Outils numériques et respect des obligations de l'avocat avec Benjamin Pitcho, Associé, cabinet Pitcho Fassina Petkova.
Catégorie
🗞
NewsTranscription
00:00Musique
00:00On poursuit c'est Lex Inside, on va parler outils numériques et respect des obligations de l'avocat
00:15avec mon invité Benjamin Pitcho, avocat associé au sein du cabinet Pitcho Fascina Petkova.
00:21Benjamin Pitcho, bonjour.
00:23Bonjour Arnaud.
00:23La Cour d'appel de Paris, dans une décision du 24 janvier 2025, a validé la décision de Google de supprimer des fichiers de Google Drive et Gmail
00:34d'un avocat qui avait stocké des images pédopornographiques dans le cadre d'un dossier pénal.
00:41Pouvez-vous nous rappeler les faits de cette décision de la Cour d'appel de Paris ?
00:46C'est une décision très importante qui est effectivement rendue par la Cour d'appel de Paris après une décision de première instance.
00:51Les faits sont les suivants.
00:52Un avocat utilise, conformément aux conditions générales de service de Google, deux services sur Google.
00:59D'une part le Google Drive pour stocker des données qu'il utilise à titre professionnel et personnel,
01:05et d'autre part sa messagerie Gmail qu'il utilise là aussi à titre personnel et à titre professionnel.
01:11Il est pénaliste, il assure la défense d'un prévenu qui est poursuivi pour détention d'images pédopornographiques.
01:18La juridiction lui envoie, comme tout pénaliste, le dossier pénal qu'il stocke sur le Google Drive.
01:24Et dans ce dossier figure 77 images pédopornographiques.
01:28Google est un hébergeur au sens de la loi sur la confiance dans l'économie numérique.
01:33À titre d'hébergeur, il n'a pas à vérifier le contenu de ce qui est sur ses serveurs, pour simplifier un peu.
01:39Il n'en demeure pas moins qu'il bénéficie, il met en œuvre un algorithme qui s'occupe au titre des dispositifs notamment américains
01:47de lutte contre la pédopornographie, le trafic d'enfants, qui lutte donc contre ces infractions
01:52et qui vérifie la détention et le stockage sur ses serveurs de ce type de données.
01:58Lorsque l'algorithme découvre ce stockage par l'avocat pénaliste qui, rappelons-le encore une fois,
02:04détenait ses dossiers parfaitement légitimement dans le cadre de son activité professionnelle,
02:08il décide purement et simplement d'une part de supprimer la totalité des comptes et des données,
02:14le premier temps, et deuxièmement de signaler cet avocat aux autorités américaines
02:19de lutte contre le trafic d'enfants et la pédopornographie.
02:23Donc l'avocat a tout perdu du jour au lendemain.
02:25Quelle est la portée de cette décision pour les avocats ? Quelles sont les conséquences ?
02:29Les conséquences sont immenses et c'est un avertissement qui est absolument très clair.
02:34D'une part, il n'y a même pas eu de mise en demeure,
02:36donc c'était très discuté devant la Cour d'appel de Paris,
02:39puisque les conditions générales de service de Google disaient qu'en cas de difficultés
02:43telles qu'effectivement le stockage d'éléments pédopornographiques,
02:47Google pouvait immédiatement supprimer les accès.
02:49Donc il a tout perdu, j'insiste lourdement.
02:52Les conséquences sont énormes, non seulement pour les pénalistes,
02:54qui évidemment vont manipuler des données,
02:57mais il y a un avertissement qui est plus large, qui est destiné à la profession,
03:01qui est de dire, attention, dans une certaine mesure,
03:03nous ne pouvons pas, nous, avocats, mélanger ou utiliser des services
03:08qui sont destinés très légitimement au grand public,
03:11dans le cadre de notre activité professionnelle.
03:13Ce qui était âprement discuté devant la Cour d'appel
03:16était en réalité une mise en balance de deux intérêts qui sont contradictoires.
03:21D'une part, la nécessité de la défense,
03:24qui imposait à cet avocat de détenir ses fichiers, de pouvoir les utiliser,
03:28et d'autre part, la lutte contre, effectivement, le trafic d'enfants, la pédocriminalité.
