Lisa Hazan, romancière est l'invitée Nouvelle Tête de Mathilde Serrell ce mercredi 2 octobre. Son premier roman "Shabbat noir " est sorti le 21 août dernier (Ed. des Equateurs)
Retrouvez Nouvelles têtes présenté par Mathilde Serrell sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/nouvelles-tetes
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00:00Classe aux nouvelles têtes, il est 8h51, avec vous Mathilde Serrell, ce matin votre
00:05invitée écrit 83 fois le mot « peur » dans son premier roman, Lisa Hazan est dans notre
00:12studio.
00:13Vous me demandez de raconter un peu ma vie, sur le pretexte que j'en ai une, je n'en
00:17suis pas tellement sûr, parce que je crois surtout que c'est la vie qui nous a, qui
00:22nous possède, après on a l'impression d'avoir vécu, on se souvient d'une vie à soi, comme
00:27si on l'avait choisi, personnellement je sais que j'ai eu très peu de choix dans
00:31la vie, que c'est l'histoire, au sens le plus général et à la fois le plus particulier
00:37et quotidien du mot, qui m'a dirigé, qui m'a en quelque sorte embobiné.
00:42Lisa Hazan, bonjour, vous avez 22 ans, romain Gary, qu'on vient d'entendre, est l'écrivain
00:47dans lequel vous vous réfugiez toujours ? Oui, c'est mon écrivain préféré.
00:51Surtout lorsque l'histoire décide pour vous, vous diriez ça ? Oui, c'est un peu la même
00:57chose là avec mon roman, parce qu'on a l'impression qu'on est pris par l'histoire.
01:01Le 7 octobre 2023, l'histoire est entrée ou revenue avec grand fracas dans votre chambre
01:08d'étudiante en littérature et sciences humaines à Paris.
01:10Vous vous réveillez dans le fracas de la guerre, oui le massacre des civils israéliens
01:14par les terroristes du Hamas.
01:15Vous êtes loin de votre famille qui est en Israël et votre papy vous demande comment
01:19se fait-il que ton ventre ne t'ait pas prévenu ? Le récit de ce 7 octobre vécu dans vos
01:25tripes, celle d'une étudiante juive parmi tant d'autres, vous dites, c'est le récit
01:29de ce qui s'est passé en vous au moment du 7 octobre et de ce qui a infusé depuis.
01:33Vous en avez fait ce premier roman extrêmement fort, Chabatte Noire, aux éditions des Équateurs,
01:37et un an plus tard, ce que vous décrivez à la page 17 est là.
01:41Une drôle d'odeur planée, une odeur de catastrophe, elle envahissait tous les recoins
01:45de ma chambre et peut-être même du monde.
01:47On y sentait Israël, on y sentait Gaza, on y sentait la Cisjordanie, on y sentait l'Iran
01:52aussi, le Liban, le Proche-Orient en général et encore l'Europe, les Etats-Unis et d'autres
01:57pays.
01:58C'était l'odeur de la guerre, de la tension, de la peine.
02:01Vous avez relu ces lignes depuis l'année qui s'est écoulée et notamment ces frappes
02:07de missiles près de 200 hier qui sont partis de l'Iran vers Israël ?
02:11Oui, malheureusement, aujourd'hui, presque un an après, c'est toujours d'actualité,
02:17c'est terrifiant ce qui est en train de se passer.
02:20Hier soir, justement, j'avais très peur parce que toute ma famille était dans les
02:23abris et donc oui, on se réfugie dans l'écriture, dans les livres.
02:28Dans Romain Garry, dont vous avez l'impression qu'il écrit pour vous ?
02:32Oui, c'est ce que vous dites.
02:34Vous avez aussi besoin qu'on vous pose cette question, est-ce que vous avez appelé vos
02:38proches ? Parce que vous, au lendemain de cet octobre, vous le racontez dès le début
02:41du livre, vous êtes dans le métro, vous postez sur les réseaux des photographies d'amis
02:45israéliens dont vous n'avez pas de nouvelles et vous recevez aussitôt des messages haineux
02:49« Arrête avec ta propagande, c'est bien fait pour les israéliens, le Hamas n'a rien
02:52de terroriste si tu le condamnes, c'est que t'es une hypocrite, les politiques soutiennent
02:55Israël juste parce que le Hamas, c'est des musulmans et que les juifs ont toujours été
02:59une minorité privilégiée en France ». Tout ça, ce sont des messages de camarades de
03:02lettres qui sont en cours avec vous, c'est votre histoire, ce livre, comment vous avez
03:07vécu cette période et est-ce que c'est le moment finalement que vous avez découvert
03:11que pour eux, vous étiez juive ?
03:13Oui, ça a été très violent parce que déjà le choc du 7 octobre, ça a été très violent,
03:17ça a été une vraie peine dans ma vie et je me suis rendu compte que ce qui moi me
03:24détruisait ce jour-là, ça réjouissait mes camarades de fac et ça, c'était incompréhensible
03:29et c'était très dur à vivre et puis surtout, même en essayant d'expliquer en fait, j'étais
03:35pas audible parce que j'étais juive, parce que j'étais israélienne et qu'on ne pouvait
03:40pas entendre ma peine et qu'on ne pouvait même pas entendre ce que j'avais à dire
03:43en fait, on s'arrêtait à ma religion, à ma nationalité et oui, ça a été tellement
03:48dur à vivre que c'est aussi pour ça que j'ai écrit le livre, pour pouvoir crier
03:50tout ce que j'avais envie de crier depuis le 7 octobre et qu'on me fasse pas taire
03:53au bout d'une phrase en me disant « t'es juive, on ne veut pas t'écouter, on ne
03:56veut pas entendre ce que tu as à dire et on se réjouit de ce qui doit te détruire ».
