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00:00Bienvenue dans les récits extraordinaires de Pierre Bellemare, un podcast issu des archives d'Europe 1.
00:12Notre histoire aujourd'hui commence comme un des meilleurs épisodes d'une sorte de chronique amusante dans le style des Don Camillo.
00:22Imaginez un peu, dans le verger éclairé par la lune, quatre silhouettes sont en embuscade derrière un tas de foins.
00:30Le propriétaire a nommé Mouton et trois amis, M. Abbé, M. Castagnoli et l'ancien garde-champêtre Samathé.
00:41Celui-ci sert la crosse d'une grosse pétouarge en tromblant qu'il a décrochée d'au-dessus de sa cheminée.
00:49Le but de cette affaire nocturne, démasquer le sinistre personnage qui pille chaque nuit les fruits et les légumes du verger de M. Mouton.
01:01Dans la campagne, au-dessus du lavandou, on entend les bruits de la nuit.
01:07Une cigale attardée qui prend la lune pour le soleil.
01:11Soudain, les quatre hommes sursautent, mais ce n'est que le battement des ailes d'un oiseau de nuit.
01:17Les battements de cœur s'apaisent et la tente reprend.
01:21Vous voyez, cela commence comme dans un bon vieux film où tout le monde parle à Vélassan et où l'on se tend des pièges pour se tirer des cartouches de gros sel dans le postérieur.
01:33Et vous verrez, il y a vraiment tout ce qu'il faut pour un vaudeville méditerranéen.
01:38Vous verrez la belle Brune vivant dans une petite cabane et amoureuse du héros.
01:43Vous verrez le brave garçon pauvre en but au ragot du village.
01:47Vous verrez également un petit inspecteur très folklorique qui prend son métier au sérieux et un prêtre au grand cas.
01:55Mais les coups de feu que vous entendrez dans un instant sont réels.
01:59La cour d'assise est un vrai tribunal et le quiproquo ne fera pas rire.
02:05Il mettra en jeu toute la vie d'un homme.
02:09Heureusement, il y aura aussi un coup de théâtre et une fin très morale à cette histoire intitulée l'inspecteur brun prend le mouton par les cordes.
02:39Nous sommes en 1944 dans le paisible petit village qui est encore le Lavandou.
02:45Les bruits de la guerre sont proches, le maquis n'est pas loin non plus,
02:50mais le Lavandou vit quand même à son rythme, celui qui veut que l'on fasse chaque chose en son temps.
02:57Gino Corni s'est intégré à cette vie.
03:01C'est un Italien, un garçon de 24 ans, doué gentil, toujours souriant.
03:06D'un sourire un peu triste peut-être car la vie n'est pas facile pour lui.
03:11Il est né à Modène, le premier d'une famille de 7 enfants.
03:15En tant qu'aîné, il ne fréquente pas beaucoup l'école et très tôt commence à travailler avec son père, le maçon.
03:21A la déclaration de la guerre, le voilà incorporé.
03:25Il a un poste tranquille en accord avec sa nature pacifique.
03:28Il garde le magasin de l'intendance.
03:30Mais en 1943, c'est la débâcle italienne, l'armistice de Badoglio.
03:37C'est la panique dans les troupes, la fuite désordonnée.
03:40Très vite, Gino Corni voit nombre de ses camarades tomber entre les mains des Allemands et,
03:45peu désireux de partager leur sort, il part dans la montagne.
03:49Il tombe sur un petit groupe d'hommes plus ou moins organisés en maquis de protection.
03:54Le jeune Italien est sympathique, on le recueille.
03:57On ne regrette pas cette décision de Gino Corni et, le plus serviable des compagnons aussi,
04:02l'on s'arrange pour lui trouver le plus vite possible des vêtements civils et surtout,
04:06une fausse identité qui lui permettra de travailler car il ne désire que cela.
04:11Alors Gino descend ainsi dans le pays et propose ces services qu'on lui donne n'importe quoi.
04:17La tâche ne le rebute pas.
