Jeudi 13 mars 2025, INTROSPECTION reçoit Laurent Collet-Billon (Ancien délégué général pour l’armement)
Catégorie
🗞
NewsTranscription
00:00Bonjour, bienvenue à l'émission Introspection.
00:11Dans quelques instants, j'aurai le plaisir d'accueillir Laurent Collet-Billon.
00:16Alors, Laurent Collet-Billon, c'est une personnalité incroyable.
00:20Il a été directeur général de la DGA, il a conseillé des ministres de la Défense,
00:27il est aujourd'hui au conseil d'administration des plus grands groupes industriels,
00:33et ça va être vraiment extrêmement passionnant d'écouter ce que cet homme exceptionnel a à nous dire.
00:39À tout de suite.
00:45Laurent Collet-Billon, bonjour.
00:46Bonjour Lucie de Gaujonquier.
00:48Merci d'avoir accepté mon invitation, parce que je suis très très heureuse,
00:52un, de vous recevoir, et deux, de donner la possibilité aux gens qui nous écoutent
00:57de mieux vous connaître.
00:58Je suis très heureux de participer également, en tout cas.
01:01Vous êtes un haut fonctionnaire, vous avez travaillé dans la Défense toute votre vie,
01:06et aujourd'hui, évidemment, on va parler du secteur de la Défense,
01:10qui reste un secteur méconnu pour beaucoup,
01:14et puis on va parler de l'homme, de l'homme que vous êtes, du père, de l'époux, et du grand sportif.
01:21Alors on va commencer, il y a quelques années, c'était hier, lorsque vous étiez un petit garçon.
01:26Où étiez-vous ? Que faisiez-vous ? Étiez-vous heureux ?
01:29Alors, je suis né dans une famille dont mon père était ingénieur militaire, déjà,
01:34donc je suis né à Paris, mais pour rejoindre tout de suite le lieu d'affectation de mon père,
01:40qui est Vernon, où il y avait un établissement,
01:44ce qui deviendra plus tard la Délégation Générale pour l'Armement,
01:47un établissement donc d'ingénieurs militaires, en gros,
01:50et j'ai passé de 0 à 11 ans de ma vie à Vernon.
01:53Donc c'était une vie extrêmement heureuse, très facile,
01:56collège César-le-Maître, des tas de copains, enfin c'était la campagne,
02:00donc c'était absolument merveilleux.
02:02À 11 ans, déménagement lié à une nouvelle affectation de mon père,
02:06qui rejoint un nouveau service technique,
02:08qui s'occupe de ce qu'on appelle à l'époque des engins balistiques,
02:12ce qui deviendra les missiles stratégiques à un certain moment,
02:15et donc j'atterris en région parisienne, très exactement à Arcueil.
02:20Arcueil, c'est l'lycée Lacanal pour moi, où je fais mes études secondaires,
02:25y compris une petite partie de classe préparatoire en maths sup.
02:29– Et c'était un peu mon père ce héros, que vous vouliez faire ?
02:32– Pas du tout, pas du tout, j'avais une perception assez sévère de mon père,
02:37nous étions une famille nombreuse, 8 enfants,
02:40donc tout ça a été très organisé par ma mère quelque part,
02:44bien davantage que mon père sur le plan de la vie pratique
02:48et d'un certain nombre de choses.
02:49Mon père s'occupait de vérifier les résultats scolaires de l'ASMALA,
02:55assez régulièrement, avec des jugements assez lapidaires parfois,
03:00ne comprend rien aux maths, ne fera jamais rien.
03:04– Comme quoi, comme quoi ça ne veut rien dire.
03:06– Mais tout ça a été au fond assez heureux,
03:12le lycée Lacanal m'a permis de découvrir le rugby,
03:14parce que nous avions des professeurs d'éducation physique et sportive,
03:18c'était le nom de l'époque, qui étaient tous des spécialistes du rugby
03:22et qui sont tous devenus entraîneurs de club à l'ISU.
03:25– Oui, et puis c'est quelque chose qui a marqué votre vie, je crois.
03:28– Ah oui, tout à fait, j'ai pris le virus à ce moment-là.
