Dans le cadre de l’Année du documentaire 2023, la Scam, ARTE et le CNC vous proposent ce quatrième volet « Le documentaire a-t-il un genre ? » de la série de rencontres « Le Documentaire : matière à penser » qui s'est déroulé à Paris, le 8 décembre 2023.
Programme de la journée :
• 10h30 : Introduction par Paul B. Preciado, philosophe, écrivain et réalisateur, animée par Fabrice Puchault, responsable de l’unité Société et Culture chez ARTE
• 11h30 : Conversation entre Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, cinéastes et artistes, animée par Elisabeth Lebovici, historienne de l’art, journaliste et critique d’art
• 14h30 : Entretien avec Kirsten Johnson, réalisatrice et directrice de la photographie documentaire, mené par Rémi Lainé, président de la Scam et réalisateur, et Marie Mandy, réalisatrice
• 16h30 : Masterclass avec Tabitha Jackson, réalisatrice, avec traduction par Marguerite Capelle
Programme de la journée :
• 10h30 : Introduction par Paul B. Preciado, philosophe, écrivain et réalisateur, animée par Fabrice Puchault, responsable de l’unité Société et Culture chez ARTE
• 11h30 : Conversation entre Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, cinéastes et artistes, animée par Elisabeth Lebovici, historienne de l’art, journaliste et critique d’art
• 14h30 : Entretien avec Kirsten Johnson, réalisatrice et directrice de la photographie documentaire, mené par Rémi Lainé, président de la Scam et réalisateur, et Marie Mandy, réalisatrice
• 16h30 : Masterclass avec Tabitha Jackson, réalisatrice, avec traduction par Marguerite Capelle
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00:01:25 Bonjour à toutes et à tous, je suis Yanne de Thume, je suis en charge du service du soutien aux documentaires à la Direction de l'audiovisuel,
00:01:32 et au nom de toutes les équipes qui travaillent au quotidien pour accompagner le documentaire, je vous souhaite la bienvenue au CNC,
00:01:38 je suis très heureuse de vous voir si nombreux, et je souhaite aussi la bienvenue à toutes les personnes qui nous suivent depuis la salle virtuelle d'Arte,
00:01:46 car je sais qu'à chaque fois vous êtes très nombreuses.
00:01:49 C'est donc aujourd'hui la quatrième et dernière session du cycle "Matière à penser", qui a été conçu par Arte et la SCAM, dans le cadre de l'année du documentaire.
00:01:59 Alors on est en décembre, donc je suppose que vous savez ce que c'est que l'année du documentaire,
00:02:03 mais au cas où je le redis pour celles et ceux qui le découvriraient aujourd'hui.
00:02:08 C'est donc une opération qui a été initiée par la Cinémathèque, que je salue, et la SCAM,
00:02:15 inaugurée par la ministre de la Culture en janvier dernier, au FIPADOC,
00:02:19 et qui vise à donner au documentaire, tout au long de l'année, une exposition particulière à ce genre que nous affectionnons tous,
00:02:27 parce que c'est sans doute le genre audiovisuel le plus propice à la réflexion, à la nuance, à la construction d'un point de vue,
00:02:35 parce que c'est un genre d'une immense diversité d'écritures, d'acteurs et de modes de diffusion,
00:02:41 parce que c'est un genre dont l'utilité sociale, politique et culturelle est absolument incontestable,
00:02:47 parce que c'est un genre qui se questionne et se réinvente toujours,
00:02:51 et parce que nous sommes, je crois, toutes et tous passionnés de documentaire.
00:02:55 On a considéré collectivement qu'il était important de lui donner une place privilégiée cette année.
00:03:01 Ça a donc été l'écrin de ces quatre journées, qu'on est heureux d'accueillir aujourd'hui.
00:03:06 Je précise qu'au-delà de ces temps de réflexion et d'échange au CNC,
00:03:11 on a profité de cette année pour avancer sur un certain nombre de réflexions assez concrètes
00:03:15 sur la façon de mieux accompagner les auteurs, les autrices, les producteurs et productrices de documentaires.
00:03:20 On vous en parlera à Biarritz à l'occasion du FIPADOC, ce qui sera l'occasion de faire le bilan de cette année.
00:03:28 On était la semaine dernière peut-être avec certains d'entre vous ici,
00:03:32 autour de la question du renouvellement de la création et des publics.
00:03:36 Il y a trois jours, on était avec l'USPA au Forum des images sur l'opération DOC,
00:03:41 que certains ou certaines d'entre vous ont peut-être suivi,
00:03:44 avec notamment une table ronde qui va faire écho à la question qu'on va traiter aujourd'hui.
00:03:48 Et j'en profite pour vous dire que l'opération DOC met à disposition 45 documentaires,
00:03:53 pendant 45 jours, jusqu'au FIPADOC. Donc profitez-en.
00:03:58 Voilà, je vous souhaite une très belle journée. Je remercie encore Arte et LASCAM de nous avoir embarqués dans cette aventure.
00:04:04 Et je vous donne rendez-vous à Biarritz pour la suite et la clôture de l'année du DOC.
00:04:10 Et merci encore à toutes celles et ceux qui ont accepté de participer à cette belle journée.
00:04:14 Et je laisse la parole à Rémi Lénet.
00:04:16 Merci Anne. Merci à vous. Il y a juste un mot que je retirerais dans ton propos, Anne.
00:04:23 C'est le mot clôture. Parce que je crois que l'année du documentaire, c'était plutôt une ouverture sur l'avenir.
00:04:27 Il y a un rapport de l'IGAC qui vient de sortir, IGAC, Inspection Générale des Affaires Culturelles,
00:04:32 et qui pointe sur la pratique du documentaire, sur l'économie du documentaire.
00:04:36 Et en dehors d'un certain nombre de questions structurelles, souligne le fait que le documentaire est le genre le plus prisé du public, de la télévision.
00:04:46 Je vais peut-être m'arrêter là, parce que des plateformes, j'aurais peur de dire une bêtise,
00:04:50 je ne me souviens plus si ça concerne uniquement la télévision ou les plateformes.
00:04:53 En tout cas, genre extrêmement prisé. Alors, je suis réalisateur, j'ai la chance de présider la SCAM pour quelques temps encore, pour deux ans.
00:05:01 Nous n'avons pas notre maison qui est en travaux, et donc c'est la raison pour laquelle nous bénéficions de l'accueil du CNC que je remercie.
00:05:09 Et puis, plutôt que de parler de choses où je serais peut-être pas tout à fait légitime en tant que mâle de 60 ans depuis cet été à évoquer,
00:05:18 j'ai demandé à Marie Mandy, réalisatrice et co-organisatrice de la ligne éditoriale de cette journée, de dire quelques mots.
00:05:25 Marie, tu as la parole. Marie qui est réalisatrice.
00:05:28 Merci Rémi. Bonjour à toutes et à tous.
00:05:32 Mais oui, je voulais simplement juste un tout petit peu vous donner une idée des questions qu'on va aborder aujourd'hui.
00:05:41 Alors, la question que nous allons explorer est vraiment celle du regard.
00:05:44 Parce qu'en tant que cinéaste, évidemment, on a envie de comprendre comment nous regardons.
00:05:49 Et ce qui détermine notre regard, c'est ce que nous sommes chacun, chacune.
00:05:54 C'est notre personnalité, c'est notre identité, mais c'est surtout aussi le corps à partir duquel nous observons le monde et nous pensons nos images.
00:06:01 Évidemment, quand on parle de corps, la question du genre, elle surgit.
00:06:05 Et donc, évidemment, cette question-là, le documentaire a-t-il un genre ?
00:06:09 Il n'y a pas si longtemps, Jane Campion a déclaré "J'aimerais voir plus de femmes réalisatrices parce qu'elles représentent la moitié de la population, même un peu plus d'ailleurs, et qu'elles ont donné naissance au monde entier.
00:06:24 Si elles n'écrivent pas et ne réalisent pas leurs films, nous n'allons pas connaître toute l'histoire."
00:06:30 Et elle a raison, parce qu'il ne faut pas oublier que l'histoire du cinéma, qu'elle soit documentaire ou fiction, a été principalement fondée par et sur le regard masculin patriarcal.
00:06:42 Combien de femmes, en tout cas de mon âge, n'ont-elles pas appris le cinéma uniquement à travers des films faits par des hommes ?
00:06:49 Moi, quand je me suis rendue compte de cette évidence, quand je suis terminée mes études de cinéma, il y a quelques décennies déjà, j'étais stupéfaite, en fait.
00:06:57 Et je n'ai eu de cesse depuis de vouloir apprendre à construire mon propre regard.
00:07:01 Et c'est un peu ce qu'on va essayer de faire ensemble aujourd'hui.
00:07:04 Alors bien sûr, souvent, les outils nous manquent, parce que ce langage, ce vocabulaire n'existe pas, les concepts ne sont pas tellement explorés.
00:07:12 Sans doute qu'un certain nombre d'entre vous savent qu'une des premières personnes à se pencher sur cette question, c'était Laura Mulvey, une critique de cinéma, réalisatrice et féministe britannique,
00:07:24 qui, dans les années 1975, a publié un livre qui a été traduit en français sous le titre "Au-delà du plaisir visuel", et dans lequel elle forge le fameux "male gaze",
00:07:35 donc ce fameux regard masculin dont on a beaucoup parlé ces derniers temps.
00:07:39 Et en fait, en deux mots, elle montre que le regard dominant dans la pop culture, que ce soit le cinéma, les séries, les magazines, les jeux vidéo,
00:07:48 ce regard dominant, c'est évidemment celui d'un homme hétérosexuel et plutôt blanc.
00:07:54 Et à partir du moment où elle a défini le regard masculin, Mulvey a ouvert la porte à l'invention d'une multitude d'autres regards.
00:08:01 Bien sûr, le regard féminin, le "female gaze", le regard féministe, le regard queer, et puis d'autres regards qu'on appelle par exemple "regards oppositionnels" ou "regards tendres".
00:08:12 Et ces différents regards s'ajoutent, se superposent à nos identités.
00:08:16 Parce qu'évidemment, un regard féminin peut être hétéro ou lesbien, un regard féminin peut être noir ou trans, un regard noir peut être trans,
00:08:25 donc voilà, il y a un croisement incroyable qui surgit et qui fait partie aujourd'hui des questions qui nous habitent en tant que faiseurs et penseurs d'images.
