Dans « le grand témoin » Télématin reçoit Martial Jardel, médecin généraliste et président de "Médecins solidaires".
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00:00Faut-il encadrer l'installation des médecins pour les pousser à aller dans les déserts médicaux ?
00:05Ce débat n'est pas nouveau, il rebondit encore parce qu'une proposition de loi est à l'étude
00:08et François Bayrou a dit qu'il y était plutôt favorable.
00:11Comment on fait aujourd'hui pour se débrouiller dans ces régions
00:13quand on n'a pas de médecins à proximité ?
00:15Votre grand témoin va nous le dire.
00:16Et il a la réponse justement, il a plusieurs réponses.
00:19Bonjour Mathias Jardel.
00:20Bonjour.
00:20Merci d'être avec nous ce matin.
00:22Vous êtes président de l'association Médecins Solidaires.
00:25De quoi s'agit-il et en quoi ça consiste ?
00:27Médecins Solidaires, c'est un collectif de médecins généralistes
00:30qui se dit dans ce sujet qui est absolument dramatique
00:33que les médecins peuvent être une force de contribution massive
00:36en partant du principe qu'au lieu de demander beaucoup à peu de médecins,
00:39peut-être qu'on peut essayer de demander peu à beaucoup de médecins
00:42et de proposer à des médecins de venir une semaine
00:44dans des centres de santé qu'on installe dans des territoires qui en ont le plus besoin.
00:47Vous en êtes, là vous en êtes à huit centres et vous allez ouvrir le neuvième,
00:50on y reviendra dans un instant.
00:51Pour vous, tout a commencé lorsque, fraîchement médecin,
00:54vous avez décidé de faire le Tour de France en camping-car.
00:57Et là, vous avez découvert ce qu'on appelle les déserts médicaux.
01:00Vous-même, vous êtes issu d'un petit village,
01:03donc vous connaissiez la problématique.
01:05Qu'est-ce que vous avez constaté justement lors de ce Tour de France ?
01:08Ce que j'ai constaté, c'est l'ampleur du sujet dans tous les territoires.
01:13J'ai commencé ce Tour de France en jeune professionnel
01:18qui démarre sa vie de liberté après dix ans de contraintes par les études.
01:23J'en suis ressorti militant avec l'envie farouche de contribuer en me disant
01:27mais on ne peut pas, nous médecins, ne rien faire,
01:30être sur le bord de la route, les bras croisés,
01:32en continuant de dire les politiques, on fait n'importe quoi,
01:34l'humerus clausus, patati, patata, tout ça est vrai.
01:36Mais ça ne suffit pas, il faut qu'on agisse.
01:39Et alors, justement, qu'est-ce que vous avez constaté ?
01:41On va faire un état des lieux parce que certains ne connaissent pas
01:45véritablement l'ampleur des problématiques que l'on rencontre
01:48quand on vit dans ces zones rurales.
01:49Pour vous donner par exemple un chiffre,
01:53la densité de médecins généralistes en France,
01:56c'est à peu près 150 médecins pour 100 000 habitants.
01:59Dans le Cher, dans le bassin de Saint-Amant-Moron,
02:01c'est 46 pour 100 000 habitants.
02:05Saint-Amant-Moron, 10 000 habitants,
02:07il n'y a plus qu'une médecin, le docteur Karine Gambad
02:09qui est une femme extraordinaire,
02:12et il y a des patients par centaines qui n'ont pas de médecin.
02:17On a fait une réunion publique pour ouvrir un centre dans une commune à côté,
02:20commune de 1 000 habitants, il y avait 400 personnes à la réunion publique.
02:23Quels sont les délais pour avoir un rendez-vous avec un médecin ?
02:26C'est effectivement très variable.
02:28Il y a ceux qui ont la chance d'être suivis, ça va,
02:30mais quand les téléspectateurs qui nous regardent,
02:33il y en a beaucoup je pense qu'ils savent qu'il y a des délais.
