Dans le débat éco vendredi 14 mars, Thomas Porcher, membre des Économistes Atterrés et professeur à la Paris School of Business, et Dominique Seux, éditorialiste à France Inter et aux Échos, échangent au sujet de l'après-confinement.
Retrouvez « Le débat éco » présenté par Dominique Seu et Thomas Porcher sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-economique
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00:00France Inter, Mario Lourd, Ali Baddou, le 6-9.
00:05Thomas Porcher, Dominique Seux, bonjour messieurs.
00:07Bonjour Ali.
00:08Ce matin, un drôle d'anniversaire, une commémoration en tout cas, et un sujet qui a percuté nos
00:14vies de plein fouet, le Covid.
00:16Le Covid c'était il y a 5 ans, dimanche 16 mars, ce sera donc les 5 ans, 5 ans que 36
00:25millions de Français, ou à peu près, regardaient leur télévision, et le Président de la
00:30République qui annonçait le premier confinement pour éviter la propagation de la pandémie.
00:35On parlait alors d'un avant et d'un après, du monde d'avant et du monde d'après, et
00:41ce sera justement le sujet du débat ce matin.
00:44Thomas Porcher, est-ce que ce moment-là, celui du confinement particulièrement, pas
00:49simplement de la pandémie, et toutes ses conséquences extrêmement concrètes sur
00:55nos vies, ont changé les choses, ont changé notre société et notre monde ?
00:59Alors, je pense qu'il y a eu quelques changements à la marche sur l'organisation du travail,
01:04on va en discuter notamment avec le développement du télétravail, mais après, sur ce que
01:09nous a montré finalement le Covid, les faiblesses de notre société, il n'y a pas eu de grands
01:14changements.
01:15Par exemple, je ne suis pas sûr que l'on soit mieux préparé face à une nouvelle
01:18pandémie aujourd'hui, 5 ans après, je ne suis pas sûr.
01:21Sur l'hôpital public, je ne suis pas sûr que les soignants soient mieux traités maintenant
01:24qu'avant le Covid.
01:25Sur la dépendance qu'on a eue, par exemple, aux importations, le fait qu'on ne savait
01:29pas produire de masques, je ne suis pas sûr que les choses se soient vraiment arrangées.
01:32Et puis enfin, sur les métiers utiles qui ont tenu notre société pendant le confinement,
01:37je ne suis pas sûr qu'ils soient mieux rémunérés aujourd'hui.
01:39Donc, il n'y a pas eu de réels changements pour moi sur le fonctionnement de notre société.
01:43Dominique Seux ?
01:44Je mettrais un certain nombre de nuances, mais il faut quand même rappeler d'abord
01:48120.000 morts du Covid en France, 460.000, donc 500.000 personnes hospitalisées.
01:55Chacun d'entre nous se souvient de cette période assez incroyable dans nos vies.
02:01L'efficacité d'un vaccin, quand même, et pourquoi je le rappelle ?
02:05Parce que, assez curieusement, tous ceux qui contestaient l'utilité du vaccin sont à
02:10peu près les mêmes aujourd'hui, alors à la fois politiques, commentateurs, qui aujourd'hui,
02:16c'est très curieux, minimisent ou contestent le risque russe aujourd'hui.
02:22C'est purement factuel ce que je dis, chacun peut penser, c'est assez curieux cette façon
02:26de penser.
02:27Bon, il y a cette analogie, mais sur l'avant et l'après.
02:29Alors, est-ce qu'il y a un avant et un après ?
02:31Quelques nuances, quand même, par rapport à ce que vient de dire Thomas, du côté
02:35des pouvoirs publics, assez peu de changements, il a raison.
02:39Du côté des entreprises, je ne suis plus nuancé, on va y revenir, il y a eu des changements
02:43sur l'organisation industrielle, sur la logistique.
02:45Mais du côté de la vie et de la société, énormément de changements.
02:49Il y a un avant et un après.
02:51Je vous donne deux exemples.
02:52Des changements en termes de comportement essentiellement ?
02:54De comportement.
02:55Bon, évidemment, le télétravail, on va en parler, mais tout le monde connaît ça.
02:58Je ne sais pas, le paiement sans contact, la façon, la relation avec le liquide, l'argent
03:04liquide.
03:05Le cash.
03:06Voilà, c'est complètement.
03:07Évidemment, les achats en ligne, l'e-commerce qu'il y a eu, là, il y a des avants et il
03:10y a des après de manière tout à fait nette.
03:13C'est vrai, Churchill disait, il ne faut pas gaspiller une bonne crise.
03:19Il ne faut jamais gaspiller une bonne crise.
03:22C'est effectivement ce que disait Churchill.
03:24Alors, rentrons dans le dur du sujet.
03:27Concernant le monde du travail, est-ce que Thomas Porchet, il y a eu une révolution
03:31avec le confinement ? Et je parle particulièrement du confinement, moment crucial de la pandémie.
