• il y a 6 mois
Léa Salamé reçoit l'actrice Marthe Keller pour son autobiographie "Les Scènes de ma vie" (aux éditions Presses de la cité). Celle qui avait quitté les États-Unis du jour au lendemain après l'élection de Trump raconte notamment son appréhension de la prochaine présidentielle américaine. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-interview-de-9h20/l-itw-de-9h20-du-mercredi-05-juin-2024-3386521

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00:00France Inter, le 7-10.
00:07Elia Salamé, ce matin, vous recevez une grande actrice.
00:10Oui, une grande actrice, comme vous dites.
00:12Bonjour Marc Keller.
00:13Bonjour Elia, bonjour Nicolas.
00:15Merci d'être avec nous.
00:16Si vous étiez un pays, un livre et un musicien, vous seriez qui ? Vous seriez quoi ?
00:21Alors comme j'ai une tension très basse et comme je suis suisse, c'est toujours très
00:26long à rire.
00:27Un pays, je suis entre deux pays.
00:30J'aime tellement la France parce que je trouve que vous avez tout et vous râlez tout le
00:35temps.
00:36Mais c'est quand même magnifique ce pays, entre la montagne et la mer, la Bretagne et
00:39le sud.
00:40Et pourtant, on râle tout le temps.
00:43On râle tout le temps, mais ce n'est pas possible.
00:45Il faut aller ailleurs pour voir comment vous avez la chance.
00:47Et après, j'ai quand même mon pays natal.
00:50J'aime de plus en plus la qualité de vie en Suisse, la gentillesse, on vous laisse
00:55passer, on ne vous traite pas de conne si vous traversez quand on se roule.
00:58Et il y a quelque chose qui est très, je ne sais pas, j'aime beaucoup les deux.
01:03Alors je suis un peu troublée.
01:04Un livre ?
01:05Un livre.
01:06Là, ça va être très lourd, mais personne de nous ne reviendra de Charlotte Elbault.
01:15Ce livre ne me poulverse rien de dire le titre.
01:18J'ai envie de pleurer parce que c'est tellement beau.
01:20Elle n'était pas juive, elle était dans la résistance.
01:23Elle était la secrétaire de Jouvet, elle était dans les camps, elle a fait un chef-d'oeuvre
01:29de cette horreur.
01:30Et de s'en sortir et quand même de le mettre dans l'art, je trouve que c'est quelque
01:37chose qui me poulverse.
01:38Voilà, c'est un exemple justement.
01:40Un musicien ?
01:41Là, ça va être triste aussi, mais ce n'est pas triste pour moi parce qu'il m'enlève
01:44la peur de la mort.
01:45C'est ma l'air.
01:46Il n'y a rien à faire.
01:47Il vous enlève la peur de la mort ?
01:48Oui.
01:49Pourquoi ?
01:50Quand vous écoutez ces symphonies, tout à coup, on se dit que ça ne peut pas être
01:53si mal quand c'est fini.
01:54C'est la résurrection.
01:55Il y a quelque chose de… quelque part, je ne peux pas dire pourquoi il m'enlève
02:05cette peur.
02:06Vous entendez les Kindertown leaders, chantés surtout par Waltraut Meyer, je ne sais pas
02:13si c'est une tristesse positive.
02:15Vous n'avez plus peur de la mort ?
02:16Non.
02:17J'ai peur de mourir, mais pas peur de finir.
02:20Dans les trois sœurs de Tchaikov que vous aimez tant et dont vous parlez si joliment,
02:24vous parlez si joliment de Tchaikov dans vos mémoires qui sortent cette semaine, il y
02:28a cette réplique « Nous ne sommes pas heureux et le bonheur n'existe pas.
02:32Nous ne pouvons que le désirer ».
02:33Êtes-vous d'accord ? « Nous ne sommes pas heureux, le bonheur n'existe pas, nous
02:37ne pouvons que le désirer ».
02:39Alors j'aime Tchaikov et vous me mettez tout de suite à l'aise si vous dites son
02:44nom parce que c'est mon dieu.
02:45C'est bien simple.