02:35Parfois juste, on n'a pas de rendez-vous, on n'a pas de solution.
02:38On nous dit que c'est fini, donc il faut prendre sa voiture,
02:40il faut faire une centaine de kilomètres.
02:41Il faut se débrouiller et c'est ça qui est insupportable,
02:45c'est qu'il y a des gens qui vont réussir parce qu'ils ont le cousin,
02:48la soeur qui est médecin, et puis il y a tous ceux qui n'ont pas de solution.
02:52Et nous, on a vu des patients diabétiques qui n'avaient plus de traitement depuis deux ans.
02:57C'est ça le risque, c'est les pertes de chance.
02:59En cancérologie, il y a des études qui montrent que quand vous êtes dans un désert médical,
03:03vous avez plus de risque de mourir d'un cancer ou moins de chance,
03:07plus de risque de complications à cause du manque de médecins.
03:10Quelle est votre position sur le débat dont on parlait,
03:13cette proposition de loi, est-ce qu'il faut forcer ou pas ?
03:15Moi, je crois que je suis content de pouvoir apporter une autre proposition dans le débat public,
03:22qui est de dire mais réfléchissons ensemble à de nouveaux systèmes.
03:26On réfléchit à cette idée de faut-il forcer les médecins, les traîner par les oreilles, etc.
03:31Aujourd'hui, 50% des médecins sont en burn-out.
03:34Il faut aussi se rendre compte que c'est eux qui accusent cette vague et qui subissent cette charge.
03:40Et c'est la raison pour laquelle vous dites qu'il faut que nous médecins,
03:43on prenne des initiatives aussi personnelles ou communes comme Médecins Solidaires.
03:47Pourquoi est-ce que les médecins ne s'installent pas dans ces territoires ruraux ?
03:51Parce que la crise du nombre, puisque c'est une crise du nombre, génère une crise de l'engagement.
03:56Paradoxalement, moins il y a de gens installés, plus c'est difficile de s'installer
04:01parce qu'on ne peut pas se désinstaller.
04:03Il y a un côté irrémédiable de l'installation.
04:06Si aujourd'hui je m'installe dans un territoire, je signe pour 30 ans.
04:09Il y a un engagement en fait majeur.
04:11Mais il faut se rendre compte, il faut s'imaginer aujourd'hui,
04:14si je vous disais vous, est-ce que vous êtes d'accord pour être chroniqueur sport pendant 30 ans,
04:18je dirais oui tout de suite.
04:20C'est peut-être pas le bon exemple.
04:22Et sans possibilité de changer.
04:25Il faut se rendre compte de ce que ça représente pour quelqu'un.
04:28Julien, je me disais, plus de médecins évidemment c'est important,
04:31mais est-ce que ce n'est pas aussi la question de la formation qu'il faut revoir ?
04:34On voit beaucoup de jeunes qui partent à l'étranger faire leurs études
04:36et après qui ont des difficultés à se réinstaller ici.
04:39Oui, il y a un manque de force vive.
04:43Et c'est terrible de voir qu'il y a tant de Français qui se sont pris le mur de la première année
04:48et qui sont allés étudier ailleurs.
04:50Il y a quelque chose d'illogique.
04:52Alors, en attendant, justement, parce que c'est illogique,
04:55ça ne fait pas avancer les choses.
04:57Vous, vous avez décidé de créer Médecins Solidaires.
04:59Aujourd'hui, je le disais, vous avez créé 8 centres de santé.
05:02Le 9ème sera ouvert en juillet, c'est ça ?
05:05Exactement.
05:06Qu'est-ce qu'on peut dire aux médecins ?
05:08Déjà, il y a combien de médecins qui travaillent dans vos centres aujourd'hui ?
05:10Aujourd'hui, on a réussi à agréger un collectif de 670 médecins.
05:14On est dans une très belle phase de croissance.
