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  • 01/04/2025
Comment filmer le travail ?
Découvrez le septième volet de la série de rencontres « Le Documentaire : matière à penser », organisé par la Scam, ARTE, le CNC et La Fémis.

Le programme complet :
11h : Keynote par Alain Supiot, juriste et professeur émérite au Collège de France, spécialiste du droit et du travail, de la Sécurité sociale et de philosophie du droit, accompagné de Marie Viennot, journaliste à France Culture.

11h30 : Dialogue entre Stan Neumann, auteur et documentariste et Christian Corouge, ouvrier, syndicaliste et auteur, modéré par Jennifer Deschamps, journaliste, réalisatrice et productrice.

14h30 : Étude de cas avec Sarah Bellanger, réalisatrice, cadreuse et monteuse, et Maël Mainguy, producteur Les Nouveaux Jours Productions, modéré par Camille Ménager, réalisatrice, présidente de la Commission audiovisuelle et administratrice de la Scam.

16h15 : Table ronde avec Anne-Sophie Reinhardt, autrice et réalisatrice, Julien Goetz et Henri Poulain, auteurs et réalisateurs, Alexe Poukine, autrice et réalisatrice, modérée par Thomas Lafarge, réalisateur et membre de la Commission audiovisuelle de la Scam.

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Transcription
00:00Alain, ça me gêne un peu d'être debout devant vous quand même, donc je vais peut-être
00:05me mettre à côté quand même, ou comme ça.
00:07Bienvenue à toutes et tous, mais je suis plus à l'aise debout, moi, Alain, donc...
00:11Non, non, non, alors on s'assoit.
00:14Bienvenue à toutes et tous pour cette septième édition de Matière à penser, qui est...
00:20Ce sont des sessions, mais bon, je ne vous fais pas de dessin, puisque j'espère que
00:23la plupart d'entre vous, vous avez déjà assisté aux précédentes éditions, et si
00:27jamais ça n'est pas le cas, vous pouvez les retrouver sur le site de la SCAM.
00:31Alors, c'est une coproduction, si j'ose dire, entre le CNC, Arte, Arte, tout seigneur,
00:37tout honneur, puisque à l'origine, c'est une idée de notre ami Fabrice Puchot, qui
00:41trouvait qu'on avait peu de lieux pour échanger comme ça, pour réfléchir à la manière
00:47dont on crée, on fabrique le documentaire.
00:53Donc c'est Fabrice qui a eu l'idée, et puis on a très vite rebondi, la SCAM, puis
00:57le CNC, et la FEMIS, dernier partenaire en date.
01:00On devait faire cette séance à la FEMIS, mais je n'ai pas résisté au plaisir de
01:04mettre une petite pression, parce qu'on a fait de grands travaux dans cette maison.
01:08Pendant un an, on a été fermé, et il nous tenait très à cœur de vous l'ouvrir à
01:13nouveau.
01:14Cette maison est la nôtre, mais elle est d'abord la vôtre, auteur et autrice du réel,
01:18et donc on a réussi à convaincre nos partenaires de faire cette septième édition ici, à
01:25la SCAM.
01:26Je dois d'abord vous lire un petit mot de Juliette Moreau, que les plus anciens d'entre
01:31vous, les habitués à matière à penser connaissent, puisque c'est notre interlocutrice avec
01:35Anne Dautume au CNC, et Juliette ne peut pas aujourd'hui, malgré tous ses efforts,
01:39elle ne peut pas être des nôtres.
01:41Donc elle tenait à vous dire que le CNC est ravi de poursuivre cette très belle aventure
01:46des matières à penser avec nos chers partenaires.
01:49Je les ai citées, je n'y reviens pas.
01:51Et elle nous remercie, en particulier Anne-Sophie Le Goff, pour organiser tout ça avec des
01:59interlocuteurs.
02:00Vous en jugerez la qualité par vous-même, et vous les connaissez déjà pour certaines
02:05et certains d'entre eux.
02:06Et elle nous signale également qu'ils sont ravis de...
02:12Je lis en même temps, puisque je ne voulais pas vous lire littéralement, on improvise
02:18un petit peu.
02:19Bref, elle nous remercie chaleureusement, ainsi que l'ensemble des participants, évidemment,
02:24pour avoir accepté cette invitation.
02:27Une invitation pour une opportunité unique d'échanger, réfléchir ensemble, et prendre
02:31du recul par rapport à l'image que donne le documentaire.
02:35Donc, l'intitulé de cette session, mais peut-être avant de rentrer dans le vif du
02:40sujet, j'avais juste un tout petit message personnel, parce que je ne pourrais pas le
02:44placer après, donc je le dis maintenant.
02:47Je suis extrêmement ému de saluer quelqu'un qui n'est pas là, mais qui devrait arriver,
02:51qui est Christian Corouge, parce qu'il se trouve que je suis né à Montbéliard, dans
02:54le berceau, le creuset de la Peuge, Peugeot.
02:57Et le travail, si je puis dire, le travail dans ce qu'il a de plus rude, de ce qu'il
03:02a de plus oppressif, j'ai vécu ça depuis la petite enfant, je dirais.
03:09Je suis né dedans.
03:10Et je voulais aussi remercier, parce que Christian Corouge nous vient de Montbéliard, donc
03:16le Grand Est, et Alain, Alain Suppiot, nous arrive, lui, de Nantes, du Grand Ouest.
03:22Donc voilà, on est un peu juste au milieu, et puis je pense qu'on va trouver moyen de
03:27trouver un équilibre, d'échanger, de parler, de dire des choses.
03:30Bref, j'arrête là, parce que je commence à dire pas grand chose.
03:34Donc Fabrice, je te laisse la parole.
03:36Excusez-moi pour le masque, mais ça s'impose.
03:41Alors, le travail, je ne peux pas m'empêcher de penser et de faire le lien avec ce que
03:48le monde subit actuellement, c'est-à-dire quelque chose qui est un tremblement de terre
03:52qui nous vient à une vitesse sidérante, au sens propre du terme de la Maison-Blanche,
04:01mais aussi au fait que les forces de l'extrême droite et de la violence sociale s'affirment
04:08comme jamais, mais vraiment jamais depuis 90 ans, que nous sommes à un vote près
04:15de voir la même chose se faire en France, en Allemagne, et dans d'autres pays d'Europe.
04:21Et donc, revenir au base, en quelque sorte, non pas à la base, parce que je n'ai jamais
04:30été maoïste, mais au base.
04:32Au base, c'est-à-dire à la pensée du rapport du travail avec le marché, du travail, allez,
04:38je vais oser le dire, avec le capital.
04:42C'est-à-dire penser aussi notre rapport à nous, documentaristes, à cet enjeu, qui
04:48est le travail et qui est un enjeu vraiment central.
04:52Mais le penser aussi en termes de forme, c'est-à-dire comment nous regardons, puisque
04:56le documentaire, c'est affaire de regard, c'est affaire de point de vue, c'est affaire
04:59de mise en scène, d'abord et avant tout.
05:02Et donc, comment on regarde ça ? Il se trouve qu'Alain Suppiau a été, pour Arte, a accepté
05:07de travailler déjà et de participer à notamment une grande série de Gérard Mordillat
05:12qui s'appelait Travail, Salaire, Profit.
05:14Et je vous en remercie infiniment, parce que votre éclairage était absolument lumineux.
05:20Donc, je ne vais pas présenter Alain Suppiau, je pense que Marie Viennot s'en chargera
05:26avec beaucoup plus de talent que je ne le ferai.
05:29Et donc, Alain Suppiau sera interrogé par Marie Viennot.
05:33Voilà, juste un titre.
05:35L'esprit de Philadelphie, la justice sociale face au marché total.
