Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, était l'invité de franceinfo soir, lundi 24 mars 2025.
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00:00L'invité, Agathe Lambret.
00:03Bonsoir Laurent Nunez.
00:04Bonsoir.
00:05Vous êtes préfet de police de Paris, ancien coordinateur national du renseignement et de
00:08la lutte contre le terrorisme.
00:09Un rabbin a été agressé, frappé en pleine rue à Orléans.
00:14Vous vous êtes, c'était samedi après-midi, vous vous êtes compétent sur Paris et sa
00:19petite couronne, mais qu'est-ce que cela dit cet événement ? Ça veut dire qu'aujourd'hui
00:24un français juif n'est même plus en sécurité dans les rues de sa ville ?
00:28Ça traduit d'abord une montée forte de l'antisémitisme, surtout depuis le 7 octobre
00:332023.
00:34En fait, c'est ça le vrai sujet.
00:36Depuis le 7 octobre 2023, les actes antisémites ont explosé.
00:41Entre 2024 et 2023, ils ont augmenté dans l'agglomération parisienne de 340%.
00:48Donc c'est fois trois et demi.
00:50Et 85% de cette augmentation, elle a lieu après le 7 octobre 2023 et on a une stabilisation
00:57à très haut niveau en 2024.
00:59Donc il y a une montée effectivement des actes antisémites.
01:03Et il y a des actes antireligieux et des actes antisémites.
01:07Le ministère de l'Intérieur révèle que 62% des actes antireligieux en France sont
01:12des actes antisémites.
01:14Est-ce qu'à Paris aussi, vous constatez que la part des actes antisémites est plus importante
01:20dans les faits antireligieux ?
01:21À Paris et dans l'agglomération parisienne, le chiffre est plus important.
01:23Il y a 88% des actes antireligieux qui sont des actes antisémites.
01:27Ça peut être des actes violents, des injures, des tags, des propos menaçants, des gestes
01:32menaçants.
01:33Voilà.
01:34D'où notre grande concentration et détermination, évidemment, à assurer la protection de la
01:38communauté.
01:39Et qu'est-ce qui est mis en œuvre aujourd'hui ?
01:40Est-ce que les juifs peuvent, encore une fois, circuler dans les rues avec une kippa ?
01:44Ou est-ce qu'ils doivent se cacher ?
01:46Est-ce que vous donnez des consignes à la communauté juive ?
01:48Vous leur dites, cachez les mézousas sur votre porte, enlevez vos kippas ?
01:52Nous sommes en contact avec tous les responsables de la communauté, qui dirigent des écoles,
01:56des lieux de culte.
01:57Et nous avons des dispositifs de protection, des rondes et patrouilles, parfois des dispositifs
02:02statiques pendant les fêtes religieuses.
02:04Et puis oui, il y a des patrouilles qui sont renforcées dans les quartiers, fréquentées
02:07évidemment par la communauté.
02:09Au même titre que l'État investit beaucoup dans la protection des lieux de culte juif,
02:14des investissements, des crédits d'État qui viennent financer les équipements de
02:17protection.
02:18Mais nous le faisons pour tous les cultes.
02:19J'insiste.
02:20Nous luttons de manière déterminée contre tous les actes anti-religieux.
02:24Mais on a effectivement une explosion des actes antisémites, il est difficile de le
02:27nier.
02:28Et il vient d'où cet antisémitisme ?
02:29Parce que Gérald Darmanin, le ministre de la Justice, a mis en cause la France insoumise.
02:34Est-ce qu'il y a une corrélation entre le discours de ce parti, récemment encore une
02:41affiche de Cyril Hanouna qui reprenait des codes antisémites, et les actes ?
02:46Est-ce que la France insoumise a une responsabilité dans ce climat ?
02:49Je me garderais bien comme préfet de faire ce genre de commentaire.
02:51La seule chose que je peux redire, et faire remarquer, souligner, mettre en exergue, c'est
02:56que l'explosion remonte au 7 octobre 2023, l'attaque terroriste du Hamas.
03:01Et donc on fait porter aux juifs de France le chapeau de ce qui peut se passer, on les
03:07traite de génocidaires, voilà le type d'insultes qu'ils ont à subir.
