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Dans son édito du 13/04/2025, Jules Torres revient sur l'euthanasie.

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Transcription
00:00On nous parle de progrès, on nous parle de liberté, d'un droit de mourir dans la dignité.
00:05La formule est belle, elle est moderne, elle est rassurante.
00:08Elle a le parfum du 21e siècle, celui des combats individuels, du respect de soi, du choix éclairé.
00:14Mais c'est une formule dangereuse car elle fait croire que l'euthanasie est toujours une décision libre.
00:19C'est faux. La réalité, c'est que cette demande est souvent arrachée par la douleur, la solitude ou la peur de peser.
00:26Ce qu'on ne veut pas voir, c'est que l'euthanasie n'arrive pas dans un monde idéal.
00:29Elle s'inscrit dans un système de santé à bout de souffle, où les soins palliatifs sont l'exception et non la règle,
00:35où les hôpitaux ferment des lits, où les aides-soignants partent, où l'on meurt trop souvent dans l'indifférence, le silence ou la précipitation.
00:43Et dans ce paysage-là, on voudrait proposer la mort comme une option, comme un service, comme une prestation.
00:48L'hypocrisie est là, elle consiste à appeler autonomie, ce qui dans bien des cas n'est qu'un réflexe de survie sociale,
00:54ne pas gêner, ne pas déranger, ne pas coûter.
00:57Le glissement est insidieux, légaliser l'euthanasie, ce n'est pas seulement inscrire un nouveau droit,
01:02c'est envoyer un message, un sous-texte, une invitation à ne pas trop s'attarder,
01:07à faire preuve de discrétion jusque dans l'agonie, à quitter la scène sans bruit,
01:12comme il se doit dans une société qui ne tolère plus ni la lenteur, ni la dépendance.
01:16Voilà une véritable rupture anthropologique.
01:18Alors Jules, on nous promet une loi stricte, encadrée, humaine, mais vous, vous nous dites,
01:24c'est toujours comme ça au départ, et les garde-fous finissent par sauter un à un.
01:28Oui, on nous promet des garde-fous, on nous promet des critères soi-disant stricts,
01:33des protocoles rigoureux, des cas exceptionnels, bien balisés,
01:37mais ces garde-fous, eh bien, beaucoup ont déjà sauté en commission avant même le vote,
01:42et puis ce discours, honnêtement, il n'est pas neuf, on l'a déjà entendu ailleurs.
01:45Ailleurs, en Belgique, ce qui devait être une exception réservée aux adultes atteints de maladies incurables,
01:50eh bien, concerne désormais aussi des mineurs capables de discernement.
01:54Aux Pays-Bas, l'euthanasie est autorisée des 12 ans, élargie aux enfants plus jeunes dans certains cas,
01:59et même aux patients atteints de démence, sans consentement réitéré.
02:03Au Canada, elle s'applique déjà aux personnes handicapées,
02:06et pourrait même être étendue aux troubles mentaux.
02:08En Suisse, la majorité des suicides assistés concernent des personnes qui ne sont pas en fin de vie.
02:13Leur seule pathologie, eh bien, c'est la solitude.
02:16Voilà où mènent ces belles promesses,
02:17quand la fragilité devient une faille à corriger plutôt qu'un État à accompagner.
02:22Un effacement rapide, une disparition validée, propre sur le papier,
02:26mais terrible dans ce qu'elle dit de nous.
02:28Et puis, il y a aussi cette autre tentation plus cynique encore,
02:31celle du calcul, oui, le grand âge coûte cher,
02:34la dépendance est budgétairement pesante,
02:36une piqûre létale, en revanche, est bon marché.
02:38L'euthanasie devient alors l'outil de gestion d'une société fatiguée,
02:42rapide, propre, indolore et rentable.
02:45L'égaliser l'aide à mourir, ce n'est pas seulement répondre à la souffrance,
02:48c'est risquer de transformer l'exception en habitude,
02:51le droit en injonction, la compassion en procédure.
02:54Et confier à l'État, déjà incapable de garantir la santé pour tous,
02:58un pouvoir nouveau, celui d'organiser la mort.
03:00Jules, et si le vrai tabou, ce n'était pas la mort, mais la vulnérabilité.
03:03Oui, et c'est ici que tout bascule,
03:04car ce débat n'est pas seulement médical ou juridique, il est existentiel.
03:09Il nous dit quelque chose de notre époque,
03:11de notre rapport à la vulnérabilité, à la lenteur, à la décrépitude.
03:15Nous ne savons plus attendre, plus accompagner, on ne sait plus supporter.
03:19La fin de vie nous insupporte parce qu'elle nous renvoie à nos propres failles,
03:22à notre propre impuissance et à notre propre fragilité.
03:25Alors nous voulons hâter la fin, le liquider au nom de la dignité.
03:29Mais la dignité, ce n'est pas la mort décidée,
03:30c'est la main tendue, la main tenue, c'est la présence, c'est le temps accordé.
03:34Ce que demande la fin de vie, ce n'est pas un cadre légal pour mourir,
03:37c'est une société capable de rester là jusqu'au bout.
03:40Et cela, oui, coûte plus cher, plus de personnel, plus d'écoute, plus d'effort,
03:44moins de confort moral et moins de bonnes intentions à peu de frais.
03:48L'euthanasie, donc, n'est pas un progrès.
03:49Elle se part des habits de liberté, mais elle cache un effondrement.
03:53Celui de notre capacité collective à faire face à la souffrance et à la mort.
03:57Alors que oui, la souffrance existe, elle doit être soulagée,
03:59mais pas supprimée avec celui qui la porte.
04:02La réponse politique ne doit pas être une ouverture,
04:04elle doit être une digue, une digue morale, une digue philosophique,
04:07une digue politique, pas une loi pour hâter la mort,
04:10une loi pour garantir la vie jusqu'à son terme et jusqu'à notre honneur.

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