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Aurore Clément, comédienne, est l'invitée de Léa Salamé pour évoquer la série “Ça, c’est Paris”, diffusée à partir de mercredi sur France 2, mais aussi et surtout son parcours de vie incroyable, d'une famille pauvre et marquée par les drames à une brillante carrière au cinéma. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-interview-de-9h20/l-itw-de-9h20-du-lundi-25-novembre-2024-9232422

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Transcription
00:00Et oui, je suis très heureuse de vous recevoir. Bonjour, Aurore Clément.
00:04Bonjour, Léa.
00:06Bienvenue sur France Inter. Je suis très heureuse de vous recevoir.
00:08D'abord, c'est la première fois que je vous rencontre.
00:10Et puis, quelle vie, quelle carrière et quelle vie quand même vous avez eue.
00:14Quand on s'y plonge, c'est ahurissant.
00:16On va en parler. Mais d'abord, si vous étiez un livre, un réalisateur et une ville, vous seriez qui ?
00:22Vous seriez quoi ? Un livre d'abord.
00:24Un livre, on va dire Chantal Ackermann, parce qu'on la connaît comme cinéaste, mais on ne la connaît pas très bien comme écrivaine.
00:31Et là, elle sort trois livres en même temps, dont Une famille à Bruxelles.
00:35Et là, en ce moment, je suis en train de faire des lectures au musée du Jeu de Paume, de ces trois livres.
00:40De ces trois livres. Elle sort des livres. Vous parlez d'elle au présent.
00:45Elle ne me quittera jamais.
00:50Et d'ailleurs, je précise qu'il y a l'exposition Chantal Ackermann à Paris, au Jeu de Paume, jusqu'au 19 janvier.
00:55On va en parler longuement de Chantal Ackermann.
00:57Si vous étiez un réalisateur ?
01:00Si j'étais un réalisateur aussi, j'aimerais Tarkovski.
01:05Tarkovski, pourquoi ?
01:07Parce que d'avoir fait André Roubleff et tourné pendant trois ans ou quatre ans dans un régime communiste avec pas d'argent, rien du tout, et d'être malade, et d'avoir fait un film aussi fort, aussi puissant.
01:26Oui, Tarkovski. J'aurais aimé le rencontre d'ailleurs.
01:29Une ville ?
01:30Los Angeles.
01:31Pourquoi ?
01:34Parce que c'est le pays de la liberté.
01:38Et Los Angeles, parce que ce n'est pas qu'Hollywood, ce sont des gens qui travaillent beaucoup, énormément.
01:47Et puis, quand on perd l'Europe, on oublie l'Europe quand on est là-bas.
01:57Vous avez vécu 30 ans à Los Angeles.
02:00Avec des allers-retours, beaucoup d'allers-retours, mais une attirance.
02:05Il faudrait lire le livre de Baudrillard, America, aussi.
02:10Il y a quelque chose, il y a la perte, la fuite, et puis il y a l'espoir, et puis c'est le Pacifique.
02:17Et c'est très, très, très, très difficile de parler de l'Amérique, d'abord.
02:25De Los Angeles, oui.
02:27Mais aussi, il ne faut pas oublier qu'il y a une Amérique profonde, aussi.
02:35Ce n'est pas que Santa Barbara et tout cela.
02:38Et qu'on s'y perd.
02:42Il faut faire très attention, ça peut être dangereux.
02:44Alors, on va revenir sur vos années américaines, on va revenir sur tout ça.
02:48D'abord, je voudrais dire un mot.
02:50Sur Ça, c'est Paris, c'est la nouvelle série des créateurs de 10% qui arrive sur France Télé,
02:55qui sera diffusée mercredi soir.
02:57Ça, c'est Paris, vous jouez aux côtés d'Alex Lutz, de Monica Bellucci, de Nicolas Mori, de Charlotte de Turcay.