03:11Et ce sont des propos qu'on peut entendre parfois dans la bouche de certains responsables
03:14politiques, de certaines structures de soutien à la cause palestinienne.
03:18Ce sont des propos qu'on entend dans les manifestations, et j'ai la faiblesse de penser
03:21que oui, effectivement, ça peut inciter à la haine et au développement des actes antisémites.
03:25Est-ce que vous êtes d'accord avec Bruno Rotailleau, ministre de l'Intérieur, qui
03:29dit « Autrefois, l'antisémitisme était d'abord le fait de l'extrême droite, aujourd'hui
03:33c'est résiduel ». Bruno Rotailleau qui pointe l'antisémitisme venant de l'islamisme
03:39et venant de l'extrême gauche.
03:41Mais il y a une source historique, de toute façon, de l'antisémitisme à l'ultra-droite,
03:45à l'extrême droite, on le sait très bien, et notamment des mouvements d'ultra-droite
03:47qui continuent à tenir des propos antisémites.
03:50Mais encore une fois, regardez ce qui se passe depuis le 7 octobre 2023, les actes antisémites
03:55explosent, explosent, et donc il y a une prédominance extrêmement forte de ce nouvel
04:00antisémitisme qui provient d'autres horizons politiques, c'est évident.
04:04Et l'antisémitisme d'extrême droite, est-ce qu'il est résiduel ?
04:06Il demeure, il demeure, après c'est une question de proportion, moi je me garderais
04:09bien de faire tout commentaire, mais regardez, depuis le 7 octobre 2023, encore une fois,
04:14entre 2024 et 2023, c'est trois fois et demi de plus d'actes antisémites enregistrés.
04:19Laurent Nunez, samedi avait lieu une manifestation à l'appel de syndicats, d'associations
04:27de partis de gauche, contre le racisme à Paris, manifestation lors de laquelle le journaliste
04:32Clément Lanneau a reçu un coup de matraque à la tête par un policier, sur les vidéos
04:36on voit cette scène, le policier qui le fait d'abord tomber à terre, et ensuite qui
04:40lui porte un coup sur la tête, c'est un exemple de violence policière ?
04:44Non, ça s'est passé dans un contexte très particulier, avec quelques centaines d'extrémistes
04:50d'ultra-gauche, des black blocs, qui ont tenté un cortège sauvage dans la rue de
04:55Picpus, pour être précis, et donc mes effectifs ont empêché ce cortège sauvage, et c'est
04:59lors de la manœuvre de repli, que malheureusement Clément Lanneau a été bousculé, il a
05:03chuté au sol, mais encore une fois, moi j'ai un rapport maintenant, ces faits ont eu lieu
05:08samedi, j'ai comme d'habitude diligenté une enquête administrative, et donc je peux
05:12vous assurer que le fonctionnaire de police ne voit rien, les fonctionnaires de police
05:16qui sont pris à partie, qui reçoivent énormément de projectiles, sont dans une manœuvre de
05:20repli, et M. Clément Lanneau se trouve derrière eux, et il se passe ce qu'il s'est passé.
05:25Mais sauf que sur les images, il n'a pas l'air d'être bousculé, on a l'impression
05:28que le policier délibérément le fait tomber au sol, peut-être que c'est une erreur,
05:32peut-être que...
05:33Non, le policier en reculant, effectivement, percute un individu qui est derrière lui,
05:36il y avait énormément d'individus qui les prenaient à partie, donc ils ont été
05:41pris à partie côté gauche, côté droit, ça n'arrêtait pas physiquement, donc voilà,
05:46c'était extrêmement violent, les scènes d'agression dont ils ont fait l'objet étaient
05:50violentes, et c'est dans la manœuvre de repli qu'il s'est passé cet incident.
05:53Moi j'ai un rapport administratif qui ne me laisse pas penser qu'il y a de fautes du
05:57fonctionnaire de police.
05:58Donc il n'y aura pas de sanctions selon vous ?
05:59Il donne effectivement un coup de matraque sur le casque de M. Lanneau.
06:02Sur un journaliste qui a un brassard jaune fluo avec écrit presse dessus.
