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  • 16/05/2024
Jacques Pessis reçoit Léa Wiazemsky : elle publie un livre « Petit éloge des cafés » et raconte Régine Deforges, sa mère, l’auteure de « La Bicyclette Bleue » qui nous a quittés voici dix ans.

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##LES_CLEFS_D_UNE_VIE-2024-05-16##

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News
Transcription
00:00 Sud Radio, les clés d'une vie, Jacques Pessis.
00:03 Les clés d'une vie, celle de mon invité.
00:05 Vous venez de publier un petit éloge des cafés.
00:08 Nous allons l'évoquer en buvant moralement à la santé éternelle de votre mère, Régine de Forge.
00:14 Elle nous a quitté voici dix ans et on n'a pas toujours fait son éloge.
00:18 On va se rattraper aujourd'hui.
00:20 Bonjour Léa Wiazimski.
00:21 Bonjour Jacques.
00:22 C'est vrai que vous êtes la fille de Régine de Forge, vous avez publié un petit éloge des cafés.
00:26 Je vous avais reçu voici très longtemps dans les clés d'une vie et je me suis dit dix ans,
00:31 l'occasion de rappeler qui était Régine de Forge.
00:33 Ça me semble important.
00:35 Oui et merci de le faire.
00:36 Merci à vous et on va tout de suite écouter sa voix.
00:39 Ah ben elles sont excellentes.
00:40 Je dois dire que je redoutais un peu, c'est immodeste ce que je vais dire,
00:45 mais le courrier que je reçois d'écrivain, de philosophe...
00:49 Le courrier, le courrier, il n'y a pas eu toujours du courrier puisque le 22 mai 68,
00:54 la première date que j'ai choisi, c'est le jour où elle est saisie pour un livre
00:58 qu'elle a publié sans l'accord de son auteur, mais de toute façon on ne connaît pas l'auteur.
01:02 On ne connaissait pas officiellement l'auteur, parce qu'en vrai on le connaît l'auteur.
01:07 C'est Louis Aragon.
01:08 Oui, Louis Aragon, le comte d'Irène.
01:10 J'étais sûre que vous commenceriez par cette date.
01:12 Ah bon ?
01:13 Il se trouve que c'est la Saint-Léa le 22 mars et que donc chaque année,
01:17 ça lui rappelait la fête de sa fille et ce jour qui a été très très douloureux pour elle.
01:22 Oui, car elle avait publié ce livre qui était un livre érotique qu'Aragon avait écrit
01:26 et je crois qu'elle lui avait écrit qu'il n'avait jamais répondu.
01:28 Il n'avait tout à fait jamais répondu, donc elle s'est dit "je vais le publier
01:32 et je ne vais pas mettre de nom d'auteur".
01:34 Voilà, et puis elle l'a appelé Irène, puis ça n'a pas marché.
01:38 Il faut savoir qu'Aragon, il avait une passion secrète, je ne sais pas si vous le savez,
01:41 c'était les romans policiers.
01:42 Il avait une bibliothèque cachée chez lui avec des tonnes de romans policiers.
01:46 Je le savais parce que mon père aussi a cette passion-là et qu'il a rencontré Aragon
01:50 dans sa jeunesse qui lui a montré toute sa collection.
01:53 Alors, elle est saisie votre mère après la mise en vente du livre, 48 heures,
01:59 elle sera condamnée pour outrage aux bonnes mœurs.
02:02 Aujourd'hui on ne pourrait pas imaginer ça, Léa Wiazemsky.
02:05 Non, mais elle a vraiment un précurseur dans le monde de l'édition
02:10 et dans le monde de l'édition érotique.
02:12 C'est vrai qu'elle a essuyé les plates pour tous les autres à venir.
02:16 La première télévision de Régine Deforge, il se trouve que je l'ai préparée,
02:19 c'était pour "Samedi soir" de Philippe Bouvard.
02:22 Et devant Bouvard, elle a dit que les censeurs étaient les plus grands consommateurs de livres érotiques.
02:28 Ça ne m'étonne pas.
02:29 C'est vrai qu'elle était aussi provocatrice, Régine Deforge.
02:33 Oui, mais pas tant que ça finalement en fait.
02:35 C'était une provocation.
02:38 C'est parce que ce qu'elle était, était une provocation à l'époque et même plus jeune.
02:42 Elle respirait tellement la liberté et elle n'avait que faire des ondiques.
02:48 C'est ça qui dérangeait.
02:49 Et qui la rendait provocante.
02:51 Et elle était entourée de provocateurs puisque chaque fois qu'elle allait dans les tribunaux,
02:55 elle avait une garde rapprochée.
02:57 Jean-Jacques Pouvert, Eric Lossfeld et Pascal Jardin.
03:00 Oui.
03:00 C'était vraiment la bande qui la soutenait ?
03:02 C'était la bande qui la soutenait.
03:04 Jean-Jacques était en plus le père de sa fille, ma soeur Camille.
03:09 Donc oui, elle a été soutenue quand même par quelques-uns, par des hommes.
03:13 Et étonnamment, elle n'a pas été soutenue par les femmes.
03:18 C'est curieux.
03:18 Il se trouve que Pascal Jardin était aussi un provocateur à sa manière.
03:22 Il avait tout le temps des dettes.
03:24 Et chez lui, il avait fait mettre un second mur dans l'entrée.
03:27 Ce qui fait que les huissiers ne pouvaient pas emporter les meubles quand il était saisi.
03:30 Ça, je ne savais pas.
03:32 Alors, il se trouve que c'est quand même très grave parce qu'elle va être privée, Régine Deforge,
03:37 de ses droits civiques pendant trois ans.
03:38 Oui.
03:39 C'est quand même très grave pour quelque chose qui n'est pas catastrophique.
03:42 Non.
03:43 C'était l'époque.
03:44 C'est vraiment une autre époque alors qu'on est en 68.
03:46 C'est-à-dire que mai 68 arrive quelques semaines plus tard.
03:49 Et en même temps, il y a des gens qui disent "mais pourquoi une femme aussi jolie publie-t-elle de telles saletés ?"
03:56 Elle, elle considérait que...