05:39Voilà, c'est un titre un peu exemplaire, enfin pour moi, un peu exemplaire du travail
05:43d'Alain Suppiau.
05:44Peut-être ne le dirait-il pas comme ça, mais en tout cas, rien que le titre nous dit
05:48quelque chose de l'actualité particulièrement forte du travail d'Alain Suppiau.
05:55Voilà, je vous remercie beaucoup.
05:57Après, nous aurons Stan Le Man qui parlera avec Christian Corouges.
06:03Ils ont aussi collaboré sur la série Le Temps des Ouvriers.
06:07Puis, cet après-midi, Sarah Bélanger, Anne-Sophie Renard, Julien Goetz, Henri Poulain, Lex Poukin,
06:16etc.
06:17Des réalisateurs et réalisatrices qui nous parleront du travail.
06:21Dernière petite incise, et je vous prie de m'en excuser.
06:24Vous savez quel est le sujet sur lequel nous recevons le moins de projets ?
06:28Eh bien, c'est justement le travail.
06:30Est-ce que vous avez trop refusé ?
06:33Oui, c'est toujours la faute des diffuseurs, on est bien d'accord.
06:36Parce qu'on est très cons et donc on n'aime pas parler du réel.
06:39C'est bien connu.
06:41D'ailleurs, je ne sais pas pourquoi je fais ce métier.
06:44Non, c'est vrai.
06:47Enfin, je veux dire, on peut tous en témoigner.
06:49Et comment tu expliques ça ? Pardon, c'était hors micro, donc on ne l'a pas entendu.
06:53Non, je pense que c'est un autre débat.
06:55J'expliquerai ça par un phénomène social.
06:58Le documentaire, c'est vrai qu'on a tendance, et c'est naturel, à regarder autour de soi.
07:03Et depuis, mais Jean-Rouge en parlera, le groupe Medvedkin, on n'est peu allé voir ailleurs.
07:08Peut-être est-ce un phénomène simplement de sociologie ?
07:12Je ne sais pas.
07:13Franchement, je ne sais pas.
07:14Je ne voudrais pas avoir d'explication, mais c'est un fait.
07:17Donc, je suis très heureux qu'on puisse organiser ce moment autour du travail.
07:23Merci, Fabrice.
07:24Donc, Jérôme Lecanic, je suis le directeur du développement et de la formation professionnelle à la FEMIS.
07:28Donc, nous sommes les, je suis le dernier dans cette présentation,
07:31mais c'est aussi parce que nous sommes les derniers arrivés dans ce groupe matière à penser.
07:36Nous en sommes ravis et très heureux.
07:38Et voilà.
07:39Et donc, moi, en vous écoutant, je me posais la question.
07:41Je me disais, au fond, est-ce que se former ou est-ce que quand on est à l'école, est-ce qu'on est déjà au travail ?
07:46Donc, on peut se...
07:48On ne va pas développer ce point-là aujourd'hui.
07:51Mais en fait, c'est clair qu'il y a une forme de travail quand on apprend aussi.
07:55Et que je pense qu'une forme de l'apprentissage est aussi du travail.
07:59Donc, voilà.
08:00Et du coup, oui, à la FEMIS, donc, ou à l'école dans laquelle on forme, en fait, à tous les métiers du cinéma,
08:07et y compris celui de la création jusqu'à la fabrication, y compris la distribution et l'exploitation.
08:13Et tout à l'heure, on avait cette discussion.
08:15Mais quelle est la frontière entre, finalement, entre le film de fiction et le documentaire ?
08:19Eh bien, on a toujours l'impression qu'à la FEMIS, on forme plus des réalisateurs,
08:23ou en tout cas, sortent de la FEMIS plutôt des films de fiction.
08:26Et en fait, pas totalement, parce qu'il y a quand même régulièrement des films qui sont réalisés par des anciens de l'école.
08:32Et notamment, je pense aujourd'hui à un film qui a été sélectionné au Festival du Réel,
08:40donc, de Rostislav Pirchinenko, qui s'appelle Unruh Nargaïa,
08:47qui est donc un film sur l'Ukraine,
08:49qui sort du travail, mais du fait, pour dire qu'il y a quand même des réalisateurs tout frais émoulus de l'école
08:54et qui réalisent des films documentaires.
08:57Voilà, c'était pour dire qu'on a une place quand même assez importante accordée aux films documentaires,
09:02parce que dans la formation professionnelle, il n'y a pas que la formation initiale à la FEMIS,
09:07parmi les 300 professionnels qui viennent se former à l'école par an,
09:11il y en a une cinquantaine qui se forment à l'écriture et à la réalisation du film et de la série.
09:19Nous en sommes ravis, nous sommes très heureux même désormais de faire partie de ce groupe de travail.
09:28Nous remercions vraiment l'ASCAM, le CNC et ARTE de nous avoir accueillis,
09:33de nous permettre d'être dans ce groupe, parce que je pense que c'est avant tout un lieu et un moment absolument stimulant
09:40de pensée et de création.
09:44Merci beaucoup.
09:45Merci Jérôme.
09:46Juste une petite chose qu'on oublie à chaque fois, il y a des caméras,
09:49donc on va vous demander de vous présenter quand vous posez une question.
09:53Et au micro, parce que sinon on entend absolument rien.
09:55Et au micro, parce que toutes ces sessions de travail sont retransmises sur la salle virtuelle d'ARTE France.
10:02Et donc en fait, vous êtes là, mais il y a généralement en moyenne environ 500 personnes qui nous regardent,
10:08en tout cas qui regardent nos échanges toute la journée.
10:12Les miracles du virtuel parfois, enfin du virtuel, ce n'est pas virtuel du tout,
10:16de la présence par l'image sont parfois très chouettes.
10:21Je vous remercie en tout cas.
10:22Merci Fabrice.
10:23Marie, Alain.
10:28Bonjour à toutes et à tous.
10:31Moi, je suis enchantée d'être ici.
10:32Je remercie Alain Suppiot de m'avoir invité à l'accompagner.
10:35Je suis journaliste à France Culture.
10:37Je suis les questions économiques et sociales depuis 25 ans.
10:42Mais bon, vous avez bien entendu France Culture, donc pas d'images, mais plutôt des images sonores.
10:48Donc Alain Suppiot, je vais vous présenter succinctement, mais vous pouvez rajouter des choses
10:53si vous pensez qu'il y a des choses essentielles que j'oublie.
10:56Donc vous êtes universitaire et juriste français, spécialiste du droit, du travail,
11:01de la sécurité sociale et de la philosophie du droit.
11:04Dernièrement, vous étiez professeur émérite du Collège de France.
11:08Est-ce que vous pouvez donner le nom de votre chaire, qui avait un nom magnifique, mais que j'ai oublié ?
11:13C'était État social et mondialisation, analyse juridique des solidarités.
11:18Voilà.
11:20Et vous m'avez raconté aussi, l'une des choses dont vous étiez assez fière,
11:24c'est d'avoir fondé cette maison des sciences sociales et des humanités,
11:29ainsi que l'Institut d'études avancées à Nantes,
11:33qui accueille en résidence scientifique des savants des pays du Sud et du Nord.
11:40Oui, cet institut, en moins de 10 ans, avait été reconnu dans le top 10 avec Princeton, etc.
11:47parce qu'on avait rompu avec un dialogue purement euro-américain sur les sciences humaines
11:53pour s'ouvrir à d'autres façons de penser.
11:56Alors, on aura peut-être l'occasion d'en dire un mot à propos du travail, d'ailleurs.
12:00Et cette réussite internationale exceptionnelle a valu que le ministère de la Recherche a supprimé quasiment les financements.