04:01Vous avez essayé de lancer l'alerte par rapport à votre situation, celle que vivaient
04:05aussi d'autres étudiants et étudiantes juives et puis effectivement, on va essayer
04:10de vous faire taire, un mois après le 7 octobre, vous avez écrit une tribune dans
04:14Mediapart « je vous en veux ». Vous en vouliez à peu près à tout le monde, je
04:22peux reprendre la liste, directeurs d'universités, de lycées, professeurs, vous leur en voulez
04:27de laisser la situation perdurer, de ne rien faire, vous en voulez aux autres étudiants
04:32qui se réjouissent pour votre peine, vous en voulez aux juifs qui se cachent, vous en
04:36voulez à tous ceux qui se taisent, vous en voulez à la population française toute
04:39entière qui ne voit pas ce qui est en train de se passer, c'est grave, vous êtes toujours
04:44dans ce même état.
04:45J'en veux peut-être moins au monde entier, parce qu'il y a quand même quelques personnes
04:50qui osent parler, donc je les remercie, mais oui, je trouve qu'il y a une grande lâcheté
04:58chez le corps enseignant et une grande hypocrisie aussi chez les profs de fac, etc. parce que
05:04tous les étudiants juifs alertent sur ce qui se passe, en fait on agonise littéralement
05:08devant eux, devant leurs yeux, sans qu'il n'y ait rien qui soit fait, donc c'est terrible,
05:14et j'en veux aux étudiants qui sont haineux, qui se permettent de défouler leur haine sur
05:18nous, c'est ce que je dis aussi à un moment dans le livre, c'est qu'ils ont l'impression
05:21qu'en nous détruisant, ils détruisent un gouvernement, mais non, on n'a rien à voir
05:24avec ce qui se passe, et j'en veux à ceux qui voient et qui se taisent et qui ne disent
05:28rien, il y a un moment où on n'a plus le droit d'être lâches.
05:31Vous, vous avez vécu en Israël de 2016 à 2022, vous avez été même soldate pour
05:37Tsaal, et vous avez fini par être virée.
05:40Oui, je me suis fait renvoyer de l'armée, après un an et quatre mois de service militaire,
05:45c'est pas très courant, c'était un peu à cause de mon comportement, parce que je
05:50respectais pas spécialement toutes les règles, puis parfois j'avais juste envie d'être
05:53une jeune, j'avais envie d'aller à la plage plutôt que d'être à ma base, et
05:57puis aussi parce que le service militaire c'est une période qui est éprouvante, j'en
06:00ai un peu dans mon livre, on est confronté à la guerre, on est confronté à la mort,
06:04on est confronté à des choses pas très belles qui se passent, et mentalement c'était
06:07devenu aussi trop dur pour moi.
06:08Grâce à vous, votre sœur finalement survit d'une certaine manière, parce qu'elle
06:12ne sera pas guetteuse comme vous, c'est le poste que vous occupiez, et il y aura une
06:17mort comme ça d'une série de, tout un groupe de guetteuses le 7 octobre.
06:21Vous avez écrit aussi un très beau texte sur la paix, parce que c'est un cri d'alerte,
06:26mais c'est aussi un cri qui rejoint celui d'autres collectifs dont on a parlé ici,
06:32les guerrières de la paix, d'Anna Assouline, le collectif Golem, il y a un très beau passage
06:37sur la paix dont je voudrais juste lire un extrait, « Parce que je veux la paix avec
06:40beaucoup de naïveté, peut-être que je veux la paix comme les jeunes qui ne connaissent
06:43rien à la vie, comme les artistes perchés, comme les déconnectés de la réalité, comme
06:47ceux qui ont été épargnés par la souffrance, qui l'ont vécu d'assez loin pour ne pas
06:51disjoncter ce qu'ils ne connaissent pas, c'est le monde pour savoir que ça ne marche
06:54pas comme ça, que c'est trop simple de vouloir la paix, qu'il faut choisir un camp, que sinon
06:58on lutte dans le vent, mais je m'en fous ». Malgré ce que vous vivez, vous combattez,
07:04vous êtes une combattante de la paix, c'est ça ?
07:06Je pense que c'est très important de lutter pour la paix, d'apporter aussi des voix
07:11apaisées, parce que la haine et la guerre ne nous ont jamais mené à rien, ça mène
07:14droit dans le mur, ça fait de la peine tout aussi bien à ceux qui reçoivent cette haine
07:18qu'à ceux qui l'éprouvent, et puis la guerre ça n'a jamais mené à rien, ni à la sécurité,
07:23ni à un apaisement, enfin, c'est quelque chose qui nous mène droit dans le mur, alors
07:28je pense que c'est très important de lutter pour la paix et de justement faire entendre
07:32les voix des militants pacifistes comme les guerrières de la paix, et d'essayer d'apporter
07:36une voix apaisée, c'est ce que j'essaye de faire avec mon livre en tout cas.
07:39C'est une voix déchirée et apaisée, en même temps, le Shabbat noir c'est magnifique,
07:43aux éditions Les Équateurs, Lisa Hazan, bonne route.
07:45Merci beaucoup.