Maître Marie Grimaud, avocate d'une trentaine de victimes de Joël Le Scouarnec, regrette les conditions d'organisation du procès qui concerne, au total, près de 300 parties civiles.
Retrouvez « L'invité de 7h50 » sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50
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00:00Il est 7h49, on vous retrouve en direct de Vannes, Hélène Philly, avec votre invitée
00:06avocate au Barreau de Paris, spécialisée dans l'enfance maltraitée.
00:11Bonjour Marie Grimaud.
00:12Bonjour.
00:13Nous sommes ici à quelques centaines de mètres de la cour criminelle du Morbihan où s'est
00:17ouvert hier un procès d'une dimension inédite, 299 victimes pour un accusé, l'ancien chirurgien
00:25Joël Lescouarnec, 74 ans aujourd'hui, qui est accusé d'avoir violé ou agressé sexuellement
00:31près de 300 patients, jeunes patients donc, 11 ans d'âge moyen, en près de 30 ans, dans
00:37les hôpitaux où il a exercé en Bretagne, en Indre-et-Loire, en Charente-Maritime, il
00:41abusait de son autorité médicale, il profitait de leur sommeil, les victimes que vous représentez
00:47appréhendaient beaucoup l'organisation de ce procès, le plus grand procès de pédocriminalité
00:52organisé en France jusqu'ici, comment ont-elles vécu la première journée d'audience hier ?
00:57La première journée a été remplie d'émotions assez distinctes, finalement assez content
01:04de l'avoir traversée, d'avoir survécu finalement à cette première journée, mais très impactée
01:12par les conditions au niveau de l'amphithéâtre, finalement l'émotion générale c'est de
01:18la colère sur les images qui leur sont imposées.
01:21Parce qu'il faut décrire peut-être la situation, l'organisation de ce procès, la salle d'audience
01:26est trop petite pour accueillir les 299 parties civiles, leurs avocats, une autre leur a donc
01:32été réservée à 400 mètres à peu près du tribunal, il y a trois annexes en fait,
01:37une pour les parties civiles, une pour le public, puisque ce procès, on y reviendra
01:40peut-être, ne se tient pas à huis clos, et puis une pour la presse, ces trois annexes
01:44sont quand même assez éloignées du tribunal, comment est-ce qu'elles ressentent ça ?
01:47Ils sont éloignés, alors moi j'ai eu la possibilité de mettre en place une équipe
01:52de défense avec des collaborateurs qui les accompagnent au sein de l'amphithéâtre,
01:56mais dans l'amphithéâtre c'est un écran de retransmission, cette retransmission elle
02:01dépend de celui qui filme à l'intérieur de la salle d'audience, et donc avec des
02:05plans qui ne sont pas choisis par les victimes, mais qui sont imposés en fait par la régie.
02:11Je vais vous donner un exemple tout concret, hier lors de la synthèse de l'ordonnance
02:15de mise en accusation faite par la Présidente, qui reprend l'intégralité des faits, et
02:20avec l'énoncé de l'ensemble des noms et prénoms des partis civils, la plupart du
02:25temps le plan qui a été proposé en retransmission a été le visage de M. Le Squarneck, en gros
02:32plan.
02:33Ça a été très compliqué pour eux, c'est-à-dire qu'aucune possibilité en fait de se défaire
02:38du regard à ce moment-là du plan imposé, aucune capacité de voir la réaction de la
02:45cour, de voir aussi le visage de l'avocat général, elles sont mises dans une position
02:50de passivité voire même de soumission au choix fait par le caméraman de ce qui se
02:55passe dans la salle d'audience.
02:56Vous comprenez que par rapport au passé, c'est assez problématique, ça peut réveiller
03:01en tout cas des difficultés chez mes clients.
03:03Et à l'inverse, l'accusé, lui, n'est pas confronté à la masse de victimes.
03:08Exactement, au sein de la salle d'audience, il y a un écran au-dessus de la cour avec
03:15un panorama de la salle de l'amphithéâtre, qui est quand même très très loin, de manière
03:20indistincte, ça fait plutôt masse, plutôt que des individualités avec des visages.
03:25De toute façon, M. Le Squarneck n'a pas une seule seconde à lever le visage vers cet
03:30écran pour pouvoir regarder cet amphithéâtre.
03:34Il peut s'abstraire de la confrontation avec les victimes, est-ce que ça peut avoir des
03:40conséquences sur le déroulement du procès ?
03:43En tout cas, ça doit interroger.
03:46Le fait que les victimes ne soient pas en contact visuel avec M. Le Squarneck prive la cour
03:52d'analyse de l'attitude de M. Le Squarneck.
03:55C'est-à-dire que quelqu'un qui ne va jamais regarder les victimes va venir interroger
04:00la question de l'empathie, quelques éléments cliniques autour de la perversion.
04:04C'est quand même un sujet dans ce dossier.
04:06Et là, la cour vient se priver de tout un pan d'analyse, de regard, de compréhension
04:12du dossier, puisque jamais il ne pourra lui être fait le reproche de ne pas regarder
04:17les victimes.
04:18Est-ce que ça a été une évidence pour les victimes que vous défendez de venir témoigner
04:22dans ce procès ?
