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00:006h-9h, Europe 1 Matin.
00:04Bonjour Henri Guaino.
00:05Bonjour.
00:06Merci d'être en direct pour la grande interview sur CNews et sur Europe 1.
00:10François Bayrou a dévoilé lundi son gouvernement.
00:14Quel regard vous portez sur cette équipe ?
00:16Est-ce que vous êtes de ceux qui disent « enfin des poids lourds dans ce gouvernement »
00:20ou plutôt c'est les revenants comme certains l'estiment ?
00:24D'abord un mot sur la façon dont ça s'est passé
00:27parce que je pense que ça va peser sur l'image du gouvernement.
00:31On a assisté pendant plusieurs jours à une espèce de grand marchandage
00:36entre les partis, chacun comptant le nombre de ministres qu'il allait caser dans le gouvernement.
00:42Je pense que ce spectacle, dans les circonstances actuelles,
00:44n'a pas amélioré la relation des Français à la politique et à la classe politique en général,
00:50de droite, de gauche, du centre.
00:54Deuxièmement, on aurait peut-être pu éviter de former un nouveau gouvernement
00:58un jour de deuil national.
01:00C'est une erreur d'avoir nommé ce gouvernement le jour du deuil national ?
01:03Je pense que c'est une faute.
01:05C'est une faute qui n'a pas l'air de troubler le microcosme politique
01:10ni l'actualité en continu.
01:13Mais quand même, c'est très rare le deuil national.
01:17Le président de la République prend sur lui de décréter un deuil national.
01:22Il y a des dizaines, on ne sait pas encore très bien combien, de victimes,
01:26des milliers de blessés à Mayotte.
01:30Je pense que la moindre des choses eût été de sanctuariser cette journée,
01:36alors qu'on a passé la journée à attendre le gouvernement
01:39et non pas à penser aux maoris.
01:42Je pense qu'on n'a pas fait le geste et on n'a pas mis sur ce geste
01:46ces paroles qu'il fallait pour manifester ça depuis le début de la crise à Mayotte,
01:52manifester notre solidarité, notre compassion à nos compatriotes maoris,
01:59dont je rappelle, contrairement aux mots du président de la République,
02:02ils sont en France, ils sont de la France,
02:05c'est-à-dire qu'on ne peut pas leur dire heureusement que la France vous aide.
02:09N'ayez pas à dire ça aux habitants des Alpes-Maritimes.
02:11Votre référence au déplacement du président de la République sur place
02:13qui avait dit qu'ils étaient plus aidés que le reste des pays dans l'océan Indien.
02:18Oui, mais ce n'est pas un pays, ce n'est pas une colonie, c'est un département français.
02:22Je pense qu'il aurait eu besoin d'un peu plus de respect et de considération.
02:26C'était l'occasion de le faire.
02:28Bon, ça n'a pas été fait.
02:29Si on en revient au gouvernement, l'une des nominations les plus commentées,
02:32c'est celle de Gérald Darmanin.
02:33Il a effectué ses premiers pas en tant que ministre de la Justice hier,
02:36déplacement à Amiens, puis dans l'Oise.
02:38Il va former avec Bruno Rotaillot un tandem poli-justice que l'on n'a pas vu depuis longtemps.
02:44Au moins, les violons seront accordés entre les deux hommes qui se connaissent d'ailleurs.
02:48Est-ce que vous estimez qu'ils sont en mesure de faire bouger les lignes
02:51sur des sujets qui sont très importants pour les Français,
02:54les sujets de sécurité, d'immigration, de réponse pénale ?
02:56D'abord le tandem.
02:58Tous les deux sont des hommes politiques expérimentés.
03:03Gérald Darmanin a une longue expérience ministérielle depuis l'arrivée d'Emmanuel Macron à l'Elysée.
03:09Je ne suis pas certain que c'était le meilleur endroit où le nommer.
03:15Il a pu occuper beaucoup de postes dans le gouvernement.
03:19Ce n'était pas le meilleur endroit.
03:20Pourquoi ? Parce qu'il y a quand même un problème symbolique, je trouve,
03:23à nommer l'ancien ministre de l'Intérieur,
03:26avec toutes les tensions que celui-ci a pu avoir avec la justice,
03:32avec à la fois le garde des Sceaux, les magistrats, etc.
