Sensibiliser et former pour faire émerger un discours alternatif sur la réalité des territoires de montagne, c’est le défi que s’est donné Valérie Paumier. Alors qu’elle œuvrait pour l’attractivité de ces espaces, elle a créé l’association Résilience Montagne afin de démontrer que l’activité touristique n’y est plus viable.
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00:00L'invité de Smart Impact, c'est Valérie Pommier, bonjour.
00:09Bonjour.
00:10Bienvenue, vous êtes la fondatrice de Résilience Montagne, alors c'est quoi, c'est une association,
00:14c'est ça ?
00:15Oui, une association.
00:16Vous l'avez créée quand et pourquoi ?
00:17J'ai créée pour travailler l'impact du réchauffement climatique en montagne, causes
00:23et conséquences, et puis trouver des solutions quand il y en a.
00:26Vous l'avez créée, je crois, en 2018, vous êtes basée à Annecy, un mot de votre histoire
00:31personnelle ? J'ai presque envie de dire que vous êtes une repentie, est-ce qu'on peut
00:36employer ce terme-là ?
00:37Une transfuge.
00:38Une transfuge, oui.
00:39Expliquez-nous.
00:40Oui, je dis qu'il n'est jamais trop tard pour essayer de mieux faire, et ça me va
00:43bien.
00:44Je viens du milieu des affaires, j'ai œuvré à bétonner les montagnes, à investir en
00:50montagne, et à travailler l'attractivité des territoires de montagne d'un point de
00:53vue touristique, globalement.
00:55Voilà, donc j'ai fait partie du problème.
00:57Et la prise de conscience, elle date de quand ? Elle se fait comment, grâce à qui ?
01:03En 2016, ce n'est pas très vieux, j'assiste à une conférence aux mines à Paris, et
01:10un certain monsieur, Jean Covici, parle d'effondrement et d'impact carbone, et je le mets dans
01:18ma vie, et je me dis, mais en fait, je participe à ça, et je suis en train de scier la branche
01:24sur laquelle on est tous assis, et je ne peux plus vivre avec.
01:26D'accord, et donc il y a vraiment cette bascule, ce choix professionnel majeur de créer cette
01:35association.
01:36Vous formez, vous sensibilisez, quels sont vos leviers d'action ?
01:41Oui, sensibiliser, amener un débat contradictoire, ne pas laisser ce qu'on appelle les experts
01:47du ski, ou de la montagne, ou du tourisme, qui pour moi sont des lobbyistes en fait.
01:51J'aime bien amener le contradictoire sur la vérité des territoires de montagne, et
01:55puis conférences, débats, pas mal de lobbying, travail avec beaucoup d'associations en montagne
02:02qui s'érigent contre des projets anachroniques, des recours juridiques beaucoup, faire respecter
02:06la loi.
02:07Les recours ne sont pas militants, c'est juste de faire respecter la loi en fait, et voilà,
02:11tout ça.
02:12Comment vous êtes reçu ?
02:13Ce n'est pas toujours bien, j'imagine.
02:15Ça dépend par qui ? Dans certaines stations, je suis menacée de mort.
02:19Ah bon ?
02:20Oui, mais au moins c'est comme ça, la vérité est que quelquefois elle est dure à entendre.
02:23Et puis quelquefois plutôt bien, les grandes écoles, les étudiants sont très ouverts
02:30à ce genre de discussion, je suis pas mal appelée dans les grandes écoles, dans des
02:34cabines et ministériels, ils savent, mais ils ont besoin de données techniques par
02:38territoire.
02:39Les associations d'habitants, il y en a partout aujourd'hui en montagne, et ces gens-là
02:44ont besoin d'informations.
02:46Alors, ça ne me surprend qu'à moitié que vous puissiez subir des menaces, parce que
02:51ça existe là et ça existe dans d'autres secteurs et dans d'autres circonstances.
02:56Mais ce qui m'étonne en revanche, c'est peut-être le retard de prise de conscience.
03:02Je suis peut-être à côté de la plaque, mais ceux qui vous menacent, ils ne veulent
03:05rien voir ou alors ils sont conscients que c'est en train de changer et ils se disent
03:09de toute façon on n'a pas d'autre option ?
03:10J'ai dit, il y a tout en fait, il y a encore des personnes qui ignorent, il y a pas mal
03:15de climato-scepticisme en montagne.
03:16Quand on est dans un village reculé, dans un fond de vallée, qui donne l'info ? Un
03:22maire, un affairiste qui est là ? Il y a beaucoup de déni et le déni, je le comprends
03:26parce que la vérité fait peur.
03:28Les modèles vont s'arrêter.
03:30Et puis, il y a un besoin ou une envie de continuer comme avant parce qu'il n'y a pas
03:35de modèle de remplacement.
03:36Oui, mais il y a quand même tout ce qu'on voit.