00:08:34 Évidemment, c'est complexe, c'est pour ça que nous avons convoqué toutes ces belles personnes à venir en parler avec nous.
00:08:40 - Un casting de choix ?
00:08:42 - Absolument, un casting de choix.
00:08:45 Et donc, ce matin, nous entendrons Paul Preciado, mais bien sûr en particulier sur la question du "trans gaze", donc le regard trans.
00:08:54 Ensuite, avec un couple de créateurs, Johanna Adjitoma et Kahlil Jorej, nous observerons comment le féminin, le masculin, circule,
00:09:04 comment ils additionnent leurs regards et voilà, comment leur pratique influe sur leurs images.
00:09:11 Cet après-midi, avec Rémi, nous allons passer un moment sur le "female gaze", le regard féminin,
00:09:17 avec la chef opératrice et réalisatrice américaine Kirsten Johnson,
00:09:21 parce qu'on se demande évidemment est-ce qu'une femme à la caméra change radicalement la manière de filmer.
00:09:26 Et nous terminerons la journée avec Tabitha Jackson, qui vient d'arriver de New York et a dirigé ces dernières années le festival de Sundance,
00:09:36 qui est le plus grand festival américain de cinéma indépendant.
00:09:39 Et elle nous parlera aussi de la nécessité d'imposer ces nouveaux regards dans les choix de programmation, ce qui est souvent assez compliqué.
00:09:48 Voilà. Donc je pense que c'est parce que nous avons manquant de mots et peut-être d'idées pour creuser tout ça
00:09:58 que nous avons intitulé cette série "Matière à penser" et donc vive la matière à penser.
00:10:04 Merci Marie. Fabrice, à toi d'ouvrir le bal. D'ouvrir le bal. Je te passe le micro, Fabrice Puchot, qu'on ne te présente plus.
00:10:17 Oui, merci beaucoup d'être là. Paul, Paul B. Preciado, rejoins-moi ici.
00:10:25 Donc on a voulu entamer cette journée avec Paul. On est très content de cette journée.
00:10:32 Et par ailleurs, si c'est l'année du documentaire et qu'elle se clôt, rien ne se clôt.
00:10:38 Et on pense très activement avec la SCAM, avec le CNC, à poursuivre ces journées de réflexion parce qu'elles ont été, je pense,
00:10:44 à chaque fois très productives et très suivies. Donc merci infiniment.
00:10:50 Je vais commencer avec Paul. Salut Paul. Ça va ?
00:10:54 Vous avez reçu une courte biographie de Paul Preciado, mais sa biographie dépasse largement ça.
00:11:05 Par ailleurs, dans sa biographie, il manque le dernier bouquin d'Isforia Mundi, qui est une espèce de souffle.
00:11:11 Enfin, moi, je le caractérise comme ça, de souffle et de moment de joie.
00:11:16 À la lecture, c'est un gros pavé, mais il est... et parfois la taille rebute, mais il ne faut pas être rebuté.
00:11:23 Mais surtout, ce qu'il n'y a pas dans sa biographie, c'est que Paul a fait un film.
00:11:27 Un film qui s'appelle "Orlando, ma biographie politique".
00:11:32 Alors, dire qui est Paul, et c'est peut-être pour ça, c'est même sûr, c'est pour ça que tu es là.
00:11:38 C'est très compliqué, parce que Paul écrit dans "Isforia Mundi", "Je suis ex-femme, ex-copine,
00:11:42 ex-partenaire, ex-lesbien, ex-homosexuel, mais non moins ex-hétérosexuel, ex-nichéen, ex-diridien,
00:11:47 ex-foucaldien, ex-deleuzien, ex-guétarien, ex-moderne et post-moderne, ex-queer, ex-humaniste,
00:11:52 ex-féministe, ex-LGBTQ-iste, ex-identitariste, ex-commissaire d'art, ex-directeur d'ex-projet,
00:12:01 d'ex-institution, ex-historien et surtout ex-trans, extra-ordinaire, expansif, excessif.
00:12:07 J'aime beaucoup cette théorie comme ça, qui est très belle, transformant l'intériorité en extériorité.
00:12:15 Maintenant, je préfère être ex-static plutôt que statique.
00:12:18 Parfois, je suis épuisé par ma propre position ex-centrique, ex-extraterrestre.
00:12:26 Je pense que le mot ex- ne veut pas dire seulement ancien, mais que c'est une accumulation,
00:12:30 si je puis me permettre, et que par ailleurs, ex- veut dire aussi l'excès,
00:12:35 c'est-à-dire pousser les choses à un point d'incandescence pour essayer d'en tirer toute la force.
00:12:42 Un jour, tu as dit que tu étais en fait, en-traversé.
00:12:49 Ce qui est intéressant dans le travail de Paul, j'en viens à la première question,
00:12:54 le documentaire est-il un genre ? Parce qu'en fait, Paul ne cesse, dans ses livres, de refuser la binarité.
00:13:03 Cette binarité qu'il trouve mortifère, très concrètement mortifère, qu'il pense mortifère.
00:13:09 Tu es en quelque sorte l'anti-binaire, mais aussi en termes esthétiques, en termes de poétique.
00:13:15 Et Orlando, que pour ceux qui ne l'ont pas vu, je vous recommande de voir,
00:13:20 franchit toutes les frontières des genres dans tous les sens du terme.
00:13:26 Alors voilà, tu commences, tu finis "Dysphoria Mundi" en disant "mes amis, je suis empli de joie".
00:13:35 Et le film est définitivement joyeux, heureux. Le film est drôle, extrêmement drôle.
00:13:42 Qu'est-ce que tu veux dire ? Qu'est-ce que tu veux exprimer par cette joie ?
00:13:46 Est-ce qu'on peut dire que dans cette joie, il y a un projet esthétique particulier ?
00:13:50 Merci beaucoup pour cette présentation vraiment très généreuse.
00:13:56 Je suis ravi d'être là, d'être invité parmi vous, puisque ce n'est pas exactement,
00:14:04 on va dire, les lieux dans lesquels je suis invité à parler d'habitude.
00:14:11 C'est vrai que je n'aurais jamais imaginé faire un film.
00:14:15 Et que du coup, je me retrouve quand tu parles même de quelqu'un qui a fait un film et c'est quelqu'un, c'est moi.
00:14:20 Je me dis vraiment, c'est vrai, j'ai fait un film.
00:14:23 Je ne sais pas comment ça s'est passé, même si il y a des témoins ici qui pourront quand même porter la preuve.
00:14:30 Mais je suis ravi en tout cas de pouvoir en discuter avec vous.
00:14:36 En fait, avant de répondre sur la joie, définitivement, oui.
00:14:43 Mais on parlera plus tard peut-être de la joie.
00:14:46 Même si, je disais tout à l'heure, que j'ai perdu dernièrement, peut-être dans les dernières 4 ou 5 semaines,
00:14:52 j'ai perdu beaucoup de ma joie, en tout cas beaucoup de mon optimisme pathologique.
00:14:58 Mais pour moi, l'optimisme n'est pas du tout...
00:15:00 Vous allez voir que je mets en place un exercice de désychiatrisation, de psychologisation,
00:15:10 des affects, et notamment des affects politiques.
00:15:14 Puisque pour moi, l'optimisme n'est pas du tout un état psychologique.
00:15:18 Et la joie n'est pas du tout un état psychologique.
00:15:20 Ce n'est pas "Oh là là, aujourd'hui je suis très joyeux", etc.
00:15:24 Non, pour moi, l'optimisme et la joie sont des méthodologies politiques.
00:15:29 Donc c'est vraiment...
00:15:31 Si ce sont des affects, c'est des affects politiques,
00:15:35 qui sont interpersonnels, collectifs, qui partent de la relation,
00:15:42 et pas du tout d'un sentiment, soi-disant psychologique,
00:15:46 qui pourrait être à la limite, quelque part, diagnostiqué.
00:15:50 Excess de joie, ou peut-être pas de joie, donc dépression, ou excess de joie.
00:15:55 Donc bon, mais avant de dire tout ça, en fait,
00:16:01 si vous voulez, je voulais peut-être réagir à comment...
00:16:06 Puisque je vais parler en premier, malheureusement, ou heureusement, dans la journée.
00:16:11 Mais je voulais réagir à comment vous vous encadrez cette journée.
00:16:17 Que vous posez la question du genre, et vous la posez d'emblée,
00:16:22 comme une question sur laquelle, déjà, nous savons tout.
00:16:26 C'est-à-dire, d'avance, vous pensez que c'est une question qui va parler du féminin,
00:16:34 qui va parler, maintenant vous dites des couillards,
00:16:37 franchement, je pense que c'est pas la peine.
00:16:42 C'est-à-dire, déjà, vous arrivez 30 ans, 40 ans en retard,
00:16:46 donc c'est même pas la peine.
00:16:48 Les couillards, ça n'existe plus en tant que politique aujourd'hui aux Etats-Unis,
00:16:52 parce que c'est là où c'est apparu.
00:16:54 Donc parlons concrètement des pratiques de dissidence sexuelle et du genre.
00:17:01 Parlons, effectivement, des positions de dissidence par rapport à l'hégémonie
00:17:06 patriarcale, hétérosexuelle et binaire.
00:17:09 Ce qui est beaucoup plus intéressant que parler des couillards,
00:17:12 parce que tout d'un coup, quand on dit couillard,
00:17:14 on sait pas exactement qu'est-ce qu'on veut dire.
00:17:16 Ça arrange tout le monde, mais ça arrange pas du tout
00:17:19 les minorités politiques concernées par des positions qui sont souvent
00:17:23 des positions d'exclusion ou des impossibilités d'accéder à produire
00:17:29 des représentations.
00:17:31 Je voulais vous dire, en fait, que pour moi,
00:17:35 quand on parle des questions du genre, on parle pas du tout du féminin,
00:17:39 ni même des gays, lesbiennes ou encore moins des trans.
00:17:47 Quelqu'un a dit que j'allais parler du transgay.
00:17:49 Mais moi, je serais horrifié de parler du transgay.
00:17:52 Pour moi, les transgays, ça n'existait pas.
00:17:54 Déjà, les gays, comme quelque chose qui est objectivé,
00:17:57 qui a l'impression qu'il est attaché...
