La sécurité juridique face aux crises avec Jean-Nicolas Soret, Associé, Advant Altana.
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00:00On poursuit ce Lex Inside et on va parler des conséquences des instabilités européennes et mondiales sur la sécurité juridique avec mon invité Jean-Nicolas Sauré, associé au sein du cabinet Advant Altana.
00:24Jean-Nicolas Sauré, bonjour.
00:25Bonjour Arnaud.
00:26L'instabilité géopolitique mondiale croissante favorise l'insécurité tant économique que juridique.
00:33Alors où investir sans risque hors Etats-Unis ?
00:36Alors il est certain que la sécurité juridique aujourd'hui est vraiment mise à mal.
00:41On le voit bien par l'actualité même.
00:44L'ambassade des Etats-Unis en France a diffusé une lettre à un certain nombre d'entreprises leur disant
00:50« si vous continuez une politique de diversité et d'inclusion, possiblement vous ne pourrez plus travailler avec le gouvernement américain ».
00:57Donc ça montre quand même qu'il y a une insécurité absolue et donc on se dit « où est-ce que je peux investir aujourd'hui ? »
01:05Traditionnellement, investir aux Etats-Unis c'était une sorte de havre formidable.
01:11Aujourd'hui, on n'est pas complètement sûr que ce soit parfait pour tout le monde.
01:15Investir en Afrique, c'est risqué.
01:17Investir en Chine, les investisseurs européens et occidentaux ont tendance à avoir réduit leurs investissements.
01:24Investir aux Etats-Unis, c'est incertain.
01:25Donc l'Europe se positionne comme un marché fantastique avec ses 450 millions de consommateurs
01:30et une stabilité et une sécurité juridique qui rassurent.
01:34Alors pourquoi justement l'Europe offre une sécurité juridique que les Etats-Unis n'offrent pas ?
01:40Alors on a un certain nombre d'éléments qui sont importants et qui sont essentiellement issus de la réglementation et de la Commission européenne.
01:47On voit bien que le travail de la Commission au niveau européen donne une sécurité juridique
01:52et en fait donne une avance à l'Europe en matière juridique.
01:56Plusieurs exemples.
01:57Le premier qui est le plus récent, c'est l'intelligence artificielle.
02:00L'Europe est le seul continent à avoir une réglementation sur l'intelligence artificielle.
02:06Et on voit bien que c'est un moyen de sécuriser les acteurs.
02:11Et alors comment ça se passe ?
02:12L'IA Act qui est entrée en vigueur nous dit par exemple qu'un certain nombre de pratiques sont inacceptables,
02:18jugées inacceptables par la Commission et par la réglementation.
02:22Par exemple, le fait de mettre en place des mesures de police prédictive.
02:28Vous avez vu Minority Report comme moi.
02:30C'est interdit.
02:31Le fait, plus pour les entreprises, de surveiller l'attitude des collaborateurs au sein de leur activité professionnelle quotidienne,
02:42ça c'est interdit aujourd'hui pour essayer de détecter leurs émotions si vous voulez.
02:45D'accord.
02:45Et donc sur ces éléments-là, la Commission européenne en fait est en avance.
02:50Alors certains disent que ça vient freiner le développement de l'IA,
02:53mais en réalité ça ne freine pas le développement technologique, ça freine l'utilisation déviante que l'on pourrait en faire.
03:00Alors que dans le même temps, il y a un mouvement de dérégulation aux Etats-Unis.
03:04Absolument.
03:05L'IA n'est pas du tout réglementé.
03:07Si on voit par exemple un deuxième cas, ce sont les données personnelles.
03:11Les données personnelles qui sont avec le RGPD, qui est en vigueur depuis plusieurs années en Europe,
03:16et qui s'exportent à l'étranger en réalité.
03:19Il a presque une portée extraterritoriale.
03:20A l'inverse, aux Etats-Unis, la protection des données est beaucoup plus faible.
03:25Je ne parle évidemment pas de la Chine qui est un monde à part.
03:28Mais aux Etats-Unis, vous voyez par exemple que le DOGE, le Department of Efficiency,
03:35Government Efficiency, a pu avoir accès à des données de santé des patients.
03:43Ce qui en France serait totalement impossible.
03:45Alors on est vigilant un peu avec le développement de Doctolib et le dossier médical.
03:49Mais il n'empêche qu'on a une réglementation qui rassure, qui protège en réalité.
03:55Ce qui n'est pas le cas partout.
03:56Ou en tout cas, les choses ne sont pas du tout aussi réglementées et aussi claires que dans l'Union européenne.
04:03Et dans le même temps, il y a également une montée en puissance des nationalismes dans ce contexte international.
04:10En quoi ces tentations nationalistes en Europe sont autant d'entraves à la sécurité juridique européenne ?
04:17Alors il est certain qu'on le voit bien au niveau politique, mais aussi au niveau économique.
04:23Et l'un est souvent lié à l'autre.
04:26On voit bien des tentations nationalistes effectivement de repli un peu sur soi.
04:30Alors que l'Europe aurait plutôt une vocation contraire.
04:35Et nous, en tant que cabinet d'avocats, avec 700 avocats en France, en Allemagne et en Italie,
04:39on est bien placés en fait pour voir cette évolution.
04:43Effectivement, on voit par exemple dans le contexte de la réglementation sur les investissements étrangers.
04:47On travaille beaucoup sur ces sujets-là.
04:50Et on voit une réglementation qui évolue pour devenir de plus en plus restrictive.
04:56Et de plus en plus... Elle embrasse en fait de plus en plus d'activités.