03:02Alex Lutz est le gérant du Tout Paris, un cabaret emblématique de Paris,
03:06qu'il a hérité de son père, mais qu'il a planté, qu'il n'a pas su gérer.
03:09Le cabaret est au bord de la faillite, il est prêt à le vendre,
03:12mettant un dernier coup de chance, créer une nouvelle revue qui permettra peut-être
03:15au cabaret de survivre et de retrouver le succès.
03:18Et vous, vous jouez, Aurore Clément, une ancienne meneuse de revues,
03:22excentrique et capricieuse, un peu méchante.
03:25Ça vous a plu de jouer ce rôle ?
03:27Elle aussi, elle a vécu plus de 30 ans à Las Vegas et elle rentre à Paris.
03:33D'ailleurs, elle a cette phrase « j'ai quitté Paris, c'était la ville de l'amour, je reviens, c'est la ville du vélo ».
03:37C'est un peu aussi… ça vous ressemble ?
03:40Ça me ressemble en ce sens.
03:42La raison pour laquelle, d'abord, j'ai accepté de jouer le rôle,
03:45parce que je faisais cette sublime rencontre avec ce grand metteur en scène Marc Fitoussi.
03:50C'est, je crois, la première raison, avant tout.
03:53Et puis, il y avait quelque chose derrière qui me…
03:58pas qui m'amusait, mais qui me faisait quelque chose au cœur.
04:03C'est que je peux très bien imaginer cette femme qui est partie très jeune
04:07pour essayer de devenir une danseuse à Las Vegas.
04:11Elle a tout essayé.
04:13Puis finalement, je crois que cette femme, elle n'a pas réussi du tout
04:16et qu'elle jouait aux machines à sous.
04:20Et quand ils l'ont fait revenir pour faire cette menace de cabaret,
04:26en fin de compte, ils ne la voulaient pas vraiment, je pense.
04:32Et puis, ils l'ont rejetée d'une façon très cruelle.
04:35Et cette femme, alors je ne dirais pas qu'il y a quelque chose de moi,
04:39mais dans tous les rôles que l'on joue, il y a forcément quelque chose de vous,
04:42c'est-à-dire de notre nature humaine, en l'occurrence féminine, moi.
04:47Mais c'est une femme, à mon avis, qui a fui,
04:51qui n'est pas partie totalement de son gré,
04:54qui a tenté de faire quelque chose.
04:58Et souvent, on fuit pour pouvoir revenir.
05:01Elle, non.
05:02Elle est revenue parce que son fils l'a redemandée
05:06et qu'elle n'avait pas vu son fils depuis 30 ans.
05:09Et qu'elle a pensé qu'elle pourrait continuer à danser,
05:13que le temps n'était pas passé.
05:14Et le temps est passé.
05:15Et ça, c'est la série, ça c'est Paris,
05:18qui sera diffusée mercredi soir sur France 2.
05:20Mais c'est vrai, je vais vous dire la vérité,
05:22on est très heureux de vous inviter ce matin pour parler de votre vie.
05:25Il y a quelque chose de mystérieux et de mythique dans votre carrière,
05:28notamment Aurore Clément.
05:29Votre CV est assez fou, vous avez joué dans plus de 90 films et pièces de théâtre,
05:33Lacombe-Lucien, Le crabe-tambour, Les rendez-vous d'Anna,
05:36Apocalypse Now, Paris-Texas, Marie-Antoinette.
05:39Vous avez joué avec les plus grands, Francis Ford Coppola,
05:42Wim Wenders, Louis Malle, Chantal Ackermann, vous en parliez.
05:45Elle est vertigineuse votre carrière
05:47et pourtant rien ne vous prédestinait à avoir une telle carrière dans le cinéma.
05:52Rien ne vous prédestinait à aller ni dans le cinéma, ni dans la littérature,
05:55ni rien du tout, quand on regarde d'où vous venez.
05:59Il faudrait passer beaucoup de temps à ça
06:02et ça serait peut-être intéressant dans une certaine façon
06:05parce que ça ressemble beaucoup aux enfants qui ont perdu leur famille.