02:46Si vous n'appréciez pas Tchaikov, je ne vous parle plus.
02:48Ah oui, oui, oui, pour moi c'est radicalement, c'est une question.
02:52Pendant très longtemps, je pensais que ce n'était pas assez chic.
02:57Je disais à un moment donné, ce n'est pas baiser, acquérir quelques cartes et tout
03:01ça pour faire intellectuel et je suis revenue à l'essentiel, à la vérité, à la beauté
03:07de… Je reviens à la phrase, je suis bizarrement toujours d'accord avec lui, mais là pas
03:13parce que pour moi le bonheur existe.
03:15Je ne le désire même pas parce qu'il est là, pour moi, parce que j'ai eu beaucoup
03:19de chance dans la vie, énormément et j'ai une phrase dans un film, vous savez quand
03:24on apprend le texte pour un film, on oublie tout parce que ce n'est pas Small Cell et
03:28des choses un peu quotidiennes, mais au théâtre on n'oublie pas les textes.
03:32Et il y a deux films où je n'oublierai jamais les textes, une c'était Primo, c'était
03:38il y a 30 ans avec Marlon Brando, pour faire un name dropping tout de suite, c'était
03:44« If one man pushes a button, we all end up as an accident », ça veut dire sur le
03:51nucléaire.
03:52Si un homme appuie sur le bouton, on termine tout.
03:55Si un homme appuie sur le bouton, on finit tout comme par accident.
04:00Et la deuxième phrase, c'est une phrase où on revient maintenant à Tchékov, où
04:06je dis à mes petites filles qui sont tristes parce que je suis sur le lit en train de
04:11mourir, il ne faut pas être triste, j'ai eu exactement la vie dont je rêvais d'avoir.
04:16Et c'est pour ça que le bonheur pour revenir à Tchékov, pour moi, il existe parce que
04:21j'ai eu tellement de chance.
04:23Vous avez tellement eu la vie que vous auriez rêvé, peut-être que vous n'auriez même
04:26pas pu rêver cette vie-là.
04:28Exactement.
04:29Marc Keller, vous avez tourné avec les plus grands, avec Sidney Pollack, avec Billy Wilder,
04:33avec Shero, avec Al Pacino, avec Marlon Brando, vous le disiez là, avec Dustin Hoffman.
04:39C'est vrai que vous avez eu une vie folle.
04:41Electron Libre, venu donc de Suisse alémanique, marquant le cinéma avec votre allure, avec
04:46votre accent qu'on entend ce matin, cette allure qu'on voit en couverture du livre que
04:50vous sortez, « Les scènes de ma vie » aux presses de la Cité, où vous ressemblez,
04:53il faudrait que les gens regardent cette photo, vous êtes copié-collé de Françoise
04:56d'Orléac.
04:57C'est incroyable parce que ça, plusieurs fois on me l'a dit, je n'y ai jamais pensé
05:00mais on me l'a dit plusieurs fois là.
05:02Oui, vous ressemblez vraiment sur cette photo à Françoise d'Orléac.
05:05Ce qui est marrant, c'est que vous avez toujours cultivé le mystère, un goût du
05:09secret et du coup, quel étonnement on a de voir vos mémoires, vous qui disiez « quelle
05:13horreur, les biographies m'ennuient », vous qui disiez « tout ça c'est narcissique,
05:17je n'aime pas ça », vous qui commencez le livre en disant « je ne veux pas être
05:20nue, je ne veux ni me vendre, ni me justifier ». Pourquoi ce livre alors ? Pourquoi avoir
05:24envie de vous livrer ? Et je dois préciser que ce n'est pas un livre d'actrice.
05:29Je vous le dis simplement, c'est le livre d'une femme.
05:31C'est un livre très intelligent, d'une femme affranchie, insoumise, d'une femme
05:36profondément libre.
05:37C'est ça qu'on retrouve dans le livre, dans ce livre-là, c'est-à-dire que vous
05:42vous épanchez, vous acceptez d'écrire quand même une vie extraordinaire mais avec
05:46une intelligence et un goût pour la liberté qui se sent dans chaque page, dans chaque
05:50page.
