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Le rappeur S.Pri Noir et l’autrice Shanice Mendy dénoncent le mythe de la méritocratie en France.
Dans un échange sincère, ils reviennent sur leurs parcours marqués par le racisme, le manque de représentations et les barrières sociales en France.
Tous deux dénoncent l’illusion méritocratique : travailler dur ne suffit pas quand les inégalités sont structurelles.

Le livre "Si tu savais" aux éditions Faces Cachées de Shanice Mendy, préfacé par Malick Mendosa, dit S.Pri Noir est disponible en librairie.

Catégorie

📚
Éducation
Transcription
00:00Quand on veut, on peut, tu vois.
00:01Moi, je déteste cette phrase, parce que c'est pas vrai.
00:03Je pense que la France a du mal avec sa mixité.
00:05J'avais déjà senti qu'on pouvait ne pas partir avec les mêmes chances que les autres et tout,
00:10mais là, c'était vraiment réel, tu vois.
00:12Après, t'as aussi un devoir de...
00:14Je vais leur montrer.
00:15Je vais leur montrer, même si vous en voyez pas beaucoup, on est là.
00:19Je m'appelle Esprit Noir.
00:20Enfin, je m'appelle Malik, de base.
00:23Moi, on m'appelle Esprit Noir, je suis un rappeur.
00:25Je m'appelle Shanice Mendy, j'ai 31 ans et j'habite à Paris aujourd'hui.
00:29Mendy, c'est Mendes, de base.
00:31Le Portugal a colonisé la Guinée-Bissau.
00:33Le Y, c'est la marque de l'indépendance.
00:35On s'est appelé Mendy.
00:36En fait, toi, tu t'appelles Mendoza, et en fait, c'est le même nom de famille.
00:39Ouais, c'est ça, c'est ça.
00:40Moi, je suis né à Paris, dans le 14e,
00:42et j'ai vécu mes premières années dans le 18e, jusqu'à mes 12 ans,
00:46et ensuite, j'ai fait mes classes dans le 20e.
00:49J'habitais dans la banlieue sud de Rouen, donc à Queville,
00:51dans un quartier ouvrier, et j'ai fait toute mon éducation en ZEP.
00:54Et j'avais des bonnes notes, et en fait, mon prof d'histoire m'a dit « Vas-y, viens, fais l'atelier Sciences Po ».
00:59Et du coup, j'ai passé le concours comme ça.
01:01Je l'ai eu.
01:01Je me suis pris une claque phénoménale.
01:04Dans ma classe, on était deux noirs, sur une promo de 80.
01:07Donc en fait, je me disais « Mais qu'est-ce que je fais ici, en vrai ? »
01:10J'avais l'impression de trahir d'où je venais, parce que je ne me reconnaissais pas.
01:14Et en fait, je me suis sentie légitime à partir du moment où j'ai eu des bonnes notes.
01:17La première claque que je me suis mangée, c'est que j'ai fait la licence par défaut,
01:20alors que je voulais faire une école de commerce.
01:21Je ne voulais pas faire endosser à mes parents un prêt bancaire.
01:25C'est là où j'ai vu qu'il y avait un certain plafond de verre.
01:28Et la deuxième claque, c'est quand j'ai voulu rentrer dans le monde du travail.
01:30Je me rappelle, j'avais passé un entretien pour une banque.
01:33Quand je suis arrivé en entretien et que la personne m'a demandé si c'était bien moi,
01:37là, je me suis dit « Ok, ok, là, on est dans le vrai, là ! »
01:40J'avais déjà senti qu'on pouvait ne pas partir avec les mêmes chances que les autres et tout,
01:45mais là, c'était vraiment réel.
01:47Quand on veut, on peut.
01:48Moi, je déteste cette phrase parce que ce n'est pas vrai.
01:50S'ils n'y arrivent pas, alors qu'ils ont beaucoup travaillé,
01:53ils vont se dire « C'est moi le problème ! »
01:54Alors qu'en fait, il y a aussi des problèmes qui sont structurels.
01:57On reste en France, dans un pays où les meilleures places au taf,
02:02elles sont pour les Blancs encore.
02:03Donc en fait, la méritocratie, c'est un truc auquel il faut faire un peu attention, je pense.
02:07Il ne s'agit pas que de travailler dur.
02:09Il s'agit aussi parfois de changer profondément la manière dont la société se comporte
02:14avec tel ou tel individu, selon sa race, sa religion, etc.
02:17Quand je suis arrivée à Sciences Po, je me suis un peu tue,
02:20mais ça n'a pas duré très longtemps.
02:21Je pense que c'était juste un ajustement à faire.
02:25Et puis après, tu as aussi un devoir de « Je vais leur montrer.
02:28Je vais leur montrer, même si vous n'en voyez pas beaucoup, on est là. »
02:31On m'a souvent dit « T'es pas une noire comme les autres. »
02:34Ça, je trouve, c'est l'un des trucs les plus forts et les plus agressifs qu'on m'ait dit de ma vie.
