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Les députés Sandrine Rousseau et Erwan Balanant, présidente et rapporteur de la commission d’enquête sur les violences dans le secteur de la culture, étaient les invités de France Inter ce mercredi, à l'occasion de la présentation de leur rapport. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-mercredi-09-avril-2025-3731124

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Transcription
00:00Sonia De Villers, vous recevez ce matin la présidente et le rapporteur de la commission d'enquête relative aux violences commises
00:07dans les secteurs du cinéma, de l'audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité.
00:13Sandrine Rousseau, Erwan Balanant, bonjour à tous les deux.
00:17L'une est députée Les Écologistes de Paris, l'autre députée Modem du Finistère.
00:22Six mois d'audition, près de 400 personnes interrogées, vous remettez ce matin un rapport de 330 pages.
00:28Il faut parfois avoir le cœur, je vous le dis, bien accroché lorsque vous annoncez la longue liste à venir.
00:33Des blagues tellement dégradantes, des fellations forcées, des agressions subies par vos témoins, des viols racontés, des enfants abusés
00:39ou propulsés dans des séquences hyper sexualisées, sans préparation ni encadrement.
00:44Y a-t-il, je vous pose la question à tous les deux, un mot, une image, un témoignage qui vous a particulièrement marqué ces six derniers mois ?
00:52Erwan Balanant ?
00:52En réalité, il y a 100 témoignages qui nous ont marqués.
00:55100 témoignages, les témoignages, les auditions et tous les témoignages qu'on a reçus par écrit.
01:00Mais moi, celui qui m'a marqué, c'est celui des comédiennes et en particulier celui de Sarah Forestier.
01:07On a vu une femme qui, depuis son premier casting jusqu'au moment où elle craque,
01:13qui a subi des violences sexistes et sexuelles.
01:15Et en réalité, c'est ce qu'on a découvert, c'est qu'on a un système, un système qui produit de la violence.
01:20Les victimes sont évidemment chacune des auditions absolument incroyables.
01:27Parce que ce qu'il faut bien comprendre, c'est qu'elles arrivaient tremblantes, mais tremblantes comme des feuilles.
01:32Que souvent, elles nous avaient eues trois, quatre, cinq fois au téléphone avant pour bien savoir comment ça allait se passer.
01:38Certaines voulaient annuler et puis finalement viennent.
01:42Très souvent, elles avaient un texte écrit parce qu'elles n'arrivaient pas à imaginer, contrôler leur émotion sans ce texte écrit.
01:52Et en fait, il y avait cette espèce de fragilité et en même temps de puissance dans ces paroles et ces témoignages.
01:59Et puis, moi, j'ai quand même aussi une audition qui m'a particulièrement marquée, qui est celle de Ouajdi Mouahad sur...
02:07Grand metteur en scène de théâtre.
02:09Absolument, sur Bertrand Cantat, à qui il avait demandé de faire la musique d'une de ses pièces.
02:16Et derrière, deux anciennes ministres de la culture qui ne voient pas le sujet.
02:21Et en fait, la discussion autour de ce cas-là, pour moi, a été extrêmement intéressante parce qu'elle posait des éléments sur la réhabilitation, sur qu'est-ce que les violences, sur la visibilité, pas la visibilité.
02:34Et en fait, il y a encore plein de questions qui sont des questions à mettre dans la société, dans le champ citoyen.
02:39Quand vous écrivez dans ce rapport, systémique, endémique, persistante.
02:44Ce sont les trois qualificatifs que vous avez choisis pour qualifier les violences morales et sexuelles dans le monde de la culture.
02:51Est-ce qu'Erwan Balanant, vous pouvez nous expliquer ? Systémique, endémique, persistante ?
02:54Systémique parce que c'est tout le temps.
02:57C'est un système qui s'est mis en place.
03:00Mais c'est le système qui est aussi révélateur, le reflet de notre société.
03:04Notre société, et on le décrit aussi dans le rapport, est une société profondément encore sexiste et patriarcale.
03:11Voilà, c'est ce que moi j'ai appelé.
03:13Sauf que là, vous décrivez des facteurs très concrets, très pragmatiques sur l'organisation de ces milieux, de ce marché,
03:19qui favorisent, on va dire, la prolifération de ce type de violence, mais surtout l'opacité et le silence qui les entoure.
03:27Oui, c'est ce que moi j'ai appelé la machine à broyer des talents, parce que c'est ça la réalité.
03:32On a la précarité des hommes et des femmes qui travaillent dans ce milieu, qui pour travailler doivent se taire.