05:51On vous dit pour Marathon Man, on vous dit « tu dois perdre 5 kilos parce que tu prendras
05:56mieux la lumière, vous décidez d'en prendre 5 le kilo ».
05:58Je suis verso, je suis tellement indépendante, je suis tellement libre.
06:04Non, alors je suis la championne de la contradiction parce que je dis « jamais j'écrirai quoi
06:09que ce soit ». Et tout à coup, Elisabeth, sa maman qui est venue me proposer de travailler
06:17avec moi sur ce livre, elle a eu cette phrase de dire « mais ce n'est pas sur la vie,
06:23c'est sur le travail dans votre vie ».
06:25Et là, tout à coup, je me suis dit « ça, c'est autre chose ».
06:29Et mes petites filles, un jour à table, je dis « oh là là, je n'ai pas envie ».
06:32Elles ont dit « mais c'est Nina Valli, c'est pour nous aussi, on saurait ce que
06:36tu as ».
06:37Et ça, ça m'a vraiment marquée.
06:38Alors pour revenir, j'ai essayé de jongler.
06:41C'est assez difficile de parler sans parler, c'est-à-dire parler mais sans vie privée
06:46parce que ça, ça ne m'intéresse pas.
06:48Ça ne vous intéresse pas de parler de la vie privée ?
06:50Pas du tout.
06:51Je trouve que ça regarde… je ne vois pas pourquoi un tontiste, on ne le demande pas
06:56d'où, avec qui il sort.
06:57Je ne sais pas pourquoi les actrices, toujours il faut…
07:00Non, là, c'est parce que ça fait rêver parce que, pardonnez-moi de vous dire, hier
07:06soir, je suis allée sur Internet, j'ai tapé « Marthe Keller et Al Pacino ».
07:10Ça y est, enfin, j'avais peur que vous ne parliez pas de ça.
07:13Non, mais non, rassurez-vous, je vous rassure tout de suite, j'en parle.
07:17Même si vous n'aimez pas ça parce que vous avez huit ans d'amour, mais vous êtes
07:19beau, quoi.
07:20Ça fait rêver.
07:21C'est un couple qui fait rêver.
07:22C'est bêtement ça.
07:23Vous êtes sublime.
07:24Oui, alors, on peut seulement rêver quand on ne connaît pas.
07:26Une fois qu'on connaît, on ne rêve plus.
07:28C'est ça le désir dont on parlait tout à l'heure.
07:31Je trouve plus qu'on dit, moins qu'on rêve.
07:33Ce qui est fou, c'est votre liberté, vous racontez aussi dans le livre, vous habitez
07:37aux Etats-Unis.
07:38Donald Trump est élu président des Etats-Unis il y a huit ans maintenant.
07:43Du jour au lendemain, vous prenez vos clics et vos claques et vous partez.
07:46Quand je dis que vous prenez vos clics et vos claques, pas du tout.
07:48Je ne partais même pas.
07:49Vous avez laissé votre ordinateur dans l'appartement.
07:51Vous avez appelé vos amis américains en leur disant, prenez ce que vous voulez comme
07:54objet.
07:55C'est fini.
07:56Je ne peux plus rester là.
07:57Et vous avez cette phrase.
07:58Ce n'est pas Trump.
07:59Je ne supportais pas.
08:00C'est les électeurs.
08:01Voilà.
08:02Je ne suis même pas allée chercher les affaires.
08:05J'ai appelé le concierge pour dire qu'il y a des amis qui vont vider tout.
08:09Et j'ai dit à mes amis, vous gardez tout le moment où vous me faites le déménagement.
08:14Et j'ai laissé tout.
08:15On peut laisser mes computers, on ne voit rien, il n'y a pas de porno, il n'y a rien,
08:20il n'y a pas de jeu, il n'y a rien.
08:21Vous ne regardez pas le porno sur vos computers.
08:24Non, mais rien.
08:25On peut regarder.
08:26C'est une transparence.
08:28C'est pathétique.
08:29Mais ça dit de vous.
08:31Alors, j'ai laissé tout.