03:30– Et alors vous avez rejoint un club vous-même ?
03:34– D'abord la pratique dans le milieu scolaire,
03:37les compétitions scolaires, y compris le championnat de France,
03:39et puis j'ai rejoint, au moment où j'ai quitté le lycée,
03:43j'ai rejoint un club qui était en tennis sport,
03:46pas très loin de Sceaux, où est le lycée Lacanal,
03:51et où étaient d'ailleurs mes condisciples de Lacanal, foncièrement.
03:55– Et c'est une passion pour vous ce rugby ?
03:57Ça a accompagné votre vie ?
03:59– Elle continue aujourd'hui encore.
04:00– Je crois que vous êtes reparti sur une civière plusieurs fois.
04:03– Jamais, jamais, on a simplement fait plusieurs voyages
04:07d'un bout à l'autre du visage, mais ça c'est assez habituel,
04:11surtout dans les postes que j'occupais.
04:14J'ai d'ailleurs un excellent ami qui partage la même passion
04:17et qui occupe à peu près les mêmes postes que moi,
04:19c'est Marouane Lahoud, qui est du même milieu également,
04:22j'espère que vous aurez l'occasion de le rencontrer
04:24parce que c'est un personnage également.
04:26– C'est prévu, c'est prévu.
04:27Donc après le lycée, qu'est-ce qui se passe, le rugby continue ?
04:30– Le rugby continue bien sûr, mais ce qu'il faut dire
04:34c'est que mon père tenait absolument à ce que je devienne médecin,
04:37à l'issue de mes études secondaires,
04:39moi je n'étais absolument pas décidé à devenir médecin,
04:42pour des tas de raisons, enfin je ne sentais pas très bien ce métier en tout cas,
04:45même si je le trouvais éminemment respectable,
04:48et donc un peu par hasard, j'entre en classe préparatoire,
04:52voilà, au lycée de la Canale toujours,
04:57et puis le prof de maths à ses entrées à Louis-le-Grand
05:01et à la fin de l'année me dit, ben voilà, ton cas est réglé,
05:03tu vas faire maths P à Louis-le-Grand,
05:07je suis parti à Louis-le-Grand faire maths P,
05:08bon c'est ce qu'il y a de mieux.
05:09– La pire, comme lycée.
05:11– C'était assez sympa aussi, je dois dire que j'ai trouvé la vie en classe préparatoire
05:15plutôt agréable, mine de rien, c'est une vie assez austère et disciplinée,
05:19mais au fond ça a son mérite, je continuais à jouer au rugby pendant ce temps-là,
05:25donc je trouvais que les choses se réunissaient assez bien, quelque part.
05:28– C'était une soupape pour quand même supporter…
05:31– Il peut y avoir de ça, effectivement.
05:33– Il est important de faire du sport quand on est sous pression.
05:36– Donc je ne suis pas médecin, en résumé.
05:39– Non, vous n'êtes qu'ingénieur, mais ce n'est pas bien grave.
05:41– Les concours se passent, j'atterris dans une école qui est les super héros à Toulouse,
05:48d'abord parce que j'étais intéressé par les résultats des concours évidemment,
05:52par l'aéronautique et également parce qu'à Toulouse,
05:56on est quand même dans la patrie du rugby également,
05:58donc tout ça se conjuguait assez bien.
06:01Et ça m'a permis de jouer au Stade Toulousain qui est un grand club de rugby quand même,
06:07j'étais junior à l'époque encore, les juniors étaient plus âgés que maintenant probablement,
06:14et tout a continué là, et puis au fond les choses s'enchaînent,
06:19j'atterris à super héros, une année se déroule et au bout de quelques mois dans cette année,
06:25je me dis mais au fond, dans deux ans tu sors de l'école,
06:28pépère, qu'est-ce que tu vas faire ?
06:31– Question.
