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Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Lundi 3 février 2025 : l'acteur, scénariste et réalisateur Pascal Elbé joue dans la pièce "Inconnu à cette adresse", aux côtés de Stéphane Guillon, au Théâtre Antoine, à Paris, jusqu'au 25 février.

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00:00Bonjour Pascal Elbé, vous êtes l'un de ces acteurs, réalisateurs et scénaristes qui est né sur les planches, c'est comme ça que vous êtes tombé amoureux de ce métier.
00:09On parle de Falepa, la comédie de Gérard Juniau, père et fils de Michel Bougnard, avec Philippe Noiret, Charles Berling, Bono Puzzoulou, Mauvaise Foi, Drozdizem et vos réalisations
00:18parmi lesquelles Tête de Turc ou La bonne étoile, film entre la comédie et le drame qui souligne le stéréotype sur les juifs pendant la seconde guerre mondiale.
00:26Et je sais que c'est un sujet qui est très important pour vous. Aujourd'hui, vous êtes dans la pièce inconnue à cette adresse avec Stéphane Guillon au Théâtre Antoine Dumontet.
00:33Ça se passe à Paris. L'intrigue suit la correspondance de deux amis de longue date, Max Eisenstein et Martin Schulz.
00:40Martin part en Allemagne avant l'arrivée du pouvoir des nazis, alors que son ami Max de confession juive reste lui.
00:48Sa sœur Griselle est en grande difficulté. Et effectivement, il va y avoir un choix à faire. Soit on décide d'aider cet ami, soit on décide d'épouser finalement ce qui a été mis en place, la doctrine prônée par le nouveau régime.
01:04C'est extrêmement poignant, Pascal Elbé. Et on a l'impression que c'est loin, mais on a aussi le sentiment que ce n'est pas si loin que ça.
01:13Non seulement ce n'est pas loin, mais quand on le lit aujourd'hui et quand on l'entend, il y a une résonance immédiate.
01:20Vous savez, c'est très compliqué de dire que c'est derrière nous, puisqu'on nous le ramène finalement toujours là, en face de nous. C'est une partie de l'histoire qui se renouvelle, malheureusement.
01:34Mon personnage dans la pièce le dit, cette répétition est trop familière pour nous. C'est terrible. Et aujourd'hui encore, autour de moi, il y a des gens depuis ce qui s'est passé il y a un an, le 7 octobre, où moi, j'appelais juste à convoquer l'empathie et non pas un discours politique, mais l'empathie pour les uns ou pour les autres.
01:55Je sais qu'il y a un avant et un après. Il y a des gens à qui je n'ose plus parler.
02:00Pourquoi ?
02:01Parce que j'ai l'impression qu'on m'essentialise, qu'on ne me voit qu'eux en tant qu'eux. Et comme si je ne pouvais pas avoir mon opinion à moi et un avis peut-être un peu distancié sur les choses.
02:12Et c'est terrible. Aujourd'hui, on doit être immédiatement pour ou contre. On doit regarder ce qui se passe avec les incendies à Los Angeles pour les opposer à ce qui s'est passé à Mayotte, alors qu'on peut avoir de l'empathie.
02:22On a suffisamment un cœur assez gros pour avoir de l'empathie pour ce qui se passe avec les incendies, comme avec les tempêtes, d'un côté ou de l'autre.
02:30Aujourd'hui, effectivement, j'ai des gens qui m'ont posé une forme de silence qui, pour moi, est assourdissant.
02:37Et donc, je ne sais plus sur quel pied danser quand je les retrouve, ce qui est déjà une position très inconfortable et qui est injuste.
02:46Et de la même façon, pour beaucoup de mes camarades qui sont juifs en France, pour les juifs de France, on disait toujours avant « heureux comme un juif en France ».
02:56Aujourd'hui, comme on se pose les mêmes questions parfois, que se sont posées il y a 60 ans, mais aussi à la fin du siècle dernier, c'est « Est-ce qu'on a encore notre place ici ? Est-ce qu'il faut qu'on reste ? Est-ce qu'il y a un sondage qui est complètement édifiant et qui est fou ? »
03:13Il y a un mois, on a posé la question aux Français de savoir si on avait besoin des juifs en France.
03:18Il y en a 2 sur 10, dans un certain parti, je crois, LFI, qui a dit « Non, on n'a plus besoin d'eux ».
03:24Je dis « besoin, pas besoin ? » Déjà, l'énoncé du sondage est fou.
03:28On est en 2025 maintenant, c'est complètement dingue.
03:31Et là, je joue une pièce qui raconte ça plus d'un demi-siècle en amont et on revit la même chose.
03:38L'histoire se répète.