03:38Oui, on voit très bien que le télétravail s'est développé fortement.
03:42Beaucoup d'entreprises reviennent sur le télétravail.
03:44Oui, mais quand même, on était sur des télétravails à 2-3% avant le confinement.
03:49Et puis maintenant, on est sur un travail plutôt hybride.
03:51C'est-à-dire que les entreprises, elles acceptent qu'il y ait un jour ou deux jours
03:54qui soient consacrés au télétravail.
03:56Et on voit, par exemple, que la demande des entreprises pour les grands espaces, les grands
04:01bureaux, finalement, elle diminue.
04:02On voit bien que le quartier de la Défense, maintenant, souffre très fortement à cause
04:05d'un manque de fréquentation.
04:06L'immobilier de bureaux a souffert.
04:07L'immobilier de bureaux a souffert.
04:09Mais aussi, il y a eu un développement des logements en périphérie avec le télétravail.
04:12Et donc, les gens sont plus d'accord pour vivre dans une maison que dans les centres-villes.
04:17Ce qui était moins le cas avant, quand ils avaient la possibilité de le faire.
04:20Sur le télétravail, en fait, il y a...
04:21Oui, vous faisiez la moue, Dominique, quand je disais que beaucoup d'entreprises reculaient.
04:24Oui, parce que je disais que beaucoup d'entreprises reculaient.
04:25Non, la moue quand Thomas parle.
04:26Mais il y a une étude de l'INSEE assez claire qui est sortie il y a une dizaine de jours
04:30et qui, je trouve, remet les pendules à l'heure.
04:32Parce qu'elle dit que 22% des salariés en France font du télétravail une fois par
04:39mois.
04:4022%, en fait, ça veut dire qu'il y en a 4 sur 5 qui ne le font pas.
04:43C'est vrai qu'en milieu urbain, c'est vrai que dans des univers de cadres, le télétravail
04:48est très partagé, très usuel.
04:50Mais attention, ça ne concerne pas la majorité des salariés.
04:54Et quand on regarde, vous avez 63% des cadres qui font du télétravail au moins une fois
04:59par mois.
05:0010% des employés.
05:020% des ouvriers.
05:04Et donc, en fait, c'est une fracture sociétale, sociale, dont on parle relativement peu.
05:10Parce que, malgré tout, quand on fait du télétravail, c'est plus agréable.
05:14Souvent, c'est vécu comme étant plus agréable que d'aller à son bureau, dans les transports,
05:19etc.
05:20Donc là, il y a quelque chose qui s'est créé.
05:21Alors, deuxième sujet que j'aimerais qu'on aborde, vous parliez de l'e-commerce à l'instant,
05:25mais parlons de ce mot qui s'est imposé dans l'espace public au moment du confinement
05:29et de la pandémie, la souveraineté.
05:31Il était notamment question de la souveraineté industrielle, lorsqu'on a vu que la France
05:36manquait cruellement de masques, qu'il n'y avait même parfois pas de moutarde dans les
05:40rayons des supermarchés.
05:42Ça paraît anecdotique, mais Thomas Porcher, est-ce que cette question de la réindustrialisation,
05:48de la reconquête par la France de sa souveraineté économique, il y a un avant et un après ?
05:53Quand on regarde les courbes, c'est vrai qu'on était au fond du trou.
05:56On était au fond du trou avant le Covid.
05:58On a réaugmenté très légèrement avant le Covid avec les réformes de Macron, mais
06:05on restait quand même au fond du trou.
06:06Et là, on voit depuis la dernière année que la réindustrialisation, les courbes commencent
06:11à se réinverser à nouveau.
06:13Il n'y a pas eu une sortie du tunnel où on a repensé les fondements d'une nouvelle société.
06:19Ça reste modeste.
06:20Ça reste très modeste.
06:21Et je veux dire, quand moi je pense, pendant ce confinement, quand on était tous devant
06:24notre télé et qu'on comptait les morts le soir, et Dominique a eu raison de rappeler
06:27l'impact majeur de la pandémie, il y avait quand même un certain nombre de sorties.
06:30Moi, je me souviens déjà avant le confinement, il y a eu cette réunion de conseils des
06:33ministres exceptionnels pour traiter la pandémie.
06:35Il en est sorti quoi ? Il en est sorti un 49.3 pour les retraites.
06:38Avril en 2020, il y a eu une interview du gouverneur de la Banque de France qu'on va
06:43recevoir après.
06:44En 2020, on était tout confiné dans le JDD, on était en une chute historique du PIB.
06:50Au lieu de nous parler des investissements d'avenir, de la refonte de la société, il
06:54nous dit il faudra rembourser la dette.
06:55Donc, on savait après ça que le monde d'après allait ressembler très fortement au monde d'avant.
07:00Parce qu'il y a, alors Dominique, la souveraineté et puis ensuite on parlera du confinement.