06:32– Question, et puis je réfléchis, je fais mon tour,
06:36je vais quand même voir mon père, je lui en reparle, et puis de fil en aiguille,
06:40il avait été très surpris que je fasse maths P déjà,
06:43donc il me dit au fond peut-être que tu pourrais réfléchir à entrer au service de l'État,
06:50donc je regardais, ça m'a semblé assez intelligent ce qu'il faisait,
06:56les projets auxquels il était mêlé, qu'il conduisait d'ailleurs pour une grande partie,
07:02et donc ça m'a incité à passer le concours d'ingénieur de l'armement,
07:06ce que je suis devenu du premier coup,
07:09et donc j'ai continué ma scolarité à super héros,
07:11non plus en tant qu'élève civile mais qu'élève ingénieur militaire,
07:16et c'était l'entrée dans la DGA en fait.
07:19– C'est déjà à ce moment-là où vous pénétrez dans la DGA.
07:23– Exactement.
07:24– Eh bien, on arrive à la fin de cette première partie,
07:26et ça tombe très bien parce que vous avez fini vos études,
07:30et on va vous suivre sur l'aspect le plus opérationnel de votre carrière.
07:35À tout de suite.
07:35– Générique
07:37– Tintin – Bismarck
07:39– Donc vous voilà Laurent, diplômé, vous avez intégré la DGA, il se passe quoi ?
07:45– Eh bien, je rejoins Bordeaux, l'atelier industriel de l'aéronautique
07:48qui fait de la réparation de moteurs d'avion.
07:51Je rejoins Bordeaux en grande partie parce que je voulais jouer à beigle.
07:54– Ah oui, toujours le rugby qui vient s'interposer dans votre vie professionnelle.
07:59– Un peu interposer, j'ai joué à beigle du coup, un petit peu,
08:05à un niveau qui était vraiment à l'extrême limite de ce que je pouvais atteindre.
08:08Et puis cette affectation a permis de découvrir la vie industrielle,
08:13la CGT, les syndicats, le monde ouvrier qui est quand même assez lointain
08:18des études supérieures et des écoles d'ingénieurs.
08:22Et donc ça a été extrêmement enrichissant de ce point de vue-là.
08:24J'y suis resté deux ans et demi,
08:26et je rejoins après des services techniques parisiens
08:28pour m'occuper de télécommunications, de systèmes d'informations diverses,
08:32de sécurité de l'information,
08:34donc des choses qui sont encore d'actualité aujourd'hui quelque part,
08:39avec des supérieurs qui sont de très grande qualité.
08:45– Des bons mentors.
08:47– Je rencontre à cette occasion-là quelqu'un
08:49qui aura une grande influence sur ma vie professionnelle,
08:53qui s'appelle Jacques Bousquet, qui était directeur adjoint du service,
08:57et qui est un homme avec des qualités remarquables de vision,
09:04de bon sens, qui m'a inculqué.
09:07J'avais un chef direct qui s'appelait Michel Scheler,
09:09qui était très très bien aussi, d'un autre modèle,
09:13avec un entre-genre politique certain, lui.
09:16Et donc je découvre la vie de directeur de programme également,
09:22on produit des projets, on est prié de les faire aboutir,
09:25on est responsable du financement, du calendrier,
09:28du respect des spécifications techniques de ce qu'il faut réaliser,
09:33donc on apprend les responsabilités quelque part.
09:37– Mais c'est stressant quand même.
09:39– Pas du tout.
09:41– Pas du tout parce que vous n'êtes pas stressé, si je comprends bien.
09:44Mais c'est stressant, le costume est lourd à porter,
09:46vous avez une responsabilité au niveau des résultats.
09:51– Le costume est parfois un peu encombrant,
09:52mais moi je n'ai jamais ressenti un stress tout à fait particulier,
09:58à titre personnel, j'aimais bien faire porter le stress sur les autres.
10:02Donc ça c'est ma caractéristique probablement,
10:05mais c'est dans ce sens-là que je le vois.
10:07Et au fond, si on vous donne des responsabilités,
10:10c'est que vous les méritez probablement.
10:12J'ai encore confiance dans le système
10:14et sa capacité à choisir les individus de la manière correcte
10:17pour que les choses se passent correctement.
10:20Donc pour que ça se passe correctement,
10:21il faut que la personne soit compétente,
10:24tienne son rôle et qu'elle mérite votre confiance.
10:27La confiance c'est quelque chose qui est extrêmement important
10:29et qui se partage, quelque part entre,
10:32on peut dire le manager, le managé en français moderne,
10:35ou les personnes tout simplement, je crois.