12:08Et le coup de grâce vient d'être porté par Mme Morancet.
12:14Alors, je finis juste.
12:18Donc, vos spécialités sont le droit social et la théorie du droit.
12:23Donc, nous nous sommes rencontrés à la faveur de la commission sur l'avenir du travail,
12:29où l'Organisation internationale du travail vous avez sollicité comme expert.
12:36Et à la fin de cette introduction, on ira justement jusque là, jusqu'au futur du travail
12:42et comment même filmer le travail tel qu'il évolue, tel qu'il est aujourd'hui et tel qu'il peut devenir.
12:49Mais d'abord, vous vouliez nous parler, avant de parler du travail,
12:53vous vouliez nous parler de l'image et du statut de l'image dans la civilisation occidentale.
13:00Oui, on va partir de très loin.
13:03Puisque vous avez eu l'imprudence de me donner carte blanche,
13:08on va arriver lentement à la question du documentaire.
13:11Je pourrais partir d'une citation d'Augustin, Saint-Augustin,
13:16qui écrit que l'homme marche dans l'image.
13:20Et ça touche déjà un point qui a été ensuite mis en évidence par des grands anthropologues,
13:27notamment l'un qui joua beaucoup, qui est André Leroy-Gourand,
13:30qui a été professeur au Collège de France aussi, dans son grand livre,
13:34Le geste et la parole, où il retrace, c'est de l'anthropologie physique,
13:39le processus par lequel, dans cette vie paisible de singe,
13:45l'homme a été arraché par un mouvement où il s'est redressé sur ses pattes de derrière
13:50et il s'est trouvé dans cette position improbable de devoir garder les pieds sur terre,
13:54mais en ayant la tête dans un monde d'images, justement.
13:58Et un des grands problèmes, et c'est un des problèmes majeurs des institutions,
14:03c'est comment on relie cet univers sans limite des images mentales
14:09avec la condition très située d'être, nous sommes tous là,
14:14comme en même temps un troupeau de vaches ayant une vie digestive,
14:20mais chacun de nous est dans une bulle mentale.
14:23Le problème de ces bulles mentales, là je pourrais citer le poète Prévert,
14:27c'est que le monde mental ment monumentalement.
14:31L'intelligence artificielle ne parvient pas à traduire ça, mais vous l'avez tous compris.
14:36Donc le problème c'est comment on fait pour que ne pas chacun s'enfermer dans sa bulle
14:42ou jusqu'à un certain point pouvoir partager des images en commun.
14:47Et c'est la conscience de ce problème, alors on va partir des Grecs,
14:56qui avait fait que dans la cité grecque, pour les Athéniens,
15:01le théâtre n'était pas une institution récréative,
15:04mais c'était une institution essentielle au fonctionnement de la cité
15:07parce que c'est le moment où on se retrouve devant un spectacle
15:13où l'on doit se reconnaître, donc il y a une double fonction éducative
15:17de distinguer ce qui se passe sur la scène et soi-même.
15:21Et il faut se reconnaître dans des images communes.
15:24Et donc le théâtre, dans ses origines, est conçu comme une institution
15:31qui va cimenter la démocratie, y compris par le rire qui pourra émaner
15:38de ce que l'on voit ensemble.
15:41Donc c'est ce qu'on peut appeler une fonction, j'hésite à employer le mot
15:47parce que ça ressemble à un gros mot, une fonction dogmatique,
15:49au sens de l'origine du mot dogma, c'est l'image justement.
15:52C'est-à-dire qu'il joue sur la capacité des images d'imposer une vérité
15:58qui n'a pas besoin d'être démontrée.
16:00Ce que la déclaration d'indépendance des Etats-Unis
16:03appelle des vérités évidentes en elles-mêmes.
16:05Par exemple, tous les êtres humains sont égaux.
16:09C'est très contre-intuitif, je dois dire.
16:12Mais c'est affirmé comme un dogme qui va fonder un certain système de normes.
16:18Donc les images, depuis toujours, jouent cette fonction qui permet
16:24de souder une collectivité humaine autour d'un certain nombre
16:28de représentations communes.
16:35Pour faire société, l'expression est de Castoriadis,
16:39dans un livre qu'il faudrait recommander aux jeunes gens
16:44qui envisagent de faire du droit.
16:46C'est l'institution imaginaire de la société.
16:49Les sociétés s'instituent par référence à un certain nombre d'images partagées.
16:56Alors, pour que ce mécanisme fonctionne,
17:00pour qu'une société se soude autour d'un certain nombre de représentations communes,
17:05il faut que ces images soient liées à la réalité.
17:09Plus généralement, disons, il faut que l'univers des symboles
17:16en puisse s'y fier.
17:18Le mot symbole, ça vient du grec symbolum.
17:22Au départ, c'est une signification juridique.
17:24C'est les deux morceaux d'un bolum, pensé à deux alliances,
17:31qui est la marque visible d'un lien invisible.
17:35C'est ça le symbole.
17:37Le symbole a déjà un statut d'image.
17:40Mais le contraire de symbolum, c'est diabolum.
17:43C'est le diable qui fait que l'image ne correspond pas au réel
17:48et nous fait prendre des vessies pour des lanternes.
17:51Donc, vous voyez la double capacité sulfureuse de l'image
17:55de souder une communauté à partir d'une représentation commune.
18:00Mais encore faut-il que cette représentation soit vraie
18:03et encore faut-il qu'on puisse s'y reconnaître.
18:06Si les gens sur la scène, on ne s'y reconnaît plus,
18:09ça tourne aux guignols.
18:11D'ailleurs, les guignols ont eu un grand succès
18:14pendant un certain moment à la télévision française
18:18parce que c'était une sorte d'exutoire à la souffrance
18:23qui pouvait exister dans la population
18:26de ne plus se reconnaître dans ses représentants,
18:30ses censés représenter.
18:32Vous voyez, la notion de représentation poétique
18:34s'entend d'abord dans ce sens théâtral.
18:37Et alors, si ça ne marche plus, à ce moment-là,
18:40si on n'y croit plus, la société se fragmente.
18:44Et ce n'est pas seulement vrai des images du cinéma,
18:48des documentaires, des emblèmes.
18:50C'est aussi vrai des images de la réalité
18:52que sont censées donner, par exemple, je ne sais pas,
18:55la comptabilité qui est définie par le Code de commerce
18:59comme une image fidèle de l'état de l'entreprise.
19:02Une image fidèle.
19:03D'ailleurs, la comptabilité en partie double
19:05est apparue en même temps que l'invention du tableau
19:08lors de la Renaissance.
19:09Donc, on peut avoir dans une image,
19:11une image qui est censée fidèle.
19:14Ça joue le même rôle que les icônes orthodoxes,
19:16si vous voulez.
19:17Tant que tout le monde s'y reconnaît,
19:19il y a une foi partagée, ça marche.
19:21Et puis, arrive l'affaire Enron.
19:23On s'aperçoit que ces chiffres sont trafiqués,
19:25d'autant plus que maintenant, la comptabilité a été indexée
19:28comme non plus un instrument de responsabilisation
19:31de l'entreprise, mais des talonnages,
19:34des performances boursières.
19:36Et à ce moment-là, le système s'effondre.
19:38On a eu la crise de 2008, notamment.
19:40Alors, voilà à peu près une première fonction essentielle
19:44des images vues d'un point de vue d'un spécialiste
19:47de droit et des institutions.
19:49Il y en a une seconde dont je vais dire un mot.
19:52C'est une fonction éducative.
19:54Ça a été mentionné tout à l'heure à propos des tâches
19:58et des missions de la Phénix.
20:01Parce que le statut des images...
20:04C'est bien, oui, ça va.
20:06Le statut des images a été très différent
20:10dans les trois religions du livre.