00:17:59 Justement, vous avez parlé immédiatement du corps,
00:18:01 comment si les regards étaient attachés au corps
00:18:04 et que c'était quelque chose qui était intrinsique à l'anatomie
00:18:09 presque de l'œil, de l'œil féminin, de l'œil masculin,
00:18:12 de l'œil... comment s'il y avait un corps masculin, un corps féminin,
00:18:16 un corps hétérosexuel, un corps blanc, un corps noir.
00:18:20 Donc moi, tout ça, personnellement, ça ne m'intéresse pas du tout.
00:18:24 Je pense que ça, ça peut nous faire perdre un temps fou.
00:18:28 Et donc oui, à multiplier, si vous voulez, par contre,
00:18:32 effectivement, les lieux d'identification et les positions identitaires
00:18:36 qui, après, vont se confronter les unes avec les autres.
00:18:39 Et donc, du coup, il y a des choses très étranges.
00:18:42 Par exemple, quand les directeurs de l'ESCAM, tout à l'heure,
00:18:46 vous dites en fait, moi, en tant qu'homme de 60 ans,
00:18:49 je passe le micro parce que, en fait, comment si vous n'êtes pas autorisés.
00:18:53 Mais c'est totalement... Pardonnez-moi, mais c'est totalement ridicule.
00:18:57 Mais on ne parle pas du fait que vous avez le micro ou pas dans une salle.
00:19:01 On parle, soyons clairs, nous parlons en fait, d'abord d'une épistémologie,
00:19:07 donc d'un régime de représentation, d'un régime de représentation
00:19:12 à l'intérieur duquel nous sommes tous, toutes, tous situés.
00:19:17 Donc ce n'est pas une question du corps.
00:19:20 Le corps est un effet de ce régime de représentation.
00:19:23 Le fait que votre corps est pensé en tant que corps masculin,
00:19:26 en tant que corps féminin, en tant que corps racisé, en tant que corps blanc,
00:19:31 c'est un effet de ce régime de représentation.
00:19:34 Ce n'est pas du tout, en fait, que vous avez un corps
00:19:37 et que vu que vous avez un corps masculin ou féminin,
00:19:40 vous êtes situé après et vous n'avez absolument pas d'identité.
00:19:43 Et donc ce qui, moi, personnellement, m'intéresse,
00:19:46 c'est justement comment les technologies de représentation,
00:19:50 et notamment, effectivement, d'une part, au 19e siècle, la photographie,
00:19:54 mais on pourrait commencer avec beaucoup,
00:19:57 enfin je regarde Elisabeth Libowitchi,
00:19:59 qui est une des grandes théoriciennes de l'art contemporain, de l'histoire de l'art.
00:20:04 Donc on pourrait commencer bien avant, mais on va parler, en fait,
00:20:07 de celle qui nous intéresse aujourd'hui, qui est le cinéma.
00:20:10 Parce qu'après, les documentaires, etc.
00:20:12 Pourquoi les documentaires et les commentaires et pas cinéma, tout court, etc.
00:20:15 Tout ça aussi, pour moi, personnellement, c'est des batailles de budget.
00:20:20 - Elles existent, elles sont rationnelles et raisonnables,
00:20:24 mais néanmoins, tu as raison, ce sont des batailles de budget.
00:20:27 - Mais donc, pour moi, en fait, il faudrait commencer par poser les questions
00:20:32 en termes d'épistémologie politique, du régime politique,
00:20:36 à un régime politique qui est hétérosexuel, mais hétérosexuel,
00:20:41 pas comme pratique sexuelle.
00:20:43 Attention, c'est très important.
00:20:45 C'est ça que nous avons appris avec Monique Wittig,
00:20:49 avec Judith Butler, quand on parle d'hétérosexuel,
00:20:51 d'hétérosexualité, on ne parle pas d'une pratique sexuelle,
00:20:54 mais d'un régime politique.
00:20:56 Donc, quand bien même, en fait, vous savez peut-être des pratiques différentes,
00:21:00 même si vous ne pratiquez rien du tout,
00:21:02 vous êtes à l'intérieur d'un régime politique hétérosexuel.
00:21:07 Et donc, ce qui est, donc, patriarcal, bien entendu,
00:21:11 même si cette dimension patriarcale, elle est aujourd'hui fortement contextée,
00:21:16 et je dirais, en fait, binaire, dont les technologies audiovisuelles
00:21:23 fonctionnent comme des technologies de production
00:21:26 et de normalisation de la binarité.
00:21:29 Jusqu'ici, vous posez les questions et vous renforcez encore le binaire,
00:21:35 dans la manière dont vous posez les questions.
00:21:37 Donc, pour moi, c'est, si vous voulez, parce que sinon,
00:21:41 en fait, on transforme les questions de représentation
00:21:44 en questions d'identité.
00:21:46 Et justement, il me semble que là où la représentation
00:21:49 peut devenir intéressante, c'est quand elle devient, en fait,
00:21:52 un instrument de désidentification.
00:21:55 Quand on peut utiliser cette technologie cinématographique,
00:22:00 tout à l'heure, en fait, vous parlez, en fait, de Laura Maulby.
00:22:04 Certainement, c'était important comme déconstruction du regard
00:22:08 hétéropatriarcal, on veut dire, à un moment donné.
00:22:11 Mais il me semble, en fait, que c'est encore plus important
00:22:14 parler d'Etheressa de Loretiz, par exemple, et de comment
00:22:17 elle a parlé du cinéma en tant que technologie du genre,
00:22:21 dans son ensemble, en fait.
00:22:23 Du genre, par ça, je n'entends pas du genre cinématographique,
00:22:27 enfin, documentaire ou fiction, mais du genre, en fait,
00:22:31 en tant que masculin et féminin.
00:22:33 Donc, la question, c'est, il me semble, la question
00:22:36 que se pose aujourd'hui, c'est comment s'est réappropriée,
00:22:40 en fait, de ces technologies de normalisation,
00:22:43 et comment s'est travaillée avec elles, de manière dissidente,
00:22:47 en fait, pour en faire des technologies
00:22:50 de désidentification.
00:22:52 Évidemment, les paris n'ont pas du tout gagné,
00:22:54 précisément parce que ce n'est pas une question de corps,
00:22:58 du tout, ce n'est pas une question de...
00:23:01 Un corps féminin, du coup, la représentation
00:23:04 qui sortira de ce corps féminin, ça sera immédiatement
00:23:07 une représentation des "female gaze"
00:23:10 ou un regard féminin.
00:23:12 Non, parce qu'en fait, ça...
00:23:15 - Oui, c'est une question de poétique,
00:23:16 et le président est en charge de la poétique.
00:23:17 - Exactement, et c'est une question, en fait,
00:23:19 d'un processus critique, en fait, et d'un usage dissident
00:23:25 des techniques de normalisation.
00:23:27 Et ça, bon, je dirais, en fait, c'est une tâche infinie
00:23:34 qui a commencé... De mon point de vue, je pense
00:23:37 qu'elle a commencé aussitôt que la photographie
00:23:42 et le cinéma ont commencé à produire et à normaliser l'image.
00:23:46 Depuis le début, en fait, il y a des actes de résistance,
00:23:49 mais effectivement, avec la transformation du cinéma
00:23:52 en industrie culturelle hégémonique,
00:23:54 c'est devenu très difficile.
00:23:56 Et donc, c'est peut-être pour ça que certains des regards
00:24:01 et des exercices de disidentification les plus forts,
00:24:06 les plus radicaux, s'énichent peut-être, en fait,
00:24:09 à l'intérieur du documentaire, parce que ça reste un genre
00:24:12 mineur par rapport à l'industrie culturelle hégémonique.
00:24:17 - D'accord.
00:24:19 - Bon, je n'ai pas répondu sur la joie,
00:24:21 mais je voulais dire ça, en fait, presque comme une petite note
00:24:24 à pieds-des-pages, en fait, juste pour penser, en fait,
00:24:29 les cadres à l'intérieur duquel on va pouvoir réfléchir aujourd'hui.
00:24:33 - Alors, je rebondis sur ce que tu dis,
00:24:36 pas du tout sur la question que j'avais prévue de te poser après.
00:24:41 - Pardon, j'ai dit... - Mais pas du tout,
00:24:43 c'est tout à fait habituel, en fait.
00:24:45 Tu parles justement, toi, quand je t'ai dit,
00:24:48 si tu es l'antibinaire par excellence,
00:24:50 justement, dans ton film, pour ceux qui l'ont vu,
00:24:55 on voit disparaître en permanence des frontières.
00:24:58 Que ce soit le documentaire et la fiction,
00:25:01 tu manies la comédie musicale et le témoignage,
00:25:04 que ce soit le théâtre et le cinéma,
00:25:07 que ce soit la littérature et le cinéma.
00:25:10 Et je recherche toujours ce que tu viens d'exprimer,
00:25:13 y a-t-il une esthétique, justement, non-binaire ?
00:25:17 Qu'est-ce que tu entendrais par cette esthétique non-binaire ?
00:25:20 Comment a-t-elle été pensée par rapport au film ?
00:25:24 Non pas comme quelque chose qui commanderait la réalisation,
00:25:27 mais comme une pensée en actes et en processus.
00:25:30 - En tout cas, je dirais qu'il y a une esthétique de la domination,
00:25:35 qu'il y a une esthétique hégémonique, normative, en fait,
00:25:40 et fondamentalement binaire,
00:25:42 qui traverse presque la totalité de l'histoire du cinéma,
00:25:46 avec évidemment des exceptions et des exercices de dissidence,
00:25:49 mais qui est là, présente,
00:25:51 et par rapport à laquelle, en fait,
00:25:54 on essaie de travailler, de se situer.
00:25:58 Mais je dirais pas, par contre, que j'y résisterais à nouveau,
00:26:06 à refaire une espèce d'identification en bloc,
00:26:10 en disant une esthétique non-binaire.
00:26:13 Puisque déjà, tu comprends ce que je veux dire.
00:26:16 Ça voudrait à nouveau assigner la non-binarité à une nouvelle identité.
00:26:21 Alors, de ce que nous parlons là,
00:26:24 c'est plutôt de mettre en question cette épistémologie binaire,
00:26:29 patriarcale, coloniale, raciste et identitaire, forcément.
00:26:35 Et de commencer un processus de dépatriarcalisation de l'image,
00:26:41 de désétérosexualisation de l'image,
00:26:45 décolonisation de l'image.
00:26:48 Et ce processus est à l'œuvre, en fait.