03:36On se souvient des manifestations qu'il participait, de la police contre la justice.
03:43Il faisait son travail de ministre de l'Intérieur.
03:45Défendre les policiers était son rôle.
03:47Mais le nommer au ministère de la Justice,
03:52ce n'est pas forcément un message de conciliation et d'apaisement envoyé aux magistrats.
03:58Or, je suis un de ceux qui pense que la réforme de la justice est nécessaire,
04:05que devant le caractère assez erratique, parfois difficilement compréhensible,
04:12des jurisprudences, quel que soit le domaine,
04:15qu'elles soient vis-à-vis des politiques, vis-à-vis des voyous,
04:20il y a des réformes à faire, des décisions à prendre dans ce domaine.
04:24Mais la meilleure façon d'y arriver, c'est plus dans la réflexion apaisée que dans la provocation.
04:32C'est un peu une provocation.
04:34Vous pensez que c'est une provocation, la nomination de Gérald Darmanin ?
04:36Je pense que ce sera ressenti par une partie de la magistrature comme une forme de provocation.
04:42Est-ce qu'il faut céder à une forme de chantage d'une partie de la magistrature ?
04:44Le problème, c'est que le garde des Sceaux ne dirige pas la magistrature.
04:47On a vu ce qu'ils ont fait à Dupont-Moretti,
04:50avec l'accusation qu'ils ont portée contre lui,
04:58qui a été jugée, j'assire heureusement, par la Cour de justice de la République,
05:08et non par un tribunal correctionnel.
05:11Il ne suffit pas d'avoir un garde des Sceaux qui dit, qui se déplace, qui fait des déclarations,
05:18pour que la justice change.
05:20C'est un problème de réforme en profondeur.
05:23Et puis c'est aussi un problème de réforme, et ça, ça vaut pour les deux,
05:26de notre système juridique, de la hiérarchie des normes juridiques.
05:31Je veux savoir si la loi française doit l'emporter,
05:34au moins quand elle est postérieure aux traités et aux conventions internationales,
05:39sur les conventions internationales, les directives européennes,
05:42les jurisprudences de la Cour de justice, ou pas.
05:44Or, ça n'est pas le cas, et ça, ça ne va pas changer.
05:47Justement, c'est très intéressant ce que vous dites.
05:48Est-ce qu'on a encore les moyens d'agir sur un certain nombre de sujets ?
05:51Vous avez parlé des instructions de l'Union européenne,
05:55des juridictions extra-nationales,
05:58en tout cas qui dépendent de l'Union européenne.
06:01Est-ce qu'on a encore la possibilité d'agir sur des questions de sécurité,
06:04de fermeté, de réponse pénale ?
06:06Deux exemples pour faire réfléchir tout le monde, que je répète sans arrêt.
06:09Le premier, c'est la promesse de rétablir le délit de maintien irrégulier sur le territoire.
06:17Ça n'est pas possible, ça n'est pas la peine de le promettre.
06:20Ça n'est pas possible sans changer la hiérarchie des normes,
06:22parce que c'est une jurisprudence de la Cour européenne de justice que nos juridictions appliquent.
06:28Et d'ailleurs, ce délit a été supprimé du droit français,
06:32parce qu'il n'était plus ni appliqué, ni applicable par nos juridictions.
06:35Voilà, donc on ne va pas le rétablir avec une simple loi.
06:38Deuxièmement, par exemple, le refoulement aux frontières,
06:41c'est un principe qui a été exclu par l'Union européenne.
06:47D'ailleurs, Mme Mélanie s'y est heurtée aussi quand elle a voulu envoyer en Albanie des milliers de réfugiés.
06:55Et donc, ça n'est pas la peine non plus de promettre ça par une simple loi,
06:59par des textes législatifs, encore moins par des circulaires.
07:02Donc, il faut changer notre constitution si nous voulons sortir de ce qui est, à mes yeux,
07:09une des causes de la crise profonde de la démocratie que nous traversons.
07:13Parce qu'on est empêchés par des décisions qui ne sont pas du ressort de nos dirigeants.
07:16C'est ça qu'il faut expliquer.