06:05Il ne le voit pas tout de suite, vous savez, dans la manœuvre de repli, on ne voit pas,
06:08il n'avait pas vu qu'il y avait quelqu'un, ça je peux vous le dire, et il n'avait encore
06:11moins vu que c'était un journaliste, et il donne un geste qui, je l'ai dit, j'ai bien
06:15regardé les images, j'ai écouté les fonctionnaires, c'est quand même pas un geste d'une grande
06:19vigueur.
06:20Il y a d'autres images qui sont édifiantes, c'est celle d'un refus d'obtempérer qui
06:26aurait pu virer au drame samedi, au petit matin, dans le 14e arrondissement de Paris,
06:31un conducteur qui avait refusé de se soumettre à un contrôle policier s'est encastré
06:35dans un feu tricolore, derrière collision en série, trois voitures de police qui poursuivaient
06:39cette voiture se sont encastrées, il y a 13 blessés, personne n'a été tué, mais
06:44ça relève du miracle quand on voit ces images, comment c'est possible ?
06:47C'est possible parce qu'il y a d'abord un individu qui refuse de s'arrêter lors
06:50d'un contrôle de police, donc il y a comme en application des instructions fermes que
06:55je vous donne sur toute l'agglomération parisienne, il y a une prise en charge qui
06:57s'est effectuée, une poursuite, et le véhicule des fuyards donc a percuté un feu tricolore
07:02et donc les véhicules se sont ensuite encastrés, c'est évidemment un accident que je regrette,
07:06il y aurait pu y avoir des fonctionnaires de police plus gravement blessés, les 10
07:10fonctionnaires impliqués l'ont été, heureusement légèrement, mais voilà, c'est d'abord
07:13un refus d'obtempérer, il ne faut jamais l'oublier.
07:15Mais c'est ce que vous dites, c'est un refus d'obtempérer, mais on ne parle pas
07:17d'un criminel qui était en fuite, c'est une tentative de contrôle de routine qui
07:22a failli se transformer en drame.
07:23Chaque fois qu'il y a un contrôle routier, et quand la voiture repart, il refuse d'obtempérer,
07:28il faut prendre en chasse.
07:29Souvent la personne est soit sur le coup de l'alcool, transporte des stupéfiants, transporte
07:34des armes, c'est souvent cela, et vous savez, je pense que vos auditeurs ne seront pas forcément
07:40ravis comme je l'ai été d'apprendre que dès hier soir à minuit 15, deux des personnes
07:44qui se trouvaient dans un véhicule ont été de nouveau contrôlées en infraction.
07:48Donc voilà, les contrôles routiers ça sert à ça, et la police fait son travail.
07:52Deux des personnes qui étaient impliquées dans cet accident, deux des occupants du
07:56véhicule, ont de nouveau été contrôlés et conduisent pour l'un d'entre eux, alors
08:01que son permis n'a plus de points.
08:03Donc ils étaient à nouveau en infraction, mais il y avait des consignes avant, de discernement,
08:08il me semble que les policiers avaient la consigne de ne pas systématiquement poursuivre.
08:11Si la personne n'est pas armée, si elle n'a pas commis un crime, peut-être que ça ne
08:16vaut pas la peine de prendre autant de risque.
08:18Alors ça ce sont des instructions qui existaient avant, elles n'existent plus, maintenant
08:21les refus d'obtempérer sont systématiquement pris en charge.
08:23La seule chose, il y a un certain nombre de conditions, il faut prévenir la salle
08:28de commandement, basculer sur une fréquence commune d'écoute, radio, mais il ne faut
08:33pas attendre qu'il y ait un crime grave ou un délit grave qui soit commis pour procéder
08:37à un refus d'obtempérer.
08:38Quand on ne s'arrête pas quand les policiers vous demandent de le faire, c'est forcément
08:41suspect et je peux vous assurer que toutes les nuits c'est le cas, et les gens ont toujours
08:44quelque chose à se reprocher.
08:45On a entendu votre ligne Laurent Nunez, en ce moment est examinée à l'assemblée la
08:50loi sur le narcotrafic qui vise à créer un parquet national anti-criminalité organisé
08:57sur le modèle de ce qui existe déjà pour le terrorisme, un nouveau régime de détention,
09:02un dossier coffre qui permet de protéger des techniques d'enquête en ne les versant
09:06pas au dossier.