00:26:50 Je dirais qu'il y a aujourd'hui, en fait,
00:26:53 en tout cas, évidemment, moi, par mon parcours,
00:26:56 je rencontre de manière quotidienne que des personnes
00:27:00 qui sont dans un travail, précisément, de désidentification,
00:27:05 de faire cette épistémologie patriarcale, hétérosexuelle, coloniale,
00:27:13 et essayer d'inventer, peut-être, des sous-sages dissidents de cette technique.
00:27:23 Mais pour autant, je pense que les risques, à nouveau,
00:27:27 ça serait de se dire, voilà, ça, par exemple, les films d'Épaule,
00:27:31 maintenant, ça serait, c'est ça l'esthétique non-binaire.
00:27:34 - Non-binaire, trans.
00:27:35 - Honnêtement, je vous l'ai dit, en fait,
00:27:37 parce qu'avec les décalages des traductions politiques, etc.
00:27:42 C'est-à-dire que, je le dis rapidement, parce qu'en fait,
00:27:46 je pense que vous êtes beaucoup, aujourd'hui, à vous dire, en fait,
00:27:50 il faut faire quelque chose de couillard, etc.
00:27:52 Mais c'est tellement, l'anachronisme politique est tel
00:27:56 qu'on pourrait vraiment tomber dans les ridicules politiques.
00:28:00 Parce qu'en fait, c'est que, quelque part,
00:28:03 on pense aujourd'hui, en France, à faire quelque chose de couillard,
00:28:06 précisément parce que couillard n'est plus du tout, en fait,
00:28:09 un acte de dissidence politique, mais plutôt,
00:28:12 c'est devenu vraiment comme une esthétique, en fait.
00:28:14 - Presque commerciale, même.
00:28:15 - Exactement. Maintenant, c'est quelque chose de totalement réapproprié
00:28:19 dans une esthétique dominante.
00:28:21 Donc, c'est pour ça que je préfère, en fait,
00:28:23 parler plutôt des sous-sages dissidents
00:28:28 des technologies de représentation,
00:28:30 ou des technologies, en fait, des productions de fiction, ou d'autres.
00:28:34 Donc, voilà, je résisterais à dire que c'est une esthétique non-binaire.
00:28:40 Par contre, en fait, ce qui est certain,
00:28:43 c'est que la question de l'esthétique est cruciale.
00:28:46 - Bien sûr, oui.
00:28:47 - Que ce n'est pas, justement, encore une fois,
00:28:49 cette différence classique entre théories pratiques,
00:28:55 esthétiques, politiques, mais semble, en fait,
00:28:58 que c'est un des binarismes aussi qui tombe, en fait,
00:29:04 et qu'on met en question.
00:29:06 Puisque, en fait, par exemple,
00:29:07 toute l'histoire de la normalisation du corps,
00:29:10 et quand je parle de la normalisation du corps,
00:29:12 de manière très large, en fait,
00:29:14 l'histoire de la colonisation,
00:29:16 l'histoire du patriarcat dans la modernité,
00:29:18 est une histoire esthétique.
00:29:20 C'est-à-dire, ça se fait par la restriction des formes.
00:29:24 Donc, évidemment, il n'y a pas, par exemple,
00:29:26 on ne pourrait pas parler des masculinités,
00:29:28 des féminités telles qu'on l'entend en Occident
00:29:31 sans l'histoire de la photographie,
00:29:33 sans l'histoire du cinéma,
00:29:35 y compris à l'intérieur des récits
00:29:39 qui semblent ou qui se présentent, en fait,
00:29:42 comme scientifiques.
00:29:43 Et ça, c'est une chose qui, pour moi, est cruciale, en fait,
00:29:46 parce qu'on voudrait imaginer, en fait,
00:29:48 qu'il y a d'un côté, en fait, les pratiques artistiques
00:29:53 et d'autre côté, la science, la loi, etc.
00:29:59 Mais, en fait, on pourrait dire, en fait,
00:30:03 que tout cet ensemble de représentations,
00:30:06 aussi bien artistiques qu'escientifiques,
00:30:10 qu'es psychiatriques parfois, qu'es juridiques, etc.,
00:30:13 partagent souvent une même epistémologie visuelle.
00:30:18 Et donc, au décours, si vous voulez, en fait,
00:30:22 il y a un travail, en fait, un travail qui traverse aujourd'hui,
00:30:27 en fait, qui traverse toutes ces disciplines.
00:30:29 Et peut-être c'est pour ça, encore une fois,
00:30:32 que les documentaires deviennent, en fait, un outil extraordinaire.
00:30:37 Précisément, en fait, par la facilité, en fait,
00:30:40 ou la capacité qu'ont les documentaires,
00:30:42 et peut-être davantage encore les documentaires,
00:30:45 de traverser, en fait, tous ces récits.
00:30:48 - Et tout ce type de représentations.
00:30:50 - Exactement.
00:30:51 Si tu pensais à ce moment-là, sur une scène
00:30:53 qui a été très relevée dans ton film et qui est absolument cruciale,
00:30:56 c'est la scène de l'opération, où là, tu mêles,
00:30:59 justement, tu fais ce travail de découpage de la représentation
00:31:04 dans une salle d'opération, ce qui n'est pas rien,
00:31:07 c'est-à-dire dans un lieu de la science, en quelque sorte,
00:31:09 mais dans un lieu de la science qui assigne au genre et à l'identité,
00:31:13 en tout cas, pris à l'intérieur du récit de ce film,
00:31:17 où tu découpes des livres et des photographies.
00:31:22 Est-ce que ça correspond, cette scène qui est extrêmement,
00:31:26 incroyablement polysémique, qui est une succession de couches
00:31:30 quasiment géologiques et historiques,
00:31:32 parce que tu fais appel à de la photographie ancienne,
00:31:35 à un texte, et tu fais subir une violence au livre,
00:31:39 puisque tu le coupes avec un bistouri.
00:31:41 J'imagine que certains d'entre vous ont vu le film,
00:31:46 mais voilà, est-ce que ça...
00:31:48 Je pense que vous savez la scène.
00:31:50 Voilà, peut-être qu'on peut montrer cet extrait.
00:31:52 Parce que comme ça...
00:31:53 Ce n'est pas celui-là, je pense.
00:31:57 Pardon, c'est celui-là.
00:32:15 Je suis Cori Angelis Brown,
00:32:17 et dans ce film, je serai l'Orlando de Virginia Woolf.
00:32:21 Mais qu'est-ce que c'est un document d'identité,
00:32:26 sinon un morceau de papier écrit et imprimé,
00:32:29 un petit livre contenant une fiction politique ?
00:32:32 Des fictions partagées que nous avons construites collectivement
00:32:36 et dont nous oublions que nous pouvons les remettre en question,
00:32:39 les modifier, les changer, ou pour le dire autrement,
00:32:42 des fictions que nous pouvons coucher sur une table d'opération.
00:32:45 Parfois quand elles sont hyper difficiles, mais...
00:32:51 On est là !
00:32:53 On a la grosse opération.
00:32:55 Historiquement, les personnes trans sont considérées comme des corps
00:32:58 qui doivent être opérés par la médecine
00:33:00 pour rétablir la continuité entre l'anatomie et les genres.
00:33:04 Moi aussi, je suis passé par cette table d'opération.
00:33:07 D'où te vient cette idée, Virginia,
00:33:10 d'imaginer un personnage qui change de sexe au milieu du roman ?
00:33:13 Certains disent que c'était le désir d'imaginer qu'Evita, ton amante,
00:33:17 ne perdrait pas ses droits d'héritage parce qu'elle était une femme.
00:33:21 Mais l'idée d'un personnage trans en 1928
00:33:24 n'était pas simplement une utopie littéraire.
00:33:27 Lorsqu'était écrit Orlando,
00:33:29 il y avait déjà des personnes en Europe et aux États-Unis
00:33:31 qui ne s'identifiaient pas aux genres que leur étaient attribués à la naissance
00:33:35 et qui souhaitaient en changer.
00:33:37 Entre 1900 et 1920,
00:33:39 les premières opérations de changement de sexe défraient la chronique.
00:33:43 Puis, avec la découverte des sorments synthétiques,
00:33:46 certaines personnes ont commencé à expérimenter la production d'un nouveau corps trans
00:33:50 à l'Institut de sexologie de Magnus Hirschfeld, à Berlin.
00:33:54 Toi, Virginia, grande lectrice, tu n'as pas pu ignorer ces discours.
00:34:03 Qui est opéré lorsque nos corps reposent sur les tables d'opération de l'empire binaire ?
00:34:09 Nos corps sont des tissus discursifs,
00:34:14 des assemblages de fictions et de chair.
00:34:17 Opérer, c'est intervenir non pas simplement dans l'anatomie,
00:34:20 mais surtout dans la fiction politique.
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00:35:39 [Bip]
00:35:41 Tonton Orlando, tu as inclus les images de Vita et de ses ancêtres,
00:35:46 mais les vrais Orlando de l'histoire sont restés imbicibles.
00:35:50 [Bruit de machine à tour]
00:35:53 [Bruit de machine à tour]
00:36:00 Merci.
00:36:09 [Bruit de machine à tour]
00:36:11 [Bruit de machine à tour]
00:36:22 [Bruit de machine à tour]
00:36:31 [Bruit de machine à tour]
00:36:33 Nous n'opérons jamais sur les corps individuels,
00:36:44 nous opérons sur l'histoire politique.
00:36:46 C'est le régime de la différence sexuelle qu'il faut opérer.
00:36:50 Et il y a tellement de discours historiques sur lesquels nous devons s'intervenir.
00:36:54 [Bruit de machine à tour]
00:36:59 [Bruit de machine à tour]
00:37:01 [Bruit de machine à tour]
00:37:11 Voilà, c'est moi, un Orlando non-binaire de cinq ans,
00:37:22 pendant les carnavals espagnols,
00:37:24 accompagné par les fictions de la féminité et de la masculinité normative.
00:37:28 En plus, tu interviens même sur le livre de Virginia Woolf,
00:37:35 et tu le recomposes en quelque sorte.
00:37:38 Oui, ça c'était pas facile en fait,
00:37:41 parce qu'évidemment, confronter l'œuvre de Virginia Woolf,
00:37:44 c'est un monument,
00:37:46 et donc c'était quelque part, en fait, désacraliser les livres de Virginia Woolf.
00:37:52 Mais tu as la plus grande admiration par ailleurs.