03:39On a ce culte du talent.
03:43On excuse tout au génie.
03:45On a en France une exception culturelle, il ne faut pas qu'elle soit gâchée par ce que j'appelle cette excuse de génie.
03:50Ce n'est pas possible.
03:51Et on a un certain nombre d'hommes et de femmes, de femmes aussi, qui ont du talent, qui sont des personnes qui comptent,
03:58et qui ont beaucoup trop de pouvoirs parfois, et qui en abusent.
04:02C'est ça qu'on a constaté, effectivement.
04:04Dans des milieux extrêmement...
04:05Alors, dans des milieux en plus...
04:06Extrêmement hiérarchisés.
04:07Et hiérarchisés, et d'entre-soi.
04:09C'est-à-dire qu'on connaît tout le monde.
04:12Et le fait qu'on connaît tout le monde, tout le monde se tient, et plus personne ne parle.
04:15Le cas Quanta, que vient de décrire, il est assez symptomatique.
04:21Personne n'a rien dit.
04:22Et ça a conduit à un double drame.
04:25Sandrine Rousseau, impunité, opacité, est-ce qu'il y a Omerta ?
04:29Il y a absolument Omerta.
04:31Et surtout, ce qui était très flagrant, c'est que les personnes qui sont venues témoigner devant notre commission,
04:35qui n'étaient encore une fois qu'un dixième de ce que nous avons reçu comme témoignage,
04:38parce que neuf dixièmes ont refusé de venir par peur et parce qu'elles étaient terrorisées pour leur carrière.
04:44Sur le dixième qui est venu témoigner, ce qui apparaît très nettement,
04:48c'est que les violences commencent dès l'enfance, commencent dès l'école, commencent dès les castings,
04:52et en fait se perpétuent tout au long de la carrière.
04:55Et ce qui m'a aussi énormément frappée, c'est...
04:58Mais la notion d'Omerta a été aussi remise en cause pendant ces débats.
05:01Je prends le réalisateur Michel Azanavissius, qui ne nous paraît pas être un réactionnaire masculiniste,
05:08vous voyez ce que je veux dire, vous dit qu'il n'y a pas d'Omerta, que c'est faux, que c'est un peu simpliste,
05:13que ce silence-là, il est plus complexe, que c'est un milieu où on parle librement.
05:17Mais c'est toujours plus complexe, sauf que j'invite les auditeurs et auditrices à regarder les auditions
05:23et à regarder surtout vraiment l'espèce d'angoisse terrible avec laquelle les victimes viennent parler, en fait.
05:30Et ça dit tout.
05:31C'est-à-dire qu'évidemment qu'elles ne disent pas, que certaines d'entre elles ne disent pas,
05:35parce qu'en fait c'est tellement risqué pour elles que de parler.
05:38Parce que moi, une des choses qui m'a beaucoup surprise dans cette série d'auditions,
05:43c'est qu'on a beaucoup parlé des Bertrand Cantat, on a beaucoup parlé de ceux qui avaient été au cœur d'affaires.
05:48On n'a jamais parlé par exemple d'Adèle Haenel, qui est partie du monde du cinéma,
05:52et quand moi j'ai posé la question, on m'a répondu, bah oui, mais c'est elle qui a fait le choix.
05:57C'est-à-dire qu'en fait, on interprète comme des espèces de volontés individuelles,
06:01ce qui en fait relève de la nécessité de s'exiler,
06:06parce qu'il n'y a plus de place pour les personnes qui ont parlé.
06:08Pourquoi ne pas avoir convoqué, pourquoi ne pas avoir auditionné des hommes ou des femmes,
06:12publiquement mis en cause, des Benoît Jaco, des Gérard Depardieu, des Philippe Cobert,
06:16qui pourraient raconter en quoi cette mise en cause d'abord médiatique a saccagé leur réputation, leur carrière,
06:23piétiné la présomption d'innocence, puisque ça a été un des débats aussi de cette commission.
06:27Oui, mais tout simplement parce qu'il y a des règles, et on a appliqué à la lettre les règles d'une commission d'enquête,
06:32nous ne devons pas empiéter sur le domaine judiciaire.
06:34Et nous ne l'avons pas fait.
06:35On peut relire toutes les auditions, on ne nous prendra pas en défaut là-dessus.
06:38Parce qu'il y a une tribune, signée par 19 avocats, qui sont des avocats à la cour de renom,
06:43et qui vous accusent de ça, justement, d'un dangereux mélange des genres.