09:07Gérald Darmanin a été désavoué sur un sujet, et vous aussi, c'est l'accès aux
09:13conversations dans les messageries chiffrées, comme Telegram ou WhatsApp, ça a été majoritairement
09:19rejeté par les députés qui s'inquiètent pour les libertés publiques.
09:23Est-ce que c'est un outil vraiment indispensable ? Vous ne pouvez pas faire sans avoir accès
09:27à ces conversations ?
09:28D'abord, le ministre de l'Intérieur, les forces de sécurité qui réclament cette
09:33mesure n'ont pas été désavouées parce que cette mesure n'a pas été adoptée.
09:35Le texte s'inscrit dans un ensemble global qui prévoit de créer, à l'instar de la
09:40lutte antiterroriste, une coordination renforcée de tous les services avec la création d'une
09:45task force à la Direction nationale de la police judiciaire où tous les services vont
09:48échanger sur la lutte contre le narcotrafic et vont être dotés d'un certain nombre
09:52d'armes qui sont bien prévues dans le texte, des armes légales qui permettront par exemple
09:57au préfet de fermer des commerces qui sont en lien avec le trafic de stubs, de prononcer
10:00des interdictions de paraître, donc d'expulser de leurs logements sociaux des individus qui
10:06sont liés au trafic.
10:07Donc il y a toute une batterie de mesures qui sont extrêmement importantes pour nous.
10:11Oui, vous avez raison, celle dont vous parlez, le dossier COF, le procès verbal distinct
10:16qui a finalement été adopté, c'est une bonne chose, ça va permettre de protéger
10:19nos techniques spéciales d'enquête afin que les narcotrafiquants ne puissent pas y
10:23avoir accès dans la procédure, à savoir comment nous travaillons, c'est une très
10:26bonne chose.
10:27Puis évidemment, oui, nous n'aurons pas accès malheureusement aux communications
10:30cryptées.
10:31C'est une arme dont nous sommes privés pour lutter contre les narcotrafiquants, moi j'en
10:37prends acte respectueusement, mais ça n'empêchera pas la détermination qui est la nôtre, sous
10:42l'impulsion du ministre d'Etat, ministre de l'Intérieur, à lutter contre le narcotrafic
10:45comme nous le faisons, en se réorganisant, en se réarticulant comme on l'a fait maintenant,
10:49il y a dix ans, en matière de lutte antiterroriste.
10:51Ces mesures, souvent, elles ont été votées avec les voix du Rassemblement National, certaines
10:55ont suscité les mots au sein même de la majorité, enfin du socle commun disons, pas
11:00à l'aise avec certains points, je vais vous citer une phrase d'un député RN, adressée
11:04à un macroniste, vous étiez où cette semaine, vous n'étiez pas là, si les dossiers COF
11:08re sont réintroduits, c'est grâce à nous, voilà ce qu'a dit ce député RN, ça vous
11:13pose pas de problème que le RN soit plus allant encore que votre propre camp sur ce
11:17texte ?
11:18Moi je suis préfet, je suis un préfet de la République, vous êtes un ancien ministre
11:20d'Emmanuel Macron.
11:21Je suis un ancien ministre, j'appartiens par un camp, c'est celui de la République, et
11:24je peux vous dire que la République, c'est aussi la police, la gendarmerie nationale,
11:29qui lutte contre les trafiquants, et je suis toujours assez mal à l'aise quand on nous
11:34accuse de vouloir attenter aux libertés individuelles quand il y a ce type de mesures, je suis toujours
11:39très mal à l'aise parce que ça laisse à penser que finalement les forces de l'ordre
11:42voudraient accéder à des messagers et cryptiers pour porter atteinte aux libertés individuelles,
11:47il n'en est rien, au contraire, les narcotrafiquants, ils portent atteinte à la liberté d'aller
11:51et de venir, à la liberté de vivre tout simplement, des personnes qui en sont les
11:54victimes, et c'est ça ce qu'on veut combattre, on n'est jamais très content quand on nous
11:59soupçonne finalement quelque part d'être liberticides alors qu'au contraire on veut
12:02protéger les libertés.
12:03Merci beaucoup Laurent Nunez, préfet de police de Paris d'avoir répondu aux questions de
12:07France Info.
12:08Et merci Agathe Lambret, on se retrouve à 20h pour les informer.