03:40Alors évidemment, ça apprend beaucoup de la nature humaine et ça veut aussi dire, pour ceux qui pensent qu'il ne faut plus enseigner la Shoah ou l'histoire de notre pays et l'histoire du monde, qu'ils ont tort.
03:56Il faut absolument se pencher et avoir toujours un œil ouvert sur les dérives qu'on a pu produire à travers le temps, à travers l'histoire, parce que ça se reproduira, sinon.
04:06– Vous avez incarné le père d'Ilan Halimi, qui a été assassiné, torturé, séquestré par le gang des barbares.
04:16Youssouf Foufada notamment, qui dirigeait cette organisation incroyable.
04:22Ça a été un moment très marquant en France.
04:25Est-ce que vous avez peur, Pascal Helvé, de ce genre de dérive ?
04:28– Oui, parce que moi je ne suis pas né dans un pays en guerre, je ne suis pas né pour avoir du courage des petits.
04:36Je suis né pour aller vers l'autre, pour le fameux vivre ensemble, qui a évidemment pris un sacré coup depuis longtemps.
04:43Mais j'ai peur, j'ai peur en priorité pour mes enfants.
04:47Le fait d'être ce que nous sommes et d'être attaqué pour ça est absolument fou.
04:52Bien sûr que j'ai peur, j'ai peur de notre avenir, j'ai peur de...
04:56Et en même temps, je n'ai pas envie du tout d'abdiquer, c'est pour ça qu'on monte sur scène,
04:59c'est pour ça qu'on fait chacun sa façon avec ses armes.
05:02On essaye de se défendre et de continuer à avoir ce dialogue, mais c'est vrai qu'aujourd'hui, avec les réseaux,
05:10c'est de plus en plus compliqué d'être reliés les uns avec les autres,
05:15parce que chacun a son opinion, son algorithme, et c'est très compliqué.
05:18Mais oui, aujourd'hui, j'ai peur, j'ai peur pour mes enfants, mes petits-enfants.
05:22Je me dis, quel est leur avenir ici ?
05:24Encore une fois, quand on voit les sondages qu'on nous a opposés il y a un mois,
05:28on s'est dit, mais c'est fou quand même comme question.
05:31Et oui, je me dis, est-ce que plus tard, je pourrais continuer à parler, à penser, à me mélanger, à être accepté ?
05:42Le fait de se poser la question est déjà une forme d'aveu, oui.
05:45Cette pièce raconte la mise en place, au début des années 30, de la montée du nazisme en Allemagne,
05:51l'arrivée de son régime totalitaire, son fonctionnement, ses conséquences.
05:55C'est important, justement, de bien mettre la loupe sur comment est née ce fascisme et cette barbarie ?
06:05Ah oui, vous savez, il y avait un film, je crois qu'il s'appelait La Vague, un film allemand qui a été fait il y a 20 ans.
06:10Il disait à ses élèves, vous savez que ça peut se reproduire, aujourd'hui.
06:15Et là, il y a tous les élèves en Allemagne qui ont fait leur devoir de mémoire, qui disent, mais non, ça y est, on a travaillé pour, c'est impossible.
06:20Il dit, ben on fait le pari que dans un mois.
06:22Et on voit le mécanisme de pensée, et tout doucement, ces élèves-là commencent à basculer.
06:28Et un mois après, ou deux mois après, ou un trimestre après, ils se retrouvent vraiment dans une forme de fascisme,
06:33et ça devient presque la nouvelle jeunesse hitlérienne, alors qu'ils étaient sûrs d'avoir nettoyé le problème,
06:38d'avoir fait leur travail de mémoire, de pardon.
06:41Pas du tout, ça revient.
06:43La bête, elle est toujours comme ça, à tapis, et elle peut revenir très vite.
06:48C'est fou, hein, c'est fou.
06:50On n'apprend pas grand-chose, en fait, de notre histoire, mais oui, c'est le cas.
06:54Elle est incroyable, cette pièce de théâtre, parce qu'on parle de deux amis,
06:58et on voit à quel point, alors qu'ils ont vécu ensemble des moments extrêmement forts,
07:03alors qu'on a l'impression qu'ils sont indissociables,
07:06il y en a un qui prend une voie et l'autre une autre, et en très peu de temps, effectivement...
07:10C'est foudroyant, on est foudroyés, c'est comme une...
07:13Vous savez, ça a été...
07:17Encore aujourd'hui, je vous dis, j'ai des gens avec qui je ne peux pas parler de certaines choses,
07:21parce qu'ils ont peur de peut-être être d'accord avec moi, ce qui est, je ne vois pas où est le problème,
07:27mais parce qu'ils me voient en tant que juste, en tant que juif,
07:32et ces gens-là, avec qui j'ai fraternisé, avec qui on a eu des combats communs,
07:40et tout d'un coup, il n'y a plus personne.
