Anne Fulda reçoit Boris Cyrulnik pour son livre «Quand on tombe amoureux, on se relève attaché» dans #HDLivres
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00:00Bienvenue à l'heure des livres Boris Cyrulnik, on est ravis de vous recevoir.
00:04Vous connaissez, vous êtes neuropsychiatre, ethnologue aussi.
00:09Vous avez pu lire de nombreux livres, vous avez été un vulgarisateur ou le père de la résilience.
00:15Peut-être que vous en avez assez, qu'on vous ramène sans cesse à ce concept.
00:18On vous présente comme le pape de la résilience.
00:21Là on ne va pas parler de résilience, même si peut-être d'en filigrane.
00:26On va parler de votre dernier livre qui s'appelle « Quand on tombe amoureux, on se relève attaché »,
00:31un livre qui est publié aux éditions Odile Jacob.
00:34Une réflexion très fouillée, intéressante, un peu comme ça, à contre-pied sur l'amour et ses variations finalement.
00:43Alors déjà ce titre « Quand on tombe amoureux, on se relève attaché », quel joli titre.
00:48Et on pourrait se dire justement, dès le début, c'est un titre qui va un peu à l'encontre de l'air du temps.
00:53Ou alors au contraire, il est peut-être avant-gardiste.
00:56Parce que vous l'écrivez d'emblée, nous avons tous connu une expérience tragique et merveilleuse, nous sommes tombés amoureux.
01:03Alors la question c'est, est-ce que l'amour ne peut être, comme vous l'écrivez, qu'un conte de faits sentimentaux, donc appelé à mal se terminer ?
01:10« L'amour, c'est une émotion intense. Aucune émotion n'est durable. Exmoveré, c'est le mouvement vers l'autre. Si ça dure, ça se transforme en habituation.
01:24C'est plus une information. Une information qui est toujours la même, la même, la même, c'est plus une information. C'est l'engourdissement. »
01:33Donc c'est un moment extatique, c'est un moment merveilleux qui a une fonction.
01:38On est tellement intensément sensible à ce qui vient de l'autre qu'on apprend l'autre par cœur.
01:44Donc on s'imprègne de l'autre et ça facilite le lien profond, durable, constructif, qui est l'attachement.
01:51– D'où mon titre. – D'où votre titre. Alors, ce qui est intéressant, c'est que vous dites que l'amour, qui est d'une certaine façon une pathologie,
01:59se voit presque, se voit à l'image, en image, en neuro-imagerie. Alors ça, c'est vrai que c'est incroyable.
02:05Alors dites-nous, comment voit-on quelqu'un d'amoureux en neuro-imagerie ?
02:09– Mais oui, c'est logique. Quand quelqu'un est amoureux, que ce soit l'amoureux d'une femme, d'un homme, d'un leader politique, c'est la même chose.
02:19– C'est la même chose. Il est tellement centré sur l'autre de manière extatique qu'on voit sans difficulté en neuro-imagerie
02:29que ce qu'on appelle le faisceau de la punition latéral s'éteint. En revanche, le faisceau longitudinal inférieur qu'on appelle le faisceau de la récompense
02:41qui stimule les sécrétions neuro-hormonales de dopamine, le plaisir de l'action, de sérotonine, le plaisir de la relation,
02:50d'oxytocine, le plaisir, les endorphines. Ces neurones-là se stimulent des chutes biologiques provoquées par l'amour.
02:59Et on voit qu'il y a un chemin, les Américains parlent de sentier, il y a un chemin qui se fait pour les neurones
03:06qui stimule des hormones euphorisantes. Mais l'amoureux, l'amoureuse ne perçoit que ce qui est de bien
03:13puisque seul ce faisceau est stimulé avec le faisceau de la punition.
03:18– C'est en nécessité alors ? – Oui, on peut dire « mais non, elle n'est pas si terrible que ça,
03:23mais tu la connais ? » Ah non, c'est la première fois que je la vois.
03:26Qu'est-ce qu'elle fait dans la vie ? Ah ben, je n'en sais rien.
03:28Mais comment tu peux être amoureux ? Oui, mais je suis tellement bien avec elle, avec lui,
03:31qu'on ne peut qu'être heureux. Si ce n'est pas un délire, ça ?
03:35– Alors, ce que vous dites aussi, et c'est intéressant, c'est que souvent, ce sentiment amoureux,
03:42ce mouvement amoureux est lié à une empreinte amoureuse qui date de l'enfance.
03:46Alors, vous citez à chaque fois, on parle de Descartes qui avait un petit penchant pour les femmes
03:51qui avaient une coquetterie dans l'œil.
03:53– Une attraction, c'était une attraction.
