• il y a 6 mois
À 7h50, Didier Varrod, directeur de la musique à Radio France, est notre invité pour évoquer Françoise Hardy, qui vient de mourir à l'âge de 80 ans. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-mercredi-12-juin-2024-7270698

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Transcription
00:00 Sonia De Villers, votre invitée ce matin, est le directeur de la musique de Radio France.
00:05 Chère Didier Varro, avec ses lunettes noires et son Teddy, bonjour Didier.
00:10 Bonjour Sonia.
00:11 C'est Thomas Dutronc qui a annoncé hier soir la mort de sa mère, Françoise Hardy.
00:15 Maman est partie, a-t-il écrit ? Vous, vous avez peu dormi, ça se voit.
00:19 Vous la connaissiez très bien, vous la connaissiez depuis longtemps.
00:23 Et puis vous l'avez vue récemment.
00:25 Comment est-ce qu'elle a vécu les dernières semaines, les derniers mois de sa maladie ?
00:31 Les derniers mois de sa maladie ont été très difficiles pour elle.
00:34 Elle attendait la mort.
00:35 Elle l'avait d'ailleurs écrit dans un appel, dans une tribune au JDD au président Macron.
00:41 Donc voilà, c'est une femme qui a beaucoup, beaucoup souffert ces dernières années.
00:47 Mais qui était aussi à sa manière, alors c'est un peu une tarte à la crème de dire
00:52 qu'elle était résiliente, mais elle était revenue de loin plusieurs fois et elle avait
00:56 failli partir au milieu des années 2010-15.
01:00 Voilà, elle avait frôlé la mort et elle était revenue de cet enfer.
01:05 Et c'est à ce moment-là qu'on s'était enfermés tous les deux pour réaliser cette
01:11 série pour France Inter, comment on peut dire ?
01:13 Cette série, voilà, en neuf épisodes, qui retrace 80 ans de vie et 60 ans de carrière.
01:18 Je pense qu'on va être très nombreux à l'écouter, à la télécharger dans les
01:21 jours qui viennent.
01:22 Et je me souviens que son entourage, notamment Marc Maréchal et Françoise Deschamps, qui
01:28 sont ses deux proches qui ont travaillé avec elle jusqu'au bout, me disaient que ça
01:31 va lui faire du bien, ça va la reconnecter à la vie.
01:34 Et c'est vrai que j'ai vu cette femme se renaître à elle-même en racontant ses
01:39 souvenirs de vie.
01:40 Donc c'était très émouvant.
01:42 L'amitié, 1964.
01:43 En fait, l'arrivée de Françoise Hardy au petit conservatoire de Mireille quand elle
02:06 a 17 ans…
02:07 Avec son pull à l'envers…
02:09 Oui, sans esbrouf…
02:11 Qui était déjà une excentricité.
02:13 Tout le monde se demandait pourquoi le décolleté était dans le dos.
02:15 Pourquoi elle n'avait pas de choucroute ? Pourquoi elle disait elle-même qu'elle
02:20 chantait mal ? Pourquoi elle disait elle-même qu'elle savait si mal jouer de la guitare
02:23 ?
02:24 Parce qu'elle s'est toujours més-estimée.
02:27 Peut-être parce qu'elle avait une idée de la musique absolument supérieure.
02:31 Elle adorait ça.
02:33 Elle pensait que c'était un art majeur et qu'il fallait être la meilleure.
02:37 Et elle trouvait qu'elle n'était pas la meilleure.
02:38 Ça vient probablement de son univers familial.
02:43 Sa soeur a été élevée par sa maman qui était une femme assez sévère, assez sauvage.
02:51 Françoise raconte qu'elle est devenue elle-même sauvage et assez renfermée parce que son
02:55 modèle féminin c'était ça, c'était sa maman.
02:58 Oui, c'est une femme qui sera introvertie toute sa vie, qui aura toujours un regard
03:03 doux-amère sur le monde tel qu'il va, même à Serbe.
03:06 Oui, sans concession, d'une frontalité extrême, même avec ses plus proches.
03:11 Et en premier lieu, quand moi j'allais la voir, y compris dans les derniers temps, elle
03:16 avait toujours la petite phrase qui tape, qui vous fait un peu mal quand même, il faut
03:21 le dire.
