Comme sa propre mère, elles sont nombreuses à avoir relevé le défi d'élever leurs enfants dans un pays qui n'était pas le leur.
Avec son roman "La Discrétion", Faïza Guène rend hommage aux mères immigrées.
Avec son roman "La Discrétion", Faïza Guène rend hommage aux mères immigrées.
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00:00Ce jour-là, Anna a fait un scandale à la préfecture.
00:02L'agent d'État, derrière sa vitre, se met à parler très fort,
00:05en articulant lentement pour s'adresser à Yamina.
00:08On dirait qu'elle gronde d'une gamine.
00:10Une histoire de documents manquants.
00:12Et Anna, qui est la plus sensible de la fratrie,
00:14lui fait d'abord remarquer.
00:16Elle n'est pas débile, ce n'est pas la peine de lui parler comme ça.
00:18Anna pourrait en pleurer.
00:19Chaque fois qu'on se montre condescendant avec sa mère,
00:21il lui semble qu'elle rétrécit sous ses yeux
00:23comme un vêtement lavé à haute température à la machine.
00:25Anna sent une énorme vague monter dans sa poitrine
00:28qui, à tout instant, risque de déborder.
00:30Il y a tellement de rage coincée dans sa gorge
00:32que ça lui laisse un goût aigre.
00:33Cette scène, en fait, c'est la mère, donc Yamina,
00:37la protagoniste du roman, avec sa fille Anna.
00:39Elles sont à la préfecture.
00:41Et là, il y a un événement qui est ordinaire
00:43pour plein de familles, pour plein de gens.
00:45C'est que l'agent d'État, derrière la vitre, à la préfecture,
00:48elle se montre condescendante, méprisante envers la mère.
00:52Et donc, on a la fille qui est sur le point d'exploser,
00:55qui, elle, ne supporte pas, en fait,
00:57d'être témoin de l'humiliation de sa maman.
01:00On a la mère qui essaye d'éteindre un peu les flammes
01:02et qui est dans sa discrétion, dans son rôle, en fait.
01:04Donc, elle lui dit, chut, c'est pas grave.
01:05Yamina, c'est le personnage principal du roman.
01:08Elle a 70 ans aujourd'hui.
01:10Elle vit à Aubervilliers.
01:11Donc, c'est une mère de famille ordinaire
01:13qui prend le bus pour aller faire le marché,
01:16qui fait de l'agneau le samedi pour ses enfants
01:18qui viennent déjeuner à la maison.
01:19Donc, c'est une femme qui, a priori,
01:22est une femme assez discrète, assez effacée.
01:25Et dans ce roman, la discrétion,
01:27j'avais envie d'aller chercher
01:29ce qu'il y a derrière cette existence
01:31en reprenant le fil de la vie d'Yamina du début,
01:33c'est-à-dire sa naissance en 1949
01:35dans un village en Algérie.
01:37Et tout ce qu'elle traverse
01:39équivale à faire devenir cette femme silencieuse.
01:41J'avais envie qu'on la raconte autrement
01:43et qu'on la voit autrement,
01:45que cette femme effacée,
01:47pour moi, qui est vraiment le cliché de la maman arabe
01:50avec son foulard qui rase les murs et tout,
01:52j'avais envie de montrer que derrière cette femme,
01:54il y avait une petite fille qui avait des rêves,
01:55il y avait une adolescente,
01:57il y a une femme qui a traversé la guerre,
01:58qui a connu l'exil,
02:00qui avait une idée de l'amour
02:02et surtout qui avait, au fond d'elle,
02:04une résistante.
02:06Et que ça aussi, ça s'est transmis.
02:08C'est avant tout un hommage,
02:10parce que d'abord, je le dédie à ma mère
02:12et à toutes nos mères,
02:14parce que ça me tenait vraiment à cœur
02:16de raconter ces existences
02:18qui ont été tellement invisibilisées
02:20et même, enfants de ces femmes,
02:22il y a des choses qu'on ne regarde pas
02:24et qu'on n'a pas vues
02:26et c'est des récits qu'on n'entend pas beaucoup.
02:28Donc il y a cette notion aussi
02:30de ces gens qui sont arrivés dans un pays
02:32dont ils ne maîtrisaient absolument pas les codes
02:34et déjà, chapeau,
02:36parce que je trouve que là aussi,
02:38il y a un hommage à rendre.
02:40C'est très compliqué d'éduquer des enfants
02:42quand on ne maîtrise aucun code,
02:44quand on ne maîtrise pas la langue
02:46et de les comprendre aussi,
02:48comment ils se sentent
02:50quand on n'a pas forcément transmis son histoire,
02:52que les enfants sont devant un puzzle
02:54à faire
02:56et que la mémoire est fragmentée à ce point-là.
02:58Ce que je dis, c'est que cette famille est française,
03:00que l'histoire de cette famille, c'est l'histoire française,
03:02que ce n'est pas une histoire
03:04qu'on greffe
03:06ou qui se rajoute, je ne sais pas comment dire,
03:08c'est l'histoire de la France
03:10et à un moment donné, il faudra la démettre
03:12comme faisant partie de l'histoire française.