Vendredi 31 mai 2024, ART & MARCHÉ reçoit Jean-Pierre Osenat (Commissaire-priseur et président, Osenat) et Solène Clément (Avocate au Barreau de Paris, Experte associée d'Eunomart)
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00:08 Bonjour à toutes et à tous, bienvenue dans Art et Marché, votre émission hebdomadaire consacrée au marché de l'art.
00:14 Cette semaine ont lieu les Journées Marteaux. Pendant plus d'une semaine, les commissaires priseurs ouvrent leur bureau pour proposer des expertises gratuites à ceux qui le souhaitent.
00:23 Jean-Pierre Osnac, qui est commissaire priseur et président du syndicat national des maisons de vente volontaire, le CIMEV, sera avec nous en visio pour nous présenter cet événement.
00:32 Et puis ensuite, c'est l'interview de la semaine. Nous revenons sur le sujet de la lutte contre le blanchiment d'argent et surtout l'implication des professionnels dans cette lutte,
00:41 avec Solène Clément, qui est avocate spécialisée dans ces questions. Merci à vous toutes et tous qui nous rejoignez. Tout de suite, c'est Art et Marché.
00:48 *Générique*
00:52 Un grand nombre de maisons de vente aux enchères ouvrent leur porte cette semaine à l'occasion des Journées Marteaux.
00:58 Jean-Pierre Osnac, qui est commissaire priseur et président du syndicat national des maisons de vente volontaire, le CIMEV, est avec nous en visio.
01:06 Bonjour, merci beaucoup d'être avec nous. Est-ce que vous pouvez nous décrire ce que sont les Journées Marteaux et puis les événements principaux qui vont avoir lieu cette semaine ?
01:15 Eh bien écoutez, avec plaisir. Alors, les Journées Marteaux, c'est un marronnier qui dure depuis maintenant une vingtaine d'années. En fait, ce sont des journées portes ouvertes sur le monde des ventes aux enchères.
01:27 Pourquoi ? Parce que les gens connaissent bien sûr les ventes aux enchères. Et du reste, l'émission Affaires conclues a permis à beaucoup de gens de comprendre que le commissaire priseur était quelqu'un qui savait faire des expertises.
01:39 Mais en général, les journalistes partent toujours des lots très très importants, des Picasso très chers et des records. Alors, il faut savoir qu'il y a 455 commissaires priseurs en France, 450 maisons de vente, et que le prix moyen d'un objet vendu, c'est 50 euros.
01:57 Donc vous voyez, c'est une profession qui s'adresse à tout ça. Est-ce que vous voyez au fur et à mesure de ça, je crois que c'est les 18e Journées Marteaux, est-ce que vous voyez qu'il y a de plus en plus d'attrait, de curiosité, de réflexe pour donner son objet d'art à faire priser par des commissaires priseurs ?
02:17 Oui, tout à fait. Une évolution qui est significative ces dernières années. Autrefois, on considérait grosso modo qu'une personne qui voulait vendre une commode, un tableau, un bijou s'adressait à 70% à un antiquaire ou le mettait en vente sur le bon coin.
02:35 Eh bien, cette proportion est inversée maintenant, et c'est plus de 50% de gens qui vont sur les maisons de vente, les ventes aux enchères. Ça veut dire que les maisons de vente se sont un peu démocratisées, que les gens ont compris que c'était un accès facile et que c'était une très très bonne technique pour obtenir le meilleur prix de ces objets, et surtout, j'insiste beaucoup, sur en connaître la valeur.
02:59 C'est pas parce qu'on s'adresse à un commissaire priseur qu'on est obligé de passer par son intermédiaire pour vendre. On peut déjà commencer à avoir une estimation et savoir combien vaut l'objet qu'on a, puis après on peut décider si on vend de la manière que l'on veut.
03:15 Eh bien, merci beaucoup Jean-Pierre Rossnach. Je rappelle que vous êtes commissaire priseur, président du CIMEV, le syndicat national des maisons de vente volontaire. Et voilà, vous nous avez présenté ces Journées Marteau qui ont lieu cette semaine. Et tout de suite, on passe à l'interview de la semaine.
03:33 Solène Clément, avocate spécialisée sur les questions de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, les LCBFT, est notre invitée pour dresser un bilan de ce premier semestre où plusieurs règlements ont été actés au niveau européen, plusieurs bilans aussi ont été publiés.
03:51 Bonjour, merci beaucoup d'être avec nous. Ma première question c'est concernant tout simplement le marché de l'art. Est-ce que c'est l'un des secteurs les plus exposés à ces questions de LCBFT ?
04:03 Alors, il est vrai que le marché de l'art a été identifié comme étant un secteur potentiellement utilisé pour du blanchiment d'argent ou du financement du terrorisme. Et ça, on retrouve cette vision-là dès la directive du 4 décembre 2001.
04:20 Donc oui, et il faut dire aussi qu'en cette matière, il y a eu bien évidemment un regain d'intérêt avec l'Etat islamique en 2015, avec du coup des preuves d'excavation, de spoliation et de revente d'objets culturels au marché noir.