04:20Mais on se méfie.
04:22Ce garçon qui parle à peine trois mots de français,
04:24sûrement un déserteur, mauvais ça.
04:27Bien sûr, il a une bonne figure mais c'est un de ces Italiens,
04:31on ne sait jamais avec ces gens-là.
04:34Heureusement pour lui, il y a M. Mouton.
04:36Henri Mouton est un brave homme et il va montrer l'exemple.
04:39C'est lui qui, le premier, embauchera Gino pour bêcher sa tête.
04:43M. Mouton possède un verger et un potager qui font sa fierté.
04:48Sa fierté est la nourriture de sa famille car n'oublions pas que nous sommes en guerre
04:51et que des fruits et des légumes frais, c'est précieux.
04:55Et Gino Corny va bêcher le potager de M. Mouton,
04:59lui faire aussi tous ces petits travaux qui traînent un peu
05:03quand on préfère se reposer au soleil.
05:05« Tu vas voir Gino, dit M. Mouton, si moi je t'emploie
05:08et si je suis content de ton travail, tu ne chômeras pas. »
05:11Effectivement.
05:13Les autres habitants observent ce test, demandent à M. Mouton
05:16ce que vaut son protégé.
05:18« Il est parfait, répond le brave homme.
05:19Alors c'est d'abord Castagnoli, le bon copain de Mouton,
05:23qui l'accueille et le nourrit pendant quatre mois.
05:25Et petit à petit, tout le monde emploie Gino et tout le monde est content.
05:29Surtout Gino, bien sûr, qui mange enfin à sa faim.
05:33« Vous êtes mon bienfaiteur, dit-il à M. Mouton.
05:36Et chaque matin, en descendant travailler en ville,
05:38Gino n'oublie pas de passer saluer M. Mouton. »
05:41Il y a quelqu'un d'autre qui le regarde passer chaque jour.
05:44Elle s'appelle Marie-Louise.
05:46Marie-Louise Fares.
05:48Elle est ravissante, brune, piquante.
05:50Les femmes l'appellent la fille de l'Espagnol,
05:53mais les garçons l'ont surnommée Fleur de la Pampa.
05:57Malgré ce surnom, Marie-Louise n'a rien d'une jeune fille légère.
06:02Au contraire, elle est sérieuse, secrète, difficile à approcher.
06:05Gino la remarque alors qu'elle remonte de la fontaine
06:08où elle va remplir sa cruche.
06:10Tout un poème.
06:12Elle baisse les yeux, bien sûr, quand il la croise,
06:13mais quelques pas après, elle se retourne vivement, et lui aussi.
06:16Au même moment.
06:18Il est plaisant, ce garçon mince, aux muscles durs et aux cheveux drus.
06:22Elle s'arrangera pour repasser à la même heure les jours suivants.
06:26Ils feront connaissance.
06:28Lui portera sa cruche.
06:30Un jour, il lui vole un baiser.
06:33C'est charmant.
06:35Un vrai film pour le dimanche après-midi à la télé.
06:37« Voilà notre Gino fiancé à la Fleur de la Pampa.
06:40Il est officiellement convié à la maison du papa.
06:41L'Espagnol Ramón Fares.
06:44La maison. Ah, il faut voir.
06:46En pleine campagne, cette minuscule baraque de bois avec un petit auvent.
06:50Un tonneau pour l'eau de pluie.
06:52Ah, c'est pourtant là qu'elle vit, Marie-Louise,
06:54dans deux pièces grandes comme un timbre-poste
06:56avec le vieux Ramón et ses deux fils, Jacques et Raymond.
06:59Au contant de leur sœur,
07:01les fils Fares ont une réputation, disons, mitigée.
07:04Ils préfèrent profiter de la douceur du climat
07:07que de se tuer à la tâche.
07:09Mais Gino est amoureux.
07:11Il a besoin de sa Fleur de la Pampa.
07:13Hé, hé !
07:15Comment il y va, le petit ? Hé, ho !