06:09Ça a commencé très tôt parce que j'étais entre deux,
06:13élevée par une tante qui était couturière, qui n'avait pas d'argent,
06:17et une maman qui était infirme et qui travaillait dans les champs.
06:21Alors il y avait ces deux choses opposées
06:23et finalement quand j'habitais chez cette tante
06:26qui travaillait la couture, les manteaux de fourrure,
06:31et finalement de ces deux femmes qui revenaient des camps,
06:35j'ai appris le beau avec cette tante.
06:39Et avec ma mère, j'ai appris le travail, aller dans les champs,
06:43travailler les pommes de terre, etc.
06:47Et puis surtout la solitude.
06:49La solitude, parce que vous avez grandi dans un petit village près de Verdun.
06:54Votre père était un petit agriculteur sans argent qui travaillait aussi à l'usine.
06:58Votre mère était infirme, elle était sourde, et elle travaillait aux champs.
07:02Et vous aussi, en sortant de l'école, vous alliez aux champs
07:06pour cueillir les pommes de terre, pour les trier.
07:10Il n'y avait rien quoi.
07:13Il ne faut pas oublier que c'était après la guerre, l'ère de rien,
07:16et qu'on vivait de ce qu'on cultivait.
07:20Et on avait un cochon aussi qu'on tuait une fois par an.
07:23Donc on se nourrissait, on vivait de cela.
07:25On ne se posait pas de question de l'argent.
07:27L'argent n'existait pas.
07:29L'argent n'existait pas.
07:31Et il n'y avait ni chauffage, ni douche, ni télé, ni livre.
07:35Vous parlez dans la célèbre série du Monde, Je ne serai pas arrivée là,
07:41vous dites qu'il n'y avait pas de bonheur.
07:43C'était une enfance triste et solitaire, il n'y avait rien du tout.
07:46C'était la misère totale et la solitude.
07:48Je crois aussi, maintenant que je regarde tous ces...
07:55C'était l'ennui, j'étais isolée.
07:59Je n'avais pas le droit de sortir du jardin et d'avoir une copine, rien du tout.
08:04Mais je pense que, je me demande,
08:08c'est peut-être pas mal que les enfants s'ennuient.
08:13Le fait que les enfants s'ennuient, là il faudrait développer tout ça,
08:18fait qu'il y a quelque chose de l'imagination.
08:22On invente, on imagine, etc.
08:25Difficile d'imaginer dans un petit village.
08:28Mais on laisse parler l'imagination,
08:30et peut-être que les enfants ne s'ennuient pas assez aujourd'hui.
08:33Oui, je pense, c'est ça.
08:34Peut-être.
08:35Vous avez 17 ans quand arrive ce qui est la première tragédie de votre vie.
08:38Votre père, malade du cancer, meurt littéralement dans vos bras.
08:42Oui.
08:43Et ça, ce sera l'événement fondateur, au fond.
08:46Oui, c'est-à-dire que ça arrive à beaucoup de gens,
08:49enfin beaucoup, évidemment, des millions et des millions.
08:51Oui, mon père meurt à 17 ans dans mes bras, à 11 heures du soir,
08:56et ma mère est infirme, et ma petite sœur,
08:59et je ne sais pas quoi faire.
09:00La seule chose que je sais faire, c'est que je cours dans le petit village,
09:04et je dis, mon père est mort, mon père est mort.
09:07Ça veut dire qu'à partir de ce moment-là, je prends conscience,
09:12je me reconnais, je vais me reconnaître,
09:18et je vais me reconnaître en ce sens que je vais prendre les décisions pour ma mère,
09:23pour ma petite sœur, et je vais aller travailler à l'usine,
09:26et je vais faire.
09:27Vous allez faire.
09:28Vous avez compris ce jour-là, à ce moment-là, que vous aurez le devoir de faire.