20:13Donc, du côté du judaïsme et de l'islam,
20:17il y a une exclusion de l'image par ses capacités, justement.
20:25Il y a une histoire latine, du christianisme latin
20:28qui est spécifique, qui a été retracée
20:31dans un livre magnifique d'Olivier Boulnois,
20:34justement sur le rapport latin à l'image,
20:37ou du christianisme occidental.
20:40Vous voyez, dans cette lettre du pape Grégoire,
20:42il écrit à l'évêque de Marseille.
20:44L'évêque de Marseille avait eu un geste iconoclaste.
20:47Il avait fait casser toutes les images dans les églises
20:50en disant, les gens adorent, c'est des idolâtres,
20:53ils adorent les images.
20:55Et voilà ce que lui répond Grégoire.
20:59Que tu aies interdit les images fussent adorées,
21:01nous l'avons tout à fait approuvée.
21:03Que tu les aies brisées, nous le blâmons.
21:05Car ce que l'écrit procure aux gens qui lisent,
21:07la peinture le fournit aux incultes qui le regardent.
21:11Parce que ceux qui ne savent pas lire, ils lisent.
21:13C'est pourquoi, surtout chez les païens,
21:15la peinture tient lieu de lecture.
21:18Donc, il y a cette idée que l'image,
21:21ce qui permet d'instruire,
21:22mais ce sont des images narratives,
21:24permet d'instruire la population.
21:28Donc ça, c'est une seconde fonction extrêmement importante.
21:33Et pour vous donner une anecdote qui m'avait spécialement amusé.
21:39Lorsque l'Organisation internationale du travail
21:42dont Marie a parlé tout à l'heure,
21:44a été créée à la fin de la Première Guerre mondiale,
21:46on l'a installée dans un très beau bâtiment
21:48sur les bords du lac Léman, le pavillon Rappart.
21:50Et un certain nombre d'artistes
21:52avaient été convoqués pour faire des images.
21:55Et il y avait des images du travail.
21:57Et notamment, il y en avait une avec le préambule
21:59de la constitution de l'OIT.
22:01Disons, il n'y a pas de paix durable sans justice sociale.
22:03Vous voyez ce genre de choses en plusieurs langues.
22:06Ensuite, l'OIT est partie dans un autre bâtiment.
22:08Et ce bâtiment de l'OIT est devenu celui de l'OMC.
22:12Et le premier acte du directeur Dugas,
22:14avant que ce soit l'OMC,
22:15ça a été de faire cacher ces choses.
22:17Vous voyez, le geste iconoclaste se retrouvait.
22:20Et ça a été masqué pendant une vingtaine
22:24ou une trentaine d'années.
22:25Toutes ces œuvres d'art,
22:27parce qu'elles ne correspondaient plus à l'image du monde
22:30qu'était censée porter l'OMC.
22:33Alors, cette force des images,
22:35elle vient de ce qu'il y a une universalité de l'image
22:38face, bien sûr, à la localité et la diversité des langues.
22:43N'importe quelle que soit votre langue,
22:46il reconnaît quelque chose qui est partagé avec les chiffres.
22:50Je le signale au passage.
22:52Les chiffres indo-arabes,
22:55on peut les lire quelle que soit la langue.
22:59Donc, en réalité, ce qui se passe,
23:02c'est que les rapports entre livres et images
23:05se sont associés très vite dans les manuscrits médiévaux.
23:11Et aujourd'hui, c'est quelque chose,
23:13je termine là-dessus, je suis trop long.
23:15Mais vous me dites, je compte...
23:17Oui, oui, j'ai une image à montrer,
23:19qui a trait, au fond, à mon expérience personnelle du documentaire.
23:25Pour illustrer cette histoire de fonction pédagogique,
23:28quand on fait ses cours au Collège de France,
23:30vient qui veut.
23:32On constitue un auditoire, qui est plus ou moins nombreux,
23:35qui vous suit.
23:36Et puis, le Collège ayant une mission plus générale que l'auditoire,
23:41nous étions invités tous à nous faire filmer.
23:44Donc, on filme les cours, et puis on les reproduit,
23:47et on est censé parler pour le monde entier.
23:49Même à l'origine, ça avait une voix en second,
23:52qui donnait en anglais.
23:54Parler anglais, t'es censé parler à tout le monde.
23:57C'est ce genre de pensée simple.
24:00Alors, moi, je suis avec quelques-uns,
24:04un collègue mathématicien,
24:06enfin bon, je vous porte la liste.
24:08J'avais refusé d'être filmé,
24:10considérant que nouer un lien de confiance avec un auditoire,
24:16c'est à la base d'une relation pédagogique.
24:20Et qu'ensuite, ce qui est enseigné,
24:23puisqu'au collège, on n'a jamais le droit de dire deux fois la même chose,
24:26ça doit prendre la forme de publications
24:28qui seront accessibles à tous.
24:30Or, il est clair maintenant que l'accès aux livres
24:33est de moins en moins facile pour les nouvelles générations.
24:36C'est de moins en moins spontané.
24:38C'est un effort, voire une douleur.
24:41Et mon idée, c'était qu'il faut un chaînon manquant.
24:44Il ne suffit pas de filmer un prof derrière sa chaire,
24:48en train de faire son cours.
24:50Il faut concevoir un objet spécifique.
24:53Et l'administrateur avait toléré qu'on fasse une expérimentation.
24:56C'était avec Cyril Bérard et Philippe Petit.
24:59On avait fait des séries d'entretiens,
25:02avec des séquences de sept minutes,
25:05pour résumer deux années de cours.
25:08Ça donnait lieu à un livre.
25:10La gouvernance parlait nombre.
25:12Mais il y avait un cours oral.
25:14Et l'idée, c'était d'avoir un instrument pédagogique
25:17qui manie l'oral et l'image.
25:21J'ai mis en bas à droite travail, salaire, profit,
25:25parce que c'est aussi une des rares fois
25:27où j'ai accepté de participer à un exercice audiovisuel,
25:30ayant confiance en Gérard Maudillat.
25:34Avec cette fonction là aussi du documentaire
25:37comme fonction pédagogique.
25:40Voilà ce que je peux dire brièvement sur votre première question.
25:43Pourquoi vous refusez de participer à l'image
25:49sur des documentaires sur le travail ?
25:54Ça va nous emmener loin si je vous pose la question.
25:57Je vois les chaînes de télévision habituelles
26:00comme un four à micro-ondes.
26:02On peut rentrer dedans et on ferme la porte.
26:08On n'a pas envie de rentrer dans un four à micro-ondes.
26:11En revanche, il m'arrive de temps en temps d'aller à France Culture.
26:15Parce qu'il y a un cadre.
26:17C'est la question des cadres de parole.
26:19Je peux en dire un mot.
26:21Il est clair que dans ma génération,
26:23à la fin des années 80-90,
26:26ce qui faisait le buzz, si je puis dire,
26:28c'était de mettre ensemble des gens qui pensaient différemment.
26:31Ils se criaient dessus, on n'entendait plus rien.
26:34Le spectacle, c'était la controverse,
26:37plus ou moins argumentée.
26:40Aujourd'hui, pour des raisons qui seraient trop longues d'évoquer ici,
26:43on va retrouver à la fin de notre entretien, je pense,
26:46il y a une fragmentation totale de l'espace public.
26:49Chacun se replie dans sa bulle, dans son système d'images.
26:53Et aujourd'hui, le monde audiovisuel,
26:57enfin je parle de la télé principalement,
26:59mais c'est vrai aussi des réseaux, etc.
27:01Chacun est enfermé dans des cercles autoréférentiels
27:04où on peut communier dans la haine de toutes les autres, si vous voulez.