07:17Le mariage comme ça, sans le sou, déserteur,
07:19avec de faux papiers.
07:21Comment il y va ?
07:23Il commence par faire quelques économies
07:25et à la fin des hostilités, il l'épousera,
07:27sa Marie-Louise.
07:29Alors Gino réfléchit. Après tout, pourquoi pas ?
07:31Autant plus que le père Fares lui propose,
07:33en tant que fiancé,
07:35de venir habiter la cabane.
07:37Il dormira à côté de Raymond, son futur beau-frère,
07:39convenant s'obliger.
07:42Le travail de Gino apporte un peu d'amélioration
07:45à l'ordinaire frustre de la famille.
07:47Et on est surtout bien content
07:49qu'il soit là à cause des frais.
07:51Lorsque sa fiancée tombe assez gravement malade
07:53et qu'il faut l'opérer, eh bien, Gino paie.
07:55Gino travaille.
07:57Il travaille même sur un chantier éloigné
07:59pour remplacer un coiffeur
08:01que les Allemands avaient réquisitionné
08:03pour lui permettre de tenir sa boutique.
08:05Brave Gino, pour lui.
08:07La vie est belle.
08:09Ce n'est pas, par contre, de M. Mouton.
08:11Lui, il a des soucis.
08:13Figurez-vous que sa vigne,
08:15son potager, son verger
08:17sont littéralement pillés.
08:19Toutes les deux nuits environ,
08:21un mystérieux malandrin
08:23vient faire une rasia de bons fruits
08:25et d'excellents légumes
08:27que M. Mouton destine à sa consommation personnelle.
08:29« Ah, ça commence à bien faire, cette histoire ! »
08:31Explose un beau matin le propriétaire grugé.
08:34« Je vais y mettre le haut, là,
08:36pas plus tard que tout de suite ! »
08:37« Qu'est-ce que vous pensez faire ? »
08:39demande Castagnoli, son collègue,
08:41à l'heure de l'apéritif.
08:43« Justement, je compte sur vous pour m'aider. »
08:45« Sur moi ? Oui, oui.
08:47Et aussi sur Samathie et Abbé. »
08:49« Comment ça ? »
08:51« Nous allons tendre une embuscade cette nuit. »
08:53« Une embuscade ? Mais c'est dangereux ! »
08:55« Pas du tout ! »
08:57« Nous serons quatre
08:59et nous allons donner une bonne leçon à ce voleur. »
09:01Et voici, dans la nuit parfumée
09:03du 2 au 3 août,
09:05les quatre compères partant
09:07de la vigne de M. Mouton,
09:09à la fois tremblant un peu
09:11mais excité par l'événement.
09:13Les voici qui se mettent à l'affût
09:15pour cette nuit qui va se terminer
09:17tragiquement.
09:29« Les quatre hommes sont tapis
09:31dans la vigne de M. Mouton
09:33et les heures passent.
09:35De ci, de là, un bruit.
09:37Et la tente reprend.
09:39On s'endort presque.
09:41Sur tout Samathie, l'ancien garde-champête
09:43qui est seul, comme il est armé,
09:45on l'a mis à l'écart pour surprendre
09:47le maraudeur de deux côtés à la fois.
09:49Soudain,
09:51voici une ombre qui franchit le petit mur
09:53et qui avance dans le sentier
09:55sans hésiter comme quelqu'un
09:57qui se sent chez lui.
09:59La lune se montre un instant
10:01et l'on voit assez bien l'homme
10:03vêtu d'un pantalon kaki, genre militaire
10:05et d'un tricot sombre.
10:07Il tient un gros sac de toile
10:09qui est roulé.
10:11« Ah, mon salaud !
10:13Si tu crois le remplir cette nuit,
10:15tu vas avoir une surprise ! »
10:17souffle M. Mouton,
10:19sourire de ses collègues.
10:21La silhouette approche,
10:23passe à un maître de Samathie
10:25qui ne fait pas un geste
10:27et se retrouve ainsi derrière le voleur.