03:58 Elle disait très justement que les images qu'on voit au Népal, en Indochine,
04:03 ça, c'est monstrueux.
04:05 Ça, c'est terrible.
04:07 Alors, c'est de la pornographie de l'image.
04:10 Alors que pour elle, les textes érotiques, il n'y avait rien de dégoûtant, bien au contraire.
04:14 Et en plus, tout le monde les lisait.
04:16 Quand on voyait par exemple un journal financier, à l'intérieur, il y avait un numéro d'union bien caché.
04:20 Ça, je ne savais pas non plus.
04:22 Alors, il se trouve que sa maison d'édition qu'elle a créée, Régine Deforge,
04:25 d'abord, elle a été la première femme éditrice en France.
04:27 Oui, à avoir sa propre maison d'édition.
04:29 Personne ne l'avait fait ?
04:30 Non.
04:31 Et ça s'appelait "L'Or du Temps".
04:32 Je crois que c'était un hommage à André Breton.
04:34 Oui.
04:34 C'est-à-dire ?
04:35 Alors, je n'en sais pas plus, mais je sais qu'elle m'a toujours...
04:37 Elle avait une profonde admiration pour lui.
04:41 Donc, elle avait donné ce nom-là à sa maison.
04:45 C'était le père des surréalistes.
04:47 Il avait dit "Je cherche l'Or du Temps".
04:49 Donc, ça doit être lié à ce nom.
04:51 Oui.
04:51 Alors, elle travaille énormément.
04:53 Elle lit tous les manuscrits et elle reçoit beaucoup de manuscrits.
04:56 Car il y a beaucoup de manuscrits et de livres érotiques cachés sous le manteau.
05:00 Oui, beaucoup.
05:01 Et elle choisit ?
05:03 Elle a des critères précis à l'époque ?
05:08 A cette époque-là, je ne suis pas encore là.
05:12 Je sais que ce qu'elle aime, c'est plus ses provocateurs mieux elle est.
05:18 Enfin, mieux c'est pour elle.
05:20 Elle ne s'interdit rien.
05:22 Et quand c'est des premiers romans, ça lui plaît encore plus.
05:27 Et quand c'est écrit par des femmes, particulièrement, je pense à Pauline Riach.
05:31 Ça, on va en reparler, bien sûr.
05:32 Mais il se trouve aussi que c'est l'époque des premières féministes.
05:35 Et moi, je me souviens d'avoir fait un reportage dans le quartier où il y avait une toute petite boutique
05:40 avec les premières féministes rue du Dragon et à côté les premiers sex-shop.
05:45 C'était un complément.
05:46 Et à l'époque, c'était très secret.
05:48 C'était minuscule.
05:49 Alors, il se trouve qu'elle est née à Montmorillon.
05:53 C'est dans le Poitou, une région que vous avez connue aussi, la vie à Zemski.
05:56 Oui, très bien.
05:57 C'est là où elle a grandi.
05:59 Et je crois qu'il y a un salon du livre à Montmorillon où se déroule Place Régine de Forges.
06:04 Tout à fait, ça a lieu cette année le 8 et 9 juin.
06:07 Et c'est un salon important d'ailleurs.
06:09 Il y a plus de centaines d'écrivains qui viennent à chaque fois.
06:12 Oui, c'est elle qui l'a créé.
06:15 Elle a créé juste après la cité du livre et de l'écrit.
06:18 Et c'est un très joli salon du livre où je vais cette année d'ailleurs.
06:21 Avec votre livre, "Les loges des cafés".
06:23 Alors, son père est représentant de commerce.
06:26 Sa mère est femme au foyer.
06:27 C'est une famille très modeste.
06:28 Très modeste.
06:29 Et en plus, son père vient vraiment du milieu paysan.
06:32 La grand-mère de maman était une paysanne en sabots et en tabliers qui passait son temps à la ferme.
06:38 Et d'ailleurs, Régine de Forges passe ses vacances dans la ferme des grands-parents.
06:41 Oui, tout à fait.
06:42 Où elle apprend le patois, je crois.
06:44 Elle apprend le patois et elle apprend à lire parce que toute seule, à l'âge de 4 ans.
06:48 Toute seule ?
06:48 Oui.
06:49 Et le patois à poids de 20, je ne sais pas si vous le parlez, parce qu'elle le parlait très bien.
06:52 Malheureusement.
06:53 Elle le parlait très bien, je crois.
06:54 Oui.
06:55 Et je crois que ça vient du Moyen-Âge.
06:57 C'est associé au Saint-Onger qui a fortement influencé plus tard l'acadien, donc le canadien.
07:02 D'accord.
07:03 Alors, elle a gardé le goût justement de ce poids de 20.
07:08 Et dès son enfance, Régine de Forges dit "je ne veux pas cette vie-là".
07:13 Non, elle était déjà très différente.
07:15 Elle rêvait petite qu'elle était une princesse qui avait été enlevée par des bohémiens et qui avait grandi dans sa famille.
07:26 Elle pensait qu'elle était une enfant trouvée et qu'elle avait un destin bien plus important.
07:31 Je crois que sur sa tombe, le mot "princesse" est écrit.
07:33 Tout à fait, mais c'est une princesse.
07:36 De par son mariage.
07:37 Exactement, parce que ça, on va en parler aussi.
07:39 Alors, elle a été élevée, je crois, dans des institutions religieuses qui n'ont rien à voir avec la suite ?
07:44 Non.
07:45 Et ça s'est bien passé ?
07:46 Très mal.
07:47 C'est-à-dire ?
07:49 Elle écrivait son journal intime et à peu près à la même époque, elle avait une histoire d'amour assez naïve, d'ailleurs, avec une jeune fille qui s'appelait Manon.
08:03 Et son journal intime est volé, lui en place publique.
08:08 Donc, elle et sa petite sœur sont renvoyées de l'école.
08:12 Elle doit même s'excuser publiquement.
08:14 Elle doit s'excuser publiquement.
08:16 On lui jette des pierres dans la rue, on lui crache au visage.
08:19 Et surtout, ce qui est terrible pour elle et ce qui va la marquer toute sa vie, c'est qu'elle doit, devant sa mère, sa grand-mère et la mère du garçon qui vole le journal, elle doit déchirer page par page le cahier et le mettre au feu.
