• il y a 6 mois
Camille Morvan, cofondatrice de Goshaba et chercheuse en neurosciences, partage dans SMART WOMEN ses connaissances sur les inégalités de genre. Elle insiste sur le fait que le problème est structurel et requiert une réponse systémique. L’experte revient aussi sur trois biais cognitifs qui favorisent ces inégalités : le biais du monde juste, le biais de la méritocratie et le biais naturaliste.

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Transcription
00:00Bonjour Camille Morvan. Bonjour Mecler. Alors merci d'être avec nous Camille. Alors Camille, vous avez plusieurs cordes à votre arc, je peux dire, puisque vous êtes à la fois chercheuse enseignante, c'est-à-dire que vous êtes intervenue dans des endroits tout à fait prestigieux, Harvard, NormalSup, etc.
00:20Vous êtes également entrepreneur, vous avez co-créé et dirigé GoShaba, donc une entreprise qui faisait de l'accompagnement recrutement à base justement, je le dis justement parce que je parlais d'IA, mais à base de gamification de machine learning.
00:34Et puis vous êtes également conférencière et vous êtes une spécialiste en fait de tout ce qui est sciences cognitives et tout ce qui est notamment biais cognitif.
00:42Vous êtes particulièrement bien placée pour être notre grand témoin du jour et votre vision sur la position des femmes au sein du monde économique, elle est nourrie à la fois de votre expérience personnelle,
00:52mais à la fois des études que vous avez menées et bien sûr vous êtes convaincue qu'il n'y a aucune raison légitime pour que les femmes ne soient pas à l'égal des hommes.
00:59Donc vous allez nous expliquer tout ça. Néanmoins, la situation est ce qu'elle est, c'est-à-dire que nous n'avons toujours pas des femmes à leur juste place, donc à l'égalité avec les hommes.
01:07Donc pourquoi ? Quelle est votre analyse sur la raison pour laquelle nous en sommes là ?
01:13Déjà merci beaucoup pour l'invitation. J'ai fait dix ans de recherche en sciences cognitives, dix ans d'entrepreneuriat comme vous l'avez dit.
01:21Je suis souvent invitée pour parler de la sous-représentation des femmes dans différents milieux, que ce soit en science où il n'y a pas assez de femmes CEO, pas assez de femmes fondatrices, etc.
01:31Ce que je voudrais d'abord souligner, c'est que la manière même de poser la question reflète le problème.
01:36C'est-à-dire que si on se dit que le problème est localisé à des espaces particuliers, on ne va pas aller chercher le même type de solution que si on comprend que le problème est structurel.
01:46Donc ce n'est pas qu'il y a des problèmes différents d'accès au pouvoir, par exemple dans l'entrepreneuriat ou en politique ou à l'école, etc.
01:56Ça vaut toujours le coup de le redire parce que je trouve que la façon même de poser la question démontre le problème auquel on fait face,
02:04qui est cette espèce de cécité au fait que le problème de l'injustice de genre est généralisé.
02:10L'autre problème avec la manière générale de poser la question, c'est qu'il pourrait y avoir un sous-entendu entre les lignes que le problème vient des femmes elles-mêmes.
02:16Donc par exemple, si on se dit que les femmes ne sont pas assez ambitieuses, on va leur faire faire du coaching.
02:20Si on se dit qu'elles ne sont pas assez performantes, on va leur proposer des formations.
02:23Donc ça, encore une fois, ça met le poids du changement sur les épaules d'individus alors que le changement doit nécessairement être systémique.
02:31Alors justement, si ce changement doit être systémique, et je suis tout à fait d'accord avec vous parce qu'il y a beaucoup d'éléments qui rentrent en ligne de compte,
02:37mais finalement, quelles sont les solutions ? Qu'est-ce que vous proposez comme idée pour permettre justement d'améliorer cette situation systémique
02:44et par-delà d'améliorer après l'entrepreneuriat puisque c'est notre sujet aujourd'hui, mais dans le système global ?
02:51Je sais que ce qu'on cherche tous, c'est un silver bullet qui va résoudre le problème.
02:55Évidemment, je n'en ai pas puisque si j'en avais, on aurait déjà mis en place.
02:58Mais par contre, je voudrais vraiment insister sur le fait que prendre la mesure de l'injustice systémique, c'est déjà une partie de la solution.
03:07C'est-à-dire que si les femmes comprennent que de manière inconsciente et constante, on leur fait porter le poids de leur soi-disant incapacité
03:17et que donc il y a une forme de culpabilisation. Arriver à se libérer de cette idée-là, je vais citer juste quelques biais cognitifs qui soutiennent ça.
03:26On a trois biais cognitifs qui sont très répandus. Le biais cognitif qu'on appelle le biais du monde juste.
03:31Le biais du monde juste, c'est tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.
03:35Finalement, si les femmes n'ont pas accès à des postes politiques importants, c'est soit qu'elles n'ont pas envie, soit qu'elles n'ont pas les capacités, soit je ne sais pas quoi.
03:41On a le biais de la méritocratie. La méritocratie, c'est les gens arrivent au niveau de leur capacité.
03:47C'est complètement faux, évidemment.
03:49Et le troisième biais qui est très fréquent, et vraiment j'insiste dessus, c'est ce biais naturaliste, contre lequel Françoise Léritier s'est énormément battue, évidemment.
03:56Encore une fois, ça vous paraît évident, mais ça ne le paraît pas pour tout le monde.