09:33Et toute votre vie, vous aurez ce devoir de faire.
09:35Parce qu'ensuite, trois ans après, votre petite sœur va mourir d'une grossesse extra-utérine,
09:41puis il y a votre mère qui mourra cinq ans après.
09:44Et toute votre vie, vous avez transporté cette tristesse intérieure,
09:49et en même temps, ce devoir de faire et ce devoir de vivre.
09:52Oui, ce devoir de vivre, ce devoir de faire,
09:55ce devoir et en même temps, il faudrait encore du temps, travailler.
10:02Je pense que je faisais ça pour que mon père soit fier, je ne sais pas où il est, etc.
10:09En fait, je ne me posais pas la question.
10:11Il fallait faire.
10:13Il fallait faire.
10:14Ça commence par l'usine.
10:15Sauf que, voilà, un beau jour, vous lisez Paris Match,
10:18et dans Paris Match, il y a une annonce pour une agence de mannequins,
10:22pour l'agence de mannequins la plus connue d'ailleurs à l'époque.
10:25Catherine Harlet, c'est ça.
10:27Et là, vous vous dites, pourquoi pas moi ?
10:29Oui, je vais y aller.
10:30Vous prenez votre voiture et vous montez à Paris.
10:32Oui, je prends ma voiture, je monte à Paris.
10:34Ma voiture n'avait pas de siège, donc j'ai mis des chaises que j'ai accrochées avec des cordes.
10:38Je suis allée passer à Choiseul, voir Catherine Harlet.
10:41Je suis arrivée dans ce bureau magnifique,
10:43avec des jeunes filles d'une beauté insensée,
10:45qui faisaient 1m80, etc.
10:47Je me suis présentée devant Catherine Harlet,
10:49et j'ai dit, Madame, je voudrais devenir covergirl.
10:53Je voudrais faire les couvertures des magazines, pas seulement mannequins.
10:55Je voulais pas faire des défilés.
10:57Non.
10:58Je voulais être la couverture des magazines.
10:59Et là, qu'est-ce qu'elle vous dit ?
11:00Elle m'a répondu, mais vous n'y songez pas, mon petit.
11:02Retournez à votre usine, je vous assure que vous n'êtes pas faite pour ça.
11:05Elle a pris un crayon, elle a soulevé ma robe.
11:07Elle m'a dit, vous voyez bien que ce n'est pas possible.
11:09Alors que je n'étais ni grosse, ni rien du tout.
11:11J'ai dit, oui, Madame, je vous remercie.
11:13Je suis repartie.
11:15Je n'ai pas pleuré.
11:16Je suis restée très calme.
11:18Un mois après, elle m'a appelée.
11:20Elle m'a dit, peut-être parce que vous avez des hanches et de la poitrine,
11:23vous pourriez faire des catalogues de la Redoute.
11:26Et vous le faites.
11:27Et vous gagnerez un petit peu plus d'argent que vous pourriez donner à votre maman.
11:30J'ai dit, oui, d'accord.
11:31J'ai quitté l'usine avec beaucoup de difficultés.
11:34Je suis allée faire les catalogues.
11:36En gagnant quoi ?
11:37200 euros par mois.
11:39En tout cas, je les donnais à ma mère.
11:40Et puis, tout de suite après, je suis retournée voir Catherine Arlet.
11:43Je lui ai dit, je veux Vogue.
11:45Mais ce n'est pas ça que je veux, moi, Madame.
11:47Je veux être en couverture de Vogue.
11:49Mais elle m'a dit, vous n'y songez pas.
11:51Vous ne pourrez jamais.
11:52J'ai dit, si, si, si, je vais y arriver.
11:54Et six mois plus tard, vous faisiez la couverture.
11:56J'étais sur toutes les couvertures de Vogue.
11:58Vous êtes devenue une très, très grande capitale.
12:00Mais tout ça, très calmement.
12:04Parce que j'avais construit Petite fille en étant élevée par ma tante couturière, etc.
