Comment les banques peuvent-elles répondre à un défi qui combine des enjeux de réindustrialisation et de décarbonation ? Vincent Charlet, délégué général de La Fabrique de l'industrie, donne des pistes dans son livre “Ce que l’industrie attend des banques”.
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00:00Générique
00:06L'invité de ce Smart Impact, c'est Vincent Charlet, bonjour.
00:09Bonjour.
00:10Délégué général de la fabrique de l'industrie, vous publiez une étude sur ce que l'industrie attend des banques.
00:15On va y revenir en détail. Un mot rapide pour commencer de ce Think Tank, ce cercle de réflexion fondé en 2011.
00:22Est-ce qu'à cette période-là, la décennie 2010, vous avez eu un peu l'impression de prêcher dans le désert ?
00:28Non, ce sera exagéré de dire prêcher dans le désert parce qu'en fait, la prise de conscience sur la nécessité de réindustrialiser le pays
00:35ou de défendre l'industrie, elle s'est faite par couches concentriques, on pourrait dire.
00:39Donc, avant la crise des subprimes, c'était vraiment réservé à un des cercles confidentiels.
00:45Mais dans la décennie 2010-2020, les milieux industriels, pour le dire, étaient déjà très préoccupés, soucieux.
00:53Et le rapport gallois est un des symboles, il me semble, du fait que la compétitivité de l'industrie était déjà un sujet pris à bras-le-corps dans cette période-là.
01:03Et puis ensuite, après le Covid, on a encore augmenté de quelques décibels.
01:07Évidemment, on va y revenir. Mais la désindustrialisation, elle est souvent reprochée, peut-être à juste titre, aux politiques.
01:15Mais est-ce que nous, consommateurs, citoyens, on n'a pas une part de responsabilité ?
01:18Si, absolument.
01:19On est co-responsables de cette désindustrialisation ?
01:21Oui. Et d'ailleurs, je trouve qu'on blâme souvent trop les politiques, les décideurs, pour leur responsabilité prétendue dans cette désindustrialisation.
01:33En fait, c'est un sujet de débat et on pourrait même dire un sujet de recherche.
01:37La désindustrialisation, elle se constate dans beaucoup de pays.
01:40Sur la période récente, c'est vrai qu'elle a été plus aiguë en France qu'ailleurs.
01:44Mais c'est quand même un phénomène mondial. Et l'arrêt de la désindustrialisation aussi est un phénomène mondial.
01:49Donc, il y a quand même une grande part des explications qui ne relèvent pas des décisions des décideurs français.
01:56Et donc, ça impose une forme d'humilité dans le diagnostic et dans la recherche de solutions.
02:01Et effectivement, cette humilité, ça veut dire aussi accepter notre part de responsabilité en tant que consommateurs.
02:08Pour faire très court, l'Union européenne s'est construite sur l'idée d'un marché libéral et compétitif.
02:15Les consommateurs ont été les grands gagnants en termes de pouvoir d'achat et d'accès à des biens, des services à prix limité.
02:24Donc, chaque fois qu'on parle de réindustrialiser le continent, chaque fois qu'on parle d'amorcer la transition d'une industrie verte,
02:33il y a immédiatement un corollaire qui est que les produits made in France, les produits verts, ils sont plus chers.
02:38Et aujourd'hui, les consommateurs sont quand même assez réticents.
02:43– Effectivement, on l'a vu notamment avec le choc inflationniste nés des conséquences de la guerre en Ukraine.
02:50Il y a deux grands thèmes dans l'étude que vous publiez sur le rôle des banques.
02:55Comment les banques peuvent-elles accompagner la réindustrialisation ?
02:59Est-ce que déjà sur le constat, vous dites quoi ?
03:01Elles ne sont pas suffisamment au rendez-vous ? Elles n'étaient pas suffisamment au rendez-vous ?
03:05– Il y avait une sorte de fossé ou diatus parce que les obligations réglementaires, notamment Baldeu,
03:13et les attentes, là encore, des marchés qui exigent des produits financiers à un certain rendement,
03:20font que les banques se sont effectivement détournées de l'investissement industriel qui est à plus long terme,
03:28qui est en général plus risqué.