10:29« Parfait, parfait ! Approche encore,
10:31mon joli ! » pense Mouton.
10:33La silhouette débouche alors
10:35au coin du chemin
10:37et il l'a reconnu.
10:39« Gino, Gino, c'est toi ! »
10:41Cet homme mince, brun,
10:43on distingue mal le visage,
10:45mais la stature, c'est lui, Gino !
10:47Sans dire un mot,
10:49le rôdeur surpris glisse vivement
10:51sa main droite vers sa ceinture,
10:53saisit un pistolet et aussitôt fait feu.
10:55M. Mouton culbute,
10:57le poumon perforé.
10:59Castagnoli se plie en deux,
11:01atteint au ventre.
11:03Abbé se jette derrière la margelle
11:05du vieux puits
11:07et s'enlève la retraite
11:09et tire à son tour.
11:11La grosse pétoire à bois met avec le recul
11:13Manque son but.
11:15En réponse, le pistolet du voleur
11:17crache encore deux balles.
11:19Frappé au bras,
11:21l'ancien garde-chasse lâche son arme
11:23et vire volte pour aller s'abattre
11:25contre un pied de vigne.
11:27Le rôdeur l'enjambe et s'enfuit.
11:29Il n'a pas lâché le sac qu'il tient
11:31sous le bras gauche.
11:33Doucement, Abbé, le seul indemne,
11:35sort de derrière le puits
11:37et tire à son bras et se redresse.
11:39Castagnoli se tord en se tenant le ventre
11:41et gémit.
11:43M. Mouton, à demi inconscient,
11:45murmure encore
11:47« Gino ».
11:49Tandis que du sang
11:51lui remonte aux lèvres.
11:53C'est au domicile de M. Mouton
11:55que les gendarmes de Bormes-les-Mimosas
11:57vont appréhender Gino Corni.
11:59Et comme si de rien n'était,
12:01le jeune Italien passe comme chaque matin
12:03dire bonjour. Ça, c'est un peu fort.
12:05Il a beau protester, pleurer,
12:07dans les phrases hachées de Gino,
12:09on comprend à peine quelques mots
12:11que l'on interprète tant bien que mal
12:13comme des excuses, des regrets.
12:15C'est assez concluant.
12:17Alors l'enquête est rondement menée,
12:19les conclusions tirées.
12:21Mais nous sommes début août 1944
12:23et Gino restera en prison
12:25jusqu'en mars 1946
12:27avant de se retrouver en cour d'assise.
12:29Pauvre Gino.
12:31Pauvre procès.
12:33L'accusé est seul avec son défenseur
12:35pour clamer qu'il est innocent.
12:37« Pourquoi quitter la maison de ma fiancée
12:39cette nuit-là ? Demandez-lui ! »
12:41Mais Marie-Louise,
12:43l'ex-fleur de la pampa,
12:45n'est pas à la barre.
12:47Entre-temps, elle s'est mariée
12:49et ne veut pas compromettre
12:51la situation de son époux.
12:53Pensez donc, il est gendarme, alors.
12:55« Sa fiancée, parlons-en ! »
12:57protestent les victimes de la nuit
12:59dans la vigne.
13:01Elle était au convalescence.
13:03C'est pour elle qu'il est venu
13:05voler des légumes frais.
13:07Ses deux fils auraient pu se déranger
13:09comme témoins des charges.
13:11« Nous n'avions pas d'argent pour le voyage,
13:13diront-ils plus tard. »
13:15Le voyage.
13:17Le procès a lieu à Draguignan.
13:19Bref, Gino est condamné à 20 ans
13:21de travaux forcés.
13:23L'audience a duré une heure.
13:25Il faudra attendre 14 mois,
13:2714 mois en prison,
13:29pour passer en appel.
13:31Les jurés sont émus.
13:33On ramène la peine
13:35à 10 ans.
13:38Dans la prison de Nice,
13:40Gino Corny, détenu modèle,
13:42fait son travail,
13:44comme il l'a toujours fait.