08:32 D'ailleurs, plus tard, elle racontait cette histoire dans un livre, "Le cahier volé".
08:35 Oui, un livre magnifique.
08:37 Et qui raconte une famille de province avant mai 68.
08:42 Alors, elle adore déjà les livres, Régine Deforge.
08:45 Oui.
08:46 Elle a toujours lu, je crois.
08:47 Toujours.
08:48 Et je crois qu'elle a débuté aussi comme libraire.
08:50 Je crois qu'elle a débuté au drugstore.
08:52 Oui.
08:53 Et je crois qu'elle avait créé un rayon de livre érotique.
08:55 C'est elle qui a créé le rayon du livre érotique avec la complicité de Slavik, qui était celui qui a conceptualisé le drugstore en haut des Champs-Élysées.
09:06 Et ça n'a pas fait de scandale ?
09:08 Je pense que le rayon devait être relativement caché.
09:10 Non, ça va.
09:11 Et Marcel Blosten Blanchet l'avait accepté parce qu'il était le patron de Publicis.
09:14 Il n'avait même pas fait attention, ça l'amusait.
09:17 De toute façon, le drugstore marchait tellement bien que ce n'était pas un problème.
09:19 Alors, je crois qu'elle a fait plusieurs petits métiers.
09:22 Elle a été libraire, elle a été relieur avant de devenir éditrice.
09:25 Elle a été représentante aussi de Maison d'édition auprès des libraires, oui.
09:30 Et ça, c'était une façon de commencer dans ce métier ? Elle apprenait le métier ?
09:34 J'imagine que oui.
09:35 Alors, elle a ouvert aussi des librairies ?
09:37 Oui.
09:38 Et je crois que votre demi-sœur Camille a aussi ouvert une librairie qui s'appelle "La Bicyclette Bleue".
09:43 Tout à fait, qui est rue Pelleport dans le 19ème.
09:46 C'est vrai que les librairies, c'est important.
09:47 Aujourd'hui, on dit que les réseaux sociaux posent des problèmes aux libraires,
09:53 mais ce n'est pas vraiment le cas en France, dans la France profonde.
09:56 Non, au contraire, les réseaux sociaux mettent vraiment en avant les libraires.
09:59 Je m'en suis rendue compte.
10:01 Que ce soient les blogueuses littéraires ou les blogueurs qui vont dans toutes les librairies
10:06 pour parler du métier.
10:08 En même temps, aujourd'hui, il y a 3500 libraires en France
10:12 et il y a un élan positif depuis la Covid.
10:14 Et la France profonde a beaucoup de librairies
10:20 parce que ça permet d'offrir un guide culturel à ceux qui vivent loin de Paris.
10:24 Oui.
10:25 Et vous aussi, vous avez toujours été attirée par les librairies ?
10:28 J'ai toujours aimé. J'y suis beaucoup allée, petite, avec ma mère.
10:31 Et c'est vrai que ma sœur, c'était son rêve depuis toujours d'avoir sa propre librairie.
10:36 Et notre mère nous avait dit qu'à la fin de sa vie,
10:39 quand elle n'écrierait plus, elle ouvrirait sa propre librairie.
10:41 Bon, elle n'en a malheureusement pas eu le temps.
10:43 Mais oui, j'adore les librairies. J'adore les petites librairies.
10:46 Bon, Régine Defange était originale, singulière, mais aussi très courageuse, non ?
10:52 Très.
10:53 Il y a des moments où elle en avait marre de se faire attaquer ou ça passait ?
10:57 Non, je pense qu'elle n'en pouvait plus.
10:58 Mais en même temps, elle a toujours dit face au peloton d'exécution,
11:01 il faut garder la tête haute.
11:03 Donc, elle a toujours tenu tête.
11:05 Et elle a eu bien raison puisque finalement...
11:07 Elle a toujours gagné.
11:09 Et ses idées sont celles d'aujourd'hui.
11:10 Une autre date importante dans sa vie, pour elle comme pour vous,
11:13 c'est le 24 août 1977.
11:16 A tout de suite sur Sud Radio avec Léa Wiazemsky pour parler entre autres de Régine Defange.
11:20 Sud Radio, les clés d'une vie.
11:25 Mon invité, Léa Wiazemsky, vous êtes là à double titre.
11:28 D'abord pour le petit éloge des cafés que vous publiez aux éditions des Péregrines.
11:32 On en reparlera tout à l'heure.
11:34 Et puis votre mère, Régine Defange, qui nous a quittés voici dix ans.
11:37 On l'évoque aujourd'hui avec vous à travers des dates clés.
11:41 Et si je parle du 24 août 1977, c'est un jour clé pour elle comme pour vous.
11:46 Et il y a quelqu'un qui n'est pas là ce jour-là, qui a disparu,
11:50 mais qui a compté pour elle et pour vous.
11:52 Elle m'a surpris parce que j'allais voir pour la première fois...
11:59 François Mauriac, qui est donc presque votre grand-père.
12:04 Arrière, mais c'est vrai qu'il a élevé mon père comme un père.
12:08 Alors ce 24 août 1977, c'est le jour de la Saint-Berthel-et-Mis,
12:13 la libération de Paris, et c'est aussi un jour d'une rencontre historique pour vous.
12:17 Oui, c'est le jour où mes parents tombent amoureux.
12:21 Donc Régine Defange et Pierre Wiazemsky, qu'on connaît sous le nom de Diaz,
12:26 qui est le petit-fils de François Mauriac.
12:30 Et d'ailleurs, je ne sais pas si vous le savez, mais François Mauriac, chez Castel,
12:34 présentait Jacques Chasso comme son fils.
12:36 Je ne sais pas.
12:37 Et surtout, il y a eu au Figaro une bande de rigolos un jour
12:40 qui ont fait un faux bloc érotique de François Mauriac.
12:44 Il a failli passer dans le journal, ça a été juste à temps.
12:47 On peut le trouver, parce que j'aimerais bien le voir.
12:49 Non, il n'existe plus, puisqu'il a disparu.
12:52 Donc, il se trouve que cette rencontre est importante.
