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Fanny Brun, glaciologue, lauréate du prix jeune chercheur du Collège de France, est la nouvelle tête de Mathilde Serrell. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/nouvelles-tetes/nouvelles-tetes-du-mercredi-13-novembre-2024-9505559

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00:00Mathilde Serrel, ce matin votre invitée à 33 ans, elle s'apprête à recevoir le prix
00:05des jeunes chercheurs et chercheuses au Collège de France, la glaciologue Fanny Brun est dans
00:11notre studio.
00:12Bonjour Fanny Brun, avant d'être compilée dans des vidéos YouTube ASMR, c'est le bruit
00:26de la neige qu'on vient d'entendre.
00:27Il vous a marqué, enfant, dans la région de Grenoble où vous avez grandi.
00:32Est-ce que parti comme on est, on l'entendra plus que dans des vidéos YouTube ce bruit
00:36de neige.
00:37Question alarmante.
00:38Oui, question alarmante et d'actualité, comme 29 oblige, avec la COP actuellement
00:46à Bakou.
00:47Le futur de la neige, il est plutôt assez triste, surtout pour les montagnes autour
00:55de Grenoble à altitudes modestes.
00:59C'est vraiment sur les moyennes altitudes qu'on s'attend à avoir des hivers de
01:04moins en moins enneigés et surtout de plus en plus d'hivers sans neige.
01:09Maintenant c'est dit, en tout cas c'est votre rôle de nous donner ce baromètre là,
01:14de savoir le mesurer.
01:15Enfant, vos parents, ils travaillaient pour Météo France, ils faisaient même le bulletin
01:19neige.
01:20Alors, pas tout à fait le bulletin neige.
01:23Ils sont à la retraite désormais.
01:27Ils sont à la retraite mais ils ont travaillé pour Météo France, notamment sur la neige.
01:30Et tout à fait, oui.
01:31Alors, qu'est-ce qui vous a déclenché, vous, l'envie de montagne, le contact avec
01:36la neige et la science, la relation avec la science ?
01:39L'envie de montagne, évidemment, d'avoir grandi dans cet environnement qui est incroyable.
01:44Moi, j'ai eu la chance d'apprendre à faire du ski tout enfant, de connaître la neige
01:49à quasiment tous les Noëls et puis après, de découvrir l'alpinisme, les glaciers
01:54et puis de découvrir vraiment ces paysages incroyables.
01:59Mais c'est vrai que ce qui m'a conduite à être chercheuse, c'est vraiment ma passion
02:03pour les sciences et en fait, au cours de mes études, j'ai pris le goût des maths,
02:09de la physique, de la SVT et en fait, c'est ça qui est quand même ce qui me définit
02:15aujourd'hui.
02:16Et vous avez découvert un jour qu'il existe un métier, on pouvait faire des sciences
02:19à très très haut niveau et en plus être dans la montagne, c'était glaciologue.
02:23Donc ça, c'était pour vous, vous êtes une des plus brillantes chercheuses de votre
02:27génération, vous êtes chargée au sein de l'Institut des géosciences et de l'environnement
02:31de Grenoble, chargée de recherche.
02:32Parmi vos nombreuses récompenses, vous avez reçu l'année dernière le prix de l'International
02:37Glaciological Society, on a envie de les rencontrer.
02:40Tout à l'heure au Collège de France, vous recevrez donc ce prix pour les jeunes chercheurs
02:44et jeunes chercheuses dans le domaine des sciences de la nature.
02:47Prix qui va récompenser, je cite, « l'excellence de votre parcours et le caractère novateur
02:51de vos contributions à la recherche publique ». Vous êtes spécialiste des glaciers
02:55himalayens et alpins.
02:57Pourquoi on dit que les glaciers, ce sont les gardiens du climat ?
03:01Les glaciers aujourd'hui, c'est vraiment les grands témoins du réchauffement climatique.
03:06Je ne vais pas donner beaucoup de chiffres ce matin, mais juste un chiffre peut-être
03:11à garder en tête.
03:13Quand on regarde les changements des glaciers pour les Alpes de 2000 à 2020, ils ont perdu
03:19environ 35% de leur masse.
03:21Et donc quand on a ce chiffre en tête, ça nous fait toucher du doigt que ces glaciers
03:27que vous, moi, on a connus dans le passé, à l'horizon 2100, les Alpes seront entièrement
03:34déglacées et les glaciers ne seront plus là.
03:37Et donc tous les paysages d'ici la fin du siècle vont être transformés ?
03:40Tout à fait.
03:41Les paysages qu'on a connus, que nos parents, que nos grands-parents ont connus, les générations
03:47suivantes ne les connaîtront pas.
03:48Et à ce stade, c'est irréversible ?
03:50À ce stade, c'est irréversible dans le sens où dès lors qu'on dépasse l'accord de Paris,
03:56et en fait on se dirige vers dépasser l'accord de Paris, parce qu'on a appris la semaine
04:01dernière que depuis un an, la température moyenne est au-delà de 1,5 degré de plus
04:08que l'ère industrielle.
