À cause des perturbations climatiques, certains produits portant l’appellation AOP/IGP se retrouvent à la veille d’un changement inévitable. En 2022, une succession de vagues de chaleur a suscité un questionnement sur l’avenir des produits labellisés de la filière. Une étude menée par Conséquences fait le bilan et alerte sur les évolutions des processus de culture.
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00:00L'invité de ce Smart Impact, c'est Sylvain Trottier, bonjour.
00:10Bonjour.
00:11Bienvenue, vous êtes le directeur de Conséquences, association de sensibilisation aux enjeux
00:16climatiques qui publie une étude sur l'impact du réchauffement.
00:19Alors c'est très intéressant, vous êtes concentré sur huit filières protégées
00:23à OP-IGP2.
00:24De quelles filières il s'agit ?
00:25Alors il s'agit de huit filières principalement agro-alimentaires, on a décidé de ne pas
00:30s'occuper du vin, des boissons qui sont souvent traitées quand on parle de changement climatique.
00:35On a choisi des filières fromagères, on a choisi quelques agrumes, donc clémentine
00:42de Corse, citron de Menton, il y a la noix du Périgord, il y a un produit très emblématique,
00:47c'est le foie gras.
00:48C'est la période des fêtes.
00:51Et donc trois fromages, le minster, le reblochon et le roquefort.
00:56D'accord.
00:57Avec un objectif, pourquoi vous faites une étude comme celle-là ? Quel objectif ? Qu'est-ce
01:01que vous cherchez à comprendre et éventuellement quelle leçon à tirer ensuite ?
01:07Alors on sait que les agriculteurs en général sont les premiers témoins, les premières
01:11victimes du changement climatique, mais les produits du terroir, sous appellation, sous
01:16indications géographiques protégées, sont encore plus vulnérables parce qu'ils sont
01:21cantonnés à un territoire, ils sont liés aussi à des traditions, des savoir-faire,
01:26des règles de production qui parfois sont mises à mal par les impacts du changement
01:32climatique.
01:33C'est ce qu'on a constaté par exemple, alors ça a été un détonateur l'année 2022, avec
01:38sa sécheresse, ses vagues de chaleur, il y a eu des dizaines et des dizaines de demandes
01:44de dérogation au fameux cahier des charges qui font que ces produits peuvent être labellisés.
01:50Et ça a été vraiment un détonateur, une prise de conscience, on a voulu aller voir
01:57deux ans après, ces différentes filières, où elles en sont, est-ce qu'elles ont mis
02:02en place des stratégies d'adaptation ou pas, est-ce qu'elles considèrent que c'était
02:06juste un accident, ou est-ce qu'elles regardent vraiment le changement climatique en face.
02:12Des filières qui représentent, on a retrouvé ce chiffre qui date de 2022, l'année en question,
02:16plus de 4 milliards, 4 milliards 180 millions d'euros de chiffre d'affaires pour ces produits
02:19AOP et IGP en général, pas les filières dont vous parliez.
02:24Comment elles font face justement, quelles stratégies d'adaptation, alors la question
02:28est presque trop large, mais quelles stratégies d'adaptation ont été mises en place ?
02:32Alors en fait, là ce qu'on voit c'est que ces filières, elles sont face à une double
02:37contrainte, il y a les impacts du changement climatique qui se répètent, il y a les
02:41chaleurs, les sécheresses, il y a la douceur hivernale par exemple, avec une recrudescence
02:46de ravageurs de parasites, ça c'est pour l'arboriculture, il y a aussi les pluies
02:49diluviennes qu'on a plutôt depuis un an.
02:53Oui, ce qui était épisode extrême, ça devient habituel d'une certaine façon,
02:57en tout cas c'est récurrent.
02:59Voilà, les épisodes extrêmes se répètent, se rapprochent, et donc il y a un peu une
03:03course contre l'âme entre ce que toutes les filières nous ont raconté, c'est qu'elles
03:07testent, elles expérimentent, après elles ont des moyens souvent assez limités, c'est
03:12des filières assez locales, elles testent, elles expérimentent, elles mettent en place
03:16des choses notamment pour faire face aux futures vagues de chaleur, aux futures sécheresses,
03:21donc il y a beaucoup de questions autour de l'eau, c'est-à-dire qu'elles anticipent
03:25les futures crises 2022 en fait, parce que ça risque de revenir assez rapidement.