12:55 Wiazemsky est à l'époque un scénariste débutant.
12:57 Il se trouve que votre mère lui téléphone parce qu'elle a besoin de lui
13:01 pour un livre politique, je crois.
13:03 Oui, pour faire une caricature de Chirac.
13:06 Oui, il me semble que c'est Chirac.
13:07 Chirac et Raymond Barre.
13:08 Voilà.
13:09 Donc elle l'appelle comme ça, elle ne le connaît pas.
13:10 Tout à fait.
13:11 Et lui, elle, elle s'attend à ce que ce soit un homme d'une cinquantaine d'années qui débarque.
13:16 Et lui, de son côté, son ami Jean-Bendit lui avait dit "fais attention,
13:21 tu risques de taper de la patte quand tu vas la voir".
13:25 Et donc, lui était très jeune, il avait donc 27 ans.
13:29 Elle, elle en avait 40.
13:31 Et ça a été le coup de foudre.
13:32 Le coup de foudre immédiat.
13:33 Immédiat.
13:34 C'est-à-dire qu'en quelques jours, on a dit "on va vivre ensemble, on va se marier".
13:37 Alors, se marier pas tout de suite, mais en tout cas,
13:39 ils ont démarré une histoire très forte très vite.
13:42 Et il y avait une complicité d'émotions, de croyances, d'idées.
13:47 Oui, et puis par exemple, se rencontrer le 24 août,
13:50 pour eux c'était symboliquement très important
13:52 parce qu'ils sont tous les deux passionnés d'histoire.
13:54 Tous les deux passionnés par Paris.
13:56 Donc, Saint-Barthélemy + Libération de Paris,
13:58 pour eux c'était un symbole de quelque chose de très important.
14:01 Alors, ils vont se marier deux ans plus tard,
14:03 et vous allez naître deux ans plus tard.
14:05 Et en même temps, ça va être une vie de bohème pour eux et peut-être pour vous.
14:10 Moi, je m'en suis pas rendue compte parce que jusqu'à mes trois ans,
14:13 effectivement, les huissiers étaient tous les mois à la maison.
14:16 Papa était obligé d'aller emprunter de l'argent un peu à gauche, à droite.
14:21 Puisque maman, avec ses procès, ça lui coûtait quand même cher.
14:24 Et à l'époque, elle ne roulait pas du tout sur l'or.
14:27 Et il se trouve qu'un jour, je crois qu'elle n'est pas là,
14:30 un huissier débarque en demandant une forte somme pour le soir même.
14:33 Et quand votre père, Vyaz, le dit à Régine de Forges,
14:37 elle éclate de rire.
14:38 Ça ne m'étonne pas.
14:40 Elle s'en fichait à la limite ?
14:42 L'argent lui a toujours brûlé les doigts.
14:45 Donc, quand elle n'en avait pas, elle n'en avait pas.
14:47 Quand elle en avait, il fallait le dépenser.
14:49 Pour elle, c'était quelque chose, je pense, de très abstrait.
14:52 Alors, en même temps, que ce soit votre père ou votre mère,
14:55 ils vous ont donné le goût de l'écriture et des arts, les AVSMC ?
14:59 Oui et non.
15:01 Je me suis mise à lire très, très tard.
15:03 Vraiment très tard.
15:04 A l'âge de 14 ans.
15:05 Donc, c'est très tard.
15:06 À aimer lire, en tout cas, très tard.
15:08 J'étais une élève plus que médiocre.
15:10 Ils étaient atterrés parce que, justement, je ne lisais pas
15:13 et j'étais même pas capable de finir ou une bande dessinée
15:16 ou un livre de la comtesse de Ségur.
15:18 Donc, ils ont essayé par tous les moyens de me faire aimer ça.
15:22 Mais ça a été un dur labeur.
15:25 Alors, en même temps, ils avaient d'autres soucis avec l'argent.
15:28 Mais c'est vrai que c'était une sublimation réciproque.
15:33 Oui.
15:35 Complètement.
15:36 Alors, il se trouve qu'avant de rencontrer votre père,
15:38 elle a eu beaucoup d'autres amants.
15:40 D'ailleurs, elle a toujours dit qu'elle regrettait de ne pas avoir eu assez d'amants, Régine Defrange.
15:43 Ça ne m'étonne pas.
15:44 Moi, elle m'avait toujours dit, ma fille est le plus d'amants possible.
15:47 Comme ça, c'est pour profiter de la vie.
15:49 Oui.
15:50 Alors, il se trouve que le premier est devenu son mari.
15:53 Il s'appelait Pierre Spingler.
15:54 Et je crois qu'il est devenu son mari après une partie de 421.
15:57 Oui, il y avait deux hommes qui lui faisaient la cour.
16:00 Et comme elle voulait, à ce moment-là, elle vivait en Afrique.
16:02 Ils avaient fui en Afrique après l'affaire du cahier volé,
16:05 où mon grand-père travaillait.
16:08 Et donc, elle a dit, celui qui gagne la partie m'épouse.
16:13 Et donc, c'est Pierre Spingler, le père de mon frère, qui a gagné.
16:16 Il faut savoir que le 421 qu'on joue aujourd'hui dans les bars,
16:19 c'est un jeu très ancien,
16:20 puisque les archéologues ont trouvé des traces dans l'Egypte antique.
16:24 Ça s'appelait le Senei égyptien et le jeu royal du Urmésopotamien.
16:28 C'était les règles du 421.
16:30 Il se trouve qu'à l'époque, je crois qu'elle travaille au crédit lyonnais,
16:33 alors qu'elle avait un problème d'argent, en Afrique.
16:35 Oui, tout à fait.
16:36 Elle est toute jeune à ce moment-là.
16:38 Elle a 19 ans.
16:39 Et le mariage se fait, mais ça n'a pas duré très longtemps.
16:42 Non, ça ne dure pas très longtemps.
16:44 Déjà, grâce à lui, elle peut retourner vivre en France.
16:47 Et ça ne dure pas très longtemps.
16:49 Il y a des éditeurs qu'elle rêve de connaître quand elle commence.
16:52 Et il y a un certain Jean-Jacques Pouvert.