05:17Je pense qu'il y a beaucoup de médecins qui nous rejoignent et c'est une super nouvelle.
05:21Je pense qu'on peut construire quelque chose d'absolument magnifique.
05:24Ce ne sont que des jeunes médecins ?
05:26Alors, on a 30% de jeunes médecins, 30% de médecins qui sont installés
05:29et qui viennent faire une parenthèse dans un autre territoire
05:32parce que j'estime qu'ils sont peut-être dans un territoire bien doté.
05:34Et puis, 30% de médecins retraités qui sont ravis de pouvoir continuer
05:38à exercer leurs compétences sans être bloqués.
05:41Ça, c'est super.
05:42Et qu'est-ce que vous pourriez dire aux médecins qui nous regardent ce matin
05:44et qui se disent « Tiens, je ne fais pas partie de ce collectif, j'aimerais bien le rejoindre ».
05:47Je ne sais pas où il faut que je les regarde, mais si je les regarde quelque part,
05:51je leur dis d'aller sur le site www.medecins-solidaire.fr,
05:55vous remplissez un petit formulaire, on fait une visio de recrutement
05:58avec un de nos médecins recruteurs, on vous explique tout.
06:00C'est une semaine par an et c'est tout pris en charge, le logement, le véhicule,
06:05on s'occupe de tout pour absorber toute la complexité
06:08pour que vous n'ayez à faire que de la médecine au bénéfice des patients.
06:11Vous êtes super bon, moi je ne suis pas médecin, mais je sais qu'il y a un passé de non-vie.
06:14Et pour l'instant, plus des médecins généralistes.
06:16Alors oui, parce qu'on s'est posé la question des spécialistes,
06:19beaucoup ont voulu nous rejoindre à un moment, on a travaillé le sujet.
06:22En fait, il y a 20 spécialités médicales, cliniques autres que la médecine générale,
06:27c'est trop de travail, on se serait perdu.
06:29Donc on a préféré créer un réseau de soins primaires solidaires.
06:32En chiffres, l'efficacité de Médecins Solidaires, c'est 41 000 consultations,
06:3741 000 consultations qui ont été effectuées,
06:397 800 patients qui ont choisi de se rendre dans les centres.
06:43Absolument, qui sont des patients suivis dont nous sommes le médecin traitant.
06:46Ça veut dire que c'est vraiment du suivi de pathologie chronique.
06:48C'est vrai que vous rêvez de faire un jour une grande fête de dissolution
06:51quand tous les médecins se sont réinstallés dans les déserts médicaux ?
06:54Ce serait la meilleure fin possible, c'est de se dire qu'on se met autour de la table
06:57et puis on se dit, ça y est, c'est fini.
06:59Ça n'arrivera jamais.
07:00Je pense que ça n'arrivera pas, en tout cas, peut-être que ça n'arrivera pas
07:03parce que ce que l'on crée aussi avec Médecins Solidaires,
07:06c'est un collectif de médecins qui ont envie de défendre une médecine humaniste et de proximité.
07:10Et il n'y avait pas, je crois, d'espace dans lequel ces médecins
07:13qui ont une certaine vision de la médecine positive, optimiste, sans être angélique,
07:17mais qui aiment leur métier et qui ont envie d'aller l'exercer,
07:20on est très contents de se retrouver ensemble et de partager ces valeurs.
07:22Ce que vous faites, c'est formidable.
07:23Merci en tout cas de nous avoir éclairés par votre bonne humeur et votre enthousiasme ce matin
07:28pour découvrir et pour voir si vous avez un centre près de chez vous.
07:31Il suffit d'aller sur le site de Médecins Solidaires.
07:33Même si c'est loin de chez eux, parce que les médecins sont des explorateurs.
07:35Plus ils sont loin, plus ça les intéresse.
07:37Merci beaucoup Mathias.
07:39C'est bien parce que c'est l'envers de la contrainte.