12:11Le beau, c'est...
12:13Et puis, je me suis inventée.
12:15J'avais trois livres avec moi.
12:17J'avais Ingrid Bergman.
12:19J'avais Marine Le Monroe et Greta Garbo.
12:22Vous aviez acheté les trois livres sur ces femmes.
12:25Et vous aviez décidé d'être elle.
12:27Oui, d'être elle.
12:29Et d'ailleurs, c'est très étonnant.
12:31Je vous ai pris Ingrid Bergman.
12:33Un extrait d'une de ses interviews.
12:35Où elle parle de la chance.
12:37Elle aussi venant d'une famille pauvre et triste.
12:41Elle aussi baladant sa tristesse intérieure et réussissant grâce au cinéma et au théâtre.
12:46On l'écoute.
12:47Lorsque vous faites le bilan de votre vie, vous avez toutes les raisons d'être satisfaite, Ingrid Bergman.
12:53Oui, j'ai eu de la chance dans la vie.
12:55Est-ce que c'est seulement de la chance ?
12:57Non, on a une chance.
12:59Et ça, c'est déjà beaucoup.
13:00Parce que beaucoup de monde n'a pas une chance.
13:02Et on voudrait bien les aider.
13:05Alors, j'ai eu de la chance.
13:08J'étais très seule et très triste.
13:10Et très timide quand j'étais enfant.
13:13Mais après le moment que je rentrais à l'école dramatique, ma vie a changé.
13:19Parce que j'étais tellement effrayée partout.
13:21Mais le monde du théâtre, ça c'était un monde qui me...
13:25C'était à moi.
13:26Alors je me sentais chez moi.
13:28Comme vous.
13:29Comme vous.
13:30Ça m'a fait penser à vous.
13:32Jusqu'au moment où mon agent m'a dit
13:38« Mais maintenant tu vas rencontrer un metteur en scène qui est Louis Mal. »
13:41J'ai dit « Louis Mal, mais je ne suis pas une comédienne, c'est pas possible. »
13:44Il m'a dit « Ecoute, tu vas aller le rencontrer. »
13:46Il vous a repéré dans elle.
13:47Il m'a repéré dans elle et il voulait vous voir.
13:50Et là, malheureusement, le temps presse, je regarde l'heure.
13:53Et ça m'ennuie parce qu'il y a tellement de choses à dire de vous.
13:56Louis Mal va vous apprendre le cinéma.
13:58Ça va commencer par Lacan-Blussien.
14:01Gros succès, populaire.
14:03Et puis ça va s'enchaîner ensuite.
14:05Il y aura Coppola, Apocalypse Now.
14:07Vous allez vivre ces deux ans de folie avec Marlon Brando,
14:10avec Martin Chin qui devient drogué, qui c'est la folie absolue.
14:13C'est là que vous allez rencontrer votre mari.
14:14Il y aura Milos Forman aussi avec qui nous aurons une histoire pendant quatre ans.
14:17Il y aura Wim Wenders et Paris Texas.
14:19J'aimerais tous les dire, tous les faire.
14:21Mais je voulais aussi citer...
14:23Parce qu'il y a un livre que j'avais vu il y a deux ans,
14:26que vous aviez sorti, un livre de photos de vous,
14:28de Peter Viss, le photographe.
14:30C'est très important, vous l'avez ramené.
14:32Mais il fut votre amant lui aussi.
14:35Et ces photos folles d'une séance photo où vous pleurez,
14:38où vous vivez, où vous riez.
14:39Ce livre-là, je le conseille, il est là avec vous.
14:42Merci de l'avoir ramené.
14:43Je l'ai gardé pendant 30 ans.
14:45Partout où je voyageais, je l'avais avec moi.
14:47Et puis un jour, j'ai rencontré cet écrivain Mathieu Terrence
14:50qui voulait écrire quelque chose.
14:51Je lui ai présenté ce livre.