03:32Et en l'espèce, la Cour d'appel a fait privilégier ce deuxième principe
03:37en ne s'intéressant même pas, enfin, en ne reprochant pas à Google,
03:42plus précisément, de chercher à s'intéresser à la légitimité de la détention des fichiers par cet avocat.
03:50Donc, pour tous les avocats, non seulement pour les pénalistes,
03:52mais pour tous les avocats, c'est un avertissement très clair,
03:54qui consiste à dire, les raisons de la détention de données sensibles,
03:58de fichiers sensibles, en fait, passeront après la modération
04:01qui sera imposée par des principes supérieurs,
04:03selon la loi américaine, selon les obligations de Google,
04:06selon les obligations, en réalité, de tout opérateur,
04:08et selon la loi nationale.
04:09Quelles sont les précautions que les avocats doivent prendre
04:13pour éviter ces mésaventures ?
04:15Il y a bien sûr des précautions de droit commun
04:17que je n'ai pas besoin de rappeler.
04:18Le rappel du secret de l'instruction, on ne fait pas circuler les fichiers.
04:21La deuxième précaution qui est évidente,
04:23qui finalement ne relève même pas tellement de la déontologie,
04:26mais relève de l'utilisation quotidienne dans nos structures des outils,
04:32consiste à utiliser les outils qui sont faits pour notre profession.
04:35Il existe soit des outils qui sont développés à l'intérieur de notre profession,
04:40qui permettent de s'assurer ici de la tranquillité de l'utilisation,
04:44de la sécurité des échanges.
04:47On pense aujourd'hui que des confrères,
04:49et entre confrères et entre consoeurs,
04:51on s'échange des paquets de pièces qui sont très volumineux,
04:54qui vont sur des sites internet de stockage dont on n'a plus du tout le contrôle.
04:58Les outils qui sont développés par la profession normalement garantissent ça.
05:01Et puis il y a des opérateurs privés,
05:03qui sont aussi spécialisés dans le marché des avocats,
05:06qui s'adressent à notre profession,
05:08et qui, nous l'espérons, garantissent là aussi le respect de nos obligations déontologiques,
05:13non seulement pour le secret professionnel,
05:17mais aussi contre l'intrusion d'entités étrangères, de pays étrangers,
05:21qui pourraient légitimement, effectivement, chercher à accéder à ces données.
05:25Donc en résumé, il y a des solutions qui existent sur le marché,
05:28les solutions de la profession,
05:30et des solutions privées,
05:32qui garantissent la sécurité des données.
05:34Et c'est exactement cela.
05:35D'autant que cet avocat avait introduit une requête,
05:39et il faut saluer son combat entre nous,
05:40puisqu'il s'est battu âprement.
05:43Il avait demandé le rétablissement de Google Drive,
05:46le rétablissement de ses e-mails,
05:47et il a obtenu le rétablissement partiel de ses e-mails,
05:49avec ses contacts.
05:51Le reste est définitivement aboli.
05:52Donc vous voyez bien que l'utilisation, encore une fois,
05:55des outils spécialisés pour notre profession,
05:58qu'il s'agisse de développement interne,
05:59qu'il s'agisse de partenariat,
06:01comme le barreau de Paris,
06:01on a conclu sous l'impulsion de Pierre Hoffman et de Vanessa Boussardot,
06:04bâtonniers et vice-bâtonnières,
06:06garantissent, encore une fois,
06:07le respect de nos obligations déontologiques,
06:09la sécurité, le secret professionnel,
06:11et surtout, un exercice serein de notre profession.
06:14Concrètement, quels sont les risques pour les avocats
06:16qui, quand même, useraient de ces pratiques ?
06:19Alors, il y a deux types de risques.
06:20Il y a, d'une part, les risques de suppression,
06:22c'est exactement ce qui est arrivé à cet avocat.
06:24Il y a, d'autre part, des risques de fuite des données.
06:26Quand on est avocat,
06:28on manipule quand même des données qui sont sensibles,
06:30les données de nos clients.
06:31On reçoit ces données,
06:33et on reçoit ces données qui sont sensibles,
06:35dont on doit garantir la conservation
06:37dans le respect du secret professionnel.