00:37:55 Absolument, absolument.
00:37:57 Je n'étais pas du tout un expert en Virginia Woolf avant de faire ces documentaires.
00:38:00 Mais maintenant, je suis capable de m'évader avec n'importe qui pour Virginia Woolf.
00:38:04 Vraiment, j'ai vraiment...
00:38:07 Je suis tombé totalement amoureux de son écriture.
00:38:10 Mais effectivement, même ce découpage littéral du livre,
00:38:16 fait partie de cet exercice d'intervention,
00:38:22 d'opération à l'intérieur de cette épistémologie binaire,
00:38:27 coloniale de la modernité.
00:38:31 Et en fait, en réalité, c'est vrai que pour faire les films,
00:38:35 j'avais regardé, je ne vais pas dire la totalité,
00:38:38 parce que ça serait beaucoup, mais à la même temps,
00:38:40 je pense que presque la totalité, connaissant ma boulimie,
00:38:43 des documentaires faits au sujet de ce que la médecine traditionnelle appelle la transsexualité.
00:38:51 Parce qu'il faut savoir que la transsexualité,
00:38:53 comme l'homosexualité et l'hétérosexualité,
00:38:56 sont des notions médico-légales.
00:38:59 Je vous dis ça entre parenthèses,
00:39:01 parce que si vous voulez continuer à vous définir comme ça,
00:39:04 à vous dévoir.
00:39:05 Mais il faut savoir qu'en tout cas,
00:39:07 c'est des notions médico-légales inventées,
00:39:10 hétérosexualité, homosexualité, à la fin du XIXe siècle, 1868,
00:39:15 et transsexualité, en fait, entre 1910 et 1941.
00:39:22 Et donc ce sont des notions, évidemment, pathologisantes, normatives,
00:39:28 qui vont définir aussi des positions politiques
00:39:31 et qui vont produire des identités.
00:39:33 Attention, elles ne viennent pas d'écrire une identité,
00:39:36 mais ce sont les pouvoirs performatifs
00:39:39 de produire l'identité qu'ils prétendent écrire.
00:39:42 Donc, entre parenthèses, je vous dis ça,
00:39:44 parce que tout ça, je pense que peut-être,
00:39:46 ça nous aide à penser et à réfléchir aussi
00:39:49 sur la question, justement,
00:39:51 de quel genre peuvent avoir les documentaires, en fait.
00:39:54 Et peut-être, en fait, de ne pas se situer d'emblée
00:39:59 et d'efforts, en fait.
00:40:01 C'est-à-dire, c'est redéfinir et c'est auto-assigner,
00:40:05 en fait, dire "moi, hétérosexuel, etc."
00:40:08 "Oui, très bien, moi, homosexuel, ok, d'accord."
00:40:11 Mais qu'est-ce que ça veut dire, en fait, à l'intérieur de ces régimes ?
00:40:14 En tout cas, j'avais regardé énormément des documentaires
00:40:18 et des films, en fait, des films,
00:40:20 parce qu'il y avait aussi des fictions, en fait.
00:40:22 Il y a aussi des fictions, et notamment, je voudrais dire,
00:40:25 en fait, que presque, ce que j'ai compris, en fait,
00:40:27 c'est que presque de manière cyclique, en fait, à peu près,
00:40:30 à partir de 1953, c'est le moment, en fait, en 1952,
00:40:34 Christine Jorgensen, en fait, apparaît vraiment dans la télévision,
00:40:38 c'est-à-dire une des premières femmes trans
00:40:41 qui a été médiatisée, en fait, aux États-Unis,
00:40:44 et donc qui va devenir, en fait, un icône,
00:40:46 un icône médiatico-politique, quelque part, en fait,
00:40:51 à partir des années 50.
00:40:53 Je dirais qu'à partir de ce moment-là, de manière cyclique,
00:40:55 en fait, tous les dix ans, il y a une vague
00:40:58 des films, en fait, faits sur la transsexualité.
00:41:03 Et là, j'utilise les termes, encore, médico-légal,
00:41:05 avec lesquels je ne m'identifie pas du tout.
00:41:08 Et je vous dis ça parce qu'en fait, on a l'impression, maintenant,
00:41:12 les gens disent, ouais, mais maintenant, il y a énormément
00:41:14 des choses, en fait, sur les trans, etc.
00:41:16 Moi, je ne veux, je ne crois pas que mon film soit un film
00:41:19 sur la transsexualité, ni sur les trans.
00:41:23 Et donc, du coup, je ne pourrais pas les mettre, en fait,
00:41:26 dans le même espace discursif et politique
00:41:30 qu'il y a d'autres films qui prétendent, pour le coup, en fait,
00:41:33 décrire ce qu'est la transsexualité, ce qu'est une personne trans,
00:41:37 qui vont le faire, en fait, d'un point de vue,
00:41:39 pour le coup, en fait, effectivement, médico-légal,
00:41:42 et dont la représentation est juste une technique d'assignation.
00:41:46 Elle sert, justement, c'est ça, la fonction terrible
00:41:49 de la représentation, dans ce discours médico-légal,
00:41:53 aussi bien pour la masculinité que pour la féminité,
00:41:55 pour l'hétérosexualité, l'homosexualité,
00:41:58 et aussi, on pourrait dire, évidemment, pour les taxonomies raciales,
00:42:01 c'est qu'en fait, la représentation fonctionne, en fait,
00:42:04 comme une technique d'assignation identitaire.
00:42:07 Vous voyez bien, la personne est trans, regardez,
00:42:10 la personne, ah oui, la différence de crâne,
00:42:13 la personne n'est pas blanche, etc.
00:42:16 Et donc, en regardant ces grandes quantités de films
00:42:21 qui sont faits, en fait, à peu près par bague, en fait,
00:42:24 et dont, je vous jure, les regards sont presque inchangés,
00:42:28 les regards, c'est systématiquement, c'est une manière, en fait,
00:42:32 de conforter les regards normatifs, en fait,
00:42:37 pour dire, bon, ils ont quand même le droit à vivre, en fait,
00:42:40 mais ils ne sont pas pareils, mais bon,
00:42:43 en même temps, ils ne s'en sentent pas, bon, en même temps,
00:42:46 bon, enfin, franchement, tout ça n'a aucun intérêt, en fait,
00:42:51 on s'en fout qu'il y a plus de représentations sur les personnes trans,
00:42:54 si c'est pour ça, mais dans tous ces films, en fait,
00:42:57 que j'ai regardés, dans beaucoup de films, en fait,
00:43:00 il y a, effectivement, souvent, la fameuse scène de l'opération,
00:43:04 qui fonctionne, en fait, justement, comme une espèce de scène charnière
00:43:09 qui va permettre, en fait, ces récits normatifs, en fait,
00:43:15 dont la caractérisation de la personne trans
00:43:19 sont donc avant et après.
00:43:21 Donc, ils vont vous montrer les photos d'avant,
00:43:24 après, on va passer par l'opération.
00:43:26 L'opération, souvent, est une opération
00:43:29 qui se situe, en fait, dans l'esthétique.
00:43:31 Et là, tout à l'heure, en fait, on parlait de l'esthétique
00:43:34 et on parlait aussi de pourquoi, en fait, j'ai voulu que mon film,
00:43:37 je ne sais pas si j'ai voulu, mais en fait, mon film, à la fin,
00:43:39 en tout cas, il est joyeux, en fait.
00:43:41 Je ne me suis pas dit, en fait, dans ma tête,
00:43:43 il faudrait que mon film soit joyeux,
00:43:45 mais il se trouve, en fait, que chaque fois
00:43:47 qu'on filmait une scène, les scènes,
00:43:49 ils ont été pensés, en fait, comme des micro-rituels politiques.
00:43:52 Et c'est vrai, en fait, que chacune de ces scènes
00:43:55 venait vraiment à soigner, à reconstruire, en fait,
00:43:59 des subjectivités qui ont été brisées
00:44:02 par la représentation, par le discours médical,
00:44:04 par le discours légal.
00:44:06 Et du coup, en fait, il y avait cette espèce
00:44:08 de surplus de joie, en fait,
00:44:10 qui émane des scènes, mais qui étaient réelles,
00:44:13 qui étaient vraiment, qui étaient voulues.
00:44:16 En fait, il n'y avait pas...
00:44:18 - Et qui étaient vécues sur le plateau.
00:44:20 - Qui étaient absolument vécues sur le plateau.
00:44:22 C'est-à-dire que moi, que je n'avais jamais tourné des films avant,
00:44:25 par moment, je ne savais pas du tout
00:44:27 si ce que j'étais en train de filmer
00:44:29 allait devenir, en fait, une matière
00:44:32 qu'on pourrait monter ou pas.
00:44:34 Mais par contre, en fait, ce que j'ai su,
00:44:36 c'est que parfois, il y arrivait des choses, en fait,
00:44:39 sur le plateau, qu'il y avait vraiment des moments,
00:44:42 des productions, je dirais, des contravérités.
00:44:45 Parce qu'en fait, on a vu la production
00:44:47 d'une certaine vérité, justement,
00:44:50 dans les documentaires sur les trans,
00:44:52 par rapport, par exemple, au cabinet psychiatrique,
00:44:55 aux scènes institutionnelles, l'école, la médecine, etc.
00:44:58 Et là, par exemple, en mettant la scène,
00:45:00 on ne sait pas celle-ci, mais une autre, en fait,
00:45:03 dans un cabinet psychiatrique, en fait,
00:45:05 ou une scène de fête avec une chanson, etc.
00:45:08 Pour nous, c'était effectivement
00:45:10 la production d'une contravérité.
00:45:12 La possibilité, en fait, d'une appropriation critique,
00:45:14 et les devenir sujets politiques, en fait,
00:45:17 à l'intérieur de cette scène.
00:45:19 Et c'est vrai que ça, c'est quelque chose que j'ai appris
00:45:22 de ma trajectoire féministe.
00:45:26 Pas du tout du regard féminin,
00:45:28 comme on voudrait imaginer,
00:45:30 mais du regard féministe,
00:45:32 c'est-à-dire d'une déconstruction du regard patriarcal,
00:45:35 qui est quand même différent juste à être une femme
00:45:38 et à regarder... Enfin, si vous êtes une femme
00:45:40 et vous regardez un film, il n'y a rien que c'est produit
00:45:42 de plus que si vous êtes un homme, en fait, en soi.