08:32Et vous êtes partie.
08:33Et je suis partie.
08:34Parce que même New York, j'aime tellement cette ville, c'est devenu quand même très
08:39bon.
08:40Bref.
08:41New York, ce n'est pas l'Amérique.
08:42Mais l'Amérique, c'est les gens qui ont voté.
08:45On voit ce qui arrive là.
08:47Moi, je ne peux plus.
08:48Je ne peux même pas y aller en ce moment.
08:49Ça me déprime.
08:50La plus grande démocratie est en train de s'effondrer.
08:53Bon, bref.
08:54Je crois que vous avez parlé longtemps avant.
08:55Heureusement.
08:56Vous revenez dans ce livre sur votre enfance, protégée, aimante, un peu ennuyeuse en Suisse
09:01alémanique, père allemand qui a fui le nazisme, mère suisse d'origine juive, ils élèvent
09:05des chevaux.
09:06Vous écrivez « Mes parents lisaient peu, ne parlaient pas de politique, ils parlaient
09:08peu de manière générale.
09:10Il y avait trop d'amour et pas assez de culture.
09:13Alors, pour échapper à cette enfance un peu belle, aimante, mais ennuyeuse.
09:19Oui.
09:20La zone de confort, je ne l'ai pas quittée jusqu'au moment où je suis partie.
09:23Voilà.
09:24La zone de confort, vous la fuyez.
09:25Ce sera la danse.
09:26D'abord, votre rêve, c'est d'être danseuse.
09:28Un accident de ski à l'âge de 16 ans casse le rêve.
09:32Très vite, vous dites « Ce ne sera pas danseuse, ce sera la comédie ». Vous vous inscrivez,
09:35vous suivez des cours de théâtre, vous apprenez le théâtre à Munich, ensuite vous ferez
09:39partie d'une troupe d'Heidelberg, vous jouerez également à Berlin.
09:42Et d'ailleurs, vous écrivez ce livre aussi parce qu'au début, vous ne vous prenez
09:47que des vents, que des critiques assassines.
09:49Vous dites « Plus je jouais dans un lieu sinistre, plus la critique était mauvaise
09:53». On vous défonce, comme on dirait aujourd'hui, les jeunes diraient aujourd'hui.
09:58Et malgré tout, vous dites aux jeunes « Accrochez-vous, même n'abandonnez pas, ce n'est pas grave.
10:04Si on s'accroche, on y arrive ». Et ça, c'est aussi le propos de ce livre.
10:08Je passe vite, parce qu'il y a tellement de choses dans ce livre, vraiment j'ai
10:10pris plaisir à le lire, c'est honnête.
10:14Il y a la France, un jeune réalisateur vous repère, Philippe de Broca, qui sera votre
10:20compagnon et le père de votre fils, on arrête là pour la vie privée.
10:22Il vous fait jouer dans le Diable par la queue, le succès à la télévision, la rencontre
10:32avec les Français, la série des Arsène Lupin, le feuilleton La Demoiselle d'Avignon.
10:37Et puis la carrière américaine, et là c'est quand même fou, pardon, mais les noms sont
10:41dingues.
10:42Marathon Man avec Dustin Hoffman, Fedora de Billy Wilder.
10:45Et puis le réalisateur John Schlesinger vous repère à Cannes, il vous appelle.
10:50Et quand on vous dit « John Schlesinger veut vous voir », vous dites « Bien sûr, pourquoi
10:53pas ? Et pourquoi pas Robert Redford, tant qu'on y est ? »
10:55Je ne croyais pas, évidemment.
10:58Toute votre vie, c'est un truc de chanmé.
11:00Vous savez Léa, je vais vous dire quelque chose, je crois tout ce qu'on veut, en tout
11:03cas, ce qui concerne moi, la seule chose que je voulais, je ne l'ai pas eue, c'était
11:06la danse.
11:07J'ai eu un accident, heureusement, parce que sinon je serais en chômage depuis 50
11:11ans.
11:12Mais je ne voulais pas, et c'est pour ça que je suis devenue actrice par hasard, et
11:18je n'ai rien voulu.