03:39On habite en montagne, on voit les glaciers qui reculent.
03:44Il y a malheureusement des épisodes climatiques extrêmes de plus en plus fréquents.
03:52Parfois, pas toujours, mais de plus en plus violents, mais surtout de plus en plus fréquents.
03:57Mais en fait, il n'y a pas non plus de volonté politique de changer, de transformer, de transitionner
04:02ou d'adapter.
04:03On est plutôt dans un modèle politique de collectivité publique qui conforte le modèle.
04:09Les subventions, par exemple, vont pour conforter et fabriquer la neige.
04:13On ne parle pas réellement d'adaptation et de sécurité au sens propre du terme,
04:18qui est la sécurité des villages.
04:20Alors que vous dites qu'il faut sortir du modèle ?
04:22Il faudrait déjà.
04:24Mais sauf que c'est le modèle qui a apporté de la prospérité à ces territoires depuis
04:2860 ans.
04:29Et puis, qui rapporte de l'argent.
04:30Donc, comment parler transition quand ce modèle est aussi bénéficiaire pour quelques
04:34personnes ?
04:35Mais on n'a pas le choix.
04:36Qu'est-ce qu'on fait ?
04:37Est-ce qu'on attend d'être au bout du mur et les habitants des territoires vont devoir
04:41partir ?
04:42Est-ce qu'il n'y aura pas eu de planification ou d'hiérarchisation des besoins ?
04:46Qu'est-ce qu'il faut faire ?
04:47Autant en parler avant, plus on est en amont de la fin, à pouvoir au moins en discuter,
04:53plus on limite la casse.
04:54Parce que là, j'allais faire le parallèle avec la fermeture des mines.
04:57Sauf que la fermeture des mines, elle fermait et puis il n'y avait rien d'autre.
05:00Là, il y a des alternatives.
05:01C'est-à-dire qu'on peut, oui ou non d'ailleurs, inventer d'autres activités pour permettre
05:06quand même à la montagne de rester attractive et d'attirer du monde ?
05:09La montagne est devenue un produit comme un autre à vendre.
05:13Qu'est-ce qui remplacera le modèle du ski ?
05:17Rien.
05:18Rien ne rapportera autant d'argent que l'industrie du ski.
05:21Est-ce qu'il faut remplacer un modèle qui n'est pas si bon que ça et qui dépend d'une
05:27saisonnalité par un autre ?
05:29Est-ce qu'on doit étendre des saisons ?
05:32Est-ce qu'on doit plutôt parler habitabilité du territoire ?
05:35Parce qu'à plus 4 degrés, comme on nous dit de nous adapter à plus 4, qu'est-ce qu'on
05:38fait à plus 4 dans un village reculé quand il n'y a même plus d'autonomie alimentaire
05:42?
05:43En fait, la question, c'est l'habitabilité uniquement.
05:45Sur quels leviers on peut agir ?
05:48Qu'est-ce qui pollue plus dans le modèle actuel ?
05:51Ce que je vois d'ici, par exemple, quand on parle de sport, d'événements sportifs,
05:57c'est toujours les transports.
05:58Est-ce que c'est vrai aussi pour la montagne ?
06:00En fait, on est dans des villages qui sont les plus loin en temps et en kilomètres des
06:04premiers ravitaillements et des premiers accès.
06:05On n'est pas comme en Suisse où il y a un réseau ferroviaire hyper développé.
06:0960% des émissions viennent de la mobilité environ.
06:12Et il y a certaines destinations qui ont comme cible 80% de clientèles étrangères qui
06:19arrivent par avion.
06:20Donc ça, on le sait.
06:21C'est un fait.
06:22Et on va dire que c'est des données techniques.
06:23Le deuxième facteur des émissions, ce sont les passoires thermiques.
06:27Les plus de 3 millions de lits touristiques sont des passoires thermiques.
06:31On devrait aujourd'hui mettre le paquet sur la rénovation énergétique.
06:36Mais moi, je vois philosophiquement qu'on doit aujourd'hui parler de montagne et de
06:41contemplation, changer les récits, ne pas faire croire qu'il y a de la neige, ne pas
06:45vendre du ski à tout prix et puis faire aimer cette montagne telle qu'elle est aujourd'hui.
06:50Parce que le modèle économique de remplacement n'est pas là.
06:53Donc oui, il y a des leviers, mais ils sont politiques.
06:56Justement, vous parliez de la neige, faire croire qu'il y a de la neige.
07:00Ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'aujourd'hui, il y a des enjeux de partage de l'eau, d'assèchement
07:07des nappes phréatiques.
07:08De quoi on parle ?
07:09Quand on conforte le modèle du ski en montagne, on construit des bassines d'altitude pour
07:14fabriquer la neige.
07:15Les bassines, s'il y en a quelques-unes qui sont remplies par ruissellement, elles sont
07:18remplies par captage des sources et des temps.