10:37– Et donc on avance dans votre carrière,
10:39et là vous continuez à gravir les échelons de la DGA.
10:44– Oui, je fais un détour par le cabinet d'un ministre qui s'appelait Audrey Giraud,
10:49c'est la première cohabitation,
10:51j'apprends, je vois assez vite ce qu'est la cohabitation politique,
10:56les prémices de ce qu'on vit aujourd'hui à l'Assemblée Nationale par exemple.
11:02– C'est une expérience qui vous a plu ?
11:05– Ce qui m'a beaucoup plu, c'est la fréquentation du personnage d'Audrey Giraud,
11:08qui était un type assez imbuvable d'un certain point de vue,
11:13mais d'une force de caractère absolument incroyable.
11:16– Que vous avez réussi à canaliser, malgré sa personnalité difficile.
11:22– Oui, il m'avait à la bonne, je crois.
11:25– Il vous avait à la bonne, il vous respectait, il avait confiance en vous, j'imagine.
11:28– Voilà, je rejoins ensuite les services habituels de la DGA,
11:33où je m'occupe d'un programme d'armement nucléaire,
11:35ce qui est un truc tout à fait sérieux, là aussi en la matière.
11:38– Oui, on peut dire ça.
11:40– Les programmes d'armement nucléaire aéroportés,
11:42donc ça inclut l'adaptation des avions Mirage 2000, Mirage 4 et autres,
11:49l'emport de l'arme nucléaire, qui est un missile de courte portée
11:54de quelques centaines de kilomètres,
11:56et qui est un armement réputé très stratégique,
12:00mais qui est quelque chose de tout à fait sérieux
12:02du point de vue de l'emploi potentiel qu'on peut en faire,
12:07puisqu'il n'y a pas d'emploi réel, en principe, dans les armes nucléaires.
12:12Là aussi, c'est une notion de responsabilité qui est très très forte.
12:17La caractéristique du nucléaire, c'est qu'on a toujours été à l'heure
12:20dans la mise en service des programmes,
12:23on a toujours respecté les spécifications,
12:25et depuis 1964, il n'y a jamais eu de défaillance à aucun titre
12:32dans le système global de dissuasion nucléaire français.
12:35Donc quand vous participez à ça,
12:36vous êtes quand même investi d'une mission qui est prenante,
12:41pas stressante, parce que je vous ai dit
12:43que j'étais assez peu stressé de ce point de vue-là,
12:45mais qui vous permet de mesurer le niveau de vos responsabilités.
12:50– Et ça vous plaisait, cette carrière ?
12:54Elle serait à refaire ou vous la referiez ?
12:55– Moi, je n'ai aucun doute là-dessus, aucun doute.
12:58J'ai fait le bon choix.
13:00– Oui, vous avez fait le bon choix.
13:01C'est merveilleux de se retourner sur sa vie professionnelle
13:04et de se dire qu'on a fait les bons choix.
13:06Est-ce que vous avez eu des échecs pendant cette période-là ?
13:11Même si c'est un sujet…
13:12– Les échecs sont venus un tout petit peu plus tard.
13:17Il y a eu, quand j'étais délégué général pour le moment,
13:20un épisode assez douloureux qui est un échec de missiles balistiques,
13:23le M-51, on a raté un tir d'essai,
13:28et ça n'arrive pas tous les jours, un tir d'essai depuis un bateau.
13:32C'est-à-dire que le bateau, après un entretien,
13:36le bateau c'est le sous-marin nucléaire, un lanceur d'engin,
13:39après un entretien majeur, pour son acceptation au service,
13:44fait le tir d'un missile balistique,
13:47qui va quelque part se jeter dans l'Atlantique,
13:49évidemment sans arme nucléaire.
13:51Et ce tir a raté.
13:53Donc on a passé un certain temps à analyser ce qui s'était passé,
14:00essayer d'en tirer les leçons, mettre en place les mesures correctives,
14:04et tout ça prend beaucoup de temps et est très difficile
14:07parce que ce sont des choses qui sont compliquées au plan technique.