13:46Mais tout en tressant le raffiat,
13:48il répète d'une voix douce,
13:50« Je suis innocent. »
13:52Et dans sa solitude,
13:54cet appel va trouver le chemin
13:56d'un cœur, celui d'une femme.
13:58Mademoiselle de Kermadec,
14:00assistante sociale auprès des prisonniers.
14:02Oh, elle devrait pourtant être blasée.
14:04A-t-elle jamais entendu un condamné
14:05qui n'avait aucun sens ?
14:07Si l'on se fiait à ce genre de déclaration,
14:09les prisons seraient pleines d'innocents.
14:11Pourtant, cet innocent-là,
14:13il a bien l'air de ne pas être coupable.
14:15Mais que peut-elle faire,
14:17mademoiselle de Kermadec ?
14:19La cassation a été refusée,
14:21il faudrait un fait nouveau
14:23pour rouvrir le dossier.
14:25Cela nécessite une contre-enquête.
14:27Les services officiels
14:29ne la feront pas sur simple demande.
14:31Et quant au privé,
14:33Gino Corny n'a pas un sou devant lui.
14:35Mademoiselle de Kermadec,
14:37eh bien, ça ne fait rien.
14:39Si vous êtes sûre qu'un innocent est en prison,
14:41je suis votre homme.
14:44Celui qui vient de s'exprimer ainsi
14:46est un curieux petit bonhomme
14:48qui cache une calvitie avancée
14:50sous un borsalino au bord
14:52impeccablement courbé
14:54dans le style Humphrey Bogart.
14:56La fumée de son éternelle cigarette
14:58au coin des lèvres
15:00lui fait toujours cligner ses yeux vifs
15:02et été comme hiver,
15:03comme une boule de chemise qui rebique
15:05et soulignée par un nœud papillon
15:07à système.
15:09Il s'appelle Jean-Pierre Brun,
15:11mais tous ceux qui le connaissent
15:13l'appellent l'inspecteur Brun.
15:16En fait, l'inspecteur Brun est hypographe.
15:18Il n'a été policier que tardivement
15:20et très peu de temps,
15:22au lendemain de la libération.
15:24Depuis, il a repris sa place dans l'imprimerie,
15:26mais il a gardé le virus de l'enquête.
15:28Sur la côte d'Azur,
15:30on a vu sa silhouette un peu claudiquante
15:31se défiler à titre privé
15:33dans plusieurs affaires mystérieuses
15:35et à chaque fois, il a obtenu, seul,
15:37des résultats sensationnels
15:39qui ont été de précieux éléments
15:41pour faire éclater la vérité.
15:43« Hors jeu ou pas,
15:45votre affaire, je la prends »,
15:47déclare donc l'inspecteur Brun
15:49à Mlle de Kermadec
15:51et il repart à zéro dans son enquête.
15:53D'abord, il examine les empreintes
15:55de pieds nus relevées par les gendarmes
15:57dans la vigne de M. Mouton,
15:59empreinte mesurant 30 cm.
16:01Le talon à la pointe des doigts
16:03fait exactement 26 cm et demi.
16:05En suivant son idée,
16:07l'inspecteur Brun relève une phrase
16:09dans sa conversation avec M. Cavatoré,
16:11entrepreneur de maçonnerie.
16:13« Ben oui, cette nuit-là,
16:15j'ai entendu la fusillade
16:17et de bonne heure, le matin,
16:19je suis venu prendre des nouvelles
16:21chez mon voisin M. Mouton
16:23en passant par sa vigne.
16:25Et justement,
16:27l'empreinte du pied de M. Cavatoré
16:29fait 30 cm.
16:31C'est bien, répondent les gendarmes,
16:33mais ça ne prouve pas
16:35que ce n'était pas Gino Corny,
16:37le voleur de légumes. »
16:39L'inspecteur Brun repart en chasse
16:41et nous voici devant M. Louise
16:43avec ce fleur de la pampa
16:45et ce fiancé du prisonnier
16:47devenu respectable femme de gendarme.
