Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Mercredi 5 février 2025 : le comédien, François Cluzet. Il est sur la scène du théâtre des Bouffes Parisiens jusqu’au 18 avril dans la pièce "Encore une journée divine".
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00:00Bonjour François Cluzet, vous êtes sans conteste l'un des acteurs français les plus aimés, demandés,
00:05sollicités, même respectés. Vous êtes né rue des Martyrs à Paris, on aurait pu imaginer que
00:09c'était mal parti, un signe de la vie qui aurait pu donner envie de pleurer, mais bien au contraire,
00:14au fil du temps que vous vous êtes construit avec un sourire mêlé à une discrétion qui vous sont
00:17propres, le point de départ quand même a été un manque d'amour certain et Jacques Brel dans le
00:23film L'homme de la Mancha en larme, donc comme quoi il y a quand même un moment donné un homme
00:26qui pleure, de quoi vous permettre de découvrir votre vocation avec comme certitude que les
00:31émotions méritaient d'être vécues et transmises sans en avoir honte. En 2007 vous avez reçu le
00:36César du meilleur acteur pour votre interprétation dans Ne le dis à personne, votre rôle dans
00:40Intouchables a fini de sceller votre adoption par Les Français, aujourd'hui vous êtes au théâtre
00:45Les Bouffes parisien avec la pièce Encore une journée divine, c'est jusqu'au 18 avril, l'occasion
00:50d'être presque yeux dans les yeux avec le public et de revenir à vos débuts au cours Simon, c'était
00:55quand vous aviez 17 ans, vous campez un psychanalyste interné en hôpital psychiatrique et pour cause
01:01vous prenez des méthodes radicales en guise de soins à prodiguer aux patients en souffrance, c'est
01:06l'adaptation du roman de Denis Michelis paru en 2021 et l'écriture qui transpire Samuel Beckett
01:13finalement qui vous a donné envie de revenir 25 ans après. Très juste, j'entendais ça avec beaucoup
01:19de plaisir parce que vous avez résumé l'affaire vachement bien et relativement rapidement, oui
01:24qu'est ce qui m'a donné envie de jouer cette pièce, c'est parce que j'attendais une espèce de
01:27challenge parce que comme ça fait 25 ans que je n'avais pas joué au théâtre, j'ai commencé par
01:32le théâtre, j'avais envie aussi pour donner un petit truc supplémentaire, au fait ça fait 50 ans
01:38cette année que j'ai commencé ce métier, ce métier qui m'a beaucoup donné, beaucoup beaucoup donné,
01:43j'avais envie de quelque chose de, un challenge avec beaucoup de travail parce que je sais que
01:49c'est le travail qui fait et quand j'ai lu cette pièce je me suis dit oulala je suis pas sorti de
01:53l'auberge mais finalement j'ai eu un coup de coeur et puis aussi pour le mettre en scène, pendant un
01:58an j'ai appris le texte et puis ensuite on a beaucoup travaillé, j'ai demandé, je me suis
02:02pas sûr de moi, il me faut beaucoup de répètes et tout ça pour finalement arriver à ce truc là où
02:06ce personnage comme vous le disiez, bon il est à moitié dingo évidemment, il est mythomane, il pense
02:12qu'il a écrit un best-seller, évidemment introuvable, ensuite il est amoureux d'une femme qui n'est pas
02:18vraiment disponible et pour cause et puis ensuite ce type là il fait que de contradictions mais comme
02:24vous le disiez avec une radicalité, c'est à dire il est médecin psychiatre mais il a trouvé une
02:29nouvelle méthode pour soigner, c'est finalement de ne pas perdre de temps, vous êtes en conflit avec
02:34quelqu'un, supprimez ce quelqu'un, vous êtes en conflit avec vous même, vous savez ce qu'il vous
02:39reste à faire et j'aime beaucoup quand on a seul coup et dit peur des étrangers, restez chez vous,
02:44peur des abeilles, bientôt il n'y en aura plus. Dans ce monologue, en même temps ce thérapeute
02:50s'adresse à nous en tant que spectateur, on est tous impactés à un moment donné, il parle de la
02:54famille, on a tous subi notre famille quand on est enfant, ce qui a été votre cas, je me posais
03:04la question de savoir si ce métier que vous avez fait justement parce que vous aviez un manque
03:08d'amour, vous avez permis d'être comblé aujourd'hui, de soigner ça, sans parler de
03:14psychanalyse. Oui largement, je dirais largement, c'est peut-être l'instinct que j'ai eu et qu'ont
03:20la plupart des artistes qui veulent faire de la scène, c'est que j'étais en manque, je me sentais
03:24très seul, je ne m'entendais pas avec mon frère, mon père était dépressif, ma mère était partie,
03:30alors pendant toute mon enfance je me suis quand même beaucoup marré parce qu'en classe j'ai une
03:34espèce de nature à déconner, donc évidemment je m'en donnais un cœur joie, avec mes copains on
03:39avait un commerce donc on vivait beaucoup sur le trottoir, dans la rue, là j'ai des souvenirs
03:44absolument merveilleux, mais ça c'est l'enfance, l'enfance se démerde toujours, sauf dans quelques
03:49cas tragiques, mais se démerde toujours pour trouver du plaisir et puis ensuite il a fallu
03:55combler ça, surtout que mon métier faisait appel à l'émotion, donc pensez bien quand vous faites
03:59appel à l'émotion, ce qui vous a ému revient en tête de colonne, si j'ose dire, et là,
04:07la forté de constater que j'avais besoin d'être aimé, mais je pensais par le plus grand nombre,
04:13d'où l'idée de si je me surpassais devant trois ou quatre cents personnes, j'allais à les
04:18applaudissements tout bêtement, et c'est ce qui s'est passé au-delà, au-delà de mes rêves, c'est
04:24à dire que je me suis dit, finalement, la seule façon de s'en sortir dans la vie, c'est de donner,
04:29c'est pas de recevoir, c'est de donner, et j'ai eu cette chance d'avoir envie de donner pour recevoir,
04:35j'ai reçu au-delà de mes attentes, c'est pour ça que ce que je préfère dire encore, c'est l'histoire
04:40de la résilience, vous savez Cyrulnik, oui ça peut commencer très mal, mais il faut un peu de chance,
04:46et des gens bienveillants, et y mettre tout son coeur, on peut sortir d'une enfance douloureuse.