16:54 À l'époque, c'est le roi aussi des livres érotiques.
16:56 Tout à fait.
16:57 Ils déjeunent ensemble, mais je crois qu'elle ne se rend pas compte
17:00 qu'elle est draguée.
17:03 Non, alors, pareil, il faudrait demander à ma sœur,
17:06 qui en sait sûrement plus que moi à ce sujet.
17:08 Mais oui, ça a été un coup de foudre très fort entre Jean-Jacques et elle.
17:12 Il était marié en plus.
17:14 Il était marié, il avait des enfants, donc ce n'était pas simple.
17:17 Et je crois que tout ça est resté très discret pendant des années.
17:19 C'est resté discret pendant plus de 30 ans, oui.
17:22 Et c'est grâce à Jean-Jacques Pouvert, pratiquement,
17:24 qu'elle a eu l'idée de monter une maison d'édition.
17:27 Oui, c'est lui qui l'a poussé.
17:28 À l'époque, il était très célèbre.
17:30 Parce qu'ils parlaient, je crois, de Sade, ensemble, souvent.
17:33 Du marquis de Sade.
17:34 Je ne sais pas si vous le savez, mais Pierre Cardin a repris de son vivant
17:38 un lieu où il y a un festival aujourd'hui.
17:42 Et ce lieu, finalement, c'est Marcel Julien qui avait décidé de restaurer
17:46 le château de Sade et ça ne s'est pas fait.
17:49 À la Coste, c'est ça ?
17:50 À la Coste, c'est ça, exactement.
17:51 Alors, finalement, il y a eu une histoire d'amour.
17:55 Et elle dit, votre mère, quand je suis amoureuse, je fais des enfants.
17:59 Heureusement, je n'ai pas été amoureuse 36 fois.
18:01 Oui, elle a eu trois hommes, trois enfants.
18:03 On est de trois pères différents et on est une fratrie assez belle
18:07 parce qu'on s'entend très bien et on s'aime profondément.
18:10 Ce n'est pas si simple.
18:11 Non, ce n'est pas si simple.
18:12 Le notaire, à sa mort, nous a dit "je n'ai jamais vu ça".
18:15 Des frères et sœurs de lits différents qui s'entendent comme ça.
18:19 Mais Régine Defors avait tout fait pour ça.
18:21 Oui.
18:22 Il se trouve que grâce à Jean-Jacques Pauvert, elle rencontre Dominique Horry
18:26 sans savoir que c'est celle qui, sous le nom de Pau et de Réage,
18:29 a écrit "Histoire d'eau".
18:31 Alors ça, c'est une rencontre importante aussi.
18:33 C'est elle qui, donc, elle fond ensemble "Omadi"
18:37 et c'est Pauline Réage qui lui dit "ma petite, il faut que vous écriviez".
18:43 Et c'est elle qui l'a poussée à écrire son premier livre.
18:46 Et Dominique Horry, on a su à la fin de sa vie qu'elle était, Pauline Réage,
18:49 l'auteur de "Histoire d'eau".
18:50 Elle a dit à 86 ans dans un journal américain.
18:53 Ça a été un secret, mais tout le monde l'a cherché pendant des années.
18:55 C'est fou quand même.
18:56 C'est fou.
18:57 Et Régine Defors connaissait la vérité.
18:58 Oui, bien sûr, elle connaissait la vérité.
18:59 Elles se voyaient beaucoup.
19:00 Elles avaient un amour réciproque et une admiration l'une pour l'autre.
19:06 En même temps, Régine Defors était quelqu'un qui ne s'en laissait pas compter.
19:10 Même ce qui ne serait pas possible aujourd'hui,
19:12 elle traînait la nuit dans les bars à Paris où il y avait parfois des dangers.
19:16 Il y avait parfois des dangers.
19:17 Elle avait toujours dit qu'elle aurait aimé faire un guide de la nuit parisienne pour les femmes.
19:22 C'est-à-dire savoir où une femme peut aller sans être importunée et sans risquer sa vie.
19:26 Et elle traînait, je crois, dans les cabarets un peu louches, dans les bars interlopes.
19:31 Je ne sais pas si c'était vraiment des cabarets louches,
19:35 mais en tout cas, elle aimait vraiment traîner la nuit, se promener, rencontrer les gens.
19:39 Les gens de la nuit la fascinaient.
19:40 Et en même temps, il y avait une liberté totale.
19:43 Elle n'a jamais eu le moins de problèmes.
19:44 Non.
19:45 Ce ne serait pas possible aujourd'hui.
19:46 Non.
19:47 Est-ce qu'elle se doutait de sa postérité quand elle voulait écrire ou pas du tout au départ ?
19:55 Je pense que l'histoire du cahier volé lui a vraiment coupé les ailes et coupé la plume.
20:01 Donc, elle ne s'est pas autorisée à écrire pendant des années.
20:05 Et c'est vraiment Dominique Corry qui lui donne l'élan et qui la pousse à écrire son premier livre.
20:13 Et après, elle en écrit quelques d'autres qui viennent à la suite jusqu'au moment où arrive...
20:18 On va en parler tout à l'heure.
20:20 Ce qui est fascinant avec elle, c'est qu'elle a toujours mené ses combats avec une liberté totale malgré les attaques.
20:27 Parce qu'elle a quand même été très attaquée régulièrement.
20:29 Énormément.
20:30 Et vous, ça ne vous traumatisait pas ?
20:32 Si.
20:34 J'ai été par exemple harcelée par un enfant de la maternelle jusqu'à la fin de la primaire au sujet de ma mère.
20:42 Qui me frappait, qui m'insultait.
20:45 C'était très violent.
20:47 Et ma sœur, quand elle était au collège, était traitée de bâtarde.
20:52 Mais à l'époque, personne ne disait rien.
20:55 A l'époque, c'était de toute manière admis qu'elle était une femme choquante, provoquante.
21:01 Donc en fait, beaucoup de gens ne supportaient pas ça.
21:05 Et encore aujourd'hui.
21:06 Mais est-ce que vous lui parliez, vous lui expliquiez que vous étiez harcelée ?
21:10 Non.
21:11 Non, parce que moi, on me disait...