04:10Donc l'accord de Paris va être virtuellement dépassé dans les années qui viennent.
04:14Et dès lors qu'on dépasse l'accord de Paris, on se dirige vers des pertes de masse pour
04:21les Alpes qui sont de 80 à 100%.
04:23Vous avez quand même des années qui sont meilleures que d'autres pour les glaciers ?
04:2780 à 100% ?
04:2880 à 100% !
04:29T'as rien appris ?
04:30Si on dépasse l'accord de Paris, il n'y a plus de glaciers à l'horizon 2100 ou vraiment
04:36des petits glaciers reliques à très haute altitude.
04:39C'est très très déprimant, c'est ce qu'il s'appelle jeter un froid.
04:44C'est pour ça que j'essayais de dire que quand même parfois, il y a des années meilleures
04:48que d'autres.
04:49Par exemple 2022 est une année catastrophique pour les glaciers, 2024 s'annonce meilleure.
04:55Alors 2024, c'était l'année du bonheur des glaciologues, on a eu un hiver qui était
05:00abondant en haute altitude, au-dessus de 2000 mètres d'altitude, on a eu un neigement
05:05excédentaire.
05:06Sur certains glaciers, c'est quasiment des records d'accumulation hivernale qu'on mesure
05:11au printemps 2024.
05:12On a un été qui est quand même plutôt pourri pour le commun des mortels, nous on était
05:18joyeux !
05:19Ils étaient en joie !
05:22Habillés dans nos plus belles polaires au Quechua, à Grenoble, tout allait bien !
05:28Il fait mauvais !
05:29Et donc ça, pour nous, on se dit super, et en fait 2024, le bilan de masse des glaciers
05:35est quand même négatif.
05:37C'est-à-dire que maintenant, on est dans un climat qui est tellement réchauffé que
05:40même les années où la variabilité climatique est favorable aux glaciers, on a quand même
05:45une perte de masse.
05:46Donc c'est une bonne année, mais elles vont continuer à être mauvaises même si les années
05:50sont bonnes.
05:51Comment est-ce qu'on explique ces variations ?
05:52Ces variations, c'est tout simplement le réchauffement climatique qui est très, très
05:58nocif pour les glaciers.
05:59Et qu'est-ce qui fait qu'on a une bonne année soudain ? Qu'est-ce qui fait que soudain
06:02il fait plus frais ? Est-ce que ça permet aux climato-sceptiques parfois de dire que
06:07les rapports du GIEC sont exagérés ? On l'a vu notamment pendant la campagne législative
06:13en France.
06:14Oui, les climato-sceptiques, ils confondent souvent météorologie et climat.
06:18En fait, c'est des concepts qui ne sont pas si accessibles au final, donc c'est normal
06:23que les gens les confondent.
06:25Après, ce qui n'est pas normal, c'est que des gens profitent de cette confusion pour
06:29développer un agenda beaucoup plus politique.
06:32Par contre, la météorologie est intrinsèquement très variable.
06:38On a des années froides, des années chaudes.
06:40Par contre, ce qui est établi de façon très consensuelle dans la communauté scientifique
06:45et qui est régulièrement synthétisé dans les rapports du GIEC, c'est que quand on
06:49regarde des tendances sur plusieurs années, on a un réchauffement qui est très établi
06:55et indubitablement lié aux activités humaines et notamment les ressources.
06:58C'est inéluctable ce que vous dites.
07:00Vous le dites de manière très calme, très posée.
07:02C'est vrai qu'on le sait ce que vous dites, mais la manière dont vous le dites, c'est
07:06différent.
07:07Parce qu'il n'y a pas d'hystérie, c'est calme, c'est posé, c'est comme ça.
07:11C'est inéluctable ? Les glaciers en 2100, c'est fini ?
07:16Les glaciers des Alpes, c'est fini.
07:19Après, pour les glaciers à l'échelle mondiale, le message actuellement de l'ensemble des
07:25glaciologues, c'est que chaque demi-degré de réchauffement compte et il y a des régions
07:31beaucoup plus englacées que les Alpes.
07:33Par exemple, on pense à l'Alaska, à la Patagonie, à l'Asie.
07:37En fait, pour ces régions, selon la trajectoire climatique, on se dirige vers des pertes
07:43de masse de l'ordre de 40-50% si on respecte l'accord de Paris et des pertes de masse
07:49de l'ordre de 75% si on va dans des climats plus chauds.
07:53C'est une variable dans le moins pire qui existe.
07:56Tout à fait.
07:57Donc pour les grandes régions englacées, on peut encore préserver des glaciers, mais
08:01ça, ça implique de diminuer très fortement les émissions de CO2.
08:04Et voilà pourquoi on dit que les glaciologues sont les meilleurs ambassadeurs sur le climat
08:09parce qu'ils en parlent parfaitement et avec la symbolique la plus précise, la plus
08:13concrète, j'espère, pour nos auditeurs.
08:15Bravo pour cette médaille que vous recevrez au Collège de France tout à l'heure et
08:18bonne route à vous, Fanny Brun.

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