04:36 Et c'est pour ça que les marchands d'art ont été très précisément appelés à être vigilants.
04:42 Oui, et justement, l'un des principaux leviers pour lutter contre le blanchiment, c'est ce qu'on appelle la déclaration de soupçon que seuls les professionnels du secteur peuvent réaliser.
04:53 Et Tracfins a réalisé un bilan 2023 de toutes ces déclarations de soupçon. Est-ce que vous pouvez nous dire déjà un peu plus précisément, qu'est-ce que cette déclaration de soupçon ? Et quelles sont les conclusions de ce bilan réalisé par Tracfins ?
05:07 Alors la réglementation de lutte contre le blanchiment, en fait, elle pèse sur un certain nombre de secteurs. Et la France a fait le choix dans un subjétissement très large.
05:13 Donc vous avez tout le secteur financier, et parmi le secteur financier, vous avez les marchands d'art. Il y a aussi les avocats, les notaires, les experts comptables.
05:20 Ce qu'on leur demande, c'est d'être vigilants, de récupérer de l'information sur leurs clients et de procéder à une réflexion, une analyse de cohérence.
05:28 Et dans le cas d'incohérence, entre le profil du client, ses demandes, la manière dont il va venir financer son oeuvre d'art, d'informer la cellule de renseignement financier Tracfins,
05:37 qui elle, va jouer le rôle de plateforme et redispatcher l'information directement vers les équipes investigatrices, vers le procureur ou bien vers les administrations centrales.
05:47 Et donc le bilan de Tracfins en la matière a souligné que c'était une année record, 2023, donc plus de...
05:55 - Une vraie progression. - Une énorme progression. Quasiment 200 000 déclarations de soupçons, tout secteur confondu.
06:02 Et précisément sur le marché de l'art, c'est à peu près 95 déclarations de soupçons qui ont été émises par les différents marchands qui sont assujettis,
06:12 et la vaste majorité par les commissaires priseurs. Ce qui fait du coup dire aux douanes qu'on a une progression de 48% par rapport à l'année précédente.
06:22 - Par rapport à un niveau qui était très faible. 95% du coup, est-ce que c'est... par rapport au secteur du marché de l'art, c'est assez faible ou... ?
06:29 - C'est difficile. Finalement, quand vous me posez cette question-là, vous me posez la question de savoir est-ce qu'il y aurait un nombre minimal à partir duquel on pourrait être absolument certain
06:39 que tout le monde est extrêmement vigilant. On peut se dire que compte tenu de la population du marché de l'art, il y a encore une marge de progression assez claire qui peut être obtenue.
06:48 Après, encore une fois, je pense qu'il ne faut pas aller trop loin sur les conclusions que l'on peut tirer du nombre de déclarations de soupçons.
06:54 - Parce que le professionnel, c'est le premier maillon de cette lutte. C'est ça, c'est sur ses épaules à lui que repose...
07:03 - Exactement. L'idée, ce n'est pas de dire que le professionnel est un délinquant, c'est de dire que peut-être son client va l'utiliser, va utiliser sa prestation de service, sa transaction,
07:15 à des fins du blanchiment d'argent ou à des fins de financement terroriste. Et donc, qui est mieux placé qu'un propre professionnel qui est maître sur son terrain
07:25 et qui a toute l'expérience pour venir détecter l'atypisme, l'incohérence, là où des équipes de police qui ne seraient pas forcément spécialisées sur le sujet
07:33 auraient du mal à saisir le fonctionnement d'une vente publique, le fonctionnement d'une vente en foire, par exemple.
07:39 Il y aura peut-être des éléments qui pourraient être considérés comme étant atypiques, mais en fait qui ne le sont pas.
07:46 Et donc réellement, l'idée c'est de dire qu'on va assujettir plein de secteurs différents parce qu'on veut capitaliser sur leur bon sens,
07:54 les choses qui ont été finalement mises déjà en place de manière intuitive, en fait. Et on veut capitaliser là-dessus.
08:02 - Il y a aussi les douanes qui ont demandé à ces professionnels de faire une auto-évaluation de leur implication dans cette lutte.
08:12 Est-ce que justement à travers ce questionnaire on voit qu'ils jouent le jeu ou pas ?
08:16 - Déjà je voudrais dire que c'est hyper intéressant l'approche des douanes avec ce questionnaire d'auto-évaluation
08:22 parce que c'est vraiment une bonne manière pour que les professionnels s'approprient le sujet.
08:26 Donc il y a eu un premier questionnaire qui a été envoyé en septembre et il s'avère qu'il y a eu un deuxième questionnaire qui a été envoyé hier.
08:32 Donc en fait ça recommence.
08:35 Il y a des statistiques en fonction du niveau d'appropriation, de la réglementation, c'est intéressant.
08:42 Je dirais que la chose qui m'a le plus marquée c'est que les douanes sont venues sur certains types de professionnels
08:47 souligner le nombre de réponses au questionnaire qui provenait de marchands qui étaient affiliés à un syndicat
08:55 et le nombre qui n'était pas affilié à un syndicat.