03:59Et je pense qu'il faut vraiment insister là-dessus.
04:01Il n'y a pas de différence de nature ou d'essence entre les hommes et les femmes.
04:04Et ces trois biais-là, parce qu'ils sont présents en permanence dans notre environnement et dans notre quotidien, le fait d'en prendre conscience, ça ne suffit pas.
04:14Pour moi, il y a vraiment deux niveaux de changement.
04:16Il y a un niveau de changement qui est politique, structurel et économique, qui n'est pas dans nos mains à nous, à part quand on va voter ou bien si on veut être militant.
04:24Il y a des choses qu'on peut faire, mais c'est un changement structurel.
04:26Et après, il y a la partie, on va dire personnelle, jusqu'à quel point on a intégré cette espèce de culpabilisation.
04:33Je pense que vraiment, le début de la solution, c'est prendre la mesure, pas juste conscience, mais la mesure du poids de ça.
04:40Parce qu'à partir de là, on ne va pas chercher les mêmes solutions.
04:43Pour moi, les solutions qui sont absolument essentielles à mettre en place, c'est déjà le fait de prendre la mesure de ça.
04:53Ça évite de se culpabiliser ou d'aller chercher des solutions qui sont un peu des sparadraps.
04:58Encore une fois, faire du coaching, mettre en place du coaching et des formations, c'est très bien, mais ça ne suffit pas.
05:03Il y a une autre chose que je pense qui est très importante, c'est ne pas se résigner.
05:07Je vous donne un exemple, dans le monde des start-up et de l'entreprenariat, il y a quelque chose de très classique, c'est un homme président et une femme DG.
05:15C'est une habitude qu'on a prise, de se dire, ah bah oui, regardez, ce garçon, il est très bien, il a pris une femme DG.
05:22Non, donc là, on se résigne. Il ne faut pas, il n'y a pas il faut, mais comprendre à quel point c'est problématique.
05:30Je pense qu'il faut aussi prendre la mesure de, quand on veut, on peut, ça ne suffit pas.
05:35Je rebondis sur ce qu'a dit Isabelle avant, que j'ai trouvé très très bien.
05:39Je pense qu'effectivement, elle apporte une énergie et une positivité qui est importante.
05:44Mais il faut aussi se rendre compte que ce n'est pas possible pour tout le monde, tout le temps, de combattre ces injustices sociales,
05:49et vraiment les injustices sociales et les injustices de genre, et de pouvoir du coup aussi s'appuyer.
05:54Je pense que c'est d'autant plus important pour les femmes d'avoir un réseau de soutien qui est inconditionnel.
05:59On n'a pas besoin, encore une fois, de s'entourer de personnes qui vont nous faire poser des questions sur nous-mêmes, parce qu'on s'en pose déjà assez.
06:05Il nous reste très peu de temps, mais il y a quand même eu des progrès à réaliser.
06:10Je crois qu'effectivement la situation a évolué, elle est bien loin d'être à l'optimale, mais elle a beaucoup évolué.
06:16Donc finalement, vous, dans votre façon de reposer une question plus fondamentale, vous avez raison, plus globale, plus en amont, etc.
06:23Mais alors de ce fait, en 30 secondes, l'avenir, comment on fait ? Combien de temps on met pour pouvoir espérer faire cette révolution culturelle ?
06:34La révolution culturelle, elle est déjà en route.
06:37Au cours de l'histoire, c'est important aussi de se rendre compte que la vision progressiste de l'histoire, je n'y crois pas du tout.
06:43Je ne pense pas qu'on aille toujours vers un progrès.
06:46Si on veut un progrès, il faut l'arracher, il faut le travailler.
06:49Ce qui s'est passé avec MeToo, par exemple, c'est intéressant, parce que c'est une nouvelle approche.
06:54C'est quelque chose qui a même surpris le féminisme historique, ce qui s'est passé avec MeToo.
06:58C'est-à-dire que d'un coup, on a vu que la violence sexuelle imposée aux femmes n'était pas normale, alors qu'on s'y était tous habitués.
07:05Moi, je ne suis personne pour avoir une prédiction de quand et comment ça va se passer.
07:09Ce que j'observe, c'est qu'il y a des choses qui sont en place, mais surtout, il faut comprendre que ça ne va pas se faire tout seul.
07:15Je crois que le message essentiel qu'on a bien compris, et j'espère que c'est largement compris par tout le monde,
07:22c'est qu'il ne faut pas continuer à se battre, et que le chemin de l'égalité est de toute façon long.
07:26Il est encore devant nous, et contrairement à ce qu'on entend en disant « ça y est, c'est fait, maintenant, tout ça est acquis, il n'y a plus de problème »,
07:32il y en a toujours, mais ça repose sur l'ensemble de la société, et ce n'est pas le fait uniquement des femmes ou que des hommes.
07:38Je peux ajouter juste un tout petit truc, c'est d'une part que, bien évidemment, ce n'est pas un combat mené uniquement par les femmes et pour les femmes,
07:44c'est un combat qui est évidemment généralisé, parce que les hommes souffrent également de cette espèce d'imposition qu'on leur fait,
07:50d'une virilité complètement artificielle, et l'autre chose, c'est que quand on ne peut plus rien faire, l'humour, c'est bien aussi.
07:57Exactement. Donc, on va continuer avec de l'humour. Merci beaucoup.
08:01Merci Camille.

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