03:29Et donc, le constat qui est fait dans cette étude, c'est que les banques ne pourront pas redevenir
03:38des investisseurs de premier plan dans l'industrie et la réindustrialisation
03:41sans une intervention, on va dire, complice des autorités pour dérisquer…
03:48– Ah, l'État doit couvrir une partie du risque par les banques ?
03:50– Oui, sinon ça ne marche pas, il faut être clair.
03:52Et au contraire, quand ce tandem s'observe, c'est au contraire très efficace.
03:58Donc, c'est plutôt une voie à explorer.
04:01Donc, effectivement, pour des questions de rentabilité, ces deux univers se parlent assez peu.
04:07Ensuite, il ne faut pas m'ignorer que les problèmes de l'industrie
04:11ou les défis de compétitivité de l'industrie, ils sont multifactoriels selon l'expression en vigueur.
04:18Et donc, évidemment, il n'est pas question de dire que seules les banques sont responsables
04:23ou que les banques seules vont être les actrices d'un renouveau.
04:26– Mais ce binôme, c'est l'ABPI qui est le levier évident de cette association pour dérisquer ?
04:32– Oui, en France, oui, et puis on voit aussi que dans des États voisins,
04:37les homologues de l'ABPI peuvent jouer ce rôle de dérisquage de l'investissement industriel.
04:44Encore une fois, il faut que les banques soient de nouveau capables,
04:49compte tenu des contraintes et des attentes qui sont à l'heure,
04:53d'investir dans des projets industriels qui, par définition ou par construction même,
05:00s'étalent sur 10 ans, 15 ans, avec des retours qui peuvent être considérés comme sûrs,
05:06à condition d'accepter ce long terme.
05:08– En quoi cette réindustrialisation, c'est aussi un levier de la transformation environnementale ?
05:14Parce que quand on recrée une usine, on la crée avec des critères
05:17qui sont plus exigeants en la matière, forcément ?
05:19– Alors, il y a une part d'explication en nature réglementaire,
05:22il y a quelque chose qui est purement géographique,
05:24c'est-à-dire le Made in France est toujours moins carboné que le Made in ailleurs,
05:27parce que l'électricité française est moins carbonée,
05:30puis parce qu'on s'économise les émissions dues au transport.
05:34Donc ça, ça a été prouvé, reprouvé, maintes fois prouvé.
05:39Pour autant, on est sur un sentier de réindustrialisation qui est encore plus exigeant
05:45si, effectivement, on se donne cette obligation d'une décarbonation compétitive.
05:50Et c'est là que ça se complique, c'est-à-dire que,
05:54déjà la réindustrialisation coûte un peu cher,
05:57si en plus elle doit être totalement verte et décarbonée,
06:00il faut que les pouvoirs publics, les investisseurs, les consommateurs
06:05consentent au fait qu'on parle d'un segment d'activité qui redeviendrait plus vertueux,
06:12capable d'apporter des emplois à des territoires qu'on a perdus,
06:16mais qui coûtent un peu plus cher aux consommateurs.
06:18Et ça, on n'y échappe pas.
06:20Donc ce schéma auquel on aspire tous, d'une réindustrialisation décarbonée,
06:28d'une décarbonation compétitive, on peut mettre les mots dans les deux rangs,
06:34c'est un choix, mais il y a un coût, en tout cas un investissement initial.
06:38Et ça, on n'y coupe pas.
06:39Donc les acteurs financiers, en particulier, doivent être au rendez-vous.
06:42– Surtout que, si on parle du secteur industriel,
06:45c'est un secteur qui est déjà en train d'engager des investissements lourds
06:49pour sa décarbonation.
06:51Vous voyez ce que je veux dire ?
06:52C'est-à-dire qu'on prend un grand groupe qui dépense de l'argent pour décarboner,
06:56et on va lui dire en plus, revenez en France, réindustrialisez,
06:59ça fait beaucoup d'investissements d'un seul coup.