27:08Dans un tel contexte, c'est assez difficile d'intervenir.
27:14C'est la notion de la contribution de l'image à l'espace public.
27:19Alors là, le documentaire peut échapper à ça.
27:23Justement, par définition, parce qu'il regardera qui voudra.
27:26Avis aux amateurs, vous n'êtes pas aussi réfractaires que ça
27:28à participer à des documentaires ?
27:30Non, justement.
27:31Le documentaire, c'est autre chose qu'une séance
27:33où on fait venir pour, je vous dirais,
27:36communier dans un centre de certitude partagée.
27:41Donc on va maintenant voir avec vous
27:44comment cette fonction politique et institutionnelle de l'image
27:48s'est déployée avec le travail comme sujet.
27:51Et là aussi, on va partir loin en commençant par la Grèce antique.
27:55Et on va voir aussi comment, en fait,
27:59c'est au moment de la révolution industrielle
28:01qu'il y a un basculement qui se fait
28:04sur la représentation du travail
28:06qui passe du positif au négatif.
28:09Oui, à grands traits, on peut dire ça.
28:12Alors avant de répondre directement,
28:14je voudrais dire que le sujet du rapport travail-image
28:17a donné lieu à beaucoup de publications.
28:21Il faut toujours payer ses dettes.
28:24Les universitaires, nous avons le privilège exorbitant
28:27même de pouvoir faire parler les morts
28:30par cet instrument magique qu'est la note en bas de page.
28:33Puis il y en a qu'on peut faire taire en ne les citant pas.
28:38Là, je voulais citer quelques auteurs,
28:41quelques universitaires qui réfléchissent sur ces rapports.
28:44Il y a une revue qui s'appelle Images du travail,
28:46travail des images.
28:48C'est un laboratoire,
28:49des collègues de sociologie à Poitiers.
28:51Puis je vous ai sélectionné quelques ouvrages,
28:54soit que j'ai reçus récemment
28:56ou auxquels j'ai contribué durant ces dernières années,
28:59qui portent justement sur cette question
29:04de la représentation du travail par les images.
29:09Et j'ai beaucoup appris de chacun d'eux.
29:13Le problème, c'est qu'effectivement,
29:18le travail, dans toutes les langues,
29:22j'ai essayé de faire, c'est un des charmes du collège,
29:25c'est qu'on est avec des polyglottes incroyables,
29:27donc on peut leur dire comment ça se dit en Swahili, etc.
29:33La notion de travail est à la rencontre de deux champs sémantiques
29:38qui en grec étaient Ergon et Ponos,
29:41l'œuvre et la peine.
29:43Et on peut dire qu'en français, on a ça,
29:46œuvre qui a donné ouvrier, c'est celui qui œuvre,
29:49qui fait surgir quelque chose de nouveau.
29:52Mais ce travail se fait dans la peine.
29:56On transpire ou on a mal à la tête.
29:59D'ailleurs, le sens original de ce mot travail
30:03qu'on partage juste avec le portugais et l'espagnol,
30:08c'est l'accouchement.
30:11Là, tout est dit, si je puis dire.
30:13On met au monde un être nouveau dans la douleur.
30:17Donc, il y a cette ambivalence fondamentale du travail
30:23et ça, on la retrouve sur la longue durée.
30:29De fait, jusqu'au tournant de la Renaissance,
30:35je vais revenir,
30:36les images du travail ont principalement consisté
30:42à montrer en quoi le travail s'inscrit
30:44dans un certain ordre cosmique.
30:46Alors là, c'est vrai, dès la Grèce,
30:49dans un séminaire que j'avais co-organisé à Cérisie
30:53autour de ce qu'est un régime de travail réellement humain.
30:56C'est une notion qui est extraite justement
30:58de ce régime de travail réellement humain.
31:01C'est dans le préambule de la constitution de l'OIT
31:04passé à l'OMC.
31:06Et j'avais demandé une collègue géniale,
31:10comme beaucoup de mes collègues sont géniaux,
31:12Cornélia Isler-Querény,
31:14qui est une grande antiquisante,
31:16qui revoit toute la mythologie à travers des images.
31:18Elle a fait un travail formidable.
31:20Et là, vous avez quelques images qu'elle nous avait projetées
31:24où l'on voit la place centrale du travail de l'artisan
31:30dans l'harmonie cosmique telle qu'elle se donne à voir
31:33dans la mythologie.
31:37Cet imaginaire grec,
31:40on va retrouver dans l'imaginaire médiéval
31:43encore une vue du travail accordée
31:47avec une sorte d'ordre cosmique.
31:50Alors c'est très net, là, dans ce que vous avez à gauche,
31:53sur les très riches heures du Duc de Berry.
31:55C'est la ville de Paris que vous voyez derrière.
31:57Mais vous voyez, c'est en dessous d'une représentation
31:59du cosmos tout entier.
32:02Et avec une représentation, déjà, là,
32:05on voit l'Occident moderne arriver,
32:08le calendrier qui préside aux tâches humaines
32:13et qui encore à l'époque gouvernait.
32:15On n'avait pas besoin de réglementation du temps de travail
32:17parce que quand il fait noir,
32:18on ne pouvait pas faire travailler son semblable.
32:20C'est à partir de l'invention de l'éclairage au gaz
32:22que l'on s'est mis à vouloir faire travailler les gens
32:24à quatre heures sur vingt-quatre.
32:25Donc il y avait l'impossible
32:28qui empêchait certaines formes de surexploitation.
32:31Ça ne veut pas dire que tout était très bien.
32:33Alors là, c'est magnifique.
32:35Enfin, je veux dire, tous les manuscrits médiévaux,
32:38ça vous saute à la figure.
32:40Une variété d'images, une variété de tâches.
32:42Vous voyez, sur les images que vous avez,
32:44il y a des charpentiers, il y a des médecins,
32:47il y a des scribes et des intellectuels.
32:50Et puis, il y a quand même les serfs, là.
32:52En bas, je dirais, c'est les travailleurs ubérisés
32:57au sens juridique technique du terme.
32:59Ce ne sont pas des salariés, mais ils ont un petit lopin.
33:02Sauf que le bâton, maintenant, est impersonnel.
33:05C'est l'algorithme.
33:06Mais l'image pourrait encore servir.
33:09Donc, dans l'ensemble, on a cette image du travail
33:14comme mode d'inscription de l'être humain
33:16dans un certain ordre cosmique
33:18qui allait de pire avec un respect de la nature.
33:21Une fois, j'ai demandé à Jean-Pierre Vernon,
33:23un des grands messieurs qui m'ont donné envie de vieillir.
33:27Parce qu'il a beaucoup écrit, Vernon,
33:31pour dire que les Grecs méprisaient le travail.
33:35C'est un total contresens.
33:37Je lui ai dit, ton paysan grec, quand il aboue,
33:41qu'est-ce que ça représente pour lui ?
33:43Il réfléchit.
33:44Il m'a dit, c'est une forme de prière.
33:46Et ça, vous le trouvez encore, je ne sais pas,
33:50dans les cultures africaines,
33:52qui voient la terre comme une instance souveraine
33:54et non pas comme un objet de propriété.
33:56C'est quand même un truc un peu dingo.
33:58Si vous voulez bien représenter la durée de la vie de l'homme
34:01et puis de la parcelle de terre,
34:03c'est la terre qui possède l'homme à la fin du temps.
34:06Mais il y a beaucoup de cultures qui ont cette vision
34:08que nous dépendons d'elle.
34:10Nous devons donc la respecter.
34:12Donc, vous voyez, c'est ça,
34:14cette inscription dans un ordre
34:17et dans la succession des générations.
34:19Alors, le tournant apparaît effectivement à la Renaissance.