14:10– Vous êtes un petit peu stressé quand même ?
14:12– Non, parce qu'il faut simplement dérouler son plan d'action,
14:17son plan d'analyse avec la rigueur voulue, c'est tout.
14:21– Je crois que vous avez compris avec le temps ce qui s'était passé,
14:23vous avez pu réparer…
14:26– On a pu réparer les choses, j'avais retrouvé d'ailleurs à cette occasion-là,
14:30en face de moi, un complice que j'ai nommé au début de notre entretien,
14:33qui était Marouane Lahoud, qui est toujours Marouane Lahoud d'ailleurs,
14:37et qui m'a permis de mettre en œuvre du côté industriel,
14:40cette fois du côté d'Airbus, un certain nombre de mesures qui étaient nécessaires également.
14:46Donc, on a abouti à une situation qui a été corrigée,
14:51les tirs d'essai ont pu recommencer avec une fiabilité de nouveau démontrée, voilà.
14:58– Laurent, vous êtes un manager comment ?
15:01Comment vous pourriez vous décrire, parce qu'on sent une exigence, mais au-delà de ça ?
15:06– L'exigence, elle est assez simple, je vis dans un monde où…
15:11je vivais dans un monde où il y avait une proportion d'ingénieurs considérables d'abord,
15:16donc ce sont des gens éduqués, qui viennent dans le milieu de la DGA,
15:22je l'espère au moins pour la qualité des projets qui leur sont confiés,
15:25et le sens du service de l'État.
15:28À l'intérieur de cette population, il y a différentes strates,
15:33dont une strate qui est celle des ingénieurs de l'armement,
15:36qui pensent être le noyau dur et le noyau d'élite de la DGA,
15:41donc je suis extrêmement exigeant avec ces gens-là,
15:44vous pensez être les meilleurs, montrez-le.
15:46– Ils sont des égaux en plus. – Oui, oui, ils sont des égaux.
15:49– Et vous le montrez ? – J'en ai un aussi.
15:51– Ils vous ont montré ? Ce qu'ils étaient capables de faire ?
15:54– Pour la plupart, oui.
15:56Mais vous savez, c'est une société,
16:00donc on retrouve dans la société la même proportion de cons qu'ailleurs.
16:04Grosso modo, il y en a certains dont vous ne pouvez pas tirer grand-chose,
16:08moi c'est ce que vous en pensez,
16:10et donc on a parfois des endroits qui sont des endroits un peu spécialisés
16:16dans le parquage d'individus dont l'utilité n'est pas totalement démontrée,
16:21au moins dans le milieu professionnel qui est le leur à ce moment-là.
16:27– Donc Laurent, il y a une question qui me taraude,
16:29je voudrais savoir si, dans votre carrière,
16:31vous avez travaillé en grande proximité avec des femmes au sein de l'armée,
16:36et on va reprendre ça tout de suite à la séquence suivante.
16:43Bon Laurent, vous n'êtes pas qu'un grand sportif
16:45et un homme emblématique professionnellement,
16:51vous êtes aussi un mari et un papa, ce rôle de mari,
16:56vous pensez que vous avez été un bon époux, que vous êtes encore un bon époux ?
17:01– Alors, pour dire un tout petit mot sur ma vie privée,
17:06d'abord je me suis marié extrêmement tard, nous avions 35 ans,
17:11– Oui, on peut dire que c'est pas si jeune.
17:13– Donc je ne suis pas très jeune, donc on savait parfaitement ce qu'on voulait.
17:17Donc les choses étaient préparées quelque part,
17:21et donc se sont déroulées comme ce n'était pas prévu,
17:24jusqu'au moment où la maladie de ma femme qui était diabétique
17:28très profondément l'a rattrapée, et c'est ce qui a causé d'ailleurs son décès.
17:34Voilà, et pendant toute cette période,
17:37nous avons été extrêmement heureux et avec un équilibre savant.
17:42– Et elle était un havre de paix que vous retrouviez le soir après des journées compliquées ?
17:46C'était important pour vous, ça j'imagine ?
17:48– Assez fondamental, je n'ai jamais raté un dîner en famille.
17:50– Vous n'avez jamais raté un dîner en famille ?
