Anne Fulda reçoit Élise Boghossian pour son livre «Les sacrifiés. Au cœur de la tragédie arménienne» dans #HDLivres
Category
🗞
NewsTranscription
00:00Bienvenue à l'heure des livres, Élise Boghossian, on est ravis de vous recevoir.
00:05Alors vous avez déjà écrit quelques livres, vous vous êtes engagée dans l'humanitaire à travers une ONG, Élise Care,
00:11qui vient en aide aux victimes en zone de guerre.
00:14Vous l'avez fait en Irak, en Syrie, en Jordanie, en Ethiopie, en Ukraine, vous apportez aide médicale et psychologique.
00:20Et vous venez de publier Les Sacrifiés, au cœur de la tragédie arménienne, un livre qui est paru chez Plon,
00:26un livre qui mêle histoire personnelle et histoire de ce pays, l'Arménie.
00:32Qu'est-ce qui vous a décidé à écrire et à aborder, justement, cette parenthèse plus personnelle ?
00:40Merci, Anne, pour votre accueil. J'ai été extrêmement bouleversée pendant la guerre de 2020,
00:46la guerre foudroyante des 44 jours qui a conduit à la perte du Haut-Karabakh, de l'Atsar arménien.
00:54Et quand on voit ce qu'était l'Arménie, le royaume d'Arménie, qui est cette première nation chrétienne du monde,
01:01qui est située dans le sud du Caucase, mutilée, grignotée, toujours par les mêmes tortionnaires,
01:08je ne pouvais pas rester à rien faire. Il arrive un moment où l'indignation, l'injustice, la colère,
01:15en fait, est telle que lorsqu'on m'a proposé de raconter l'histoire de mon peuple et de mon pays,
01:21c'était le bon moment. Ça arrivait pile au moment où je voulais, en plus, témoigner de mon expérience.
01:26Vous faites une plongée, effectivement, dans votre histoire familiale. C'est très touchant, c'est bien écrit.
01:32Ça part aussi de vous parler du sac de votre grand-mère, que vous redécouvrez, le sac noir, rigide, à Reims,
01:39où vous trouvez un dé à coudre, et ça vous fait revenir pas mal de souvenirs, parce que vous avez grandi,
01:44vous parlez du bruit des machines à coudre. C'était votre berceuse ?
01:50C'était ma berceuse. Je m'endormais avec le bruit de la machine à coudre. Je me réveillais avec le bruit de la machine à coudre.
01:55J'ai toujours vu mon père avec son dé, des aiguilles, du fil partout, des bouloges partout.
02:04Ma mère, pareil, puisqu'ils travaillaient ensemble. Et j'ai grandi au milieu des machines.
02:08On se cachait avec mon frère sous les machines, ma sœur aussi.
02:14Cette machine à coudre symbolise tellement. C'est le travail, c'est l'intégration, c'est le labeur des Arméniens,
02:20et puis c'est toute la tradition derrière.
02:24Vous parlez aussi de votre grand-père, que vous n'avez pas connu, mais qui est Zadig,
02:30qui est un personnage absolument pivot, fondamental, parce que vous racontez son histoire, terrible,
02:36et pourtant sa résilience, ce mot qui est un peu galvaudé, mais qui lui correspond,
02:43puisqu'il a 20 ans, en 1915, lorsqu'elle génocide. Ses deux parents meurent.
02:49Et vous racontez les atrocités dont on n'a pas idée, en fait, quand on ne connaît pas vraiment l'histoire de l'Arménie.
02:56Il y a eu des choses monstrueuses, des massacres.
03:00Oui, et puis je ne voulais pas raconter cette histoire d'un point de vue victimaire.
03:04Je ne voulais pas montrer les Arméniens comme des victimes.
03:07J'ai toujours détesté l'idée d'être victime, de porter l'histoire d'un vaincu,
03:12et je voulais montrer mon grand-père comme un miraculé, mais comme aussi un héros.
03:17Et l'expression que donnent les Turcs aux Arméniens rescapés et leurs descendants,
03:22on les appelle les restes de l'épée, j'ai voulu raconter son histoire, sa trajectoire,
03:28et ensuite celle de mon père. Et c'est vrai que derrière tous les drames qu'il a vécus,
03:34j'ai toujours senti d'abord sa présence, et puis dans la famille, son image, sa mémoire,
03:40sa photo dans le salon étaient tout le temps là.