03:22 Pourtant, elles sont restées amies toute leur vie avec Sheila et Sylvie.
03:27 Ce qui est rare parce qu'elles ont été propulsées si jeunes et de manière si brutale,
03:33 presque violente, face au succès et à la notoriété.
03:35 Oui, ce qui est intéressant, c'est pour ça que j'aime cette idée de diffuser l'amitié
03:40 comme ça, c'est quand même une amitié au long cours qui a perduré avec trois modèles
03:46 féminins qui ont structuré la vie française des femmes.
03:50 C'est-à-dire Sylvie qui était cette sorte de baby doll, un peu enfantine et un peu mutine,
03:55 Sheila qui était la bonne copine et Françoise qui était la mélancolique étudiante et
04:00 qui s'émancipait par les lettres et par le savoir aussi.
04:05 C'était ça ces trois icônes des années 60.
04:07 Mais quel rapport elle entretenait avec cette notoriété, avec ce succès fulgurant, avec
04:12 cette presse magazine qui connaîtra son âge d'or en même temps que les yéyés vont
04:16 monter et qui la décrit comme un phénomène social, avec ces hordes de jeunes filles qui
04:21 se coiffent comme elle ?
04:22 De façon assez étrange et contradictoire et avec très vite une sorte de protection.
04:27 Elle raconte d'ailleurs qu'elle se baladait dans Paris en 1962 et puis tout d'un coup
04:32 elle voit des affiches d'elle dans Paris Matchs et elle s'interroge, elle se dit
04:37 "est-ce bien moi qui est là sur cette photo ?"
04:39 Et elle a toujours refusé ce statut d'icône.
04:42 Alors si vous lui disiez qu'elle était une icône c'était terrible, insupportable.
04:46 Mais en même temps elle acceptait aussi l'idée qu'elle avait fait son éducation elle-même
04:53 de femme.
04:54 Elle n'aura jamais provoqué et revendiqué le féminisme.
04:58 Mais en tout cas il faut quand même savoir que pour des tas de jeunes filles elle était
05:03 une sorte de modèle aussi d'émancipation.
05:05 "Partir quand même"
05:06 Les années 80 c'est une période difficile pour François Zardy, Didier Varro, Poirot...
05:34 Oui, on peut dire dès le milieu des années 70, après cet album magnifique qui s'appelle
05:39 "Message personnel" en 73, elle va faire d'autres albums...
05:43 "Message personnel" c'est votre chanson préférée.
05:44 Vous me mettez les trois à première mesure je pleure.
05:47 Donc c'est clair.
05:48 Mais pendant tout le milieu des années 70 elle fait des disques, elle va chercher des
05:52 nouveaux auteurs, des nouveaux compositeurs, Gabriel Yared, Jonas, Chédid, qui ne sont
05:59 pas encore des monuments comme aujourd'hui.
06:02 Et elle fait des albums qui sont appréciés par la critique mais qui se plantent.
06:06 Et alors le début des années 80 c'est terrible pour elle.
06:10 Elle se cherche et puis elle avait commencé à s'immerger dans l'astrologie et elle se
06:14 disait peut-être que sa nouvelle vie était là.
06:17 Astrologique, elle fera la radio aussi.
06:20 Radio Monte Carlo dans votre série, on entend plein d'archives.
06:23 De façon très sérieuse, très scientifique.
06:26 Et puis les années 80 c'est la victoire de la gauche aussi.
06:29 Cette gauche qu'elle détestait profondément.
06:31 Elle a eu très très peur de l'arrivée de François Mitterrand en 1980.
06:36 Et puis il y a cette anecdote que j'aime raconter quand elle dit "bah oui en fait on avait tellement
06:42 avec Jacques cette peur au ventre".
06:44 Voilà c'était un peu le couteau dans les dents.
06:47 C'était l'écharpe qui arrivait sur les Champs-Elysées.
06:49 Elle raconte ça dans la série, c'est génial.
06:52 Elle dit "Thomas le matin pour aller à l'école, le 11 mai il descend avec un sac à dos beaucoup
06:57 plus lourd et fourni.