02:38Parce qu'en fait, c'est m'extraire de ma communauté pour la dévaloriser.
02:42C'est profondément raciste.
02:44Moi, je suis archi-français.
02:45Même quand je suis au Sénégal, ils me voient comme un Français.
02:47Même ma mère, elle me disait que quand elle allait au Sénégal, elle mettait certains boubous.
02:51Et au boubou, les gens voyaient que « Non, toi, t'es une Européenne. »
02:55Mon pays, il est ici.
02:56Mon attache, elle est ici.
02:57Ce que j'appelle la maison, c'est ici.
02:59Mon père, il a toujours dit « Moi, je vais être enterré auprès de ma femme et mes enfants. »
03:04On est là, on est en France.
03:05Alors qu'il est Sénégalais, tu vois.
03:07Il aurait pu retourner au Bled et tout, mais il a dit « J'ai envie d'être ici. »
03:10Et je pense que lui aussi, il se sentait vraiment Français.
03:13Alors qu'il a vécu sous carte de séjour pendant…
03:16Je crois qu'il a eu sa carte d'identité quand j'ai eu 18 ans.
03:19Tu vois, nos parents, ils viennent en France pour pouvoir aider leur famille au Bled
03:24et ensuite s'établir là-bas, tu vois, passer le reste de leurs jours là-bas.
03:28Ça, c'est le but de toute une vie.
03:29Et ils arrivent à ce but-là.
03:32Ils n'arrivent pas à rester au Bled.
03:33Mon père, il dit « Moi, je ne reste pas plus de six mois. »
03:35Parce que le gars est Français, en fait.
03:37Il a vécu en France, il a établi sa famille en France.
03:40Donc, quid de nous ?
03:42Moi, je suis Français, mais je suis Français avec d'autres origines, d'autres aspirations aussi, tu vois.
03:46Le pays, il est multiculturel parce que la France est allée gratter partout.
03:50C'est un pays qui a quand même colonisé milliards d'autres pays.
03:53Je pense que la France a du mal avec sa mixité.
03:56Si t'es une femme noire, t'as besoin de voir des femmes noires qui réussissent
03:59ou qui sont visibles et tout, pareil pour les hommes noirs et tout.
04:01Et je pense que ça, c'est aussi une grosse partie de la jeunesse qui se dit
04:04« Ouais, non, ça, c'est pas pour moi parce qu'ils l'ont pas vu d'ailleurs. »
04:07Alors que quand t'es blanc, t'as des représentations infinies.
04:11Je pense qu'il manque beaucoup de représentations, tu vois.
04:14Il manque de tout pour que chaque enfant, justement, avec un logiciel genre vierge,
04:19puisse se dire « Ok, c'est ça le pays dans lequel je vis. »
04:21En vrai, on est une minorité, mais je pense qu'on est sous-représentés par rapport au nombre qu'on est.
04:26Par exemple, Koh Lanta, en vrai, tous les ans, tu vas avoir un noir.
04:29Et il y a 24 candidats, frère !
04:31Ça va être toujours les mêmes profils.
04:33Et même quand c'est pas les mêmes profils, par exemple moi, j'en ai fait les frais en vrai,
04:37ils ont voulu raconter la noire énervée.
04:40Ils ont coupé des moments et en fait, ils ont fait dire ce que j'ai jamais dit.
04:43Je crois que j'ai aussi accepté d'écrire ce livre parce que j'avais envie de donner une représentation d'une jeune femme de 30 ans, noire, qui écrit un livre, tu vois.
04:52Parce qu'au début, moi, quand on m'a proposé, quand Bakary m'a proposé, je lui ai dit « C'est super prétentieux ».
04:57Mais parce qu'en fait, j'avais ce truc de…
04:59Ouais, les femmes noires, quand elles font un truc, souvent, on va leur dire « C'est prétentieux », tu vois.
05:02Si elles se mettent en avant, c'est prétentieux.
05:04C'est soit agressif, soit prétentieux de toute façon, tu vois.
05:06Et en fait, je me suis dit « T'as une responsabilité en vrai. Là, on tend la main pour le faire.
05:10En plus, t'as des trucs à dire, il y a des trucs que t'as observé. C'est pas un essai biographique, c'est un essai sur l'identité.
05:15C'est partir de soi pour l'universel, tu vois. »
05:18Je me dis « Ouais, il y a des gens qui viennent de chez moi ou qui viennent d'endroits comme les miens qui vont dire
05:23« Ok, ce mec-là, il a fait ça, donc je suis capable de le faire. »
05:26Aujourd'hui, moi, j'écris une préface. Peut-être qu'il y a un mec qui va écrire un livre. Tu vois ce que je veux dire ?
05:30Venez, on fait ensemble, quoi. On écrit un bout des Mémoires de France ensemble.

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