21:12 Pardon, je ne sais pas si j'ai le droit de dire à l'antenne, mais ce garçon me disait "ta mère est une pute".
21:16 Et donc, ça ne me venait même pas l'idée d'aller rapporter ça à ma mère.
21:22 Elle ne l'a jamais su, je ne suis même pas sûre que mon père l'ait su.
21:24 Je l'ai gardée pour moi.
21:26 Je revenais avec des oeils au beurre noir, avec des blessures, mais je ne disais pas pourquoi.
21:32 Et en même temps, voir sa mère traitée de pute, ce n'est quand même pas très encourageant pour le moral d'une enfant.
21:37 Non, c'était très dur.
21:38 Mais en même temps, j'étais très fière d'elle.
21:40 Vous avez bien raison.
21:41 Alors, tout ça a changé et on va évoquer une autre date importante, le 9 octobre 2000.
21:45 A tout de suite sur Sud Radio avec Léa Wiazemsky pour parler de votre livre et aussi de Régine Deforge.
21:50 Sud Radio, les clés d'une vie.
21:55 Mon invité Léa Wiazemsky.
21:57 Nous parlerons tout à l'heure de votre livre "Petite éloge des cafés" aux éditions des Péregrines.
22:01 Et nous revenons sur votre mère, Régine Deforge.
22:04 Il mérite qu'on lui rende hommage dix ans après son départ.
22:07 On a évoqué ses livres érotiques, ses mariages.
22:11 Et le 9 octobre 2020, c'est un jour important à la télévision.
22:14 La chanson de Léa dans "La Bicyclette bleue".
22:28 Et c'est vrai que c'est le téléfilm en trois épisodes.
22:32 Je crois que c'est Claude Sautet et Jean-Loup Dabany qui ont fait l'adaptation de "La Bicyclette bleue".
22:36 Vous avez vu ce téléfilm ?
22:38 Oui, bien sûr, je l'ai vu.
22:40 Vous avez assisté au tournage ou vous l'avez juste vu ?
22:42 Non, j'ai juste vu avec Laetitia Casta dans le rôle principal.
22:47 C'est son premier rôle d'ailleurs.
22:48 Elle avait tourné un petit rôle de Falbala dans Astérix aux Jeux Olympiques.
22:52 Donc contre César.
22:53 Et là, c'est son premier grand rôle.
22:55 Et ça a vraiment été un événement.
22:57 Ça a été un événement parce que ça faisait quand même, je pense, 15 ans
23:01 que tout le monde attendait l'adaptation qui ne s'est pas fait à cause des divers procès liés à "La Bicyclette bleue".
23:09 Mais les droits avaient été achetés, je crois, en 1985.
23:13 Oui, alors il se trouve qu'à l'époque, je crois que vous rêvez de devenir comédienne en plus.
23:17 Alors j'en rêve, mais personne ne le sait.
23:20 Pourquoi ?
23:21 Parce que je n'osais pas du tout l'avouer.
23:23 Donc je n'ai rien dit.
23:24 Alors, le point de départ de "La Bicyclette bleue",
23:27 c'est un voyage à Malagare, la propriété de François Mauriac, en Gironde,
23:33 où votre père, Vyaz, emmène sa femme, Régine Deforge.
23:37 Oui.
23:38 Ça a été un coup de foot, je crois.
23:40 Elle a aimé cette maison comme on aime une personne, en fait.
23:45 C'est vraiment...
23:47 Je pense que c'est une de ses deux blessures, le cahier volé et la perte de Malagare.
23:53 On lui a arraché une partie d'elle-même quand on a perdu la maison.
23:57 Et pourquoi vous avez perdu la maison ?
23:58 Parce que la famille, les héritiers Mauriac, ont donné la maison à la région.
24:02 Et voilà, c'est devenu un musée.
24:03 C'est devenu un musée merveilleux.
24:05 Et vous connaissiez la maison ?
24:07 Oui, j'y ai passé tous mes étés jusqu'à mes 6 ans.
24:10 Comment était cette maison ?
24:11 Une maison à la fois très bourgeoise et très simple.
24:15 Une maison où tous les souvenirs de famille nous ouvraient les bras.
24:21 C'était...
24:23 Enfin, c'est d'ailleurs toujours...
24:25 Parce qu'elle n'a pas changé d'un iota.
24:27 Les pièces sont les mêmes, les meubles sont les mêmes.
24:29 Les visiteurs visitent la maison dans laquelle moi j'ai grandi.
24:33 Et c'était...
24:35 La vue sur la Gironde était incroyable.
24:39 Sur les vignes...
24:40 C'est un paradis, Malagare.
24:42 Alors c'est là qu'un jour, Régine Deforge s'installe sur le bureau de François Mauriac
24:47 pour commencer à écrire "La Bicyclette Bleue" qui est une commande au départ.
24:50 Tout à fait.
24:51 De Ramsey.
24:53 Ils avaient une idée de collection.
24:56 C'était d'écrire un livre à la manière d'eux.
25:00 De prendre un roman connu et d'écrire...
25:04 De le retranscrire à une autre époque.
25:06 Et maman qui était une fan absolue d'"Autant en Emporte le Vent"
25:10 décide donc d'écrire "Autant en Emporte le Vent" sous la Seconde Guerre mondiale, en France.
25:16 Donc Scarlett O'Hara, Red Butler, Mélanie et Ashley qui deviennent Léa Delmas, François Tavernier, Camille et Laurent.
25:23 Il y a Léa et Camille dedans.
25:25 C'est volontaire je suppose.
25:26 C'est volontaire, tout à fait.
25:28 Alors c'est vrai que dans ce décor de Malagare, qui je crois s'appelle Montillac dans le récit,
25:33 on retrouve exactement "Autant en Emporte le Vent".
25:36 Exactement, on retrouve vraiment le premier dixième...
25:39 Enfin, les 150 premières pages de "Les Bicyclettes Bleues" sont réellement un transpose d'"Autant en Emporte le Vent".
25:47 Ce qu'elle a toujours reconnu en fait, puisque c'était voulu.
25:50 En même temps, cette bicyclette bleue, c'est une bicyclette d'enfance.
