C’est un jeune médecin de campagne qui a eu une idée géniale pour lutter contre les déserts médicaux ! Martial Jardel, président de l’association « Médecins solidaires », est ce matin l'invité de Mathilde Serrell.
Retrouvez « Nouvelles têtes » présenté par Mathilde Serrell sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/nouvelles-tetes
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00:00Il est 9h51, aux Nouvelles Têtes avec vous Mathilde Serrel, ce matin votre invité est
00:05un jeune médecin de campagne qui fait pousser des oasis dans les déserts médicaux, le
00:11président de l'association Médecins Solidaires, Martial Jardel est dans notre studio.
00:17« Il y a une petite dizaine d'années, il y avait encore deux médecins sur le canton.
00:21Qu'est-ce qui vous est arrivé ? Allez, allez ! Et aujourd'hui, Jean-Pierre est tout seul,
00:27il n'est pas immortel, nous devons envisager le futur. »
00:33Bonjour Martial Jardel, on est dans le film de Thomas Lilti avec François Cluzet, médecin
00:40de campagne, et vous êtes ce médecin de campagne justement, est-ce que ça se passe
00:44exactement plus ou moins comme dans le film, c'est-à-dire le village et ses alentours
00:48reposent sur vous ? Oui, en tout cas le médecin généraliste est un acteur majeur dans la
00:53cohésion sociale du village, c'est le bureau des pleurs, des souffrances, et on voit que
00:58dans les villages où il n'y a plus de médecin généraliste, il y a une espèce de catastrophe
01:04qui paralyse et tétanise la commune.
01:07Vous êtes médecin généraliste dans le village où vous avez grandi, où vous êtes revenu,
01:12c'est en Haute-Vienne, et donc président de Médecins Solidaires, c'est une association
01:15qui lutte contre les déserts médicaux, et donc toute la pression et la surcharge que
01:19vivent à la fois les médecins et évidemment les populations qui elles n'ont pas accès
01:22aux soins primaires avec une idée géniale, la rotation.
01:25Ce n'est pas grand-chose, vous demandez une semaine par an aux médecins pour se relayer
01:30dans un centre médical, c'est tout simplement ça l'idée.
01:32Exactement, c'est-à-dire au lieu de demander beaucoup à peu, on va demander peu à beaucoup,
01:36en se disant mais dans ce problème qu'on n'arrive pas à résoudre depuis 30 ans,
01:40il faut qu'on pense par l'innovation organisationnelle, il faut qu'on se dise collectivement qu'il
01:45y a peut-être d'autres manières de délivrer de la médecine générale à la population,
01:49on ne peut pas rester dans cet immobilisme qui est en train de tuer des gens au sens
01:54premier du terme.
01:55Alors vous, vous vous en êtes rendu compte en faisant un tour en camping-car, c'est
01:58ça, il y a même eu des articles sur vous dans le New York Times, vous pourriez être
02:01un peu le GQ aussi, vous avez eu le prix de l'homme de l'année dans le quotidien
02:05du médecin, et c'est dommage qu'il fasse une cérémonie un peu glam, parce que j'aurais
02:09aimé quand même qu'on vous rende hommage pour cette initiative, donc vous êtes parti
02:13vous sur les routes faire le tour des remplacements, c'est comme ça que l'idée est venue ?
02:16Oui, et c'était à la fin de mon internat, je suis parti pendant 5 mois faire 10 remplacements
02:21de 15 jours, c'était à la base un projet un peu égoïste de fin d'études pour aller
02:25découvrir le pays et les territoires, et puis c'est devenu assez vite un projet militant,
02:29parce que je me suis rendu compte de l'étendue du problème, de sa présence partout, et
02:35je me suis dit mais c'est pas possible que nous médecins, dans ce débat, on n'ait
02:39pas quelque chose à proposer de différent, on ne peut pas rester sur le bord de la route,
02:43les bras croisés, en se disant que les politiques ont fait n'importe quoi, parce que c'est
02:47insuffisant comme raisonnement, et que ça ne produit pas de solution.
02:50Et surtout il fallait inverser un petit peu le problème, en effet, parce qu'on était
02:54dans la saturation de cette équation, il nous faut plus de médecins, donc la solution
02:58c'était peut-être effectivement d'en demander moins à plus, il a fallu les convaincre,
03:03là vous avez fait un coup de bluff, vous avez fait semblant d'avoir déjà beaucoup
03:05d'inscrits je crois sur la liste pour montrer les premiers centres médicaux.