04:23Ce n'était pas une évidence.
04:25Beaucoup de victimes se sentent illégitimes encore.
04:28Pour quelle raison ?
04:29Parce que pour celles qui étaient en tout cas sous anesthésie, c'est compliqué de
04:35se sentir légitime par rapport à celles qui ont des souvenirs, qui ont la mémoire
04:40aussi de certains gestes faits par M. Le Squarneck.
04:44On a quelque chose de très hétérogène dans les parties civiles, pas du tout ce qu'on
04:48peut restituer.
04:49Il n'y a aucune homogénéité dans ce groupe de 300 victimes.
04:54Dans les histoires, dans les faits mêmes et dans leur parcours.
04:58Exactement.
04:59Dans les histoires, un parcours d'un homme, d'un petit garçon devenu homme n'est pas
05:04le même que celui d'une petite fille devenue femme.
05:07Ce ne sont jamais les mêmes problématiques, les mêmes symptômes.
05:10Autant de garçons et de filles parmi les victimes de Joël Le Squarneck.
05:15Exactement.
05:16Mais la plupart, je n'ai pas eu à les convaincre de l'audition.
05:20Là, je sens que depuis hier, certains vacillent, ont un peu peur de se confronter.
05:30Finalement, cette cour est quelque chose comme une bulle dans laquelle ils ne sont pas, quelque
05:37chose de très froid, de très à distance.
05:39Ça représente un terrain très inconnu.
05:42Et là, je sens bien que ça les impacte dans leur décision première d'être auditionnés.
05:46Qu'avaient-ils besoin de dire à Joël Le Squarneck et peut-être par ailleurs à tous
05:52les acteurs qui n'ont rien dit, rien empêché à l'exercice de la profession de Joël Le
06:01Squarneck ? Il faut le rappeler, il y a eu des signalements, il y a eu des alertes sur
06:05le comportement de Joël Le Squarneck pendant ces dizaines d'années.
06:07Le FBI le 1er en 2004, alerte sur la détention d'images pédopornographiques.
06:11Il est condamné pour cela et il continue d'exercer.
06:15Je crois que je peux dire en leur nom, de mes clients, qu'ils n'ont rien à dire à
06:21Monsieur Le Squarneck.
06:22Et ils n'attendent rien de Monsieur Le Squarneck.
06:24Ils ont malheureusement rencontré dans leur trajectoire de vie un pédocriminel.
06:28En revanche, ils ont beaucoup à dire sur la souffrance et sur l'absence de protection
06:32qui leur a été donnée.
06:34Et de ça, en fait, ils en sont extrêmement en colère.
06:36Pas de protection de l'hôpital, pas de protection de la justice, pas de protection des adultes
06:43qui auraient dû arrêter quelqu'un.
06:45La justice en fait partie et aujourd'hui, ils sont en colère sur l'absence de protection
06:49qu'on leur apporte dans l'organisation de ce procès.
06:52Monsieur Joël Le Squarneck est un pédocriminel avéré.
06:55Il n'y a pas de débat sur ce sujet-là.
06:58Donc leur voix va être essentiellement pour tous les adultes qui ont regardé les enfants
07:05qu'ils étaient et qui n'en n'auront pas amené protection.
07:07Parce qu'à l'époque, la détention d'images pornographiques, cette condamnation, ne l'a
07:13pas empêchée d'exercer.
07:14Il en a lui-même fait état à l'hôpital de Jonzac quand il arrive.
07:18Ça ne l'a pas empêché d'être embauché.
07:20Et pendant des dizaines d'années ensuite, pendant une dizaine d'années ensuite, il
07:24a pu continuer ses méfaits.
07:26Ça veut dire qu'à l'époque, on a considéré que ce n'était pas grave, que ce n'était
07:30pas un passage à l'acte.
07:31Mais au-delà de ça, c'est que c'était effectivement traité comme une délinquance
07:34légère.
07:35La justice a souvent traité ces affaires de détention d'images à caractère pédopornographique
07:39comme de la petite délinquance.
07:41Mais à l'époque, si le travail d'enquête avait été au-delà de ce qu'avait fourni
07:46le FBI, on aurait pu tout arrêter.
07:48Tout arrêter.
07:50Et donc, découvrir des enfants moins ingés dans leur vie d'adultes, moins avec un parcours
07:56chaotique, la justice aurait pu tout arrêter.
08:00Il faut que ce soit un débat de société aujourd'hui, au même titre que le procès
08:05des viols de Mazan, il y a quelques semaines et dont on a…
08:08Oui.
08:09Il faut entendre que des Joëlle Le Squarnek, il en existe des dizaines et des centaines
08:13sur notre territoire.
08:14Ce n'est pas un cas exceptionnel.
08:16Joëlle Le Squarnek qui est en cours 20 ans de réclusion criminelle, déjà condamnée
08:22en 2020 à 15 ans pour des viols et des agressions sur deux de ses nièces et une petite voisine.
08:27Merci beaucoup Marie Grimaud d'avoir été ce matin l'invité de France Inter.
08:32Le verdict est attendu au début du mois de juin.