25:54 Oui.
25:55 Elle a existé cette bicyclette ?
25:57 Alors elle a existé dans le sens où ma grand-mère paternelle, donc la fille de François Montillac,
26:02 pendant la Seconde Guerre mondiale, elle était donc à Malagare et passait des messages à la Résistance avec sa bicyclette.
26:08 Le problème c'est que Régine Defors décide de situer l'histoire dans la Seconde Guerre mondiale,
26:13 mais qu'elle ne connaît pas l'histoire de la Seconde Guerre mondiale.
26:16 Pas bien en tout cas. Et donc elle va se plonger là-dedans d'une manière totalement frénétique.
26:21 C'est-à-dire ?
26:22 Elle va aller rencontrer autant de grands résistants que des collabos terribles, des déportés.
26:28 Elle va éplucher les journaux de l'époque, elle va écouter les émissions qu'on avait...
26:34 Enfin qu'elle avait à ce moment-là, qu'on pouvait écouter, pardon.
26:38 Et elle va vraiment se faire un plongeon dans cette période.
26:41 Elle est née avant la guerre, donc elle a quand même toute l'énergie de la peur, la faim, le bruit des bombardements,
26:51 tout ça elle l'a quand même connu, donc ça lui parlait.
26:54 Elle était à la campagne, elle était près de...
26:57 De Mont-Morian, oui.
26:58 Exactement.
26:59 Et alors il se trouve aussi qu'elle va même vérifier la météo de l'époque, qu'elle va vérifier le nom des plantes de la région.
27:05 Oui, et vous vous rendez compte, elle faisait ça avant Internet.
27:07 C'est-à-dire je ne sais même pas combien d'heures elle a passé, parce qu'aujourd'hui c'est facile de retrouver ça.
27:11 Mais à l'époque, c'était quelque chose d'incroyable.
27:15 Je crois qu'un jour, Viase retrouve Régine Deforge, votre mère, en pleurs lorsqu'elle récrit l'exode de Carante.
27:21 Oui.
27:22 C'est vrai ?
27:23 C'est vrai. C'est vrai que moi je relis régulièrement La Bicyclette Bleue et ce passage est terrible, en fait.
27:32 Parce que ce n'est que des morts sur la chaussée, que des vies qui sont fauchées.
27:37 Et elle est traumatisée par ça, pratiquement.
27:39 Mais elle est allée jusqu'au bout de l'écriture, ça a été des années de travail et de souffrance, presque.
27:45 Oui.
27:46 Mais elle avait envie d'écrire ce sujet ? Parce que ça en était très loin des livres érotiques.
27:50 Oui, parce qu'en fait, je pense qu'elle en a fait des personnages de sa famille, Léa et François.
27:56 Ce sont des héros absolument incroyables, qui dépassent bien au-delà les héros de Margaret Mitchell dans Tourneau-Porte-Levant.
28:03 Léa est bien plus intéressante que Scarlett et François bien plus profond que Rhett.
28:07 En même temps, quand vous lisez le livre, il y a quand même des souvenirs de famille ?
28:10 Oui, plein.
28:11 Vous avez repéré plein de choses ?
28:12 Oui.
28:13 En tout cas, elle s'est beaucoup servie des journaux intimes de ma grand-mère paternelle, de la mère de mon père.
28:21 Elle s'est beaucoup servie de ce que Moriac a pu écrire aussi sur cette période.
28:26 Il se trouve aussi que le livre est tiré au départ à 20 000 exemplaires.
28:30 Oui, il ne s'attendait pas du tout à ce que ça fasse un succès pareil.
28:33 Et comment ça s'est fait ?
28:35 Petit à petit, mon père raconte qu'un jour, un journaliste de l'Obs lui fait un signe dans les bureaux.
28:43 Il dit "Viens, viens, viens, il se passe quelque chose avec le livre de ta femme, c'est en train d'exploser".
28:50 Et en fait, ça a explosé. C'est le bouche à oreille.
28:53 Le bouche à oreille complètement ?
28:55 Oui.
28:56 Parce qu'il y a eu très peu de télé ?
28:57 Très peu de télé et surtout, je pense que c'était la première fois, parce qu'en fait, la Seconde Guerre mondiale à ce moment-là n'était pas si loin que ça.
29:02 Et on n'en parlait pas encore et c'est le premier roman sur ce sujet.
29:06 Oui, et dans les familles qui avaient connu la guerre, on n'évoquait pas le sujet.
29:09 On en parle aujourd'hui seulement.
29:11 C'était un secret d'État presque.
29:12 Oui, tout à fait.
29:13 On ne racontait pas ce qui s'était passé.
29:14 Alors, résultat, elle va écrire 10 volumes.
29:16 Oui.
29:17 Mais il y avait la matière, comment elle faisait ?
29:19 Elle s'est servie, alors en même temps, la matière historique était là.
29:22 Elle s'est servie de tous les combats de la France et même d'ailleurs, que ce soit la guerre d'Indochine, la guerre d'Algérie.
29:30 Et puis, elle avait une passion pour les Cubains.
29:33 Donc, elle a fait la révolution cubaine et puis ensuite la révolution bolivienne.
29:37 Alors, pourquoi Cuba, cette passion ?
29:40 Parce qu'elle est tombée amoureuse de Camilo Sanfuegos, qui était un compagnon du Che et de Fidel,
29:47 qui a disparu en avion.
29:48 On n'a jamais su si c'était les Américains ou Fidel Castro qui l'avaient fait disparaître.
29:52 Et elle est tombée amoureuse de cet homme qui était un grand barbu, très beau.
29:57 Elle est partie au Cuba plusieurs fois.
29:59 Résultat, le livre sort dans le monde entier et c'est là que les héritiers de Margaret Mitchell se réveillent.
30:05 Oui, ils se rendent compte qu'en fait, effectivement, les 100 premières pages, c'est presque du copier-coller.
30:12 Mais c'était voulu.
30:13 Mais c'était tout à fait voulu.
30:14 Et ensuite, il va y avoir une série de procès à 10 ans.
30:17 Mais pourquoi 10 ans ?