17:52– Sauf pendant les voyages professionnels ou des choses comme ça, mais…
17:56– Donc ça m'amène à parler de la famille, donc de vos enfants, vous êtes un papa…
18:01– J'ai une fille qui compte beaucoup, effectivement,
18:06d'autant plus que maintenant il y a des petits-enfants par derrière, donc ça c'est…
18:09– Et vous êtes grand-père aussi.
18:10– C'est fondamental, je crois que j'ai été exigeant sur un point,
18:15c'est le respect, donc la politesse, la ponctualité,
18:19un certain nombre de choses comme ça, par ailleurs assez coulant,
18:22sur le fait de leur laisser faire ce qu'ils voulaient,
18:26bon, tant en termes de loisirs, elle voulait faire du cheval,
18:29elle a fait de l'équitation, beaucoup, en s'y passionnant d'ailleurs,
18:35autant que j'étais passionné par le rugby quelque part, donc c'est pas mal,
18:38autant du côté scolaire, au fond, ce n'est pas les résultats qui m'apportaient le plus,
18:45c'était le fait qu'elle choisisse l'option, la voie qu'elle voulait suivre
18:49de manière libre, sans déroger outre-mesure,
18:55donc pas n'importe quoi, mais quelque chose qui lui allait bien.
18:59– Ça les rend des jaloux parce qu'on a l'impression qu'ils n'avaient pas de défauts.
19:02– Ah si, si, il y a des moments…
19:04– Un petit avant de se quitter ?
19:08– Je suis capable de piquer des quintes monumentales.
19:10– Des gros scolaires ?
19:10– Oui, surtout devant des industriels.
19:13– Ah, il vaut mieux ça.
19:15– Je dois confesser qu'il y a une part de théâtre, parfaitement.
19:17– Ah d'accord, c'est-à-dire que vous voulez créer une impression forte pour jouer sur ce…
19:24– Il paraît que ça marche.
19:25– Ça marche ? Bon, en tout cas, merci pour cet entretien extrêmement sympathique
19:30et de nous avoir un petit peu éclairé sur ce monde de la défense,
19:33comme je le disais tout à l'heure, qui…
19:34– Un monde qui vaut le coup.
19:36– Qui vaut le coup, oui, sans jeu de mots. Merci.
19:39– Merci à vous.
19:39– Merci à vous.
19:44– Donc Laurent, vous savez que quand vous venez à cette émission,
19:46on va parler des femmes dans le monde de l'entreprise
19:49et aujourd'hui, on va plus particulièrement parler des femmes dans le secteur de la défense.
19:54Est-ce que vous avez travaillé avec des collaboratrices ?
19:58– Oui, la réponse est oui, dans la proportion qui est possible, si vous voulez.
20:04La DGA, c'est un métier d'ingénieur pour l'essentiel,
20:07donc on retrouve dans la DGA à peu près la même proportion de femmes
20:13que celles qui sont présentes dans les écoles d'ingénieurs.
20:16Voilà, c'est aussi simple que ça.
20:18– 30% ?
20:20– 25%.
20:22Ce qui est peu, mais on peut remonter aux antécédents.
20:25Les antécédents, c'est les études scientifiques,
20:27la manière dont elles se méfient des classes préparatoires,
20:30la manière dont elles intègrent les écoles d'ingénieurs, donc c'est ça.
20:33Donc, il n'y a absolument aucune différence, au vu de moi,
20:40entre une femme et un homme dans le métier tel qu'il se pratique à la DGA.
20:44Au contraire, elles apportent une dose de raison, de placidité,
20:49qui est probablement liée au fait qu'elles ont des contraintes personnelles,
20:53at home, si je puis dire, qui sont…
20:55– Elles sont multitâches.
20:57– Elles sont multitâches, donc organisées, parfois plus que les hommes.
21:00Enfin, je pense même plus que les hommes.
21:03Et donc, avec une manière d'appréhender les problèmes qui est très positive.
21:08Donc, j'ai connu d'abord la première femme ingénieure de l'armement,
21:15qui était Edwige Bonneville,
21:17qui a dû rentrer à l'École Pays Technique en 1973, si je me souviens bien.