06:47Ben non, moi je les invite plutôt à lire ce qu'on a produit, et à lire les auditions.
06:51Et ils verront qu'on n'est jamais rentré sur ce terrain-là.
06:54Et justement, ce genre de réflexion, c'est aussi la minimisation et la négation de la réalité.
06:59Et cette réalité, il faut la dire pour que ça puisse changer.
07:02Et je vais vous dire, si on avait mordu sur le terrain de la présomption d'innocence,
07:07si nous avions fait des procès à la place de la justice,
07:10alors, et d'ailleurs ça nous a été reproché certaines fois de ne pas aller assez loin dans la confrontation
07:14avec les personnes avec lesquelles nous étions face à face dans les auditions,
07:18et bien si nous avions fait un pas de côté, ils seraient tombés sur nous,
07:22mais je le dis, comme des hyènes, pour invalider tout le travail de la commission.
07:26Parce qu'en fait, moi j'avais le sentiment qu'on n'attendait que ça.
07:29Donc nous nous sommes astreints à une discipline.
07:31Par contre, nous avons posé une lecture politique, évidemment,
07:35puisque c'était aussi l'objet de cette commission.
07:3786 propositions, 86 propositions pour tenter de réguler, d'encadrer, voire de légiférer dans ce milieu.
07:43Il y a vraiment une partie très très importante qui est consacrée dans ce rapport au travail des enfants.
07:51Il y a notamment tous les sévices commis dans les chorales pour enfants, la maîtrise des hautes scènes.
07:58Vous titrez un gâchis humain et un désastre moral.
08:01Il y a aussi des actrices comme Nina Meurice qui racontent comment on lui a fait tourner
08:04ses premières scènes d'agression sexuelle à l'âge de 10 ans, sans jamais rien lui expliquer
08:08et qu'elle gardera ce souvenir à vie.
08:11Mais vous le dites, en réalité, il n'y a pas assez d'inspection,
08:13il n'y a pas assez de médecine du travail, il n'y a pas assez de structure.
08:16Non, et puis il n'y a pas aussi de suivi post-tournage,
08:21parce qu'une fois, par exemple, quand Sarah Forestier raconte qu'à 15 ans,
08:25on lui a demandé dans un casting de mettre un œuf dans son vagin
08:28pour savoir si elle était capable de le faire,
08:31alors qu'il n'y avait aucune scène de cet ordre-là dans le film en question,
08:35c'est absolument scandaleux et c'est absolument inadmissible.
08:38Les castings, d'ailleurs, c'est au cœur de vos...
08:40Absolument, mais surtout juste après un film,
08:44quand un enfant tourne, un enfant qui, par exemple, a été violé,
08:47dont le rôle est un enfant violé,
08:50quel est l'impact sur son psychisme après ?
08:52Là, il n'y a pas du tout de suivi et donc ça fait partie, évidemment,
08:55des choses qu'il y a à la meilleure.
08:56Oui, les castings, il faut que les castings se fassent dans des lieux prévus à cet effet,
09:02des bureaux et non pas des castings sauvages.
09:05Quand il y a un casting sauvage, quand parfois un directeur de casting rencontre un talent,
09:10qu'il le fasse venir dans un lieu approprié et avec plusieurs personnes.
09:14Parce qu'on l'a vu, il y a des castings où des gens ont profité, encore une fois,
09:18de leur pouvoir pour abuser ou pour mettre de la pression sur quelqu'un
09:22ou pour échanger contre bon service, si vous voyez ce que je veux dire.
09:25Donc, il y a une régulation nécessaire et on doit aussi réguler le rôle des agents.
09:31Les agents, depuis quelques années, n'ont plus de statut et n'ont plus d'obligation de carte professionnelle
09:37et je pense qu'il faut le faire parce que l'agent sera à l'interface entre le talent et la production.
09:44Et d'ailleurs, nous avons fait une action au nom de la commission d'enquête
09:47auprès de l'autorité de la concurrence
09:49pour vérifier que les conditions de la concurrence sont respectées concernant les agents
09:54puisque les agents ont des énormes portefeuilles
09:56et que quand ils ont des personnes soupçonnées d'agression dans leur portefeuille,
10:00ce sont les victimes de ces personnes qui s'en vont de leur portefeuille.
10:05Et donc, ça fait partie des questions qui vont être proposées.
10:07Sandrine Rousseau, Erwan Balanant, merci à vous.
10:09Merci à vous.
10:09Merci beaucoup.
10:10Merci à vous.

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