03:55– Une attraction, oui.
03:57– Il se demande pourquoi est-ce que je trouve très séduisante les femmes
04:01qui ont une coquetterie dans l'œil.
04:03Et comme c'est un philosophe, il dit « mais voilà, ça me rappelle, bien dit,
04:09ça me rappelle que j'aimais beaucoup Manonrice qui était une femme louche ».
04:14Alors, à l'époque de Descartes, « femme louche », ça veut dire coquetterie, quoi.
04:18– Alors, vous, vous plaidez à côté de l'amour ou après l'amour,
04:23pour donc cet attachement dont vous n'êtes parlé,
04:27vous écrivez « le tricotage d'un lien qui nous renforce et nous rend capables de tenter
04:31l'autonomie psychique et l'aventure sociale ».
04:34– Mais oui.
04:35– C'est-à-dire ?
04:36– Quand on est amoureux, on est délicieusement prisonnier de l'autre.
04:40Je veux être avec lui, je veux être avec elle, le monde ne m'intéresse pas,
04:43ce qui compte, c'est elle, mais tu ne la connais pas, oui, mais ce n'est pas grave.
04:46Alors que dans l'attachement, au contraire, elle me sécurise tellement,
04:52elle me donne confiance en moi, je me sens tellement bien avec elle
04:54que je m'intéresse au monde et je sais que même si elle n'est pas là,
04:59elle est là dans ma mémoire, elle est là dans mon style affectif,
05:02je peux compter sur elle.
05:04Et ce sentiment d'attachement est un renforçateur qui me permet d'explorer
05:08et de tenter l'aventure sociale ou intellectuelle
05:11parce que j'ai confiance en moi, parce que j'ai confiance en elle.
05:15Et à ce moment-là, je me sens bien avec elle
05:18et le lien d'attachement qui est insidieux et constructif,
05:22alors que le lien, ce n'est pas un lien l'amour,
05:25alors que l'enamoramento, disent les Italiens,
05:28c'est-à-dire le fait de tomber en amour,
05:32c'est le moment, l'amour naissant qui est intense,
05:35qui se transforme très vite en prison affective,
05:37délicieuse, méprisant.
05:40Alors, dernière question, rapidement,
05:43visiblement, ces liens sont peu prisés par les jeunes
05:46puisqu'on voit de plus en plus,
05:47ces liens tissés à long terme,
05:50puisqu'on voit de plus en plus des amours à court terme
05:53qui se multiplient.
05:54Parce que les jeunes sont terrorisés par l'attachement.
05:58Le développement de la personne est devenu dans notre culture
06:01une telle valeur.
06:03Pendant 300 000 ans, on a entravé les femmes
06:06et on a héroïsé les hommes.
06:09Ça veut dire quoi, héroïsé les hommes ?
06:11Ça veut dire les envoyer se faire tuer à la guerre
06:13ou travailler 15 heures par jour sans se plaindre.
06:16Un homme ne se plaint pas.
06:17Tout le monde était sacrifié,
06:18les femmes étaient entravées,
06:19on ne pensait même pas à la personnalité.
06:23Ce qui comptait, c'était qu'elles mettent au monde des enfants,
06:25des garçons de préférence.
06:26Et là, c'est l'avènement du développement personnel
06:32qui, d'une certaine façon, brise les ailes des liens de l'attachement.
06:36C'est ce que je propose, oui, c'est l'idée que je propose,
06:39c'est que le développement personnel est devenu une telle valeur
06:42de notre culture que porter un enfant, c'est une entrave,
06:47il n'y a pas de doute,
06:47que ne pas se consacrer à quelqu'un d'autre.
06:52Pour un homme, accepter n'importe quel...
06:54Quand j'étais médecin au chantier naval de la Seine,
06:57il y avait un seul salaire par famille.
06:59Les hommes acceptaient n'importe quel travail
07:02qui était une torture.
07:04Ça a justifié le patriarcat que les femmes n'apprécient pas trop,
07:07mais c'était le seul salaire de la maison.
07:10Et les hommes acceptaient le sacrifice.
07:12Les jeunes ne veulent plus vivre comme ça.
07:15Donc ça change la valeur de l'amour,
07:17la signification et la fonction de l'amour.
07:21En tout cas, vraiment, je vous conseille de lire.
07:23Quand on tombe amoureux, on se relève attaché.
07:25C'est un livre qui, en plus, force à réfléchir,
07:29à penser à ce qu'est l'amour aujourd'hui.
07:31Mais c'est bien, c'est bien.
07:34Merci beaucoup, Boris Cyrulnik,
07:35qui s'est paru chez Odile Jacob.
07:37C'est moi qui m'en, merci.
07:38Merci.