21:20Ensuite, un certain nombre de nombres viennent à l'esprit.
21:26Le premier, c'est celui de Caroline Laurent,
21:28qui était une spécialiste du spatial.
21:30Les deuxièmes, elles ont le même âge, à peu près.
21:34Monique Legrand-Laroche, les deux ont été 4 étoiles.
21:37Je les ai fait nommer 4 étoiles quand j'étais à la tête de la DGA.
21:41Donc, je les ai fait progresser.
21:42Je les ai montré à la face du monde, du ministère de la Défense,
21:47que ces femmes étaient de qualité et qu'elles méritaient les 4 étoiles.
21:52– Vous avez mesuré la complémentarité de la juxtaposition des genres ?
21:57– Ah oui, oui.
21:58– Parce qu'on ne réfléchit pas de la même façon.
22:00– Pas du tout.
22:00Non, mais c'est ce que je vous ai dit,
22:01elles n'ont pas la même approche des problèmes.
22:04Et donc, il y a des matières où s'organiser
22:05qui peuvent être différentes en fonction de la question
22:09qui vous est posée, du problème que vous avez à traiter.
22:11Ça, c'est parfaitement évident.
22:12– Et vous trouviez que les hommes les accueillaient bien ?
22:15– Oui, il y a un immense respect.
22:17– Il y a un respect, donc c'est ça qui est important.
22:19– Tout à fait.
22:21D'abord parce que, assez souvent,
22:25ils ont fréquenté les mêmes bancs d'école, donc les choses sont connues.
22:30Et aussi parce que la DGA est un milieu assez strict, austère,
22:35même par certains côtés,
22:38qui impose d'avoir une certaine tenue, donc les gens ont de la tenue.
22:41– Et les femmes qui nous regardent aujourd'hui,
22:44qu'est-ce que vous pourriez leur donner comme conseil pour qu'elles…
22:47– Faites des études scientifiques, faites des écoles d'ingénieurs,
22:50venez chez nous, la défense a besoin de vous.
22:53– C'est clair.
22:54Au moins, le message est passé.
22:56– Oui, ça je crois que…
22:58On ne peut pas espérer prospérer convenablement
23:04si on n'a pas dans les effectifs une proportion de femmes
23:08qui est représentative de ce qu'elles sont dans la nation d'une manière générale.
23:11Et donc on se coupe de recrutements qui sont absolument indispensables quelque part.
23:15C'est aussi simple que ça.
23:16– Et comment vous expliquez qu'il y ait aussi peu de femmes ingénieurs ?
23:18Qu'est-ce qui fait que c'est une filière qui n'a pas su les attirer ?
23:23– Je crois qu'on ne peut rien,
23:24c'est un problème d'enseignement général, tout simplement.
23:27– Parce qu'on les voit dans d'autres filières scientifiques.
23:31– Quand elles font des études scientifiques,
23:32elles sont aussi bonnes que les autres, et même parfois meilleures.
23:34Évidemment, pourquoi est-ce qu'elles n'apprennent pas cette filière ?
23:37Je crois que c'est vraiment une question clé,
23:39mais qui relève de l'éducation nationale
23:41bien davantage que le ministère de la Défense quelque part.
23:44– En tout cas, on entend votre appel.
23:46– Oui, je crois qu'on en a absolument besoin.
23:48J'en ai rencontré, j'en ai vu plein dans l'industrie aussi
23:51qui étaient extrêmement performantes.
23:55– Et c'est un diplôme qui donne lieu à des carrières absolument passionnantes.
23:59– Oui, avec en plus, si vous voulez, dans le milieu qui est suivi de la Défense,
24:04peut-être plus généralement du fonctionnariat en tout cas,
24:07un accès aux grades ou aux responsabilités qui est exactement le même,
24:10et ça implique également un accès aux rémunérations qui est exactement le même.
24:14Ce qui n'est pas nécessairement le cas dans tous les secteurs de la vie professionnelle.
24:18– Laurent, vous avez été le conseiller d'André Giraud,
24:20ministre de la Défense entre 1985 et 1988.
24:25Est-ce que vous auriez aimé être ministre de la Défense vous-même ?