08:58 Et bizarrement on peut se rendre compte que sur certains professionnels il y a beaucoup plus de réponses de la part des professionnels qui ne sont pas affiliés à un syndicat.
09:06 Alors qu'on aurait pu penser que c'était l'inverse.
09:09 Donc ça c'est assez intéressant, on va voir si la tendance...
09:11 - Ça veut dire que les gens font la démarche par eux-mêmes ?
09:13 - Ça veut dire que les gens n'ont pas de problème à répondre aux douanes, ils le font, ils se soumettent en fait à cette réglementation.
09:19 Donc pour moi ça c'est déjà un point extrêmement positif.
09:22 C'est une réglementation qui est complexe, qui est technique, qui est en perpétuelle évolution.
09:27 Il faut aussi voir que c'est une réglementation qui a été faite pour les banques, puisque c'est elles qui sont les assujetties originelles.
09:33 Et qui dit banque, dit gros établissement, moyens, ressources.
09:37 Et que aujourd'hui ça peut être aussi l'une des difficultés de dire à un marchand, mais de dire aussi à plein d'autres secteurs,
09:44 de dire "Votre réglementation qui vous concerne, elle est dans le Code monétaire et financier".
09:48 Régulièrement j'ai des yeux qui me disent "Mais pourquoi moi ? Je n'ai aucun lien avec ce code".
09:53 Et là si, mais du coup il y a plusieurs étapes, plusieurs freins, en tout cas plusieurs étapes de complexité,
10:01 qui peuvent aussi expliquer que ça va prendre du temps.
10:04 Et il faut aussi bien se rappeler que même si on a une première trace d'assujettissement dans la directive de 2001,
10:11 en réalité le dispositif français a été parachevé le 1er décembre 2016.
10:16 Et que les deux premières sanctions sont tombées pour la première fois l'année dernière.
10:21 Donc tout ça est un lent processus et finalement autant l'administration que les marchands doivent se mettre au diapason.
10:27 Oui, ce cadre s'installe progressivement.
10:30 Et puis il y a aussi eu ces derniers mois une réglementation européenne qui harmonise la réglementation au niveau européen.
10:39 Est-ce que peut-être que ça aide les professionnels à avoir une meilleure compréhension de tout ce système ?
10:46 Quelles sont les avancées majeures de cette réglementation ?
10:49 Alors, en fait, initialement la réglementation au niveau de l'Union Européenne a été prise par des directives.
10:56 Les directives ce sont des instruments législatifs qui nécessitent une transposition nationale dans chaque état membre.
11:02 Ce qui fait qu'au final, après 30 ans de lutte anti-blanchiment, il y a eu des énormes scandales de blanchiment d'argent,
11:08 la vigilance n'a pas fonctionné, l'Union Européenne s'est posé la question de savoir comment tout ça avait été possible.
11:14 Et l'un des sujets, ça a été de dire "finalement on a des transpositions dans tous les sens, ça ne convient pas,
11:20 et si on a un trou dans la raquette à un endroit, bien évidemment une fois que l'argent sale est rentré, ça circule partout".
11:26 Donc, grande avancée cette année avec ce règlement.
11:29 L'Union Européenne a abandonné la directive au profit du règlement qui lui est applicable,
11:34 et d'effet immédiat est applicable sur tout le territoire sans transition.
11:37 Ce qui fait que, en premier effet, on va avoir nécessairement une harmonisation de la compréhension de ces obligations de vigilance.
11:46 Et déjà, là, on va avoir forcément, pour les marchands français qui sont soumis à une réglementation qui est quand même très précise, très complexe,
11:55 et que ça n'est pas le cas dans tous les pays de l'Union Européenne, ça va pousser vers une compréhension commune et un nivellement par le haut.
12:03 Et l'autre élément assez intéressant de ce paquet européen, c'est la création de l'autorité de lutte contre le blanchiment.
12:11 Alors en réalité, maintenant, c'est déjà la chronime anglaise qui a gagné, tout le monde appelle ça l'AMLA, Anti Money Laundering Authority.
12:18 Et cette autorité est chargée de superviser les superviseurs,
12:22 donc notamment de superviser tous les contrôleurs européens qui sont eux chargés d'aller contrôler le marché de l'art.
12:29 Donc là aussi, si les douanes ont commencé un travail et ont fait un travail très précis et sont très volontaires sur le sujet,
12:37 on peut espérer que ce soit le cas dans tous les pays de l'Union.
12:41 Et donc que la distorsion de concurrence qui peut avoir lieu, qui peut résulter en fait,
12:45 elle vienne à s'amenuser, donc je pense que en ça, c'est une bonne nouvelle pour le marché de l'art.
12:50 Eh bien merci beaucoup Solène Clément, je rappelle que vous êtes avocate spécialisée dans ces questions de l'LCBFT.
12:55 Et quant à nous, on se retrouve la semaine prochaine pour un nouveau numéro d'Art et Marché.
13:00 Merci.
13:02 Merci.
13:03 -Mais...
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