14:52Il m'a dit, mais pourquoi vous n'en faites pas quelque chose ?
14:54J'ai dit, mais je ne sais pas quoi en faire.
14:56Il m'a dit, mais je l'ai pendant 30 ans dans mes valises.
14:59Mais pourquoi l'avez-vous dans mes valises ?
15:01Parce que c'était mon passé qui était là, mon enfance.
15:03Votre enfance, justement, je voudrais revenir
15:05juste sur ce moment très bouleversant.
15:07La sortie de Lacombe-Lucie, un premier film où vous êtes.
15:10Et votre mère, qui est infirme et presque sourde,
15:13qui vient vous voir au cinéma.
15:15Qu'est-ce qui se passe dans ce moment-là ?
15:17Alors, je vais la chercher à la gare du Nord.
15:21Elle arrive avec une jupe plissée,
15:23une couverture que j'avais prise chez Air France,
15:25où il y avait encore écrit le nom Air France.
15:27Je vois qu'elle est habillée comme ça.
15:29Je me dis, mais mon Dieu, c'est la catastrophe.
15:31Je l'emmène avec moi au cinéma.
15:32C'était la première.
15:33Il y avait là, comme on dit, le tout Paris.
15:36Louis Valle, les producteurs, etc.
15:39Elle est assise au premier rang avec moi.
15:41Le film passe, etc.
15:43À la fin du film, elle tombe par terre dans les pommes.
15:46Je suis apeurée, effondrée, gênée, etc.
15:51On la relève et je lui dis, mais pourquoi ?
15:56Elle me dit, de t'avoir vue, c'est une chose,
15:59mais de t'avoir entendue.
16:01Elle avait entendu son enfant.
16:09Voilà, c'est magnifique.
16:11Et des anecdotes comme ça, émouvantes,
16:13il y en a plein quand on lit votre vie.
16:16Je ne sais plus par où prendre les bouts,
16:18mais ce n'est pas grave.
16:19C'est très beau.
16:20D'ailleurs, cet article du Monde dont j'ai parlé
16:24est très beau.
16:25Vous racontez tout ça.
16:26J'espère que vous écrivez vos mémoires
16:27parce qu'on a envie de les lire.
16:28J'essaie d'écrire.
16:30J'essaie, j'essaie.
16:31Mais quelquefois, je les mets à la poubelle.
16:33Mais j'essaie, j'essaie.
16:34Mais c'est de passer par les autres.
16:36C'est de passer par les autres,
16:39par les enfants perdus du monde.
16:43En se faumant aussi.
16:45Et c'est ça qui m'intéresse.
16:47C'est ça qui vous intéresse.
16:49D'enfants, vous n'en avez pas eu.
16:51Non.
16:52Vous dites d'ailleurs, ça n'a jamais été un regret.
16:54Sauf maintenant, peut-être que j'aurais bien aimé avoir un petit garçon.
16:56Ah oui, maintenant, j'aurais bien aimé avoir un petit garçon.
16:58Oui.
16:59C'est venu très tard.
17:00Mais finalement, vous vous êtes créé des familles de substitution à la vôtre.
17:03Il y a eu l'Ecopola.
17:04Vous êtes très proche encore d'Ecopola.
17:06Il y a eu Jean-Pierre Rassam, Carole Bouquet,
17:08de Michel Rassam dont vous êtes la marraine.
17:12Et puis, je voudrais revenir à Chantal Ackermann.
17:15Parce que c'est quand même votre soeur d'âme.
17:17Chantal Ackermann qui vous fera jouer dans les rendez-vous d'Anna.
17:20C'est Delphine Séric qui lui conseille de vous prendre.
17:22On l'écoute.
17:23Je voulais entendre sa voix ce matin.
17:25C'est vrai que c'est Delphine Séric qui va vous acconseiller d'engager Aurore Clément ?
17:28C'est vrai, oui.
17:29Elle m'a dit, quand elle a lu le scénario,
17:31j'avais pensé à Aurore.