04:52Pendant longtemps, vous avez limite refusé le bonheur aussi, parce que ça vous faisait peur,
04:58justement ? Non, mais vous savez, si vous n'êtes jamais monté sur un bateau, si on vous le propose,
05:03vous avez peur d'y aller, peur du mal de mer, et quand vous connaissez pas le bonheur, enfin quand
05:09je veux dire l'absence de douleur, c'est ça le bonheur, le bonheur c'est l'absence de malheur,
05:15l'absence de douleur, mais quand vous avez toujours été endolori, c'est très difficile d'un seul coup
05:19de se dire, je le suis plus, c'est ça qui m'a amené à la psychanalyse, parce que d'un seul coup,
05:23je me dis, mais non, mais moi j'ai toujours ce fond où j'ai envie de pleurer, j'ai envie de pleurer
05:28sur mon enfance, sur ce que j'ai vu de mon père, de ce que j'ai vu de ma mère, j'ai envie de chialer,
05:33et là un jour, grâce à une femme que j'ai aimée, qui m'a dit, il faut que tu ailles voir quelqu'un,
05:40je suis tombé de ma chaise, parce que je me suis dit, mais moi, ça va, je suis pas complètement
05:44dingue quand même, sans me rendre compte, parce qu'on n'en avait pas la culture à la maison,
05:48qu'un psychanalyste peut finalement vous faire ressortir d'où vient ce trauma.
05:54Vous êtes là, yeux dans les yeux avec le public, ça fait peur ça, François Cluzet,
05:58malgré les 50 ans de carrière que vous avez, est-ce que le fait de revenir sur scène,
06:02là pour le coup, d'avoir les réactions directes du public...
06:08Dès lors qu'il veut venir, qu'il paye, qu'il s'assoie, il se déplace et il paye,
06:12c'est qu'il n'attend qu'une seule chose, c'est que vous lui donniez quoi que ce soit,
06:17un peu d'amour aussi, c'est ça qu'il veut.
06:20Qu'est-ce qui vous fait rester en vie, François Cluzet ?
06:24La chance que j'ai eue, que ça ait bien tourné pour moi.
06:28C'est pour ça que je suis renouvelable, des gens magnifiques que j'ai rencontrés.
06:34Et puis le fait aussi, si vous voulez, qu'il reste relativement peu de temps,
06:37donc ça serait ridicule d'abréger l'affaire.
06:41Ensuite, moi, je n'ai pas du tout envie de partir avant le terme.
06:46Évidemment, quand je regarde derrière, je me dis mais non, ce n'est pas possible,
06:48pas 70 ans cette année, c'est ridicule.
06:51Mais en même temps, écoutez, ce que j'aime bien dans l'idée de mourir,
06:55c'est que pendant ce temps-là, il y en a d'autres qui naissent.
06:57Ça, j'aime bien le passage de relais, ça me fait plaisir.
07:02Je trouve que pour qu'ils naissent, il faut qu'il y en ait...
07:05Pour qu'il y en ait un qui rentre en scène, il faut qu'il y en ait un qui sort de scène.
07:09Et j'aime bien l'idée qu'après moi, il y en aura d'autres qui rentreront en scène.
07:13Je trouve qu'on doit le savoir, puis ça fait partie de...
07:16Moi, l'idée, c'est de mourir léger.
07:18Donc pour mourir léger, j'ai trouvé une parade qui n'est pas mal.
07:23C'est cette philosophie grecque qui dit kallos kagatos,
07:27c'est-à-dire le bon et le beau.
07:29Et évidemment, bon, on peut hurler contre les gens, contre la société, tout le machin,
07:34mais il y a une philosophie qui consiste à s'approcher du bon et s'approcher du beau.
07:40Et ça, ça donne quelque chose comme une expérience incroyable d'être vivant.
07:45Ça ne dure pas, donc puisque ça ne dure pas, essayons d'avoir cette expérience-là.