00:45:45 S'il n'y a pas une distanciation critique, en fait.
00:45:48 Et ce que j'ai appris, en fait, dans toutes ces années,
00:45:51 parce que moi, je suis quand même à Orlando,
00:45:53 donc j'ai eu quand même plusieurs vies,
00:45:55 et donc j'ai eu une vie, et je l'ai encore,
00:45:57 mais de manière plus intense, à un moment donné,
00:45:59 féministe, en fait, dans les années 90, en fait,
00:46:03 quand j'étais étudiant à New York.
00:46:06 Ce que j'ai appris, c'est que c'est totalement différent
00:46:09 de filmer les processus d'oppression
00:46:12 et de filmer les processus d'émancipation politique.
00:46:16 Et moi, la seule chose qui m'intéressait,
00:46:18 chaque fois que je filmais quelque chose...
00:46:20 Là, il y a Annie qui était avec moi dans les tournages,
00:46:23 ma productrice, Annie Waiyon, qui est extraordinaire.
00:46:26 (Applaudissements)
00:46:28 Non, parce qu'elle a été là chaque fois,
00:46:31 et c'était vraiment... On a partagé vraiment
00:46:34 des moments incroyables, en fait.
00:46:35 Et pour moi, au-delà de savoir, en fait,
00:46:38 si ce qu'ils étaient en train de filmer était intéressant ou pas,
00:46:41 moi, ce qui m'intéressait, en fait, c'est de filmer
00:46:44 des processus d'émancipation politique.
00:46:47 Et pas du tout de reproduire par la représentation
00:46:50 des processus d'oppression.
00:46:52 Et donc, du coup, en fait, voilà, dans tous les films, en fait,
00:46:56 la plupart des films sur la question trans,
00:47:00 sur les personnes trans, sur la transexualité,
00:47:03 en fait, il y a toujours cette scène de l'opération
00:47:06 de filmer avec les codes, et ça, c'est encore intéressant
00:47:10 du point de vue de l'esthétique, filmer avec les codes
00:47:13 qui sont souvent, en fait, ceux de films d'horreur
00:47:15 ou bien ceux de films pornographiques.
00:47:18 En fait, on est à peu près à la limite entre les deux.
00:47:22 Et ça, par exemple, c'est vrai que ça m'a donné, en fait,
00:47:25 des contours, des périmètres, en fait, esthétiques, pour moi.
00:47:30 Je savais que je ne voulais...
00:47:32 qu'il y avait vraiment... que la limite, en fait, était...
00:47:34 je ne voulais absolument pas que ces personnages
00:47:39 en processus de devenir sujet politique,
00:47:41 je savais que je ne voulais pas qu'ils soient représentés
00:47:44 ni par les codes de la médecine normative,
00:47:47 ni par les codes du film d'horreur,
00:47:50 ni par les codes, en fait, pornographiques.
00:47:53 Ça, c'était fondamental pour moi.
00:47:55 Les extraire de ces représentations normatives.
00:47:59 Et donc, du coup, voilà, à un moment donné,
00:48:01 je me suis dit que notre film aura notre scène d'opération,
00:48:05 mais nous allons opérer les corps politiques, en fait.
00:48:09 En fait, en tant que philosophe, en fait,
00:48:12 j'utilise une notion qui n'est pas celle du corps,
00:48:15 parce que celle du corps, en fait,
00:48:17 dans notre imaginaire, en fait,
00:48:19 a un fort attachement à l'anatomie,
00:48:22 à l'anatomie pensée comme en nature, en fait.
00:48:24 Alors que l'anatomie pensée comme en nature,
00:48:27 c'est qu'une des fictions politiques de la modernité.
00:48:32 Donc, j'utilise une autre notion, en fait,
00:48:34 que j'appelle "somatique",
00:48:36 dans laquelle, en fait, si vous voulez,
00:48:38 il y a les corps historiquement constitués
00:48:43 par un ensemble de représentations,
00:48:45 des récits, des fictions,
00:48:47 des techniques légales, médicales,
00:48:51 pharmacologiques, médiatiques, etc.
00:48:55 Et donc, tout ça, c'est l'somatique.
00:48:57 De manière à ce que ce que vous appelez le corps,
00:48:59 c'est pour ça que les corps sont politiquement situés.
00:49:01 Pas parce que quelqu'un a un utérus.
00:49:04 Ici, personne, en fait,
00:49:06 on n'est pas du tout en train de...
00:49:08 Quand vous regardez un film, en fait,
00:49:09 c'est pas du tout l'utérus qui travaille.
00:49:12 Enfin, j'ai dit ça, mais ça paraît stupide,
00:49:15 mais c'est comme ça que la pensée hétéropatriarcale fonctionne.
00:49:21 Donc, du coup, la possibilité, en fait,
00:49:25 de penser ce qui constitue les corps dans la modernité,
00:49:28 c'est aussi un ensemble de représentations,
00:49:31 des fictions, des récits.
00:49:32 - C'est pour ça que tu attaques directement les représentations.
00:49:35 - Exactement.
00:49:36 - J'ai posé quand même une dernière question.
00:49:39 Et après, on va passer quelques minutes,
00:49:41 la parole à la salle.
00:49:43 C'est que la représentation, c'est l'objet du film aussi.
00:49:47 Et même d'une façon,
00:49:48 alors je ne sais pas si tu t'y reconnaisrais,
00:49:50 mais c'est presque brechtienne parce que ça fonctionne par tableau.
00:49:53 Il y a un chœur, la théâtralité, la visibilité des décors,
00:49:58 la visibilité de la mise en scène,
00:50:00 l'usage même de la fable épique en tant que fonctionnement du récit,
00:50:07 l'écriture sur l'image, l'humour critique.
00:50:09 On a presque l'impression, en tout cas,
00:50:11 moi, j'ai eu l'impression de retrouver une esthétique,
00:50:18 en tout cas une poétique quasiment brechtienne,
00:50:20 puisqu'il s'agit de s'attacher au récit et aux représentations.
00:50:24 - Pourquoi pas.
00:50:27 Oui, je pourrais me retrouver en fait dans cette esthétique brechtienne
00:50:31 qui a été, je dirais, enrichie en fait,
00:50:36 par des nombreux et des nombreuses représentations
00:50:43 et des exercices, des identifications
00:50:46 à partir des débuts des processus de décolonisation,
00:50:50 à partir des années 50-60 en fait,
00:50:53 avec aussi les travaux, les représentations féministes,
00:50:58 les lesbiennes, etc.
00:51:01 En fait, toute cette histoire-là,
00:51:04 et certainement aussi, fait partie aussi
00:51:07 de ce que j'ai pu faire dans les films.
00:51:11 Parce que c'est vrai que quand j'ai commencé à faire les films,
00:51:14 autant, par exemple, j'y arrivais très bien,
00:51:18 quelque part, en fait, il n'y avait pas de difficulté pour écrire.
00:51:22 Mais j'avais une grande difficulté à imaginer,
00:51:25 puisque j'avais justement peur de répéter
00:51:30 cette esthétique binaire, dominante.
00:51:35 Et donc, c'est vrai que quelque part, j'ai dû faire appel
00:51:39 à toute une archive qui était là.
00:51:43 En fait, et qui m'a aidé, parce que dans ces films,
00:51:46 il y a des milliers et des milliers de traces d'autres films,
00:51:50 et des performances féministes, étranges, non-binaires, contemporaines aussi.
00:51:57 C'est-à-dire que pour moi, c'est presque comme un ensemble
00:52:02 de notes à pieds-des-pages, en fait.
00:52:04 C'était vraiment un petit exercice de lecture
00:52:07 de livres de Virginia Woolf,
00:52:09 mais nourri par toutes ces expériences des spectateurs
00:52:13 que j'ai eues, en fait, toutes ces années.
00:52:16 - Une ou deux, ou trois questions de la salle ?
00:52:22 - Elisabeth.
00:52:23 - Un petit instant.
00:52:25 - Je vous passe un micro.
00:52:29 - Alors, j'avais une petite remarque et puis une question.
00:52:32 La remarque, c'est que c'est vraiment fascinant,
00:52:34 cette histoire d'opération, parce qu'à peu près exactement
00:52:36 au moment où Virginia Woolf écrit Orlando,
00:52:39 il y a du côté de la scène artistique
00:52:42 un certain nombre d'artistes qui s'appellent Anna Hösch
00:52:44 ou Kurt Switters, qui utilisent aussi une sorte de bistouri,
00:52:48 enfin un outil très aiguisé,
00:52:52 pour découper dans la représentation
00:52:55 et produire ce qu'on appelle du collage.
00:52:57 Et on pourrait rapprocher ça de la façon dont finalement,
00:53:00 ce n'est pas seulement Brest que tu lis,
00:53:02 mais tu lis Virginia Woolf aussi, voilà.
00:53:05 Et ils procèdent de la même façon, voilà, avec ce bistouri.
00:53:09 Et alors du coup, ça teinte un peu ma question,
00:53:13 qui est que donc, chaque fois qu'il y a une nouvelle actrice,
00:53:17 un nouvel acteur qui se présente, un nouveau personnage
00:53:19 qui se présente, il ou elle utilise la même formule
00:53:25 qui est "Je suis l'Orlando de Virginia Woolf".
00:53:29 Alors tout d'un coup, elle entre dans le livre,
00:53:33 s'identifie à l'écrit.
00:53:36 Est-ce que tu peux un petit peu parler de ça ?
00:53:39 - Oui. Merci pour les questions.
00:53:41 En fait, il y a pour la première question,
00:53:43 qui est très intéressante.
00:53:47 Je suis totalement d'accord, et j'irai même un peu plus loin que ça.
00:53:51 Je dirais en fait que les corps,
00:53:54 c'est ce que j'ai essayé d'appeler tout à l'heure "Somatech",
00:53:58 la "Somatech" en fait, contemporaine,
00:54:01 si on peut imaginer qu'elle commence à se dessiner
00:54:05 surtout à partir de la première guerre mondiale,
00:54:09 et après d'emblée, en fait, de la deuxième guerre mondiale, etc.
00:54:13 Et donc, la "Somatech" inclut la subjectivité,
00:54:19 au cas où vous faisiez encore la différence entre les corps et l'esprit.
00:54:23 Voilà, pensons que la "Somatech", en fait,
00:54:27 ces corps technifiés, discursifs, politiques,
00:54:32 inclut effectivement ce qu'on appelait traditionnellement l'esprit,
00:54:37 et donc la subjectivité.