11:19Et je crois que les choses arrivent quand on ne veut pas.
11:21Et plus qu'on dit non, moi je ne suis pas rentrée dans le jeu de sortir à Los Angeles
11:25dans les parties, tout ça, ça ne m'intéressait pas, je voulais rester libre.
11:28Mon but dans la vie, c'était toujours gagner de l'argent pour rester indépendante, pas
11:34pour acheter une Porsche, mais pour rester indépendante, pour pouvoir dire non aux choses
11:38que je n'ai pas envie de faire, mais pour continuer à prendre le métro et qu'on ne
11:43me reconnaît pas.
11:44Parce qu'il suffit que je me mette sur le 31, les gens regardent un peu et on me reconnaît
11:48quelques fois.
11:49Mais j'ai voulu avoir l'avantage sans avoir trop d'inconvénients, parce que je suis profondément
11:54feignante.
11:55Je n'ai pas envie de me banquier tout le temps, de me mettre sur le 31.
11:58Si, si, si.
11:59Feignante, je ne crois pas.
12:00Parce que vous racontez tout votre livre, pardon de vous dire tout votre livre, c'est
12:04un éloge de la discipline, de l'exigence, du travail.
12:07Et d'ailleurs, il y a une phrase très belle, vous dites à Clint Eastwood, quel est le
12:10secret de ta longévité ? « Work, work, work ». « If you stop working, you get old ».
12:16Ah non, non, non, mais ça n'empêche pas que je travaille comme une folle.
12:21Une fois que j'ai vu que je ne voulais pas faire ce que j'avais rêvé, je me suis dit
12:25si je fais maintenant ce que je ne voulais pas, j'ai découvert que c'est un boulot
12:30énorme qu'il faut travailler.
12:31Et moi, je n'ai pas de talent si je ne travaille pas.
12:34Vous parlez de votre physique, on vous fait souvent jouer des rôles de bourgeoise, ça
12:37vous énerve.
12:38Au temps de Genève, le journal, vous disiez « quand j'entends le mot bourgeoise, je
12:42prends la fuite, c'est un ennui total, d'une banalité » à Boomerang, vous disiez ici.
12:45Le problème en France, c'est que dès que tu mesures plus d'un mètre 73, tu joues
12:49une bourge.
12:50J'en peux plus.
12:51En Amérique, c'est plus libre, il y a plus de fantaisie.
12:53Ça, c'est pour le physique.
12:55Vous ne vouliez pas tourner nue non plus.
12:56Et puis un jour, on voit vos seins dans un film, votre mère vous dit « tu es folle
13:01ou quoi ? Ne tourne pas à poil.
13:03Tu n'es pas sexy, tu n'as pas de seins, tu es restée une danseuse, on ne sait pas
13:06si on te voit de face ou de dos ». C'est pas vrai la maman ?
13:09J'adore.
13:10Mais c'est vrai.
13:12Al Pacino, vous dites « on partageait ensemble la désinvolture de l'ambition sociale.
13:17On venait tous les deux de la classe moyenne, on racontait une scène très belle avec la
13:22grand-mère.
13:23Racontez-la.
13:24Oui, c'est joli.
13:25En partant de sa grand-mère, il avait déjà fait le parrain, les trois parrains, tout
13:29ça.
13:30Elle lui a donné très discrètement, moi je l'ai vu et après j'ai vérifié, dans
13:34sa poche, elle a mis 5 dollars.
13:37Achète-toi quelque chose.
13:38C'est tellement… alors que c'était déjà une énorme star.
13:41C'est ça.
13:42Oui, oui.
13:43Mais elle le savait quelque part.
13:44Mais quand même, ce geste, c'est ça qui est beau, c'est ça qui est…
13:47C'est comme mon père quand il m'a vu au théâtre après une longue absence et on
13:52ne s'est pas vu.
13:53Il est venu directement de la gare, il m'a vu sur la scène, il dit en allemand très
13:56fort « mais qu'est-ce qu'elle est maigre, mais elle ne mange pas ». Mais ça, c'est
14:00génial.