07:01– C'est pour ça que, si on voit une seconde le verre à moitié vide,
07:07on peut aussi relever que l'Europe, avec l'ensemble des défis qu'elle s'est donné,
07:13ou l'ensemble des obligations qu'elle s'est données,
07:15s'est engagée dans une voie périlleuse, ou en tout cas, le succès n'est pas assuré.
07:20Et malheureusement, les annonces ces dernières semaines
07:23sur des grands projets de réindustrialisation verte,
07:27ou au service de la mobilité décarbonée, soulèvent une part d'inquiétude.
07:33Le baromètre n'est pas…
07:35– Est-ce qu'il faut un grand plan d'investissement ?
07:38On a vu Mario Draghi, l'ancien président de la Banque Centrale Européenne,
07:41ancien président du Conseil Italien, dire,
07:43il y a un moment où il faut que l'Europe emprunte massivement pour notamment,
07:49pas seulement, mais notamment se remettre à niveau industriel et industriel vert.
07:55– Le rapport Draghi est une étape de diagnostic absolument remarquable.
08:00C'est vraiment, je veux dire, sur le fond, un travail de très grande qualité.
08:04S'il en vient à cette conclusion, ce n'est pas pour rien.
08:08Et c'est en écho avec d'autres rapports d'experts,
08:13notamment, je pense à Jean-Pygéné Phéry,
08:14qui ont chiffré les coûts de la décarbonation, en tout cas, les coûts, l'investissement.
08:20On sait tous dire que le coût du règlement climatique sera bien plus élevé encore.
08:26Et donc, si on regarde ça de loin, à l'échelle de la planète et de l'humanité,
08:31ce n'est pas un coût, c'est un investissement.
08:32Mais tant que l'Europe fait la course en tête, voire toute seule,
08:37et tant qu'on parle des années qui viennent là,
08:40bon, c'est un investissement qui ressemble quand même beaucoup à un coût.
08:42– Oui, avec un souci, je cherchais le mot, vu de France,
08:48ou en tout cas, vu de nos partenaires européens,
08:51si la demande vient des Français,
08:52quand on porte sur le dos 3 300 milliards de dettes,
08:56proposer à l'Europe de s'endetter un peu plus, c'est compliqué.
09:00– Alors, la parole française n'est pas très audible.
09:04Il me semble quand même que les États membres européens pourraient,
09:08devraient, profiter, si j'ose dire, de ce moment politique et géopolitique
09:15très particulier qu'on est en train de traverser.
09:18Je parle évidemment de l'arrivée au pouvoir de Donald Trump
09:21et de tous les bouleversements que ça va occasionner.
09:25Les États membres, donc, devraient profiter de cette occasion
09:29pour dire qu'il y a une forme d'urgence.
09:32Ils ont déjà prouvé par le passé que quand il y avait urgence,
09:34ils étaient capables, un, de se remonter les manches
09:36et deux, de dépasser certaines règles du jeu
09:38qu'ils avaient établies pour eux-mêmes.
09:43L'investissement en fait partie.
09:45Il y a notamment un projet, un sujet qui revient de temps en temps,
09:50c'est celui, en gros, d'une DARPA européenne.
09:53Donc, la DARPA, c'est cette agence américaine
09:58fondée de longue date à l'intérieur ou à proximité du ministère de la Défense
10:03et qui, par ses prises d'investissement extrêmement risquées
10:07sur les technologies frontières, a été capable,
10:11alors par le passé, d'inventer le web, mais plus récemment,
10:13d'accélérer, par exemple, la mise à disposition des vaccins anti-Covid.
10:18Ce genre de politique qui est capable, d'outils politiques,
10:22qui est capable de créer les marchés de demain en injectant,
10:26alors évidemment, il faut une prise de risque et de l'argent public.
10:29C'est un des visages de cet investissement
10:32dont, je pense, l'Europe a besoin.
10:33Merci beaucoup, Vincent Charley.
10:35Et à bientôt sur Be Smart For Change.
10:37On passe à notre débat, justement, on l'évoquait.
10:39Est-ce que change le retour de Donald Trump à la Maison Blanche
10:43pour le Green Deal, le pacte vert européen ?