03:42Et ma grand-mère, qui m'a élevée, me racontait son histoire tout le temps.
03:46Après, il a fallu coller les morceaux pour raconter tout ça dans une chronologie.
03:51Mais oui, j'ai beaucoup aimé partager ça, et puis raconter la guerre de l'Altsar d'aujourd'hui,
03:58à la lumière de 2015.
04:00Oui, parce que les deux sont entremêlés.
04:02C'est la même, c'est le même génocide qui se poursuit.
04:05Une interrogation, pourquoi cette histoire se répète, continue, de ce peuple monde que vous dites ?
04:10Elle se poursuit depuis 1915, et puis c'est toujours la même chose lorsqu'un crime n'est pas puni.
04:15Lorsqu'en plus derrière, il y a un négationnisme et un déni de ce crime,
04:20il s'en nourrit et il s'amplifie, et c'est ce qui se passe dans le cadre des Arméniens.
04:25Et ce qui est terrible dans le cadre des Arméniens,
04:27c'est que non seulement il y a eu ces grignotages de territoires massifs tout autour,
04:31on est entouré de frontières hostiles, d'ennemis mortels,
04:35et puis il y a ce négationnisme, la réécriture de l'histoire,
04:39de l'inversion accusatoire tout le temps,
04:42et puis encore plus cruel que ça, la destruction du patrimoine
04:45et tout ce qui représente la présence des Arméniens sur ces terres-là depuis toujours.
04:49Les Arméniens, peuple monde de la longue durée,
04:52qui sont comme les Iraniens, les Russes, les Chinois, les Juifs, les Grecs,
04:57les six peuples mondes de la longue durée qui ont, pendant des milliers d'années,
05:02maintenu vivante leur langue, leur culture, leur tradition, leur religion.
05:07Et les Arméniens en font partie et aujourd'hui sont menacés.
05:10Et je voulais tout ça, de raconter avec deux chemins parallèles,
05:141915 et 2020, et la perte de l'Altsar.
05:18Pour moi, c'est évidemment la même histoire.
05:20Et puis je voulais aussi la raconter à ceux qui ne connaissent pas l'Arménie.
05:24Alors, vous le racontez très bien.
05:26Juste dernière question.
05:28En 2020, quand vous partez en Arménie suite à l'attaque de l'Azerbaïdjan,
05:35il y a le Covid, les élections américaines, ce n'est pas la priorité,
05:38mais quand même, il y a des humanitaires qui se mobilisent.
05:41Aujourd'hui, quatre ans plus tard, on voit qu'il y a une forme de désintérêt.
05:46La COP 29 vient de se passer en Azerbaïdjan.
05:50Qu'est-ce que ça vous inspire de voir ça ?
05:53Vous avez l'impression qu'il y a une forme d'injustice ?
05:56De perversité.
05:58La COP 29 s'est située à quelques kilomètres de là où se trouvent des prisonniers politiques,
06:03des réfugiés, des prisonniers politiques qui sont pris en otage dans les prisons de Bakou.
06:09Et puis, il y a toute cette réelle politique qui est absolument injuste,
06:15qui est inadmissible, qui est insoutenable pour nous.
06:18Avec la pression de la Turquie.
06:20Avec la pression de la Turquie, avec la guerre en Ukraine
06:22qui a créé une fragilisation de la Russie dans la région du Caucase,
06:26ce qui fait que finalement l'Azerbaïdjan,
06:28qui est devenu le partenaire un peu plus fiable de l'Europe
06:31et qui permet à l'Europe d'acheter tous les hydrocarbures,
06:35fait qu'on se met à genoux et on se tait devant ce type de crime.
06:40En tout cas, c'est à lire.
06:42Vraiment, c'est un très beau livre, je vous le conseille.
06:44Ça s'appelle Les Sacrifiés, au cœur de la tragédie arménienne.
06:46C'est paru chez Plon.
06:48Merci beaucoup, Élise Boghossian.
06:50Effectivement, on parle de géopolitique, d'histoire, d'histoire familiale
06:53avec des portraits assez gays aussi.
06:55Vous parliez de votre grand-mère tout à l'heure,
06:57et une femme autant couleur.
06:59Et vraiment, je vous conseille ce livre.
07:01Merci beaucoup.
07:02Merci, merci Anne.
07:05Sous-titrage Société Radio-Canada