24:28– Surtout pas, beaucoup trop de contraintes.
24:30– Beaucoup trop de contraintes ?
24:31– Oui, contraintes protocolaires qui sont immenses et pesantes, je trouve.
24:38– Donc vous aviez beaucoup plus de liberté à votre fonction ?
24:40– Je pense que ma liberté intellectuelle et d'action
24:43était peut-être plus grande que celle du ministre à l'arrivée.
24:46– Et c'est ça dont vous avez besoin, et c'est ça qui vous nourrit.
24:50– Bon, bien sûr, le ministre décide.
24:52– Oui, mais sous votre impulsion.
24:55– Il décide ce qu'on lui propose.
24:57– Pour ne pas le dire trop fort, mais voilà.
25:00Et ce qui est important, au fond, c'est d'avoir la confiance du ministre
25:06et que cette confiance soit réciproque,
25:08c'est-à-dire avoir confiance en son ministre également.
25:11– Et vous continuez aujourd'hui d'avoir un regard affûté
25:14sur ce qui se passe dans le monde au niveau militaire ?
25:17– Je continue à noter, je regarde de très près
25:19ce qui se passe dans le monde de la défense,
25:20je continue d'être impliqué dans des aventures industrielles
25:24très liées à la défense, de moins d'importance que celles que j'ai pu connaître,
25:27mais qui sont tout à fait motivantes en tout cas,
25:30et qui tiennent compte de l'évolution générale des technologies,
25:33de l'évolution générale des modes de combat,
25:37même tout simplement, missiles, drones, cybersécurité, des choses comme ça.
25:43– Ah oui, en un siècle, on a fait des pas de géant.
25:47Et aujourd'hui, dans cette période géopolitiquement un petit peu anxiogène,
25:55quel est un petit peu votre sentiment ? Vous êtes serein, inquiet ?
26:00– Moi je suis très peu confiant.
26:01– Très peu confiant ?
26:02– Très peu confiant sur la possibilité d'assister à un apaisement généralisé rapidement,
26:09en tout cas, je ne vois pas ça du tout comme ça.
26:11Pour la France, je pense que ce n'est pas une situation extrêmement critique,
26:15dans la mesure où nous sommes une puissance dotée,
26:17comme l'on dit, c'est-à-dire une puissance avec l'arme nucléaire,
26:20nous sommes dans une situation où il me paraît difficile de considérer
26:24que l'Ukraine est un enjeu vital pour la France,
26:28donc l'équilibre de la dissuasion se passera.
26:32Je ne sais pas très bien ce qui va se passer en Ukraine,
26:33mais je ne pense pas que ce soit des conséquences extrêmement sévères
26:38au plan militaire pour la France, je n'y crois pas.
26:42Je pense que le président russe a ses propres modes de fonctionnement,
26:49mais il a également ses propres limites, quelque part,
26:51il sait très bien ce qu'il veut et ce qu'il ne veut pas.
26:54– Un conseil peut-être à donner à des membres du gouvernement
26:57qui pourraient visionner cette interview ?
27:05– Faites tout ce que vous pouvez en faveur de l'industrie d'armement,
27:08c'est un moteur absolument essentiel dans le pays.
27:11Et aujourd'hui, on parle de très loin,
27:15on parle d'efforts de guerre, d'économie de guerre,
27:19de reconstitution d'un certain nombre de capacités stratégiques.
27:23Cet effort vient à peine d'être entamé,
27:26il faut absolument le poursuivre en l'accroissant.
27:27Alors je sais bien que dans les circonstances budgétaires actuelles,
27:30c'est très difficile de la retendre, mais c'est indispensable.
27:33Sinon, on retombe dans ce qu'on a connu avant la seconde guerre mondiale,
27:38je vous renvoie au livre de Marc Bloch, tout simplement.
27:46– Ce sera la fin de ce chapitre.
27:50– Merci Lucie.
27:51– Merci de nous avoir suivis pour l'émission Introspection.
27:55Nous nous retrouverons pour la prochaine interview
28:00avec une autre personnalité dans le secteur de la défense,
28:04qui est Marouane Laoud.
28:06À bientôt.