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  • 25/03/2025
Comme sa propre mère, elles sont nombreuses à avoir relevé le défi d'élever leurs enfants dans un pays qui n'était pas le leur.

Avec son roman "La Discrétion", Faïza Guène rend hommage aux mères immigrées.
Transcription
00:00Ce jour-là, Anna a fait un scandale à la préfecture.
00:02L'agent d'État, derrière sa vitre, se met à parler très fort,
00:05en articulant lentement pour s'adresser à Yamina.
00:08On dirait qu'elle gronde d'une gamine.
00:10Une histoire de documents manquants.
00:12Et Anna, qui est la plus sensible de la fratrie,
00:14lui fait d'abord remarquer.
00:16Elle n'est pas débile, ce n'est pas la peine de lui parler comme ça.
00:18Anna pourrait en pleurer.
00:19Chaque fois qu'on se montre condescendant avec sa mère,
00:21il lui semble qu'elle rétrécit sous ses yeux
00:23comme un vêtement lavé à haute température à la machine.
00:25Anna sent une énorme vague monter dans sa poitrine
00:28qui, à tout instant, risque de déborder.
00:30Il y a tellement de rage coincée dans sa gorge
00:32que ça lui laisse un goût aigre.
00:33Cette scène, en fait, c'est la mère, donc Yamina,
00:37la protagoniste du roman, avec sa fille Anna.
00:39Elles sont à la préfecture.
00:41Et là, il y a un événement qui est ordinaire
00:43pour plein de familles, pour plein de gens.
00:45C'est que l'agent d'État, derrière la vitre, à la préfecture,
00:48elle se montre condescendante, méprisante envers la mère.
00:52Et donc, on a la fille qui est sur le point d'exploser,
00:55qui, elle, ne supporte pas, en fait,
00:57d'être témoin de l'humiliation de sa maman.
01:00On a la mère qui essaye d'éteindre un peu les flammes
01:02et qui est dans sa discrétion, dans son rôle, en fait.
01:04Donc, elle lui dit, chut, c'est pas grave.
01:05Yamina, c'est le personnage principal du roman.
01:08Elle a 70 ans aujourd'hui.
01:10Elle vit à Aubervilliers.
01:11Donc, c'est une mère de famille ordinaire
01:13qui prend le bus pour aller faire le marché,
01:16qui fait de l'agneau le samedi pour ses enfants
01:18qui viennent déjeuner à la maison.
01:19Donc, c'est une femme qui, a priori,
01:22est une femme assez discrète, assez effacée.
01:25Et dans ce roman, la discrétion,
01:27j'avais envie d'aller chercher
01:29ce qu'il y a derrière cette existence
01:31en reprenant le fil de la vie d'Yamina du début,
01:33c'est-à-dire sa naissance en 1949
01:35dans un village en Algérie.
01:37Et tout ce qu'elle traverse
01:39équivale à faire devenir cette femme silencieuse.
01:41J'avais envie qu'on la raconte autrement
01:43et qu'on la voit autrement,
01:45que cette femme effacée,
01:47pour moi, qui est vraiment le cliché de la maman arabe
01:50avec son foulard qui rase les murs et tout,
01:52j'avais envie de montrer que derrière cette femme,
01:54il y avait une petite fille qui avait des rêves,
01:55il y avait une adolescente,
01:57il y a une femme qui a traversé la guerre,
01:58qui a connu l'exil,
02:00qui avait une idée de l'amour
02:02et surtout qui avait, au fond d'elle,
02:04une résistante.
02:06Et que ça aussi, ça s'est transmis.
02:08C'est avant tout un hommage,
02:10parce que d'abord, je le dédie à ma mère
02:12et à toutes nos mères,
02:14parce que ça me tenait vraiment à cœur
02:16de raconter ces existences
02:18qui ont été tellement invisibilisées
02:20et même, enfants de ces femmes,
02:22il y a des choses qu'on ne regarde pas
02:24et qu'on n'a pas vues
02:26et c'est des récits qu'on n'entend pas beaucoup.
02:28Donc il y a cette notion aussi
02:30de ces gens qui sont arrivés dans un pays
02:32dont ils ne maîtrisaient absolument pas les codes
02:34et déjà, chapeau,
02:36parce que je trouve que là aussi,
02:38il y a un hommage à rendre.
02:40C'est très compliqué d'éduquer des enfants
02:42quand on ne maîtrise aucun code,
02:44quand on ne maîtrise pas la langue
02:46et de les comprendre aussi,
02:48comment ils se sentent
02:50quand on n'a pas forcément transmis son histoire,
02:52que les enfants sont devant un puzzle
02:54à faire
02:56et que la mémoire est fragmentée à ce point-là.
02:58Ce que je dis, c'est que cette famille est française,
03:00que l'histoire de cette famille, c'est l'histoire française,
03:02que ce n'est pas une histoire
03:04qu'on greffe
03:06ou qui se rajoute, je ne sais pas comment dire,
03:08c'est l'histoire de la France
03:10et à un moment donné, il faudra la démettre
03:12comme faisant partie de l'histoire française.

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