16:49« Gino ? Non.
16:51Il est incapable de tirer sur un homme.
16:53D'ailleurs, il couchait près
16:55du lit de mon frère Raymond.
16:57Cette nuit-là, j'ai attendu
16:59pour faire ma toilette
17:01et je l'ai entendu.
17:03Gino s'est levé comme toujours à 6 heures
17:05pour faire le parquet.
17:07Puis il m'a apporté le café.
17:09Il était très gai, plaisanté.
17:11Il est parti ensuite pour travailler.
17:13Je l'ai demandé à mon frère.
17:15Il confirmera. »
17:17Le frère confirme.
17:19Gino ne s'est pas levé de la nuit.
17:21L'inspecteur Brun triomphe.
17:23« Oh, doucement, doucement, répond la police.
17:25Il s'agit certainement de témoignages
17:27de complaisance fabriqués après coup.
17:29D'ailleurs, pourquoi ne les ont-ils pas
17:31évoqués ? Vraiment, ça n'est pas convaincant. »
17:33On commence à être agacé du côté officiel.
17:36Cet amateur est vraiment obstiné.
17:38Dans le public, on s'amuse franchement
17:40des démarches de l'inspecteur Brun,
17:42d'autant plus qu'un journaliste n'hésite pas
17:44dans un article dithyrambique
17:46à baptiser le brave homme
17:48de Javert-Nissois.
17:50Le Javert-Nissois.
17:52Il n'y va pas avec le dos de la cuillère,
17:54le correspondant spécial.
17:56Il faut dire qu'il signe l'article de son nom.
17:58Il s'appelle Brun, lui aussi.
18:00« Bon sang, je suis sûr et certain
18:02que j'ai trouvé quelque chose
18:04au cours de mon enquête,
18:06quelque chose qui prouve irréfutablement
18:08que Corny n'est pas le voleur
18:10de la nuit du 2 août.
18:12Mais quoi ? C'est là tout près ?
18:14Je n'arrive pas à mettre le doigt dessus.
18:16C'est trop bête.
18:18Bon, tant pis.
18:20Au lieu de chercher à prouver
18:22l'innocence de Ginault,
18:24si j'arrivais à trouver le coupable.
18:26Petite discussion amicale
18:27Il connaît Ginault,
18:29il connaît tout le monde.
18:31Ginault ? Ça n'est sûrement pas lui.
18:33Ah, vous m'auriez parlé d'un des frères Faray,
18:35je ne dis pas.
18:37Vous n'étiez pas les derniers pour marauder.
18:39Vous remarquez, nous, au maquis,
18:41on n'avait rien à dire.
18:43Comment ça ?
18:45Bon, enfin, voyons, de quelle manière
18:47croyez-vous que nous trouvions la nourriture
18:49pour nos hommes ?
18:51Chez l'habitant, comme on dit.
18:53Et en général, sans le consentement
18:55des intéressés, ils les auraient gardés
18:57la nuit dans les jardins ?
18:59Au début, oui.
19:01Après, on a envoyé les Arméniens.
19:03Les Arméniens ?
19:05Ah oui, des enrôlés de l'armée allemande
19:07qui s'échappaient
19:09et trouvaient refuge chez nous.
19:11Alors on les habillait,
19:13on les envoyait aux provisions.
19:15Hein ?
19:17Vous les habilliez ?
19:19Ben oui, c'est manière de dire,
19:21on leur donnait un pantalon kaki,
19:23un tricot marron,
19:25un grand sac de toile et vogue de la galère.
19:27On les installait aussi.
19:29Quelquefois, ils en avaient un.
19:31C'était des types pas très recommandables,
19:33prêts à tirer sur le premier venu.
19:35Surtout, je me souviens,
19:37il y avait un petit maigre qui ressemblait à Gino
19:39et qui était copain avec les frères Faresse.
19:41Et c'est maintenant
19:43que vous dites ça ?