07:42Il y a un silence abyssal, c'est assourdissant,
07:45et je ne le savais un peu, on s'en doutait, mais je n'étais pas préparé à cette rupture-là.
07:50Et c'est vrai que c'est terrible.
07:53Nous, on a toujours été des gens de dialogue, on a toujours œuvré pour l'ouverture à l'autre,
07:59et d'un coup, on nous a claqué la porte à la figure.
08:02Je ne m'attendais pas à ça.
08:04Et c'est les mêmes mécanismes, c'est la même chose qui se reproduit.
08:07C'est fou.
08:08On vous sent extrêmement affecté, Pascal Elbé ?
08:11Bousculé, affecté, oui, ben oui, je le suis.
08:13Depuis un an, je le suis beaucoup,
08:15et au fond de moi-même, il y a quand même une certaine forme d'injustice et de colère,
08:22mêlée comme sentiment, oui.
08:25Mais je ne sais pas, je garde confiance dans notre histoire, dans ce pays,
08:29mais d'un temps, il ne faut pas s'endormir,
08:32et ces textes-là, ce genre de pièces ou de textes sont là pour nous.
08:36Cette œuvre, elle s'inscrit justement dans le cadre des programmes scolaires.
08:39Elle est aussi une loupe sur la puissance et le besoin d'être une démocratie,
08:44la force et la puissance d'une démocratie,
08:48de respecter l'opinion publique,
08:52même le terme d'opinion, l'engagement collectif.
08:56C'est avant tout ça, cette pièce.
08:58Oui, oui, il le dit, d'ailleurs.
09:01Quinze années après la Première Guerre,
09:04le pays qui est exsangue, l'Allemagne,
09:06et tout d'un coup, ils ont l'espoir d'un pays où il y a une liberté politique
09:11qui est en train de s'instaurer, comme je le dis, mon personnage le dit.
09:14C'est une terre de culture, donc ils disent, ça y est, c'est derrière nous.
09:18On retrouve après la Première Guerre, après ce qu'ils ont vécu,
09:22cet injustice qu'ils ont subi après la fin de cette guerre désastreuse,
09:26comme le dit mon personnage.
09:28On se dit, ça y est, ils vont aller vers la lumière, ils vont comprendre.
09:32Et non, quelques années après, quelques petites années après,
09:36le démon revient et il bascule de nouveau dans ce mouvement populaire
09:40qui est une folie, qui est puissant, mais finalement,
09:44oui, c'est comme un seul homme, ils ont tous basculé.
09:47C'est fou, mais pas tous.
09:49Je veux dire, encore une fois, il y a eu beaucoup d'Allemands
09:53qui se sont opposés, qui n'ont pas eu le choix.
09:55Ce n'est pas tous devenus du jour au lendemain des nazions.
09:59Il y en a beaucoup qui ont essayé de résister.
10:01– Comment vos parents vous ont-ils transmis cette histoire, finalement ?
10:05– Par pointillés, avec beaucoup peut-être de réserve,
10:10parce que ça devait être derrière nous.
10:12Il y a toujours cette génération qui a essayé de mettre sous le tapis
10:14en disant on ne va pas parler que nous, on ne va pas parler de ça encore.
10:17Ne plus en parler, on sera obligé d'en reparler encore plus fort
10:21un jour comme aujourd'hui.
10:22Parce que peut-être que justement, on ne l'a pas assez enseigné pour nous.
10:26Moi, je ne me définissais pas du tout qu'en tant que…
10:29Par exemple, juif, je me définis de plein de manières,
10:33dans mon travail, dans mon combat.
10:37– C'est aussi pour ça qu'ils n'ont pas voulu vous transmettre et vous charger.
10:41C'est toute cette génération, justement.
10:43– Nous, on a cru totalement à l'assimilation.
10:45Mes parents, quand ils sont arrivés d'Algérie,
10:47on a cru vraiment à ce rêve républicain auquel on a adhéré absolument.
10:52Quitte parfois à se perdre, quitte parfois à se désavouer.
10:55Mais c'était la condition sine qua non pour s'intégrer et se mêler à l'autre
11:00dans un pays démocratique pour accepter ces règles-là.
11:03Mes parents l'ont fait, parfois au risque de s'oublier.
11:07Mais pour eux, c'était le pacte républicain qui était en cours.
11:11– Jouer, c'est ça aussi, de réaliser aussi.
11:14C'est raconter, c'est pouvoir raconter des histoires.
11:17C'est pouvoir justement parler d'héritage lourd.
11:24– Ah oui.
11:25Mais un héritage, s'il est bien vécu, bien transmis, il n'est jamais lourd.