14:01Il n'a pas vu la pièce comme c'était difficile, il a vu que sa fille qui ne mange
14:05pas.
14:06C'est ça l'amour.
14:07Oui, c'est ça l'amour.
14:08Vous dites « je ne me suis jamais mariée parce qu'aucun homme n'était à la hauteur
14:12de mon père ».
14:13C'est vrai.
14:14Ça, c'est juste.
14:15Mon père était…
14:16On ne va pas faire de la psychanalyse, mais ça, c'est vraiment vrai.
14:18Autre grande rencontre marquante que vous racontez, l'immense réalisateur de certains
14:22noms shows, Billy Wilder, en fin de carrière, est choisi pour Fedora.
14:25Vous dites « ce fut un tournage très difficile, il multiplie les prises jusqu'à l'épuisement
14:30il est irascible avec toute l'équipe ». Et vous racontez, c'est bien écrit, je l'avais
14:34déjà compris au Béverle-Île, ces immenses figures du cinéma d'avant-guerre ne brillaient
14:37pas par leur altruisme.
14:39Wilder était peut-être le plus amer de tous, il avait trouvé difficilement le financement
14:43de Fedora.
14:44Tout la gassait.
14:45Surtout de voir la fin de son rayonnement, la fin d'un monde sur lequel il avait régné,
14:49la fin d'une époque où l'on arrachait les dents de sagesse de Greta Garbo pour creuser
14:52son visage, où l'on cassait les pommettes d'une débutante, où les studios décidaient
14:56de la couleur des vêtements d'une actrice sous contrat, de ce qu'elle mangeait en public
15:00avec ses amis qui s'affichaient à son bras, c'était la fin d'une époque.
15:03Oui.
15:04Et pour lui, il n'a pas changé son style.
15:07Il y a des gens, justement Clint Eastwood ou Spielberg, ils changent permanent.
15:12Et puis Wilder était resté fidèle à son style, sauf le style n'était plus du tout
15:17à la… on ne peut pas dire à la mode, c'est horrible, c'est vulgaire, mais c'était
15:23plutôt tout ce que les gens avaient l'habitude de voir et il a beaucoup souffert.
15:27Très amer à la fin, très amer.
15:30Très amer, mais pourtant vous en gardez quand même un…
15:31Ah oui, mais c'est un génie, un génie absolu.
15:34Les impromptus, vous répondez en un mot, en un mot s'il vous plaît, marquez l'air.
15:39Le travail, le talent ou la chance, qu'est-ce qui est le plus important ?
15:42Le travail, la chance ou…
15:47Le talent.
15:48Ou le talent.
15:49Chez moi, c'est que le travail.
15:52Greta Garbo ou Marlène Dietrich ?
15:54Garbo.
15:55Sidney Pollack ou Billy Wilder ?
15:58Sidney Pollack.
15:59Marcello Mastroianni ou Dustin Hoffman ?
16:01Oh là là !
16:02Oui, c'est dur celle-là.
16:03Ça c'est vraiment dur.
16:04Je prends les deux.
16:05Meryl Streep ou Catherine Deneuve ?
16:07Meryl Streep, je ne vais pas vexer, j'adore Catherine, mais Meryl Streep.
16:11Le parrain ou Scarface ?
16:13Le parrain.
16:14Claudel ou Bernanos ?
16:18Claudel.
16:19La dernière fois que vous avez pleuré ?
16:21Je ne pleure pas.
16:23Je ne transpire pas et je ne pleure pas.
16:26Non, je plaisante.
16:29Non, justement sur un sujet politique que je n'ai pas envie de parler parce qu'on
16:37vient après une séance.
16:39Voilà, ça me fait peur ce qui arrive.
16:42Et Dieu dans tout ça ?
16:44Eh bien, bien, je suis croix.
16:47Ça peut être Bouddha, ça peut être sans le nommer, mais moi je suis croyante.
16:52Je ne sais pas en quoi, mais je suis croyante.
16:54Les scènes de ma vie, autobiographie passionnante de Marthe Keller au Presse de la Cité.
17:00Merci beaucoup.
17:01Merci à vous Léa, merci beaucoup.

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