19:45Ben, vous savez,
19:48on ne me l'avait pas demandé avant.
19:52Et l'inspecteur Brun
19:54effondrait rendre chez lui.
19:56C'est fini.
19:59Les Arméniens sont morts ou repartis dans leur pays,
20:01on ne sait même plus leur nom.
20:04Jamais il n'aura de preuve juridiquement valable
20:06pour innocenter Gino.
20:10Tristement, l'inspecteur Brun
20:12relie la déposition accablante de M. Mouton au procès.
20:15Vêtu d'un pantalon kaki
20:17et d'un tricot sombre,
20:19j'ai reconnu Gino Corny.
20:21Il tenait un sac roulé sous le bras gauche.
20:23Il a saisi un revolver et m'a abattu.
20:26Il s'est enfui sans lâcher son sac.
20:30Et soudain,
20:32l'inspecteur Brun sursaute,
20:35frappe sur son front.
20:37« Mais que je suis bête !
20:39Mais on n'a pas le droit d'être aussi bête ! »
20:41Le voilà qui fonce à la prison
20:43où il a ses entrées.
20:45Le voilà face à face avec Gino.
20:47Sur le seuil de la pièce,
20:49l'inspecteur lance un paquet de cigarettes.
20:51« Tiens Gino, c'est pour toi, attrape ! »
20:53« Vous avez vu ? Vous avez vu ? »
20:55hurle l'inspecteur en prenant le gardien à témoin.
20:57Le gardien hébert lui ne comprend pas.
20:59« Donnez-moi votre revolver, fait-moi. »
21:01L'autorité descend par de larmes, la jette sur la table.
21:03« Tire sur moi Gino, vas-y tire ! »
21:05Et Gino prend le pistolet,
21:07le pointe timidement vers les deux hommes
21:09et le gardien comprend.
21:11« Mais la voilà ! La voilà la preuve irréfutable !
21:13Le voleur a tiré sur M. Mouton de la main droite ! »
21:17Et Gino est gauché, gauché totalement.
21:19Il ne sait pas se servir de sa main droite.
21:23Voilà.
21:25Gino va être libéré.
21:28Un prêtre l'accueille dans une ferme
21:30en attendant les papiers administratifs.
21:33Gino va pouvoir retaper sa santé
21:35dangereusement compromise par l'incarcération.
21:37Un autre prêtre, un italien,
21:39intervient auprès du pape.
21:41« Oui, le Saint-Père écrit aux gardes des Sceaux
21:43pour faire accélérer les choses. »
21:45Et un jour de 1950,
21:47Gino repasse la frontière
21:49entouré d'une nuée de photographes.
21:50L'inspecteur Brun
21:52borse Salino sur l'œil
21:54et présente aux caméras
21:56un nœud papillon tout neuf.
21:58Voilà, l'histoire est finie.
22:00On oublie presque
22:02que l'on aurait pu s'apercevoir
22:04dès le premier jour
22:06que le témoignage des victimes innocentes
22:08est sans doute possible l'accuser.
22:10On oublie presque que Gino Corni
22:12a passé six années en prison
22:14et perdu sa fiancée.
22:16Mais ce n'est qu'un petit maçon italien
22:18sans importance.
22:20Heureusement.
22:22Heureusement qu'il a rencontré
22:24un petit policier amateur
22:26sans importance.
22:47Vous venez d'écouter
22:48les récits extraordinaires
22:50de Pierre Bellemare.
22:52Un podcast issu des archives d'Europe 1
22:54et produit par Europe 1 Studio.
22:56Réalisation et composition musicale
22:58Julien Tarot.
23:00Production Raphaël Mariatte.
23:02Patrimoine sonore
23:04Sylvaine Denis,
23:06Laetitia Casanova,
23:08Antoine Reclus.
23:10Remerciements à Roselyne Bellemare.
23:12Les récits extraordinaires
23:14sont disponibles sur le site
23:16et l'appli Europe 1.
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