07:17Mais ils ne sont pas du ressort de nos dirigeants, parce que personne ne veut changer les choses.
07:21C'est-à-dire, par exemple, nous n'avons jamais ratifié un traité dans lequel il était écrit
07:28que la loi française était inférieure, dans tous les cas, aux conventions internationales et aux textes européens.
07:37Mais c'est une jurisprudence de la Cour de justice.
07:42Pendant des décennies, jusqu'en 1975 pour la Cour de cassation et jusqu'en 1989 pour le Conseil d'État,
07:48la loi française l'emportait dans leur jurisprudence quand elle était postérieure au traité.
07:54Alors après, ils sont revenus à une autre lecture de la Constitution.
07:57L'article 55 dit que les traités sont supérieurs à la loi.
08:00Cet article a été écrit dans un contexte radicalement différent.
08:03Le droit international n'avait pas du tout la même prégnance sur le droit interne.
08:06Mais maintenant, il faut changer.
08:09Et ça, c'est une question de volonté politique, à condition d'en avoir débattu avec les Français, d'avoir un mandat,
08:15et il faudra certainement passer par un référendum.
08:19Donc là, vous voyez le courage politique qu'il faut.
08:22Il faut pouvoir aller à la télévision, s'adresser aux Français et leur dire
08:27« Je vais utiliser l'article 11, procédure utilisée pour changer la Constitution en 1962 par le général de Gaulle,
08:34et même en 1969 pour le référendum de 1969.
08:37C'est vous qui allez trancher. »
08:41Parce que les juristes, le Conseil constitutionnel ont l'air de considérer
08:45qu'on ne change pas la Constitution de cette façon,
08:49qui oblige à avoir l'accord des deux chambres en même temps,
08:52puis après de passer devant le Congrès ou d'aller ensuite au référendum.
08:56Mais ça, c'est de la politique.
08:59Nous ne pouvons pas. La souveraineté...
09:01Il faut le décider.
09:02Il faut le décider.
09:03Il faudrait que le président de la République assume ce choix.
09:05Assume ça et que le peuple le tranche.
09:08Avec tous les enjeux en matière de construction européenne que cela représente.
09:12Mais si vous ne faites pas ça, il n'y a plus de responsabilité politique,
09:16il n'y a que des gens qui vous disent la veille des élections
09:18« je vais changer » ou qui se promènent partout en disant
09:21« vous allez voir ce que vous allez voir »
09:23et qui ensuite vous disent « j'y peux rien ».
09:25Donc plus de responsabilité politique, d'abord,
09:27et deuxièmement, les élections ne servent plus à rien,
09:29ou plus à grand-chose.
09:30Il faut que ça s'arrête.
09:32Il faut que ça s'arrête, mais il faut le faire dans un climat apaisé,
09:36en respectant un certain nombre de règles,
09:38et demander au peuple de trancher.
09:40La souveraineté, c'est le droit imprescriptible pour un peuple de dire non,
09:44c'est quelque chose qui ne s'abandonne pas,
09:47mais on peut renoncer à l'exercer, c'est ce que nous avons fait.
09:51Est-ce que nous continuons à renoncer à l'exercer,
09:53c'est-à-dire à être maître de notre destin par la voie de la démocratie ?
09:57J'aimerais qu'on revienne sur les conditions dans lesquelles
09:59François Bayrou a été nommé à Madignon.
10:01On a beaucoup raconté le bras de fer qu'il a opposé au président de la République.
10:05Certains décrivent aujourd'hui le chef de l'État comme isolé,
10:08comme ayant un peu perdu la main sur son deuxième mandat.
10:12Si vous deviez le conseiller, le président de la République,
10:15qu'est-ce que vous lui diriez aujourd'hui,
10:17pour justement tenter peut-être de reprendre un peu la main sur ce quinquennat ?
10:21D'abord, je me garderais bien d'être le conseiller d'Emmanuel Macron.
10:24Je pense que ses conseillers ont beaucoup de difficultés à le conseiller,
10:27parce que c'est quelqu'un qui décide par lui-même,
10:30en fonction, à le voir gouverner, de ses propres intuitions.
10:34Je crois qu'il ne reprendra pas la main.
10:38Je pense qu'il ne reprendra pas la main.