07:05Pour l'essentiel, je suis d'accord avec Thomas, il n'y a pas eu de gros changements.
07:10C'est vrai que la dépendance aux médicaments, par exemple, c'était en 2002, avant la pandémie,
07:15c'était 80% des principes actifs des médicaments qui sont dans le domaine public qui venaient de Chine.
07:21Ça n'a pas beaucoup changé.
07:22Les grands labos se trouvent toujours à l'étranger.
07:24Il y a deux, trois choses qui ont été faites.
07:26Par exemple, vous avez Sequence, près de Lyon, de Saint-Etienne, qui s'occupe de l'IPRAN,
07:32enfin du principe actif de l'aspirine.
07:36Vous avez des petites choses.
07:38Un rapport parlementaire a indiqué, d'un député socialiste il y a quelques jours,
07:41que les hôpitaux français avaient fait une commande début janvier pour 60 millions d'euros
07:47de masques à la Chine.
07:49Les choses n'ont pas tant changé.
07:51Néanmoins, il n'y a que des contre-exemples.
07:53Il y a deux contre-exemples.
07:55Le premier, c'est que la France, donc l'État français, a pris des participations
07:59pour acheter Alcatel Submarine Network, c'est-à-dire des caps sous-marins optiques.
08:04Là, en disant, c'est de la souveraineté.
08:06Et puis, bien sûr, il n'y a pas l'éléphant dans la pièce,
08:09mais beaucoup de choses ont été annoncées et faites sur les usines de batterie dans le Nord de la France
08:14au nom de la souveraineté, sauf que la demande n'est pas là
08:19et les gens n'achètent pas suffisamment de voitures électriques.
08:21Et donc, le système est en train de se casser la figure.
08:23Le quoi qu'il en coûte, est-ce que vous vous félicitez, Thomas Porcher,
08:26d'avoir découvert que la France pouvait s'engager dans cette voie ?
08:30Aujourd'hui, on reprend cette formule, peut-être pas,
08:34mais en tout cas, le principe de laisser filer les déficits,
08:37de laisser augmenter la dette au nom d'une autre urgence.
08:43Oui, parce que tout à fait avant le Covid, on nous disait les mêmes discours
08:46qu'on ne pouvait pas mettre un euro de plus ici ou là parce qu'il y avait la dette.
08:50Et puis là, on a vu tout de suite qu'on a pu mettre des milliards
08:53et c'était une bonne chose.
08:54Je veux dire, le fait que l'État soit là pour faire cette politique contracyclique,
08:58tout le monde est d'accord, c'était une très bonne chose.
09:00Après, moi, je veux qu'on aille plus loin que l'État pompier.
09:02L'État ne doit pas être qu'un pompier quand il y a une crise.
09:04Il faut aussi, à un moment, refonder, redévelopper l'État-providence
09:08comme il existe déjà en France.
09:10Mais il faut aussi l'adapter aux nouvelles évolutions démographiques
09:15à laquelle la France est confrontée.
09:17S'adapter à l'imprévisibilité, le quoi qu'il en coûte, et ce sera à la fin.
09:20Tous les pays ont fait une sorte de quoi qu'il en coûte,
09:23sauf que nous, on a retiré les béquilles beaucoup plus tard que les autres.
09:26Et on a laissé un certain nombre de béquilles qui ne se justifient pas aujourd'hui.
09:30Le quoi qu'il en coûte, grosso modo, ça a été 150 milliards d'euros
09:34de boucliers divers et variés, d'aides aux entreprises, aux particuliers,
09:39auxquels se sont rajoutés 80 milliards d'euros liés à la protection
09:44contre la flamme et des prix, liés à la reprise post-Covid.
09:48Donc on est autour de 230-250 milliards.
09:50Mais est-ce que c'est une mauvaise habitude qui a été prise à ce moment-là,
09:52pendant le confinement et pendant le Covid ?
09:55Écoutez, je crois que le quoi qu'il en coûte, il existait en France avant la pandémie
09:59et il existe encore après.
10:01Je regrette que l'État et que nous ayons plus de dépenses de fonctionnement que d'investissement.
10:09Moi, je pense qu'on n'a pas fait le vrai bilan de ce qui nous a amené
10:12en fait à la crise pendant le Covid.
10:14Je veux dire, ce n'est pas moi qui ai dit qu'il fallait une mondialisation heureuse.
10:17Ce n'est pas moi qui ai dit qu'il fallait supprimer des lits et faire des économies sur l'hôpital.
10:20C'est un certain nombre de personnes qui l'ont dit,
10:22ce qui a fait qu'on est arrivé un peu nus face à la pandémie.
10:25Il ne faut jamais gaspiller une bonne crise, mais...
10:29Merci Thomas Porchet, merci Dominique Seux.
10:30On reprendra évidemment ce débat passionnant.
10:33C'était donc le Dépas Eco.