03:32Elles testent, pour ce qui est arboriculture par exemple, pour la noix du Périgord, ils
03:37font des tests de nouvelles variétés, mais qui nécessiteront de changer les règles,
03:43de changer les fameux cahiers des charges.
03:45On en revient à l'AOP ou l'IGP, c'est-à-dire qu'elles risquent ces filières de sortir
03:50de leurs cahiers des charges pour s'adapter au réchauffement.
03:52Alors c'est là où la tradition, parce que souvent ils obéissent à des règles, à
03:56des traditions qui ont été créées il y a des décennies, des fois il y a des siècles,
04:01des façons de faire, mais qui ont été décidées dans un climat différent et qui
04:07ne sont pas du tout, qui ne seront pas adaptées au climat futur.
04:10Donc il faut qu'elles anticipent le climat futur et donc il faut qu'elles demandent
04:14des changements.
04:15Elles vont sans doute être obligées de changer des règles, ça veut dire qu'il y a des
04:19traditions entre guillemets qui ne pourront sans doute pas se maintenir, il y a des produits
04:23qui vont sans doute changer, peut-être changer de goût, ça c'est une quasi certitude.
04:29Est-ce que ça peut aller jusqu'au risque de perdre finalement l'AOP, à cause du réchauffement ?
04:37Pour perdre l'AOP il faut 5 années de suite, où on a une partie importante de la production
04:43qui n'a pas pu être labellisée.
04:44Donc pour l'instant, là en 2024, on n'en est pas encore là.
04:49Mais avec les projections climatiques, d'ici 25 ans, il y a certaines cultures, notamment
04:55on parle d'un exemple qu'on ne traite pas dans l'étude, c'est les abricots, l'abricot
05:00du Roussillon.
05:01En 2050, il se peut que ce ne soit plus du tout possible de cultiver cette abricot dans
05:08la région.
05:09Dans cette région-là, parce qu'il fait trop chaud ?
05:10Aujourd'hui.
05:11Parce que de toute façon, l'ère de répartition, elle aura évolué.
05:14Vous avez commencé à l'évoquer, mais je trouve que c'est intéressant de parler
05:18de temporalité, c'est-à-dire qu'il y a l'urgence, donc là aujourd'hui ces filières,
05:23et vous nous disiez qu'elles n'ont pas forcément beaucoup de moyens, parce que ce sont des
05:25filières très localisées, elles partent au plus pressé, c'est-à-dire qu'elles cherchent
05:29des solutions face à cette urgence.
05:31Ça veut dire qu'elles n'ont pas les moyens d'anticiper sur les solutions d'après-demain,
05:36vous voyez ce que je veux dire ?
05:37Alors toutes les filières, tous les producteurs qu'on a rencontrés, ils sont très optimistes,
05:41ils sont très volontaires, ils mettent beaucoup d'énergie dans les tests, en respectant
05:46les règles environnementales, etc.
05:48Par contre, c'est clair qu'ils se préparent pour les années à venir, mais quand on leur
05:52demande le climat dans 20 ans, dans 25 ans, la vision, c'est pas possible pour eux, c'est
06:00trop lointain.
06:01Donc en effet, ils partent au plus pressé et ils ne sont pas dans le questionnement
06:08du futur de la filière à très long terme, ça c'est une certitude.
06:11Qui pourrait endosser ça ? Vous voyez ce que je veux dire ? Parce que là c'est une
06:16question de structuration finalement.
06:17Vous dites que ce sont des filières plutôt localisées, donc il faudrait quoi ? Il faudrait
06:22qu'elles se...
06:23Je ne sais pas, je réfléchis tout haut, mais qu'il y ait une sorte de syndicat de
06:26ces filières, qu'elles puissent mettre une puissance commune sur ces études et sur la
06:32recherche de solutions à long terme ?
06:34Alors sur certains secteurs, par exemple, les filières laitières, elles sont structurées,
06:38organisées, donc il y a une réflexion, il y a des efforts, etc.
06:43En fait, ça dépend vraiment des filières, mais la question se pose en général pour
06:47l'agriculture, sur l'adaptation au changement climatique et le fait d'avoir des politiques
06:52vraiment structurées à long terme.