07:20Les Alpes sont les châteaux d'eau douce et d'eau potable de l'Europe.
07:24Qu'est-ce qu'on fait de l'eau d'un point de vue hiérarchisation des besoins ? Sachant
07:27que la montagne, c'est aussi l'agriculture, il y a énormément d'agro-pastoralisme.
07:31Qu'est-ce qu'on fait de ça ? Et puis, d'un point de vue énergétique, combien coûte
07:34de fabriquer cette neige ? Et jusqu'où le modèle est rentable pour continuer à investir
07:40dans ce modèle ?
07:41On a 93% des Français qui ne skient pas, mais tous les foyers fiscaux qui contribuent
07:46à l'impôt paient ces infrastructures-là.
07:49C'est juste de poser la question de qu'est-ce qu'on fait de ce modèle ?
07:51Et donc, préparer la transition, mais préparer la transition vers quoi ? C'est-à-dire vers
07:56Forcément, j'essaie de me projeter, parce que moi, j'aime bien sortir des discours
08:01qui sont anxiogènes ou culpabilisateurs, et on est un peu dans ce modèle-là depuis
08:06quelques minutes.
08:07Je comprends très bien qu'il faille faire le constat, mais on se projette vers quel
08:10modèle ? Ça veut dire quoi ? C'est forcément des territoires moins peuplés, moins économiquement
08:18rentables.
08:19Vous voyez ce que je veux dire ? C'est quoi le modèle ?
08:22Alors, si c'est anxiogène...
08:23Parce qu'il faut aussi donner envie, quoi.
08:24Alors, en fait, oui, parce que le discours peut-être beau, oui, c'est anxiogène, parce
08:28que la réalité, les faits sont là.
08:30Quand on voit un glacier fondre, c'est plutôt anxiogène, parce que c'est notre eau potable
08:33qui se barre quand même.
08:34Vers quoi aller ? Plus on construit de lits touristiques, plus les villages se dépeuplent.
08:40C'est-à-dire que le modèle n'est pas bon, en fait.
08:42Il y a une gentrification énorme, les prix sont tellement élevés que les habitants
08:45eux-mêmes s'en vont.
08:47Quand on parle aujourd'hui d'impact du réchauffement climatique, on devrait se désaisonaliser
08:52d'une industrie qui va s'arrêter, c'est logique, en fait.
08:54C'est-à-dire repeupler des villages à l'année et trouver, par territoire, parce que la solution
08:58n'est pas bonne partout, par territoire, quelle est la jauge d'habitants permanents, de quoi
09:04on vit.
09:05Et ça, ça passe par des moratoires, précisément, comme des petites conventions citoyennes
09:08du climat, mais par territoire.
09:10À 1000 mètres, on ne parle pas du même phénomène et des mêmes problématiques à 2500 mètres
09:15d'altitude.
09:16Et c'est ça qu'on devrait au moins mettre en place, au moins de la discussion entre
09:20tous les acteurs économiques, et puis se dire que l'histoire est belle, puisque la
09:24page est blanche.
09:25Finalement, l'histoire est à réécrire, elle ne sera peut-être pas aussi prospère
09:32financièrement, mais est-ce qu'on a le choix ?
09:34Merci beaucoup Valérie Pommier, c'était passionnant de découvrir votre travail avec
09:39Résilience Montagne pour sensibiliser au futur de, tiens d'ailleurs, un tout petit
09:45mot quand même, parce que j'allais oublier, il y a les JO d'hiver en 2030.
09:50C'est le vieux modèle qu'on continue de promouvoir, ou alors c'est l'occasion de
09:54commencer à promouvoir le changement à transition ?
09:57Alors, changer le modèle, en injectant des milliards dans ce modèle, sachant qu'il
10:06est mort, je ne suis pas sûre que ce qu'on rende service au territoire de montagne va
10:09faire croire, on va devoir faire croire en 2030 au monde entier qu'il y a de la neige
10:13partout et que les paysages sont magnifiques, avec une fin à ce modèle.
10:19Moi je ne suis pas sûre qu'on rende service au territoire de montagne et qu'on puisse
10:22parler transition en confortant ça en fait.
10:25C'est dommage parce que si on budgette 4-5 milliards dans ce truc-là, on devrait, sans
10:31condition de JO, plutôt parler adaptation avec ces 4-5 milliards, parce qu'aujourd'hui
10:35les montagnes s'écroulent littéralement, les cours d'eau sortent, il y a des crues
10:40torrentielles partout, et finalement je me dis que si les JO 2030 ont lieu, ce sera
10:44une bonne nouvelle, ça voudrait dire que les fonds de vallée sont toujours accessibles
10:47et qu'il n'y a pas eu d'éboulement majeur qui ne permette plus d'atteindre les villages.
10:51Merci beaucoup Valérie Pommier, résilience montagne, on passe tout de suite au zoom
10:56de ce Smart Impact.