Une juge et deux procureurs du procès des assistants parlementaires d'eurodéputés du Rassemblement national ont été menacés de mort. Marie-Suzanne Le Quéau, procureure générale de Paris, dénonce une "dérive extrêmement inquiétante". Elle était l'invitée de Sonia Devillers ce mercredi. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-mercredi-29-janvier-2025-8049360
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00:00Il est 7h49, Sonia De Villers, votre invitée, et la Procureure Générale de Paris.
00:05Neuf parquets sont placés sous son autorité, de Paris à Auxerre.
00:09Elle chapeaute aussi le Parquet National Antiterroriste et le Parquet National Financier, en tout
00:14plus de 1500 magistrats.
00:16Bonjour, Marie-Suzanne Le Keo.
00:18Bonjour.
00:19Voilà, et merci de nous accorder cette interview, votre parole est rare.
00:23Hier, on a appris qu'une juge et deux procureurs du procès des assistants parlementaires d'eurodéputés
00:28du Rassemblement National sont menacés de mort par des messages publiés sur le site
00:33d'extrême droite Riposte Laïque.
00:35Je les cite, pour certains, il faut les trouver, tirer à vue et flamber leur nid douillet,
00:40leur coller une balle de 9mm dans la nuque, liquider ces magistrats écrapules rougeâtres.
00:47Le Parquet de Paris ouvre une enquête, mais ma question est la suivante, Madame la Procureure,
00:53est-ce que les magistrats sont devenus des cibles en France ?
00:56On assiste à une dérive extrêmement inquiétante ces dernières années, c'est-à-dire que
01:02tous ceux qui exercent des fonctions d'autorité, vous parlez à l'instant des magistrats,
01:07mais je pense aussi aux policiers, aux gendarmes, aux enseignants, sont l'objet de plus en
01:12plus de menaces de mort, et sont l'objet de propos totalement décomplexés.
01:18Donc ça n'est pas une spécificité de ce procès à caractère politique ?
01:22Ce n'est pas une spécificité de ce procès, c'est une tendance bien plus générale et
01:27au-demain fort inquiétante.
01:29Et comment vous réagissez quand François Bayrou déclare dans sa première interview
01:33télévisée que les procès des assistants au Parlement européen qui ont visé le MoDem,
01:38donc son propre parti, comme le Rassemblement national sont fondés sur, je cite, une accusation
01:43injuste.
01:44Est-ce que vous dites qu'un Premier ministre ne devrait pas dire ça ?
01:47Je ne ferai aucun commentaire sur une affaire qui est actuellement en cours puisque lui
01:52comme vous le savez, la décision dans ce procès sera rendue le 30 mars et moi je suis
02:00un magistrat, je ne suis pas un politique, donc je ne suis pas soumis aux mêmes obligations
02:03déontologiques.
02:04La lutte contre le narcotrafic, priorité absolue du nouveau ministre de la Justice,
02:11Gérald Darmanin.
02:12Parlons d'abord des moyens.
02:13La création annoncée d'un parquet national de lutte contre la criminalité organisée,
02:18jusqu'à présent vous aviez dit publiquement que vous n'étiez pas très convaincu de
02:23l'utilité de cette nouvelle structure.
02:24Il vous faut des moyens madame la procureure, c'est ça que vous réclamez surtout, c'est
02:29des moyens pour lutter contre le narcotrafic ?
02:31Il nous faut effectivement des moyens en magistrats comme des moyens d'ailleurs en policiers.
02:38Le ministre a annoncé un renforcement dès le prochain mois des effectifs qui sont alloués
02:46au parquet de Paris, au contentieux de la lutte contre la criminalité organisée et
02:52tout ce que la justice me donne, j'en suis preneur, dans un contexte budgétaire qui
03:01est difficile.
03:02Les renforts annoncés par le ministre sur trois ans en réalité seront très bien employés
03:11pour combattre ce fléau qu'est le narcotrafic en France.
03:15Mais quand un François Molin, ancien procureur de Paris, dit qu'on est confronté à une
03:19grave difficulté, voire même une crise, une véritable crise de l'investigation, il pointe
03:25là un manque cruel de policiers sur le terrain, de policiers que vous pouvez dédier aux enquêtes.
03:32La question de la filière des enquêteurs se pose depuis plusieurs années dans le champ
03:40des investigations.
03:42Il nous faut des policiers, surtout dans ce contentieux si particulier de la lutte contre
03:48la criminalité organisée, des policiers chevronnés, des policiers formés, comme il
03:54faut d'ailleurs qu'ils aient, ces policiers, comme interlocuteurs, des magistrats eux-mêmes
03:59formés à cette criminalité extrêmement particulière.
04:04Alors parlons maintenant de cette proposition de loi transpartisane sur le narcotrafic qui
04:09est examinée au Sénat.
04:11Toutes les propositions ne font pas consensus.
04:14Par exemple, ce nouveau dossier coffre, alors le terme de dossier coffre est lui-même en
04:18discussion, qui permet, si je simplifie, aux enquêteurs de tenir caché les techniques
04:25qu'ils utilisent.
04:26Par exemple, l'utilisation d'indics, les écoutes, les agents infiltrés, les surveillances
04:30technologiques.
04:31Pourquoi encourager cette opacité ?
04:32L'essentiel, c'est qu'au bout du compte, le dossier qui sera soumis aux magistrats
04:41contienne toutes les pièces de la procédure, puisque le grand principe d'un procès démocratique,
04:47c'est de pouvoir débattre devant le juge de l'ensemble des pièces dans le dossier
04:52pour que la personne puisse être condamnée finalement à la hauteur de ce qu'elle a
04:58fait.