34:25Là, je vous ai mis, j'adore Durer.
34:27Ces deux gravures m'ont servi,
34:31chacune d'ailleurs, pour des couvertures de livres.
34:34Celle de gauche, c'était pour
34:36Le travail n'est pas une marchandise,
34:38c'était ma leçon de clôture.
34:39Et celle de droite, sur Homo gerudicus.
34:41Vous voyez, Jérôme, là,
34:44qui travaille la traduction dans son cabinet,
34:47avec ses chaussons bien rangés.
34:49Panofsky a fait un long commentaire
34:52de ces deux gravures.
34:54Vous voyez son crâne chauve, mais illuminé par le ciel.
34:59Donc, il travaille en faisant son travail
35:03de traduction des Saintes Écritures
35:05dans un ordre qui donne sens à son travail.
35:10Je le résume comme ça.
35:12Et puis, vous avez à côté la Mélancolia,
35:15où on a déjà l'univers numérique,
35:19avec les tables de calcul, les sabliers, la pesée,
35:23dans un ciel lugubre, avec une sorte de rat,
35:27un chien grelottant.
35:28C'est l'homme livré à lui-même
35:30et qui va devoir penser par lui-même
35:33l'organisation du monde.
35:34Donc, je vous conseille Panofsky,
35:36parce que sur ce tournant, son livre est absolument génial.
35:40Alors, évidemment, ce tournant,
35:42il va s'accentuer avec la révolution industrielle
35:46et de l'harmonie qui présidait
35:50à la représentation globale du travail auparavant,
35:53à la mélancolie, on arrive au malheur pur et simple
35:57qui va se déployer à partir de la révolution industrielle
36:02qui va conduire à arracher des masses humaines entières
36:09à leur condition de vie, justement.
36:11C'était le mouvement des enclogeurs,
36:13ça commençait comme ça en Angleterre,
36:15pour les précipiter dans ce que Marx appelle
36:17le despotisme de la fabrique.
36:19Et là, au nom de la loi de la science,
36:23qui serait l'existence d'un ordre spontané du marché,
36:28c'est l'histoire de la main invisible.
36:31En Chine, ça a pris d'autres formes.
36:33On n'a pas parlé de la Chine ce matin.
36:36Et donc, on a précipité des enfants.
36:39Vous voyez la photo de la petite qui porte...
36:42Et là, la photo, c'est ce photographe américain.
36:46Il y a beaucoup des images d'enfants au XIXe siècle,
36:49il y en a des quantités.
36:50Ça a été un des premiers usages à la fois politiques
36:54et informatifs de la photographie naissante,
36:58c'est de faire comprendre, de faire connaître
37:01ce qui se passait dans les mines
37:02qui, par définition, on ne voit pas.
37:06C'est Lewis Hine, aux États-Unis,
37:09toute cette série d'images-là.
37:11Mais j'aurais pu en prendre d'autres.
37:13Il y en a énormément.
37:16Cette fonction, en même temps politique
37:21et informative de l'image,
37:23n'a pas été cantonnée à des photographies,
37:27mais c'était aussi très important
37:29dans la naissance du cinéma.
37:31Vous savez, c'est discuté.
37:34Le premier film serait la sortie des usines Louis Lumière.
37:38Et puis, vous avez ces œuvres géniales
37:41de Chaplin ou de Lang,
37:44qui vont...
37:50Les deux sont géniaux.
37:52Et très souvent, c'est un point, je dis,
37:54sans vouloir servir la soupe à quiconque,
37:56mais en général, le monde de l'art voit les choses
37:59bien avant les intellectuels.
38:01Il perçoit des changements
38:04avant que ça soit théorisé
38:07dans le monde qu'on dit aujourd'hui académique.
38:11Et si vous revoyez les images de Métropolis,
38:17vous éveillez non seulement la réduction
38:20des êtres humains à l'état d'engrenage
38:23soumis déjà à un gouvernement
38:25par les nombres, par la quantification
38:27de chacun de leurs gestes et du temps,
38:30mais aussi le fantasme de leur remplacement
38:33par des robots, figures féminines,
38:37très attractives, oui,
38:41qui est voué à terme à pouvoir se passer
38:45d'une partie inutile de l'humanité.
38:49Donc, ça a joué un rôle très important.
38:53Vous voyez, des films comme
38:56Les Temps modernes ou bien Métropolis
38:59ont participé d'une prise de conscience
39:02de la réalité du travail industriel
39:05à partir de laquelle des actions collectives
39:08ont pu se déployer.
39:12Alors, ce travail s'est poursuivi depuis
39:15sous tout un tas de formes.
39:17Il y a énormément de documentaires
39:19de très grande qualité.
39:21J'aurais pu citer, par exemple,
39:23aux États-Unis, Michael Moore,
39:26qui, sur certains sujets,
39:28comme l'état du système de santé
39:30ou bien les réductions d'effectifs,
39:32avait fait des films qui...
39:34Moi, je me rappelle, j'en avais vu un
39:36à Paris, aux sorties.
39:37Il y avait une Américaine en larmes
39:39à côté de moi qui me dit en anglais,
39:42en VO, c'est terrible, mais c'est vrai.
39:46Donc, vous voyez, la fonction de véridicité
39:49de l'image qui rencontre l'expérience.
39:52On est à nouveau dans le théâtre de Dionysos.
39:55C'est ça, la fonction politique profonde
39:58de l'image.
40:00Alors, parmi les contemporains,
40:03j'aurais pu vous en citer beaucoup,
40:06bien entendu.
40:08Bon, je fais un peu de réclame
40:10pour Weizmann, parce que j'ai eu
40:13la chance de le connaître.
40:15Il m'avait dit, mais Alain, vous savez,
40:17moi, j'ai commencé comme prof de droit,
40:19mais je me suis vite dit, je ne peux pas
40:21passer ma vie dans un endroit avec des gens
40:23aussi ennuyeux qui écrivent aussi mal.
40:26Je comprenais, ça me parlait.
40:29Et je lui avais répondu,
40:32certes, Frédéric, mais cela dit,
40:34vous avez passé votre vie à filmer
40:36les institutions.
40:37C'est-à-dire qu'il est resté profondément
40:39juriste.
40:40Donc, lorsqu'il m'avait invité
40:43à la première de la Comédie française,
40:45c'était à mourir de rire, parce que
40:47c'est la première fois qu'il filmait en France.
40:49Il est très francophile.
40:51Donc, il vient, il s'installe.
40:53Vous connaissez son système.
40:56Il filme et puis ensuite, tout se passe
40:58dans le montage.
40:59Il n'y a pas de...
41:01Il n'y a rien.
41:02On entend...
41:03C'est le montage qui est la construction
41:05du documentaire.
41:06Et il avait fait un documentaire.
41:08Voyez la Comédie française,
41:10on voit les acteurs qui tournent
41:12comme des bœufs pour mémoriser
41:14Sandrin.
41:15Il y a des...
41:16On voit tous les effets de vanité.
41:19On voit pas le travail isolé
41:22dans un geste de travail,
41:24mais le génie de Weizmann,
41:25ça a aidé de montrer l'institution
41:28et comment les individus s'inscrivent
41:31dans une institution qui, à la fois,
41:33peut les porter ou peut les détruire.
41:36Vous voyez ?
41:38Si j'avais un seul dans cet esprit
41:41à vous recommander,
41:42c'est Missile,
41:43qui n'est pas le plus connu.
41:45Ceux d'entre vous qui ne le connaissent pas,
41:47le thème, c'est...
41:48Il a filmé une base d'entraînement,
41:50je crois que c'est en Californie.