03:10Il faut parfois faire des paris, quand on a fait notre première expérimentation dans
03:14notre centre de santé en Creuse, l'agence régionale de santé m'a dit « on vous suit
03:19si vous avez 20 médecins qui signent ». Et donc j'ai appelé plein de médecins que
03:24je connaissais en leur disant « écoute, j'en ai 19, il m'en manque un. »
03:27La fameuse technique ! « Non mais Justin, allez, s'il te plaît, il en a signé ! »
03:33Et on est parti, et ça a amorcé le siphon, et aujourd'hui on a 575 médecins qu'on
03:37a agrégés dans notre collectif, on a 7 centres de santé sur le territoire dans des départements
03:42dans lesquels, vraiment, c'est des villages dans lesquels il n'y avait pas de projet
03:44d'installation.
03:45Personne ne voulait s'installer.
03:47Dans le dernier centre de santé qu'on a ouvert à Reilly dans l'Indre, 33% des patients
03:52étaient sans médecin traitant.
03:5433% !
03:55Et ce qui est fou, c'est qu'ils reviennent en plus, il faut le dire, parce qu'on a envie
03:58d'encourager les médecins qui nous écoutent.
04:00L'ouverture de vos centres ne dépend que des inscriptions des médecins qui acceptent
04:03de passer une semaine sur un territoire comme ça qui est dans un désert médical en fait.
04:07Il faut juste des volontaires.
04:09Absolument, qui sont prêts à donner une semaine.
04:11Il faut se rendre compte que si 10% des médecins généralistes du pays adhéraient à notre
04:15association en donnant une semaine, on pourrait ouvrir 150 centres de santé sur le territoire,
04:20c'est-à-dire un et demi par département.
04:22Et si on devenait fou, et qu'il y avait une sorte de folie qui s'emparait de tous les
04:27médecins, et que 100% se disaient « on va contribuer à hauteur d'une semaine », on
04:30pourrait ouvrir 1500 centres, 15 par département, et changer la donne.
04:35Et on aurait résolu quasiment le problème des déserts médicaux.
04:38On aurait induit quelque chose, un mouvement de transformation qui résoudrait le problème.
04:42J'en suis absolument convaincu.
04:44Alors comment un médecin généraliste comme vous va avoir cette idée ?
04:48Aussi, c'est que vous avez un profil un peu atypique, votre père est médecin.
04:51Vous avez fait une thèse en médecine sur le rapport entre une consultation et une improvisation.
04:56Vous avez un peu un cerveau comme on dit « out of the box ».
04:59Vous pensez un peu en dehors des cases.
05:00Vous avez même passé des concours d'éloquence.
05:03On va vous écouter, c'était dans une démonstration.
05:05Le propre de l'homme, c'est l'interprétation.
05:08« Comme le dit très bien un proverbe hongrois, que vous connaissez tous, mais que je vais
05:15quand même vous répéter.
05:17Si un homme te dit que tu es un cheval, alors moque-toi de lui.
05:29C'est un fou.
05:32Si deux hommes te disent que tu es un cheval, alors pense-y. »
05:41Et la troisième, si trois hommes te disent que tu es un cheval, Marcel Jardel va t'acheter
05:51une selle.
05:52Vous remportez à ce moment-là le concours national éloquentien et ça va vous aider
05:59à monter cette structure.
06:00Vous êtes associé à un collectif qui s'appelle « Bouge ton coq » qui vous a aidé à faire
06:06la structure organisationnelle de ce projet.
06:08Parce que d'ailleurs, il faut faire des fiches de suivi pour les patients, il y a toute une
06:11logistique.
06:12Oui, en fait, ce qui est formidable, c'est que quand je suis en sixième année de médecine
06:15et que je fais des concours d'éloquence, je me dis « mais qu'est-ce que je fais ?
06:18Qu'est-ce que je fais là ? » Et beaucoup de mes collègues étudiants se disent la
06:22même chose.
06:23Et en fait, je comprends aujourd'hui que grâce à ça, j'arrive à convaincre des
06:29villageois, j'arrive à convaincre des médecins et c'est pour ça que peut-être on arrive
06:35à faire ça.
06:36Et j'espère que vous avez convaincu des médecins qui écoutent France Inter ce matin.
06:39Foncez vous inscrire sur l'association Médecins Solidaires, on n'attend que vous pour monter
06:44d'autres centres.
06:45Il en manque un.
06:46Mais il en manque juste un, mais allez, s'il te plaît.
06:49Merci Charline.
06:50Et bonne route, Marcel Jardel.