06:54Pour l'instant, il faudrait peut-être qu'il y ait un dialogue, un partenariat renouvelé
07:00au niveau des territoires qu'elles desservent.
07:02Par exemple, on pense au Roquefort, les gens du Roquefort dans la zone concernée nous
07:07ont dit « Mais nous, s'il n'y a plus de Roquefort là où on produit, il n'y a plus
07:13rien ».
07:15Ces filières, AOP, IGP, souvent elles rendent énormément de services à leur territoire
07:20en termes économiques, touristiques, en termes symboliques.
07:23Mais ça, les régions en sont conscientes, ou le département, donc j'imagine qu'ils
07:29quand même y participent, ils mettent de l'argent.
07:31On va parler de bio et de collectivité locale dans un instant dans cette émission.
07:35Alors les régions et les partenaires locaux, oui, sont investis, mais il y a peut-être
07:40une sorte de coadaptation à inventer pour justement que ces filières se maintiennent
07:49sur leur territoire.
07:50Il y a aussi la question qui est renvoyée du côté des consommateurs.
07:55Déjà, ce sont des produits qui sont un peu plus chers, mais parce qu'on paye les services
08:00rendus par ces produits, on paye aussi une qualité.
08:05Mais la question, c'est au bout d'un moment, si ça restera quand même, qu'est-ce qu'on
08:09est prêt à payer pour le maintien de ces filières locales ?
08:12Mais tiens, vous parliez de services rendus, on peut développer ça, il faudrait valoriser
08:17les services rendus par ces filières ?
08:19Alors, on sait que ce sont des filières, en général, d'un point de vue environnemental
08:22qui sont plutôt exemplaires, on pourrait valoriser le fait qu'elles aident à stocker
08:29du carbone, qu'elles aident à mettre en place des circuits plutôt courts, plutôt
08:36verteux, à entretenir les paysages, que ce soit l'élevage ou que ce soit l'arboriculture.
08:42Donc, tous ces services pourraient être, en effet, rémunérés.
08:47Il y a des chercheurs de l'INRAE, notamment, qui travaillent là-dessus et qui avancent
08:52des pistes de travail où il y aurait une sorte de partenariat renouvelé entre tous
08:56les acteurs locaux et les bénéfices de ces filières seraient mis au service de l'investissement
09:05pour l'environnement et pour le maintien de ces filières.
09:08Il y a un dernier thème dont je voudrais qu'on parle, vous l'avez évoqué tout à
09:10l'heure et j'ai oublié de vous poser la question, mais on parle de cahier des charges
09:13et d'évolution du cahier des charges.
09:15Alors, comment faire évoluer le cahier des charges sans que ça devienne encore plus
09:18administratif, encore plus complexe, encore plus lourd ? Vous voyez ce que je veux dire ?
09:22Alors, les filières en question, toutes, nous disent oui, en effet, on va faire évoluer
09:28le cahier des charges, mais ils ont tendance à se plaindre quand même de la lourdeur
09:32des procédures.
09:33Parfois juste le titre.
09:34Ces procédures, quand même, les protègent aussi parce qu'ils le disent aussi, la clémentine
09:39de Corse, c'est 65 points de contrôle, mais ils ne s'en plaignent pas parce qu'ils
09:44disent que c'est ça qui fait que la clémentine de Corse n'a rien à...
09:48Oui, ça les protège aussi de ceux qui voudraient faire de l'après-fausse clémentine.
09:53De la concurrence espagnole, par exemple.
09:55Donc, ils sont en train de toute façon de réfléchir avec l'INAO, qui est l'organisme
10:01un peu qui chapote toutes ces appellations, sur une façon quand même d'assouplir et
10:06de rendre un peu plus rapide ces adaptations de cahier des charges pour ne pas avoir à
10:12demander des dérogations dans un moment de crise, comme ça a été le cas en 2022, parce
10:17que c'est très très lourd, déjà pour les...
10:19C'est très lourd d'un point de vue de la charge de travail, du stress et de la charge
10:23administrative, et d'anticiper le plus possible les changements et les impacts du changement
10:29climatique.
10:30Merci beaucoup Sylvain Trottier.
10:31Merci Thomas.
10:32Et à bientôt.
10:33On continue de parler de notre agriculture.
10:34Comment les collectivités, justement, peuvent s'aider, s'associer, soutenir l'agriculture
10:42bio ?