06:39Elles ne peuvent pas circuler,
06:40elles ne peuvent pas faire l'objet d'intrusion,
06:42encore une fois,
06:43d'un organisme public ou privé étranger.
06:46Donc, il faut être très attentif
06:48à qui on envoie
06:49et chez qui on stocke ces données.
06:51Tout n'est pas parfait,
06:52tout n'est pas, encore une fois,
06:53facile à déterminer,
06:55mais il y a, encore une fois,
06:57ces possibilités qui nous permettent
06:59de garantir cette absence de danger.
07:02Après, on pourrait s'intéresser
07:03aux obligations disciplinaires,
07:05à la violation éventuellement.
07:06Quels sont les risques sur ce point-là ?
07:08Je pense que ça allait un peu loin
07:09aujourd'hui là-dessus.
07:10L'avocat n'est jamais un certificateur
07:11de ses pièces, de ses données,
07:13donc il serait, là aussi,
07:14un peu aberrant de lui reprocher
07:16d'avoir fait usage, à mon avis, de cela.
07:19Dans une, comment dire,
07:20en dystopie juridique,
07:22il n'est pas impossible de réfléchir
07:24sur une telle faute professionnelle de l'avocat.
07:26Moi, je me refuse à le faire aujourd'hui.
07:28Ce n'est pas l'objectif.
07:29L'objectif est, encore une fois,
07:30de rappeler ces éléments essentiels
07:32pour dire que les outils,
07:34alors de la profession
07:35ou extérieur à la profession,
07:36mais les outils grand public
07:37ne correspondent pas à nos usages.
07:39Ils ne correspondent pas à nos usages.
07:40Donc, dans cette simple mesure,
07:43le fait, et cela avait été aussi discuté
07:45devant la Cour d'appel de Paris,
07:46je crois que c'est l'un des éléments
07:48qui éventuellement ont pu orienter
07:50l'arrêt de la Cour d'appel de Paris,
07:51c'est remarquer que cet avocat
07:53faisait un usage mixte de ces outils,
07:56à la fois professionnels
07:57et à la fois personnels,
07:58et on voit ce danger, en réalité.
07:59Bien sûr.
08:00C'est-à-dire qu'il y a un mélange des genres
08:02qui crée ce problème.
08:05Qui crée ce problème
08:05et qui crée la légitimité, en réalité,
08:07pour les opérateurs, pour les hébergeurs,
08:10à nous mettre à risque,
08:11à nous mettre en danger
08:11et à utiliser les données
08:13comme ils ont envie de les utiliser,
08:14voire à les supprimer
08:15lorsque c'est nécessaire.
08:16Pour terminer,
08:17c'est un usage répandu,
08:19cette utilisation d'outils grand public,
08:22comme vous l'avez dit,
08:23par les avocats.
08:24C'est quelque chose
08:25que vous constatez fréquemment ?
08:26Je pense que c'est un usage très répandu.
08:28Je pense que c'est un usage très répandu
08:30contre lequel il faut lutter.
08:31Je pense qu'à l'heure
08:33à laquelle l'intelligence artificielle arrive,
08:35les problèmes vont se multiplier.
08:38Aujourd'hui, on ne peut pas demander
08:39à des robots d'intelligence artificielle
08:43grand public
08:43de rédiger des mises en demeure,
08:46d'analyser nos conclusions.
08:48C'est tentant, c'est facile, c'est gratuit.
08:50C'est un truisme de le dire,
08:51mais si c'est gratuit,
08:52c'est nous le produit.
08:53Il est temps, effectivement,
08:54de migrer vers des outils
08:55un peu plus sécurisés.
08:56Ça va être le mot de la fin.
08:58Merci, Benjamin Pitcho.
08:59Je rappelle que vous êtes associé
09:00au sein du cabinet
09:01Pitcho Fascina Petkova.
09:04Merci, monsieur.
09:05C'est la fin de cette émission.
09:06Merci à toutes et à tous
09:07pour votre fidélité.
09:08Restez curieux et informés.
09:10À très bientôt
09:11sur Bsmart for Change.
09:12Sous-titrage Société Radio-Canada