10:41Tout ce qu'il peut faire, c'est le mieux possible,
10:43exercer les prérogatives qui sont les siennes dans la situation actuelle.
10:48Vous savez, par exemple, on paye aujourd'hui le fait
10:51que le Nouveau Front Populaire, étant arrivé en tête en nombre de sièges,
10:55n'ait pas nommé tout de suite après les élections un candidat venu de la rang,
11:02qui aurait fait un gouvernement renversé par l'Assemblée sans doute très très vite,
11:08mais qui aurait levé cette hypothèque.
11:10Pour ne pas l'avoir fait, maintenant, on est toujours en face de cette critique d'illégitimité.
11:17L'illégitimité, d'ailleurs, qui se pose pour tous les gouvernements qui se succèdent,
11:21puisqu'ils n'ont pas la légitimité des urnes, ils n'ont pas de mandat,
11:24ils ne peuvent pas continuer de se comporter des gouvernements comme les autres.
11:29La légitimité, il faut la construire avec l'opinion.
11:33C'est difficile, et c'est plus long, plus compliqué que la légitimité du vote,
11:40et encore celle-ci, même celle-ci ne dure pas très longtemps face aux épreuves
11:46que les gouvernements rencontrent dans la situation actuelle de notre société et du monde.
11:51Mais je crois qu'aujourd'hui, il faut qu'ils laissent le gouvernement gouverner,
11:57que la question, elle est entre les mains du gouvernement, de l'Assemblée,
12:01d'un président qui ne doit pas gêner l'action gouvernementale, en rien, même pas par ses déclarations.
12:10Et quand certains estiment qu'il doit partir, qu'il doit quitter l'Elysée, qu'est-ce que vous en pensez ?
12:15D'abord, je pense qu'il ne partira que sous la pression,
12:18et que s'il partait sous la pression, ça en serait fini de la fonction présidentielle dans la Ve République.
12:26En fait, tout bout à bout, et ça en couronnement, ce serait la fin de la Ve République,
12:32ce serait exactement ce qui s'est passé au début de la IIIe République,
12:35les lois constitutionnelles de la IIIe République donnaient des pouvoirs considérables au président de la République,
12:40y compris le pouvoir de dissoudre.
12:42Et puis, il y a eu le 16 mai 1877, qui arrive au terme d'une crise institutionnelle,
12:49parce qu'il y a un président de la République de droite, le maréchal de MacMahon,
12:54et puis une chambre qui est élue très à gauche.
12:57Et on connaît le mot de Gambetta, le président doit se soumettre ou se démettre,
13:02et ça finit par la défaite du président,
13:04et après, il n'y a plus eu de président de la République qui puisse faire autre chose qu'inaugurer les chrysanthèmes
13:10pendant toute la IIIe République.
13:12Il ne faudrait pas que ça arrive.
13:16Maintenant, la pression peut devenir très très forte,
13:18si le toboggan ministériel s'engage, comme il s'est engagé sous la IVe,
13:23on est au même...
13:24Est-ce que François Bayrou peut être le dernier Premier ministre d'Emmanuel Macron ?
13:26Est-ce que la chute éventuelle de François Bayrou peut entraîner le président ?
13:29Tout est possible, mais honnêtement, je ne souhaite pas, ça n'est pas une solution.
13:34Je sais bien que beaucoup de gens veulent mettre les institutions de la Vème République par terre,
13:37mais pour quoi faire ? Pour revenir à la IVe, à la IIIe,
13:40pour revenir à toutes les républiques qui ont fini dans le désastre et dans le drame ?
13:45Dans la situation actuelle, il faut préserver ces institutions,
13:50mais cela peut arriver, la pression peut devenir très forte,
13:53parce qu'il n'est pas exclu que ce gouvernement,
13:56et puis même d'autres qui suivraient, soient engagés sur ce toboggan.
14:00On est déjà, en deux ans, à une moyenne qui est celle de la IVe République.
14:04La IVe République, c'est des gouvernements en moyenne de six mois, quand on fait le compte.
14:07Et là, on en est au quatrième gouvernement en deux ans.
14:10Merci beaucoup, Henri Guaino, d'avoir répondu à mes questions ce matin.
14:13C'était votre grande interview en direct sur CNews et sur Europe.