05:00Et donc typiquement en France, le ministère de l'économie et des finances peut contrôler de plus en plus d'activités.
05:07Au départ, il n'y avait que la défense. C'est bien logique.
05:09Que les secteurs dits stratégiques.
05:11Les secteurs stratégiques, la souveraineté nationale.
05:13Aujourd'hui, si vous faites de la recherche en biotechnologie ou de la recherche et développement
05:17sur des équipements d'énergie renouvelable par exemple,
05:22vous entrez dans le champ de la réglementation.
05:24Mais ce qui est très difficile, c'est que la réglementation est rédigée de manière tellement large
05:28qu'en fait, elle est un peu catch-all.
05:29Et donc en fait, vous avez là une sorte d'insécurité juridique qui se crée.
05:33Parce que vous n'êtes parfois pas sûr d'être dans le champ de la réglementation ou pas.
05:37Donc en définitive, il y a plein de contraintes qui empêchent la sécurité juridique.
05:45Exactement. Alors l'Europe quand même est vigilante, puisque typiquement sur les investissements étrangers,
05:49il y a un contrôle au niveau européen, en tout cas ce qu'on appelle un screening européen,
05:53qui peut-être arrivera à harmoniser, comme ça a été le cas dans de nombreux autres domaines,
06:00si je prends le domaine du droit de la concurrence par exemple,
06:02le contrôle des concentrations totalement harmonisés au niveau européen.
06:05Certes, il y a des réglementations nationales qui viennent s'intégrer,
06:10mais on a par exemple, on avait jusqu'à récemment une vision très claire
06:13de savoir quelles opérations d'acquisition ou de fusion devaient être soumises aux autorités
06:19pour contrôle au titre du contrôle des concentrations.
06:22Il y a des seuils très faciles à identifier.
06:24Alors pourquoi c'est moins clair maintenant ?
06:26C'est moins clair parce que la Commission européenne a tenté de passer sous son contrôle
06:33un certain nombre d'opérations qui étaient en dessous des seuils.
06:39Pourquoi ? Pour empêcher ce qu'elle appelle les « killer acquisitions »,
06:41des acquisitions de sociétés de taille plus petite mais stratégiques.
06:45Mais la réalité, c'est que cette tentative-là a été bloquée par la Cour de justice de l'Union européenne
06:50parce que justement, ça ne donne pas la sécurité juridique,
06:53ça fait perdre la sécurité juridique dont les acteurs économiques ont besoin
06:57pour savoir dans quel environnement ils évoluent en réalité.
07:01Alors en plus, dans cet environnement, on va dire, difficile pour la sécurité juridique,
07:06il y a une guerre commerciale lancée par Donald Trump
07:09avec des droits de douane exorbitants dans beaucoup de domaines.
07:15Alors c'est certain, et notamment dans le domaine de l'automobile
07:18puisque viennent d'être annoncés des droits de douane de 25% dans le domaine de l'automobile
07:23pour toutes les voitures qui seraient fabriquées en dehors des États-Unis
07:28et commercialisées aux États-Unis.
07:31Donc évidemment, ce qu'essaye de faire Donald Trump,
07:34c'est d'inciter les investisseurs à fabriquer aux États-Unis, bien sûr.
07:38Mais du coup, la question, c'est quelle va être la réplique ?
07:41Pour l'instant, la réplique de la Commission européenne et de l'Union européenne
07:44est relativement mesurée.
07:46Pourquoi ? Parce qu'on essaie de ne pas rentrer dans une surenchère, bien sûr.
07:49Mais ça crée une incertitude absolue pour les acteurs économiques.
07:52Ça change tous vos plans.
07:53Comment vous allez, si vous êtes constructeur,
07:55qu'est-ce que vous allez faire demain vis-à-vis du marché américain ?
07:59Est-ce que vous allez construire là-bas ? Est-ce que vous en sortez ?
08:01Est-ce que vous faites autre chose ?
08:02Est-ce que vous vous recentrez sur d'autres parties du monde, par exemple ?
08:05Alors aujourd'hui, les entreprises, pour finir, que vous côtoyez,
08:09elles ont peur de cette insécurité juridique ?
08:12Alors absolument, on voit, on sent une fébrilité.
08:19Et si je prends par exemple un exemple d'un certain type d'entreprise
08:23que sont les cabinets d'avocats,
08:24on a eu un certain nombre de cabinets d'avocats aux États-Unis même,
08:27qui ont été bannis par le gouvernement américain
08:30parce qu'ils avaient été dans le camp démocrate.
08:33Et donc aujourd'hui, il y a des actions qui sont engagées
08:37sur le fondement de la Constitution américaine
08:39pour essayer de lutter contre l'urbanissement en réalité
08:42et de dire, non, en fait, les mesures que vous prenez,
08:45elles sont contraires.
08:45Mais ces cabinets, ça leur fait un tort incroyable.
08:49Et donc, vous voyez, nous, au niveau européen,
08:52je pense qu'on est quand même beaucoup plus raisonnable,
08:55ou en tout cas aujourd'hui, on est dans un environnement
08:57qui juridiquement est beaucoup plus stable
08:59et donc qui donne de la prévisibilité.
09:01On va conclure là-dessus.
09:03Merci Jean-Nicolas Sauré.
09:04Je rappelle que vous êtes associé au sein du cabinet Advant Altana.
09:08Merci Arnaud.
09:08C'est le moment de conclure cette émission.
09:10Merci pour votre fidélité.
09:12Restez curieux et informés.
09:15À très bientôt sur Bsmart4Change.