41:52Comment vous prenez n'importe quel
41:54jeune gamin qui sort d'une école
41:57d'ingénieur,
41:59ou pas d'ingénieur d'ailleurs,
42:01vous le formez et il faut qu'au bout
42:03de trois mois ou six mois de formation,
42:05si on lui dit d'appuyer sur le bouton nucléaire,
42:07il appuie sans se poser de questions.
42:10Donc c'est le travail de l'institution
42:13sur le travail des êtres humains.
42:16Voilà, je termine par une dernière référence
42:21qui est un blockbuster.
42:25On en a encore, oui.
42:27Ça, ça m'a été recommandé par un ami libanais
42:30qui enseigne à la SOAS de Londres.
42:33Il m'a dit, vous devriez aller voir ce film,
42:36la cheffe de la police ressemble à Christine Lagarde.
42:41Ça avait excité ma curiosité.
42:44J'étais allé le voir,
42:46je ne serais jamais allé voir un film comme ça autrement.
42:50Et en fait, ce n'est pas Christine Lagarde,
42:52c'est Jodie Foster.
42:54Je ne fais aucun commentaire qui pourrait me valoir des...
42:58Le thème du film,
43:00ça rejoue ce que je vous ai dit tout à l'heure
43:02sur Fritz Lang,
43:04sur la capacité de l'image
43:07de montrer ce qui travaille une société
43:10sans avoir été encore formalisée.
43:12C'est la sécession des élites.
43:15Donc, nous sommes en, je ne sais pas, 2300,
43:18je ne sais plus, c'est la science-fiction,
43:20et les riches ont fait sécession.
43:23Ils sont, vous voyez en haut à gauche de l'image,
43:25il y a un immense satellite qui a été créé
43:29où tout n'est que luxe, calme et volupté.
43:33On entend un peu parler français,
43:35et c'est Jodie Foster, la cheffe de la police,
43:37elle est parfaite francophone.
43:39Et ils ont notamment un système de soins,
43:43ils ont des sortes de grille-pain,
43:46on passe dedans, je ressors comme un jeune homme.
43:48Enfin, c'est des choses absolument formidables.
43:50Et puis, la Terre n'est plus rien d'autre
43:53qu'un vaste bidonville violent, pollué,
43:57où de temps en temps, un type vient pour voir
43:59si on s'abosse quand même suffisamment.
44:02Et ce qui va nouer l'intrigue,
44:07c'est que la petite copine du héros
44:11a une petite fille qui va mourir d'une leucémie,
44:14je ne sais pas de quoi,
44:15et il sait que s'il arrive à l'emmener dans le grille-pain,
44:18elle sera sauvée.
44:19Donc vous voyez, ce qui travaille la société
44:22à ce moment-là américaine,
44:24ce qui noue le sentiment d'injustice,
44:26c'est l'accès aux soins.
44:28C'était avant les histoires d'Obamacare.
44:32Donc moi, j'ai de l'admiration pour cette capacité,
44:35dans des films grand public, comme ça,
44:37de donner à comprendre, pour quelqu'un comme moi,
44:41certains ressorts de la société américaine
44:45et de certaines luttes sociales.
44:48Bon, je crois qu'on peut en rester là.
44:50Il nous reste 10 minutes.
44:53Ah, 5 minutes.
44:55D'accord, vous m'aviez dit 40 minutes.
44:57Alors, rapidement, justement,
44:59vous allez évoquer les défis, en fait,
45:02de filmer le travail,
45:04avec le travail tel qu'il évolue aujourd'hui,
45:07aussi tel qu'évolue la société.
45:09Alors, la question de la fragmentation,
45:11on en a déjà parlé.
45:12Vous en avez un peu parlé avant.
45:15Il y avait quelque chose d'intéressant aussi,
45:17quand on a préparé cet entretien.
45:19Vous avez parlé de la fonction éducative de l'image
45:21et donc sa fonction aussi d'éduquer les élites.
45:23Là, ça revient un peu à ça,
45:25quand vous nous présentez ce film.
45:27Et vous faites aussi le lien,
45:29dans ces difficultés,
45:30avec la gouvernance par les nombres.
45:31Alors, puisque c'est quand même un peu votre spécialité,
45:33dites-nous, en fait,
45:35en quoi cette gouvernance par les nombres
45:37peut compliquer le travail des documentaristes
45:39qui veulent filmer le travail.
45:41Oui, alors, il y a eu un tournant
45:43dans les formes d'exploitation du travail.
45:45Donc, tout le monde industriel
45:47que je vous ai évoqué tout à l'heure
45:49reposait sur un imaginaire
45:51qui est l'imaginaire mécanique.
45:55L'univers comme une vaste horlogerie.
45:57C'était l'imaginaire aussi de la physique classique.
45:59Il n'y a qu'en Occident
46:01qu'on a mis des objets de culte
46:03dans des temples des horloges.
46:05J'étais il y a un mois à Strasbourg,
46:07je suis allé admirer à nouveau
46:09l'horloge astronomique
46:11qui est une chose extravagante.
46:13C'est tout l'ordre du cosmos
46:15qui se déploie devant vous
46:17et c'est au milieu de l'Église.
46:19Donc, il y avait cette idée
46:21que tout l'univers est agi
46:23par les lois de la physique
46:25et y compris les êtres humains
46:27qui sont donc comme des engrenages,
46:29ce que montre Chaplin,
46:31qui obéissent mécaniquement
46:33aux impulsions qu'ils reçoivent.
46:35Et à cette époque-là,
46:37l'objet fétiche...
46:39Il y a très peu d'objets
46:41que les êtres humains ont portés
46:43toujours avec eux du matin au soir.
46:45La montre-bracelet est un de ceux-là.
46:47J'en ai une.
46:49J'étais très fier à 15 ans
46:51et le besoin indispensable
46:53dès le matin,
46:55s'il n'est pas à portée de main,
46:57vous vous mettez à être un peu nerveux,
46:59c'est le smartphone,
47:01c'est-à-dire un ordinateur.
47:03C'est dans la continuité,
47:05mais on est passé de cet imaginaire
47:07du monde comme vaste horlogerie
47:09à l'imaginaire cybernétique
47:11d'êtres qui rétroagissent
47:13aux signaux qu'ils reçoivent.
47:15La différence est grande
47:17parce que dans le schéma Chaplin,
47:19on dit que Taylor avait fait mettre
47:21à l'entrée de certains ateliers
47:23« check your brain out »,
47:25tu laisses ton cerveau dehors.
47:27Il y a beaucoup d'endroits en France
47:29où on pourrait dire que ça marche encore.
47:31Mais avec la révolution numérique,
47:33c'est plus ça.
47:35Il faut une emprise cérébrale.
47:37On mise sur le fait que
47:39les êtres humains,
47:41comme les machines ou les animaux,
47:43sont des machines à communiquer
47:45qui peuvent traiter des messages
47:47pour atteindre certains objectifs
47:49en étant programmés
47:51en rétroagissant
47:53au résultat de leurs tâches.
47:55C'est ça la boucle rétroactive.
47:57Dans l'imaginaire,
47:59l'être humain
48:01n'est plus un engrenage,
48:03c'est un ordinateur bipède.
48:05Ça fait une grande différence
48:07parce que dans le monde industriel,
48:09sur Fritz Lang,
48:11il y a encore des gens
48:13qui discutent sur la dunette
48:15de ce qui est juste et ce qui n'est pas juste.
48:17On est dans un univers
48:19où il n'y a plus du tout à penser ça.
48:21Il faut s'adapter
48:23en rétroagissant et ça touche aussi
48:25les classes dirigeantes,
48:27que ce soit les dirigeants économiques
48:29qui sont pilotés par les nombres
48:31ou les dirigeants politiques.