06:59 Il dit "maman je suis prêt on va s'en aller".
07:01 Et donc ils sont partis dans un éclat de rire et puis finalement ça s'est plutôt
07:05 mieux passé.
07:06 C'est quelqu'un qui a quitté la scène et qui ensuite a quitté la chanson.
07:10 Qu'est-ce qu'il a décidé à revenir ?
07:13 Pour la scène en tout cas c'est une détestation, ça revient à votre première interrogation,
07:19 une détestation de se commettre en public.
07:22 Parce qu'elle ne se trouvait pas à l'aise physiquement et qu'elle trouvait qu'elle
07:28 ne se sentait pas suffisamment bien.
07:29 Et surtout vraiment elle disait "il faut être un athlète pour être sur scène".
07:32 Et moi ce n'est pas mon cas.
07:33 Pour la chanson c'est un peu pareil.
07:35 Vous savez l'écriture, elle est entrée en écriture comme on entre en religion.
07:40 Et c'est l'écriture qui lui a permis à chaque fois de se réincarner.
07:43 Et dès qu'elle a eu de l'inspiration ou dès qu'on lui a envoyé des belles mélodies,
07:49 l'obsession de François Zardy c'était "envoyez-moi des belles mélodies", ça
07:52 faisait rejaillir chez elle cet instinct de l'écriture.
07:56 C'est une plume extraordinaire François Zardy.
07:58 Qui a écrit pour beaucoup d'artistes.
08:00 Qui a écrit pour beaucoup d'artistes.
08:01 Qui a écrit aussi un livre qui s'appelle "L'amour fou".
08:03 Qui est un livre déchirant parce qu'on y voit que cette femme est la femme d'un
08:08 seul amour.
08:09 C'est absolument déchirant et en même temps dans son "Jusqu'au boutisme" il y a quelque
08:13 chose de très romanesque.
08:14 C'est Jacques.
08:15 C'est Jacques bien sûr.
08:16 Voilà, cette écriture-là lui a permis de vivre et de survivre.
08:20 Et les chansons "Jusqu'au bout".
08:21 Cette écriture-là où elle raconte cet amour.
08:25 Et elle raconte combien elle a souffert de ce couple avec Jacques.
08:29 Oui, mais sans pudeur.
08:31 Avec une sorte de frontalité c'est vrai.
08:34 Parce qu'elle raconte des abîmes.
08:37 Des abîmes moraux dans lesquels elle tombe.
08:39 Dès le début.
08:40 Parce qu'elle voit bien qu'elle est la femme d'un seul homme et que lui ne l'est
08:45 pas.
08:46 Et ils ne vont pas se rencontrer là-dessus mais ils vont avoir quand même une sorte d'intimité.
08:49 Je dirais presque de capilarité intellectuelle qui va être très très forte.
08:55 "Jusqu'au bout", Jacques et Françoise se parlaient tous les jours.
08:59 "Jusqu'au bout".
09:00 Un dernier mot parce qu'il y a quelques mois, au mois de janvier, il y a eu l'Hyper
09:06 Weekend Festival que vous avez organisé Didier à la maison de la radio.
09:09 Et là, on a vu deux générations d'artistes s'emparer des chansons de Françoise Hardy
09:14 qu'elle avait choisies elle-même.
09:16 Non sans vous avoir engueulé au préalable.
09:19 Elle m'a dit "mon pauvre Didier, vous devriez attendre que je sois morte pour faire
09:22 un très grand hommage".
09:23 Et après quand je lui ai montré cette liste, elle me disait "non mais ce n'est pas
09:27 ça Didier, c'est insupportable.
09:29 Tous les garçons et les filles vous en mettent encore là".
09:32 Et puis deux jours après, j'avais un mail où elle me donnait une liste de 100 chansons.
09:36 Et puis trois jours après, un nouveau mail de 40 chansons.
09:38 Ce qui fait qu'on a pu tenir compte de ses choix et de ses envies.
09:42 Et je suis sûr que c'était un vrai plaisir pour elle malgré tout d'écouter et d'entendre
09:49 Cette jeune génération lui rend hommage.
09:51 - Merci Didier. - Merci Sonia.

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