous ne faites pas de panneaux solaires,
07:46vous ne faites pas de voitures électriques,
07:49vous ne faites pas d'avions de chasse,
07:53vous ne faites pas de sous-marins.
07:56Donc c'est vraiment un vrai sujet pour Donald Trump.
07:59Ce qui est étonnant, c'est que pour l'instant,
08:01dans le cadre des annonces qui ont été faites ce week-end
08:02après les négociations entre la Chine et les États-Unis,
08:05il a été fait mention que toutes les contre-mesures non financières
08:10entre la Chine et les États-Unis seraient enlevées,
08:13mais la mise en place de licences d'exportation sur les terres rares
08:18n'a pas été présentée comme une contre-mesure.
08:21Donc on n'arrive pas à savoir aujourd'hui
08:23si cette mesure est levée ou pas.
08:25Mais Trump est clairement dans une situation
08:28où les métaux sont une vraie préoccupation.
08:31Donc on l'a dit, il les a inclus dans les énergies,
08:33il a passé un décret pour accélérer l'obtention des permis
08:37aux États-Unis pour les groupes miniers,
08:40il a passé un décret qui fait scandale
08:43où il autorise les groupes miniers
08:45à aller explorer les fonds marins
08:47pour aller chercher des nodules polymétalliques,
08:49ce qui serait une catastrophe écologique.
08:51Mais il a également mis en place,
08:52vous avez raison de le mentionner,
08:54une enquête dite section 232
08:56de l'accord sur le commerce
08:57qui vise à voir si le commerce
08:59sur un métal comme le cuivre
09:01est correctement organisé au niveau mondial
09:04ou si les Américains subissent des pressions anormales.
09:08Et donc il est envisagé possiblement
09:11de mettre des taxes
09:12sur les importations de cuivre aux États-Unis,
09:15ce qui a complètement désorganisé
09:17le marché du cuivre au niveau mondial.
09:20Mais on en a peu parlé
09:21à la suite de ce décret
09:24lançant une enquête section 232 sur le cuivre,
09:27il a lancé une enquête
09:28sur l'ensemble, section 232,
09:31sur l'ensemble des technologies
09:32relatifs au traitement des métaux critiques.
09:34Donc ça pourrait être beaucoup plus vaste que ça.
09:36Bref, on le voit bien,
09:37les métaux sont aujourd'hui
09:39au centre de la politique de Donald Trump
09:40et c'est clairement un des talons d'Achille
09:42majeurs de l'administration américaine.
09:46On trouve de quelle manière
09:47dans les prix de ces métaux aujourd'hui, Benjamin ?
09:50Alors pour l'instant,
09:51on le retrouve à la marche
09:53parce que la mise en place
09:55des barrières douanières
09:56a fait craindre un ralentissement économique
09:57qui a donc fait craindre
09:58un ralentissement de la consommation de métaux.
10:00Il faut bien comprendre
10:01que le prix des métaux,
10:02contrairement au prix des actions
10:03ou des obligations
10:03qui embarquent l'avenir de l'entreprise
10:06avec l'actualisation des flux futurs
10:08dans la valeur des actions
10:09ou des obligations,
10:10le prix d'une matière première
10:11il est fixé spot,
10:12c'est-à-dire en fonction
10:13de l'équilibre instantané
10:14entre l'offre et la demande.
10:16Donc tant que les tensions
10:17ne se matérialisent pas,
10:18les prix tardent à monter.
10:20Mais plus ils tardent à monter,
10:21moins il y a d'investissements
10:22dans le secteur minier
10:23et donc plus la hausse derrière
10:24risque d'être importante.
10:26D'où la nervosité, je pense,
10:27qui est en train de gagner
10:27un petit peu le président américain.
10:32Il ne faut pas oublier une chose,
10:34Grégoire,
10:34c'est que le plus gros consommateur
10:36de métaux dans le monde,
10:37c'est la Chine.
10:38Et l'Asie du Sud-Est,
10:39dans son ensemble,
10:39consomme 70% des métaux
10:41de la planète.
10:41Pourquoi je dis ça ?
10:42Parce qu'il semble que la Chine
10:44ait une volonté
10:46d'accélérer sa transition énergétique
10:48qui est le principal pôle
10:50d'augmentation
10:50de la consommation de métaux.
10:52Et en fait,
10:52ce qui s'est passé,
10:53c'est qu'en 2022,
10:54vous avez eu la Russie
10:56qui a envahi l'Ukraine.
10:57Et je pense qu'à ce moment-là,
10:58les Chinois ont fait la liste
10:59de leurs forces et de leurs faiblesses.
11:01Et ils sont arrivés à la conclusion
11:01qu'une de leurs grosses faiblesses,
11:02c'est que sur l'énergie,
11:04ils étaient encore très dépendants
11:05de l'étranger.
11:06Et que s'ils voulaient avoir
11:07une force de négociation importante
11:10dans un monde
11:12qui se déglobalise,
11:13eh bien,
11:13l'indépendance énergétique
11:14est extrêmement importante.
11:15Et depuis,
11:16ils ont considérablement accéléré
11:19sur leur transition énergétique.
11:21Ils ont installé...
11:2165% des panneaux solaires
11:23installés les derniers
11:23ont été installés en Chine.
11:2550% des éoliennes.
11:2760% des véhicules électriques
11:28vendus dans le monde
11:29ont été vendus en Chine.
11:30Il y a une vraie volonté.
11:31Et cette volonté d'accélération,
11:32on la retrouve encore cette année.
11:34Et ça,
11:34c'est le principal moteur
11:36probable
11:37de la hausse
11:38de la demande sur les métaux.
11:39Donc,
11:40on ne la retrouve pas aujourd'hui.
11:41Ce qui est plutôt intéressant
11:43pour les investisseurs
11:43parce que
11:44si elle n'est pas encore
11:45dans les prix,
11:46c'est qu'elle peut venir
11:46dans les années qui viennent.
11:48Benjamin Louvet,
11:49directeur de la gestion
11:50matière première
11:51d'OFI Invest Asset Management
11:53qui était l'invité
11:53de ce dernier quart d'heure
11:54de Smart Bourse
11:55ce soir sur Bsmart4Change.
11:56Sous-titrage Société Radio-Canada
12:05Sous-titrage Société Radio-Canada