00:54:39 Je dirais que la "Somatech" et la subjectivité contemporaine,
00:54:42 elles ont été fabriquées et pensées en tant qu'écolage.
00:54:46 Et donc, et après, et juste après, immédiatement après,
00:54:49 par les montages cinématographiques.
00:54:52 Et que donc, les sujets contemporains,
00:54:54 est un effet exact de montage cinématographique.
00:54:59 Dans les cas des récits et des manières normatives
00:55:04 de penser la transexualité,
00:55:06 et encore j'utilise cette notion toujours avec des guillemets,
00:55:09 c'est frappant.
00:55:11 C'est-à-dire qu'évidemment, ce qu'on va imaginer,
00:55:13 c'est effectivement couper ici, coller là.
00:55:18 Vous voyez ce que je veux dire ?
00:55:20 Dans cette idée qu'il faut restaurer un récit total,
00:55:26 totalissant, totalitaire,
00:55:29 il faut couper et donc monter.
00:55:34 Au début, ça peut s'apparenter à un collage,
00:55:37 et c'est exactement comme ça qu'est décrit,
00:55:40 par Harry Benjamin, par exemple,
00:55:43 un des premiers médecins qui va beaucoup travailler
00:55:47 sur les corps, sur l'invention des corps trans.
00:55:50 Alors que par exemple, en fait,
00:55:52 Magnus Hirschfeld, qui va faire des choses extraordinaires,
00:55:56 ça je n'ai pas parlé dans ce film,
00:55:58 mais c'est quand même extraordinaire.
00:55:59 Magnus Hirschfeld, théoricien juif, homosexuel,
00:56:05 qui va créer les premiers instituts
00:56:07 des recherches de la sexualité en Europe, en 1919.
00:56:11 - Une des premières cibles des nazis quand ils brûlaient.
00:56:13 - Absolument, dont l'institut sera détruit
00:56:17 à l'arrivée des nazis à Berlin.
00:56:20 Et qu'aujourd'hui, j'avais pensé à un moment donné
00:56:22 justement tourner une scène là-bas,
00:56:24 mais aujourd'hui c'est impossible
00:56:25 parce que l'institut a été totalement détruit
00:56:27 et donc les bâtiments soi-disant qui existent aujourd'hui
00:56:30 n'ont aucun intérêt.
00:56:33 En tout cas, Magnus Hirschfeld,
00:56:36 qui a fait les premiers films "homosexuels",
00:56:40 en tout cas le premier film qui vient représenter
00:56:45 dès l'intérieur et par eux-mêmes
00:56:47 les dissidents du genre et du sexuel de l'époque,
00:56:50 ce qui est quand même intéressant,
00:56:53 de l'histoire.
00:56:55 C'est un film en blanc et noir extraordinaire.
00:57:00 Magnus Hirschfeld ne pensait pas
00:57:03 qu'elle est la solution, soi-disant,
00:57:05 à la question de transsexualité,
00:57:07 puisque c'était juste le collage ou le montage.
00:57:12 Lui imaginait en fait quelque chose
00:57:15 de beaucoup plus fluide
00:57:19 et peut-être plus performatif.
00:57:22 Donc quelque chose qui pourrait permettre
00:57:26 d'introduire ce que j'appellerais
00:57:28 un principe de liberté
00:57:30 et non pas un principe d'identité.
00:57:32 Et là, ça revient à nouveau à tous les débats
00:57:34 que nous avons aujourd'hui.
00:57:36 - Pour répondre à la question d'Elisabeth,
00:57:39 il rentre dans le livre ?
00:57:41 - La question de rentrer ou sortir,
00:57:43 pour moi, nous sortons du livre
00:57:45 plutôt que nous rentrons du livre.
00:57:47 Parce qu'en fait, mon idée,
00:57:50 mon intuition à la base, c'était qu'effectivement,
00:57:52 Virginia Woolf avait vraiment écrit ma biographie
00:57:55 avant ma naissance.
00:57:57 Et je pense que ça pourrait être vrai
00:57:59 pour presque tous et toutes et toustes.
00:58:02 On pourrait être toujours le personnage
00:58:04 d'un certain livre,
00:58:06 que ce soit Madame Bobary,
00:58:08 que ce soit Dostoevsky, Lédiot.
00:58:10 Il faudrait voir, mais je pense que
00:58:12 je vous laisse imaginer
00:58:14 les personnages de quelle fiction
00:58:16 vous êtes les protagonistes.
00:58:18 Et en fait, est-ce que
00:58:21 quand j'ai eu cet acte
00:58:24 de folie, bravure, indécence,
00:58:28 de dire justement à Fabrice
00:58:30 que je voudrais faire peut-être
00:58:32 une adaptation de l'Orlando
00:58:34 de Virginia Woolf,
00:58:36 ce que j'imaginais pour le coup,
00:58:38 c'est qu'effectivement, ces personnages
00:58:40 de fiction étaient vivants
00:58:42 et étaient sortis de la fiction.
00:58:44 Donc pour moi, quand chacun
00:58:46 et chacune de ces Orlando
00:58:48 se présente,
00:58:50 ce qui m'intéressait aussi,
00:58:52 c'était la tension entre
00:58:54 les normes choisies, qui sont tellement importantes
00:58:56 pour les personnes trans,
00:58:58 comme au lieu d'autodétermination.
00:59:00 Et des productions de subjectivité.
00:59:04 Et en fait,
00:59:06 c'est Orlando
00:59:08 qui sort des romans,
00:59:10 ou qui peut-être traverse les romans
00:59:12 et qui est déjà dans la société.
00:59:14 - Je disais "rentrer" parce que
00:59:16 je voulais dire qu'ils trouvent leur papier.
00:59:18 C'est leur papier.
00:59:20 - Oui, c'est vrai.
00:59:22 C'est vrai que pour moi,
00:59:24 quand j'ai travaillé avec
00:59:26 les personnes qui s'étaient présentées au casting,
00:59:28 parce que j'ai fait un casting
00:59:30 où il y a eu une centaine de personnes
00:59:32 qui voulaient jouer Orlando,
00:59:34 ce qui m'a tout de suite frappé,
00:59:36 c'est que les gens qui répondaient au casting
00:59:38 ne disaient pas "je vais jouer dans ton film",
00:59:40 non, ils disaient "moi je suis Orlando".
00:59:42 Donc "je suis Orlando, tu n'auras besoin
00:59:44 de rien faire parce que
00:59:46 c'est ça, je suis Orlando".
00:59:48 C'est pour ça aussi qu'après,
00:59:50 ça m'est semblé,
00:59:52 et après évidemment,
00:59:54 c'est devenu vraiment aussi un rituel performatif
00:59:56 qui permettait qu'une multiplicité
00:59:58 totalement hétérogène des personnes
01:00:00 se retrouvent
01:00:02 et partagent cet espace
01:00:04 de fiction en réalité.
01:00:06 Parce que c'est un espace de fiction,
01:00:08 à part d'être un espace politique.
01:00:10 - Une autre question ?
01:00:12 Est-ce qu'il y a une autre question ?
01:00:16 Parce que je vois très mal,
01:00:18 parce que j'ai le projecteur dans les yeux.
01:00:24 - Non, peut-être que vous vous êtes découragé
01:00:26 avec la question
01:00:28 de l'épidémie juvénile,
01:00:30 la question de...
01:00:32 - Non, en fait,
01:00:34 tu as remué nos propres présupposés,
01:00:36 et c'est toujours intéressant
01:00:38 pour penser de remuer nos propres présupposés.
01:00:40 - Non, mais je voudrais, au contraire,
01:00:42 vous soubrir des espaces
01:00:44 de liberté si c'est possible.
01:00:52 - Je vous entendrais bien sur la question
01:00:54 de l'identification. Parce que,
01:00:56 en tout cas, dans
01:00:58 le cinéma, tel qu'on a l'habitude
01:01:00 de le pratiquer, on a des phénomènes
01:01:02 d'identification. On recherche à s'identifier au personnage,
01:01:04 on a envie d'être en empathie avec eux,
01:01:06 ou au contraire, on rejette. Donc c'est quelque chose
01:01:08 qui se fabrique, que le cinéma,
01:01:10 je dirais, patriarcal,
01:01:12 commercial, sait très bien faire,
01:01:14 au point que moi, je suis capable de m'identifier
01:01:16 à Indiana Jones, ce qui m'a toujours
01:01:18 posé un problème, mais je suis bien obligée de reconnaître
01:01:20 que je le fais,
01:01:22 et au point aussi où j'ai, par exemple,
01:01:24 beaucoup de mal à m'identifier à tous ces Orlando,
01:01:26 dans votre film. - Vous avez des mal
01:01:28 à vous identifier à ces Orlando ?
01:01:30 - Oui. Et donc je me dis, mais qu'est-ce qui se joue ?
01:01:32 Comment ça marche ?
01:01:34 - Parce que le processus d'identification
01:01:36 n'est pas au cœur. C'est pour ça que je parlais de Brecht.
01:01:38 - C'est pour ça que ce serait intéressant d'en parler un peu.
01:01:40 - Pour moi, l'identification
01:01:44 ne passe que du recherche, c'est tout.
01:01:46 Au contraire,
01:01:48 en fait,
01:01:50 là, je vais citer Godard,
01:01:52 parce que ça ne m'arrive pas souvent,
01:01:54 mais même si j'ai beaucoup regardé
01:01:56 Godard pour faire le film,
01:01:58 mais Godard disait que la bourgeoisie
01:02:00 a produit une image,
01:02:02 en fait, et il disait
01:02:04 s'il a produit cette image,
01:02:06 détruisons cette image,
01:02:08 pour détruire la bourgeoisie.
01:02:10 Détruisons cette image.
01:02:12 Et je pense qu'on pourrait dire exactement la même chose
01:02:14 que du...
01:02:16 ces régimes, en fait,
01:02:18 cette épistémologie binaire,
01:02:20 patriarcale, coloniale.
01:02:22 Il faudrait dire que ces régimes
01:02:24 en fait, sont constitués d'images.
01:02:26 Et donc peut-être,
01:02:28 détruisons ces images,
01:02:30 s'il faut.
01:02:32 Pour moi, ce qui m'intéresse, c'est l'acte de destitution.