48:33Le fantasme aujourd'hui, c'est une mise
48:35en pilotage automatique des sociétés
48:37avec ces problèmes
48:39d'emprise cérébrale.
48:41Ce que je trouve le plus préoccupant
48:43dans cette évolution,
48:45il y a un aspect clair,
48:47c'est une déconnexion
48:49de l'acte de travail
48:51avec
48:53l'expérience au travail.
48:55Ceux que j'ai trouvés qui ont exprimé ça
48:57le plus clairement, c'est dès 2011
48:59ou 2012, je crois,
49:01les médecins et infirmières
49:03hospitaliers qui ont dit
49:05qu'on nous demande de soigner l'indicateur
49:07plutôt que le malade.
49:09C'est une formule qui résume l'idée de gouvernance
49:11du travail par les nombres.
49:13Vous voyez toute la souffrance, dégradation
49:15du service, souffrance dans l'exécution
49:17du travail
49:19que ça peut entraîner.
49:21Un autre facteur, c'est que non seulement
49:23ça affecte les
49:25classes dirigeantes, mais ça affecte aussi
49:27des gens qui sont hors du champ du travail
49:29par le biais des plateformes.
49:31Les cervelles des enfants
49:33sont une cible privilégiée
49:35des réseaux
49:37pour les amener
49:39s'ajuster à un monde
49:41sans jamais avoir à discuter la justice de ce monde.
49:43C'est ça la donnée commune, si vous voulez,
49:45à la révolution numérique et au néolibéralisme.
49:47C'est l'idée qu'il existerait
49:49un ordre
49:51auquel on doit se conformer,
49:53s'adapter, sans le
49:55discuter. Et ça pose
49:57des problèmes évidemment tout à fait nouveaux.
49:59Oui.
50:01Alors, oui, on termine.
50:03Oui, ils sont fatigués.
50:09Non.
50:15Dans ce contexte,
50:17les documentaires
50:19sur le travail sont plus précieux
50:21que jamais.
50:23Alors, j'en donne un exemple,
50:25je fais un petit peu de réclame pour
50:27le film de Gilles Perret et François Ruffin,
50:29parce qu'il m'a été donné d'aller le voir
50:31l'automne dernier dans une salle,
50:33j'allais dire campagnarde,
50:35qui était archipleine,
50:37et les gens étaient pliés de rire.
50:39Et là, j'ai vu
50:41le théâtre de Dionysos.
50:43Ils s'y reconnaissaient.
50:45À mes yeux, un documentaire
50:47comme ça renverse la proposition
50:49du pape Grégoire.
50:51C'est l'image qui est
50:53là pour instruire
50:55les idiotices
50:57qui sont les lettrés.
50:59Puisque vous connaissez
51:01le ressort de ce film,
51:03c'est une dame qui vit sur les
51:05plateaux télé à vomir
51:07tous les jours,
51:09des fonctionnaires,
51:11et la mère
51:13a découpé des poissons
51:15pour faire le travail de livreur.
51:17Donc, c'est un retournement
51:19de la fonction pédagogique où le documentaire
51:21sert à l'éducation des dominants.
51:23Et puis,
51:25j'ai mis
51:27une sélection que vous allez
51:29reconnaître, peut-être certains documentaires,
51:31puisque ce sont ceux dont nous allons
51:33entendre parler aujourd'hui.
51:35J'en ai ajouté
51:37deux, un de fiction
51:39qui est celui de Ken Loach
51:41sur Sorry We Missed You.
51:43Pendant longtemps, je me suis dit, mais quand est-ce que
51:45Chaplin va sortir
51:47de sa tombe pour montrer le travail sous plateforme ?
51:49Chaplin,
51:51son âme était
51:53passée chez Ken Loach et c'est un film
51:55qui montre à la fois les effets de destruction
51:57de la cellule familiale, par cette
51:59fiction
52:01d'un travail qui est
52:03présumé indépendant.
52:05Et puis, il est encore disponible
52:07les sacrifiés de l'IA.
52:09Je vais terminer là-dessus.
52:11Parce que ça accumule
52:13beaucoup de problèmes.
52:15Ce qui est angoissant, c'est de voir
52:17que ces nouvelles formes
52:19d'exploitation du travail
52:21par emprise cérébrale
52:23sont en train de réduire en bouillie
52:25les cerveaux de génération montante.
52:27Et dans le cas des sacrifiés
52:29de l'IA dont il est question dans ce documentaire,
52:31moi, j'ignorais.
52:33J'ai découvert.
52:35Pourtant, les questions d'intelligence artificielle,
52:37on n'arrête pas d'être interrogé là-dessus
52:39sans arrêt.
52:41Ça porte sur
52:43des jeunes
52:45africaines et africains en Tanzanie
52:47à qui on demande
52:49de dresser
52:51les machines à deep learning.
52:53Donc, il faut qu'ils apprennent
52:55à reconnaître des images.
52:57On a des journées à regarder
52:59de la pédopornographie, des scènes de torture
53:01dix heures par jour
53:03pour un dollar.
53:05Et on voit
53:07comment ça détruit
53:11ces jeunes gens.
53:13Donc, en voyant ça, je ne pouvais pas
53:15ne pas repenser aux petits
53:17gamins qu'on envoyait
53:19dans les mines
53:21comme cher apathé du capitalisme
53:23industriel.
53:25On termine sur la chère apathé.
53:27Ce n'est pas très étonnant.
53:29Non, sur la fonction
53:31qu'a le documentaire
53:35de nous rappeler quel est le réel.
53:37Et peut-être que si jamais les élites
53:39le regardent moins,
53:41en tout cas, il a toujours sa fonction.
53:43Une de ses fonctions,
53:45c'est justement
53:47en donnant à voir
53:49à des personnes diverses
53:51s'ils ne se connaissent pas forcément
53:53dans la réalité dans laquelle ils se reconnaissent.
53:55C'est un premier pas
53:57dans la restauration
53:59d'une capacité collective d'agir
54:01sur son sort dans un monde
54:03où on veut nous faire croire
54:05qu'on est en pilotage éthématique
54:07et que tout est déjà écrit d'avance.
54:09C'est non seulement une fonction
54:11d'instruction
54:13mais aussi de mobilisation.
54:15Je préfère comme conclusion.
54:19Merci à tous.
54:21On a une parole pour la suite
54:23de cette journée.
54:31Merci Marie, merci Alain.
54:37Je voulais faire une toute petite transition
54:39puisque Alain parlait
54:41de la manière dont le documentaire,
54:43à un moment donné, de manière instinctive
54:45va chercher, va porter
54:47le regard dans la plaie.
54:49Je détourne un petit peu ce que vous avez dit
54:51mais je l'ai ressenti très fort.
54:53Ayant grandi à Montbéliard, à l'ombre des usines Peugeot,
54:55pour moi les usines Peugeot c'était des murs,
54:57c'était des barrières, c'était des fumées,
54:59l'odeur de l'électroforese,
55:01Christian, le matin dans les rues de Montbéliard.
55:03Et puis un jour,
55:05j'ai vu un documentaire
55:07et tout d'un coup la réalité de ce qui se passait à l'intérieur
55:09m'a bondi au visage.
55:11C'était une séquence
55:13d'un film qui s'appelle Avec le sang des autres
55:15de Bruno Muel, récemment disparu,
55:17dans lequel Christian Corrouges,
55:19ici présent, ouvrier à la chaîne chez Peugeot,
55:21parlait de ses mains.
55:23Et ça, tout d'un coup, la réalité ouvrière
55:25par ces quelques minutes de documentaire
55:27est apparue dans toute sa violence.
55:29Christian Corrouges,
55:31merci d'être là. Alain,
55:33merci mille fois. Marie, merci beaucoup.

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