04:59Donc l'essentiel, c'est d'aboutir, au bout du compte, à ce que tous les avocats,
05:05notamment, mais aussi le ministère public, aient accès aux pièces du dossier.
05:10Vous dites « au bout du compte », mais vous entendez les avocats de la défense qui
05:12disent « oui, mais pendant des semaines et des semaines, voire des mois et des mois,
05:16on nous tient cachés des procédures ». Et qui disent que ça remet en cause les droits
05:22de la défense.
05:23La justice ne cache rien.
05:24La justice propose quand même de les tenir cachés.
05:29La justice ne cache rien, puisque, au bout du compte, les pièces de procédure seront
05:35mises à la disposition de tout ça.
05:38Vous êtes pour qu'on les mette à la disposition, mais au bout de quelques semaines ou de quelques
05:41mois, pas immédiatement.
05:42La question, c'est le moment auquel, effectivement, les uns et les autres ont accès à ces pièces.
05:49Mais aujourd'hui, lorsqu'un magistrat délivre à un service enquêteur une commission
05:54rogatoire, les procès-verbaux d'audition exécutés dans le cadre de cette commission
06:00rogatoire ne sont pas immédiatement placés dans le dossier.
06:03C'est quand ces investigations sont terminées que les pièces sont mises en procédure et
06:07accessibles à tous.
06:08C'est un peu le principe du coffre-fort.
06:10Qu'est-ce qui se passe entre les magistrats et les avocats en France en ce moment, madame
06:14la procureure ? On a l'impression que vos relations s'enflamment.
06:18Il y a eu des déclarations assez choques de la part du ministre de la Justice qui dit
06:23que les avocats embolisent la justice, c'est-à-dire l'entrave, l'empêchent de fonctionner.
06:29Vous diriez la même chose ?
06:30Dans un État démocratique, les avocats exercent les droits de la défense.
06:38Ils développent les stratégies judiciaires qu'ils veulent.
06:41Mais au bout du compte, de toute façon, ce seront toujours les magistrats qui rendront
06:47les décisions.
06:49Certes, aucun avocat n'a cherché à se substituer à un juge à ma connaissance.
06:53Mais en revanche, vos collègues procureurs d'Aix-en-Provence et de Grenoble ont tenu
06:58des propos similaires à ceux de Gérald Darmanin.
07:00Bruno Retailleau, ministre de l'Intérieur, en a remis une couche.
07:03Il y a plusieurs barreaux en France qui sont vent debout contre ces attaques qu'ils disent
07:09sans précédent.
07:10Et par ailleurs, dans la loi en ce moment qu'on examine, il y a une mesure pour réduire
07:16le nombre de demandes en nullité que les avocats peuvent déposer.
07:20Une demande en nullité, c'est quand un avocat fait annuler une procédure parce qu'elle
07:23déroge à la loi et qu'elle menace les droits de son client.
07:25« Je me suis exprimé à l'occasion de mon discours de rentrée sur la nécessité
07:30de réduire ces demandes de nullité.
07:34C'est très simple.
07:36Lorsqu'une personne aura présenté une demande de nullité, elle ne pourra pas immédiatement,
07:42dès le lendemain, en formuler une autre, tant que le magistrat n'aura pas statué
07:48sur la précédente demande.
07:49Je pense que c'est extrêmement clair et que ça ne porte pas atteinte aux droits de la défense. »
07:56Autre question brûlante, Marie-Suzanne Lequeo, la justice des mineurs après la mort d'Elias,
08:0114 ans, poignardé par deux adolescents délinquants, récidivistes de 16 et 17 ans.
08:05Ces deux jeunes avaient déjà été présentés à un juge fin octobre, mais comme ils sont
08:10mineurs, la procédure se fait en deux temps.
08:12Le jugement définitif de ces deux suspects était fixé au mois de juin.
08:16Est-ce qu'il faut faire passer les mineurs en comparution immédiate ? Une procédure
08:21qui est jusqu'à présent réservée aux adultes.
08:23Est-ce qu'il faut pouvoir les juger immédiatement ?
08:25« La justice des mineurs doit combiner deux choses.
08:28Éduquer et sanctionner.
08:31C'est-à-dire qu'au terme du processus, ce qui est important pour ces jeunes, c'est
08:37d'éviter qu'ils puissent récidiver.
08:39Il y a donc à la fois, pour eux, la nécessité d'être certains d'avoir une sanction,
08:46et aussi un travail éducatif à mener avec eux.
08:51Parce qu'aujourd'hui, la délinquance des mineurs a changé de visage.
08:56C'est une délinquance, et tout le monde s'accorde à le dire, de plus en plus violente.
09:01Nous avons été tous très consternés par le drame qui s'est passé ce week-end où
09:07on a annoncé que la sanction arrivait plus vite.
09:10Il faut évaluer à cet égard les dispositions qui ont été mises en place relativement
09:15récemment, puisqu'on a réformé le droit des mineurs et qu'on a mis en place un code
09:20de la justice des mineurs.
09:21Ce code de la justice des mineurs sépare le moment où on déclare le mineur coupable
09:26et le moment où il est sanctionné.
09:27Et c'est ce temps-là, entre la déclaration de culpabilité et la peine prononcée, qui
09:33doit être aujourd'hui évaluée au regard de l'évolution de la délinquance des mineurs.