01:02:34 Je ne pense pas du tout que nous sommes...
01:02:38 Je ne veux pas d'emblée, en fait,
01:02:40 forcer, ni forcer, ni imbiter
01:02:42 à l'identification.
01:02:44 Par contre, je dirais, en fait,
01:02:46 mon expérience en tant que...
01:02:48 Maintenant, parce que j'ai beaucoup voyagé avec les films et tout,
01:02:50 c'est que
01:02:52 des gens de toutes générations,
01:02:54 de tous horizons,
01:02:56 ils sont peut-être, en fait,
01:02:58 je ne sais pas si je dirais dans une identification,
01:03:00 mais en tout cas dans une forme d'empathie politique.
01:03:02 Et c'est ça, peut-être, que je recherche.
01:03:06 Plus que l'identification.
01:03:08 En fait, exactement.
01:03:10 Exactement. Et les décirs.
01:03:12 L'acte, c'est susciter un décir politique
01:03:14 de transformation.
01:03:16 Et dans ces mesures-là, si ce décir
01:03:18 est là, donc, il y a pour moi
01:03:20 un processus horlandaise.
01:03:22 Vous êtes un Horlando
01:03:24 en action.
01:03:26 Au-delà de l'identification, de dire...
01:03:28 Parce qu'en fait, dans les films habituels, effectivement,
01:03:30 ce qu'on va rechercher, c'est...
01:03:32 Ah ben voilà, je suis un homme, je suis une femme,
01:03:34 je suis la personne trans, je suis...
01:03:36 Et ce n'est pas exactement ça qui m'intéresse.
01:03:38 Vous voyez ? Donc, effectivement,
01:03:40 plus peut-être la distance critique
01:03:42 par rapport aux dispositifs de production de l'identité,
01:03:44 et peut-être, en fait,
01:03:46 comme on disait très bien
01:03:48 Elisabeth,
01:03:50 et peut-être, on revient à la joie.
01:03:52 Oui, c'est ce que j'allais dire,
01:03:54 c'est que là, on reboucle exactement sur la joie.
01:03:56 Exactement, parce qu'en fait, quelque part,
01:03:58 l'identification,
01:04:00 l'identification,
01:04:02 peut produire du plaisir.
01:04:04 Vous savez, du plaisir dans l'identification.
01:04:06 Un plaisir qui est souvent normatif.
01:04:08 Qui est souvent
01:04:10 dans l'effet miroir.
01:04:12 Alors que ce
01:04:14 que j'essaie de produire, ce n'est pas vraiment
01:04:16 du plaisir, mais vraiment
01:04:18 cette espèce de désir politique
01:04:20 qui vous forcerait peut-être, en fait, à quitter
01:04:22 l'identification.
01:04:24 A vous désidentifier.
01:04:26 Et ça, me semble...
01:04:28 me semble plus
01:04:30 urgent, aujourd'hui, en fait.
01:04:32 Qui est...
01:04:34 qui a tout pris, en fait,
01:04:36 de l'identification.
01:04:38 Et effectivement, c'est ce qui crée sans doute
01:04:40 ce qui a un rapport avec cette joie dont on parlait.
01:04:42 Qui est qu'en fait, c'est l'ouverture d'un possible.
01:04:44 Oui, totalement. Pour moi, oui.
01:04:46 Un impossible que tu ne désignes pas, par ailleurs.
01:04:48 Pour moi, ça l'est. C'est-à-dire que
01:04:50 parfois, les gens me demandent, en fait,
01:04:52 si je fais des films pour les personnes trans,
01:04:54 etc. En fait,
01:04:56 non, moi, je fais
01:04:58 des films, en fait, pour des sujets politiques.
01:05:00 En fait, pour des personnes qui sont
01:05:02 dans une recherche de transformation politique.
01:05:04 Évidemment,
01:05:06 parmi ces personnes,
01:05:08 celles qui sont aujourd'hui, certainement,
01:05:10 en fait, dans des situations de vulnérabilité
01:05:12 politique extrême. Les personnes migrantes,
01:05:14 les personnes racisées,
01:05:16 les personnes trans, évidemment.
01:05:18 Ça, c'est...
01:05:20 ça va s'en dire. Mais...
01:05:22 bon, ça ouvre
01:05:24 aussi un espace,
01:05:26 peut-être, en fait, des travails collectifs.
01:05:28 - On va finir là-dessus.
01:05:30 Ah, monsieur, une dernière...
01:05:32 - Ah, oui. Alors, attendez.
01:05:34 Je ne sais pas qui avait la main en premier.
01:05:36 - Peut-être, je vous laisse poser la question,
01:05:38 mais je ne sais pas si on va pouvoir répondre.
01:05:40 - Non, il va falloir aller vite, vite, vite.
01:05:42 - Peut-être pas vraiment une question,
01:05:44 mais je voudrais vous remercier.
01:05:46 C'est bien.
01:05:48 Vous tenez
01:05:50 plus qu'un discours.
01:05:52 En fait,
01:05:54 c'est bien pour la clôture de ces quatre
01:05:56 journées
01:05:58 dédiées aux documentaires,
01:06:00 mais qu'en même temps, c'est un peu paradoxal,
01:06:02 mais ça décoiffe
01:06:04 complètement toutes ces
01:06:06 discussions qu'on a eues jusqu'à aujourd'hui.
01:06:08 C'est pour ça que je vous remercie.
01:06:10 Je vous remercie,
01:06:12 parce qu'en fait,
01:06:14 toute la...
01:06:16 C'est facile
01:06:18 d'identifier ce régime
01:06:20 patriarcal, comme vous
01:06:22 en parlez,
01:06:24 mais en revanche,
01:06:26 c'est difficile d'identifier
01:06:28 ce qui serait le discours
01:06:30 contraire à l'opposé.
01:06:32 Mais on a
01:06:34 la tendance, surtout ici,
01:06:36 à trouver des poétiques,
01:06:38 en fait, des formats,
01:06:40 soit
01:06:42 de mettre des étiquettes
01:06:44 sur des discours, sur des films.
01:06:46 D'où
01:06:48 cette différence
01:06:50 de cinéma
01:06:52 à fiction, documentaire.
01:06:54 Et maintenant, on rajoute documentaire
01:06:56 de création, documentaire d'auteur,
01:06:58 comme si ça réconforte
01:07:00 un peu
01:07:02 une création des niches.
01:07:04 On est dans les niches du documentaire
01:07:06 de création, on est des artistes.
01:07:08 Et quand,
01:07:10 à la base, l'essence, c'est ce que vous
01:07:12 réclamez. C'est un discours
01:07:14 politique, dans son sens
01:07:16 plutôt large,
01:07:18 qui revient à l'essence
01:07:20 de la création de l'homme. C'est très intime.
01:07:22 Pour moi,
01:07:24 c'est très simple, l'honnêteté
01:07:26 avec soi-même, quoi.
01:07:28 D'être en accord
01:07:30 avec ce qu'on y croit,
01:07:32 par rapport à la société,
01:07:34 à tout ce
01:07:36 malheur qu'on vit aujourd'hui.
01:07:38 C'est un discours politique.
01:07:40 Je voudrais me remercier pour ça.
01:07:42 - Madame.
01:07:44 Madame.
01:07:46 Attendez,
01:07:48 il faut un micro, puisqu'on a...
01:07:50 Voilà.
01:07:52 - Bonjour. Je voulais juste savoir
01:07:54 si le film, vous l'avez présenté
01:07:56 à l'international dans des festivals
01:07:58 et quel accueil vous avez eu.
01:08:00 Merci beaucoup.
01:08:02 - En fait,
01:08:04 après la Berlinale,
01:08:06 honnêtement,
01:08:08 je ne m'y attendais jamais du tout,
01:08:10 même pas à finir le film, parce que c'était vraiment un processus
01:08:12 assez compliqué, mais surtout
01:08:14 à recevoir cet accueil.
01:08:16 Donc après la Berlinale,
01:08:18 ça a été vraiment...
01:08:20 On a fait le tour du monde
01:08:22 avec le film. - San Sébastien,
01:08:24 New York Film Festival, Taipei...
01:08:26 - Telluride, New York,
01:08:28 Latif, Canada,
01:08:30 Taipei,
01:08:32 Mumbai, Mexico,
01:08:34 Argentine, les films
01:08:36 ont fait un voyage énorme partout.
01:08:38 Et jusqu'à maintenant, l'accueil a été
01:08:40 exceptionnel.
01:08:42 Ça dépasse largement tout ce que j'aurais pu imaginer.
01:08:44 Donc voilà.
01:08:46 Et effectivement, comme j'ai l'habitude
01:08:48 plutôt de faire des livres,
01:08:50 c'est vrai que je découvre, par contre,
01:08:52 effectivement, la force immense
01:08:54 du cinéma.
01:08:56 La force immense et la possibilité aussi
01:08:58 de cette assemblée
01:09:00 constitutive que se génère à chaque fois
01:09:02 qu'un film est projeté publiquement.
01:09:04 Et du coup,
01:09:06 je suis
01:09:08 vraiment ravi
01:09:10 de l'avoir fait.
01:09:12 Et aussi, pour le coup,
01:09:14 parce que j'avais quand même une image, c'est ça que j'étais en train de dire,
01:09:16 j'avais une image plutôt du cinéma
01:09:18 parce que je travaille beaucoup avec des artistes
01:09:20 par ailleurs.
01:09:22 Et donc je faisais beaucoup la distanciation
01:09:24 entre les artistes, d'une part,
01:09:26 et les gens qui font du cinéma,
01:09:28 comme des gens qui sont vraiment dans l'industrie
01:09:30 culturelle, etc.
01:09:32 Et par contre, ce que j'ai découvert,
01:09:34 c'était vraiment comme un fleuve
01:09:36 des personnes qui traversent les deux côtés
01:09:38 avec lesquelles j'ai pu avoir
01:09:40 les conversations les plus extraordinaires
01:09:42 autour du film.
01:09:44 Je suis ravi, vraiment.
01:09:46 Merci beaucoup.
01:09:48 - Merci infiniment, Paul.
01:09:50 Je rappelle que "Orlando",
01:09:52 ma biographie politique, est actuellement
01:09:54 visible gratuitement
01:09:56 sur le site d'Arte, Arte TV.
01:09:58 - Il est en cours maintenant sur Arte.TV
01:10:00 pour trois mois encore.
01:10:02 Merci beaucoup.