11:31Ça dépend ce qu'on en fait.
11:33C'est encore une fois, on parle de…
11:35C'est Réunis qui parle de résilience, un terme qu'on en parle un peu beaucoup.
11:38Mais si on en fait quelque chose, on va vers l'avant et rien n'est lourd.
11:42Au contraire, c'est ce qui nous construit, nous nourrit et ça nous affirme.
11:46Mais parfois, il est vrai qu'on a peut-être tendance à vouloir s'extraire de tout ça.
11:55Et nous, notre seule façon de se faire entendre, c'est notre seule arme,
12:00c'est pas de signer des tribunes, des pétitions et d'allumer des bougies, pardon,
12:04d'être un peu cynique.
12:06C'est de le faire, pas au travers de discours, mais au travers de notre travail.
12:09Pour autant, moi, j'estime qu'on est des conteurs d'histoire.
12:14Moi, ce que j'aime, c'est raconter une histoire avant tout.
12:16Et d'avoir comme un conteur africain, d'avoir des enfants devant moi
12:20et qui aient les yeux écartifiés parce qu'on leur raconte une belle histoire avant tout.
12:24Une histoire qui nous promène, qui nous prend par la main.
12:28C'est ça, notre métier.
12:30On est des conteurs d'histoire, parfois avec une caméra,
12:32parfois avec un public.
12:34C'est sûr, tout ça.
12:36Et si c'est une histoire, alors qu'ils parlent de tout ça, tant mieux.
12:39Mais il ne faut pas oublier qu'on fait un métier de divertissement.
12:43Je me méfie toujours quand on fait une œuvre, vous savez,
12:45quand on nous met un film fort et nécessaire.
12:48Non, tout ce qui est nécessaire, je m'en méfie.
12:50L'art, il faut que ce soit le plaisir, guidé par la seule forme de plaisir.
12:53Donc, si tout d'un coup, un film ou une pièce de théâtre
12:56résonne avec quelque chose d'un peu plus profond, tant mieux.
12:59Mais d'abord, s'il vous plaît, divertissez-nous.
13:02Divertissons-nous, aujourd'hui.
13:04Ça vous apporte quoi, ce métier d'acteur, alors, Pascal ?
13:07Depuis le choix que vous avez fait d'épouser ce métier,
13:10parce que ça arrivait tôt, quand même.
13:12Ça m'apporte peut-être, je pense, d'avoir moins peur.
13:16C'est un métier qui m'a donné beaucoup de courage, bizarrement.
13:19C'est un métier difficile, mais c'est un métier qui me fait peut-être
13:24avoir moins peur de l'eau, de la vie, prendre des risques, parfois.
13:29On ne descend pas dans une mine, quand je parle de risque, on s'entend.
13:32Mais c'est de... Vous savez, récemment, j'ai perdu une ou deux personnes,
13:39l'an dernier, qui étaient des gens très proches, très chers à mon cœur.
13:43Et j'ai vu que mon métier m'a permis, comme une énorme béquille,
13:46de tenir debout, parce que j'étais sur scène,
13:48il fallait que, de toute façon, je remonte sur les planches.
13:51Et puis j'entendais le public.
13:53Et vous savez, quand on parle de l'amour du public,
13:55pour moi, c'était des termes un peu...
13:57Et puis en fait, je me suis rendu compte que non.
13:59Quand il y a une salle entière, à la fin, qui applaudit, qui est debout,
14:02ça vous envoie tellement d'énergie, tellement de bonheur, quelque part.
14:06Je pense que je m'en suis sorti beaucoup mieux, parce que j'étais sur scène.
14:10Et c'est là où je remercie mon métier.
14:13Pour terminer, elle représente quoi, cette pièce, alors ?
14:15Pardon ?
14:16Pour terminer, elle représente quoi, cette pièce inconnue à cette adresse ?
14:19Pour moi, elle représente, on va dire, une petite lumière dans la nuit.
14:24Ça veut dire qu'il y a à la fois un appel au secours et une énorme sirène d'alarme.
14:30Cette pièce nous dit qu'on a vécu les mêmes choses et qu'on a été droit dans le mur.
14:37Vous êtes en train de lire les livres, ne retombez pas dans le mur.
14:39Mais surtout, elle est très bien foutue.
14:41Surtout pendant 1h20, on est dans un vrai plaisir de théâtre, comme spectateur.
14:45On ne va pas spoiler, comme on dit, mais ce rapport de ces deux camarades qui s'éloignent,
14:50et puis d'un coup cette vengeance qui arrive, cette vengeance muette et froide, c'est qu'on est au théâtre.
14:55Là encore, quel que soit le sujet, on nous fait une promesse et elle est tenue.

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