17:32Elle m'a dit, cours voir Aurore.
17:34C'est vraiment une actrice pour le rôle et qui te plaira.
17:38Et puis, c'est vrai.
17:39Je pense que l'aventure que nous avons vécue,
17:41Aurore et moi toutes les deux pendant huit semaines,
17:44a été une des plus belles que j'ai vécue dans ma vie.
17:46Donc, vous allez retourner avec elle ?
17:48Oui.
17:49Je le sens.
17:50Je voudrais juste que vous nous expliquiez très rapidement
17:53pourquoi Chantal Ackermann est si importante.
17:56Qu'est-ce qu'elle a représenté aussi ?
17:58Et pourquoi cette rencontre d'âme que vous faites,
18:00comme vous le dites très joliment ?
18:02Juste pour quelqu'un qui ne connaitrait pas Chantal Ackermann.
18:05Je passais ma vie avec Chantal et sa famille, sa mère.
18:12Chantal Ackermann ne me disait qu'un mot quand on travaillait.
18:15Pas de psychologie, Aurore.
18:17Pas de psychologie.
18:19Chantal Ackermann, c'est 25 ans de travail ou 30 ans, je ne sais plus.
18:28C'est difficile de parler de Chantal.
18:34Ce n'était pas une intellectuelle comme on pense.
18:39Et puis, Chantal, au début, ce qui est amusant, pour finir,
18:43c'est que quand elle m'a vue la première fois,
18:45elle m'a dit « Vous êtes beaucoup trop mignonne pour jouer mon rôle. »
18:48Vous étiez trop belle pour elle, finalement.
18:50Elle a bien fait de vous prendre.
18:52Vous aviez envie de nous lire un petit texte.
18:54Est-ce que vous l'avez ?
18:56Les gens ne voient pas, mais vous avez ramené toute votre maison avec vous.
18:59Il y avait toute une valise de feuilles.
19:01Un tout petit texte, si c'est possible.
19:03Il est à votre gauche.
19:05Alors, c'est le dernier chapitre du livre de Chantal.
19:08Non, ce n'était pas ça que je voulais.
19:10C'était un texte de Dagermann.
19:13Oui, un texte de Dagermann.
19:15Vous l'avez ou non ?
19:17Un de mes préférés.
19:19Je précise aussi que vous allez jouer bientôt,
19:22ça va sortir dans les films d'Alice Vinocur et de Rebecca Zlotowski.
19:25Vous avez des rôles.
19:27Oui.
19:29En attendant de trouver le texte.
19:32La seule chose qui vaille le prix d'une vie,
19:35c'est l'amour qu'on a pour l'autre.
19:38Il n'y a rien d'aussi beau que les premières minutes de solitude
19:41avec celui qui pourrait nous aimer,
19:43avec celui que l'on pourrait aimer.
19:45Il n'y a rien d'autre d'aussi silencieux que ces minutes,
19:48rien d'aussi saturé et de suave attente.
19:51C'est pour ces quelques minutes qu'on aime,
19:53et non pour toutes celles qui suivront.
19:55Ils savent que rien d'aussi beau ne leur arrivera.
19:57Ils seront peut-être plus joyeux,
19:59plus ardents et infiniment plus satisfaits.
20:02Chacun par son propre corps et par celui de l'autre.
20:05Mais plus jamais ce ne sera aussi beau.
20:08Stig Dagermann.
20:10Merci beaucoup, Aurore Clément, d'avoir été avec nous.
20:12Il n'y a plus le temps pour les impromptus,
20:14ce n'est pas grave, mais il y avait encore mille questions.
20:17La série, ça s'appelle « Ça c'est Paris »,
20:19c'est mercredi soir sur France 2.
20:21Et l'expo Chantal Ackermann au Jeu de Paume.
20:23Je crois que j'ai à peu près tout dit.
20:24Il en manque beaucoup.
20:25Merci et belle journée.
20:26Merci Léa.

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