30:18 Parce qu'ils gagnent une première fois, ensuite ma mère fait appel, elle gagne,
30:25 ensuite ils refont appel, ça dure comme ça un temps fou.
30:29 Et puis à un moment donné, on arrive à la cassation et à la cassation, elle gagne.
30:33 Et là, il n'y a plus rien à faire pour eux.
30:35 Non.
30:36 Mais en même temps, je crois que ce jour-là, vous êtes à l'école.
30:38 Je suis à l'école et alors que tout le reste de ma famille attend les résultats du procès.
30:44 Parce qu'en fait, ce procès, elle est décidé de notre vie.
30:46 C'est-à-dire que si ma mère perdait, on perdait tout.
30:48 On n'avait plus rien.
30:49 On était sur la paille.
30:50 Donc c'était quand même très, très, très angoissant pour elle, pour nous, pour moi.
30:54 Et mon père a appelé le collège et le proviseur est venu me chercher en classe pour que je puisse parler à mon père.
31:02 Vous avez eu peur que le proviseur ait dû vous chercher ?
31:04 Non, j'ai compris que ça devait être ça.
31:06 Mais par contre, j'avais peur de la réponse.
31:09 Et voilà, mon père m'a hurlé au téléphone, on a gagné !
31:12 En même temps, financièrement, ça a été très dur, ce combat de 10 ans, les avismes pour Régine Deforge.
31:19 Disons que si il n'y avait pas eu ce procès, ma mère aurait eu beaucoup, beaucoup, beaucoup d'argent.
31:25 Et en fait, elle a quasiment tout perdu avec ce procès.
31:28 Il se trouve en plus que, bon, il faut être honnête, les héritiers de Margaret Mitchell,
31:31 ils ont attendu qu'on soit vers la fin des droits d'autant d'importe le ventre pour faire écrire une suite,
31:36 Scarlett, par Alexandre Ripley, que j'ai rencontrée,
31:39 qui était insignifiante et qui n'avait aucun intérêt et qui n'a pas marché en plus.
31:42 Tout à fait.
31:43 Et alors, c'est drôle pour la petite histoire, il est sorti le même jour que le quatrième volume de La Bicyclette Bleue,
31:47 qui était Noir Tango. Donc, c'est quand même assez rigolo.
31:49 Elle a marché, l'autre n'a pas marché.
31:51 Ce qui est étonnant aussi avec votre mère, c'est qu'elle a écrit des livres auxquels on ne s'attendait pas.
31:55 Je crois qu'elle a écrit un livre sur les points de croix.
31:59 Oui, avec Geneviève Dorman, qui a été un énorme succès.
32:04 Elle a rendu le point de croix cool.
32:07 Mais pourquoi ce point de croix alors qu'on sort d'autre chose ?
32:11 Parce qu'elle adorait en faire, comme elle adorait faire de la reliure ou de l'encadrement.
32:15 Elle était très manuelle, ou la cuisine.
32:17 La cuisine justement, elle adorait faire la cuisine.
32:19 Oui.
32:20 Et je crois qu'il y avait un combat avec sa meilleure amie, qui était Sonia Rickel, au sujet de la mousse au chocolat.
32:24 Oui.
32:25 C'est-à-dire ?
32:26 Sonia, c'était son dessert préféré.
32:28 Elle la faisait, disait-elle, très bien.
32:31 Et ma mère, d'une manière pas très sympa, lui disait que non, elle était bien, mais sans plus.
32:37 En même temps, elles s'adoraient toutes les deux.
32:39 Elles s'adoraient, oui.
32:40 J'ai reçu Nathalie Rickel, voici quelques temps.
32:43 Elle a dit combien Régine Defors était près de Sonia Rickel.
32:47 Elles étaient comme deux sœurs, deux copines d'enfance en fait.
32:51 Comme si elles s'étaient connues très jeunes, alors qu'elles se sont connues à 38 ans.
32:55 Oui, mais pratiquement inséparables.
32:57 Inséparables.
32:58 Vous avez suivi tous les défilés de Sonia Rickel ?
33:00 Oui, j'y étais, j'ai même défilé pour elle deux fois.
33:02 Au Flore, je crois.
33:04 Oui, tout à fait, entre autres, pour Inscription Rickel.
33:06 C'était quoi ?
33:07 C'était une marque qu'elle avait lancée, qui malheureusement n'a pas marché,
33:10 qui s'appelait Inscription Rickel, qui se voulait un peu plus jeune.
33:12 Et j'ai défilé avec Clotilde Courreau d'ailleurs, qui était une toute jeune comédienne.
33:16 Et moi j'avais 16 ans à l'époque.
33:18 Et j'étais tellement heureuse.
33:20 Alors il y a aussi, lorsqu'elle a eu 78 ans, Régine Defors, elle a publié ses souvenirs.
33:25 C'était l'enfant du 15 août, ça aussi ça a été un best-seller.
33:28 Et on a compris qui était Régine Defors.
33:30 Oui, pour moi ça l'a surtout tué ces mémoires-là.
33:33 Je pense que d'avoir écrit comme ça sur elle et d'être replongée dans son passé,
33:37 c'est ce qu'il a...
33:39 C'est ce qu'il a...
33:40 C'est luisé.
33:41 C'est luisé, oui.
33:42 Épuisée moralement, physiquement.
33:44 Et je pense qu'elle s'est rendue compte que...
33:46 qu'elle n'avait plus tellement envie.
33:49 Elle disait... La vieillesse lui faisait peur, je crois.
33:52 Elle détestait ça.
33:53 Mais elle avait moralement... C'était une jeune femme.
33:56 Oui, mais en fait elle supportait pas la vieillesse de son corps.
33:59 Parce qu'elle ne pouvait plus faire autant de choses qu'avant.
34:02 Mais ce livre a été aussi un immense succès.
34:04 Oui.
34:05 Et ça l'a pas rassurée ?
34:07 Non, parce que je pense que ça a été déjà très...
34:09 Elle est vraiment morte 4 mois après la sortie.
34:12 Donc ça a été très très vite.
34:14 Je suis même pas sûre qu'elle ait su que le livre avait marché.
34:17 Non, ça l'a pas rassurée.
34:21 Alors quand on voit le parcours d'origine de Forge,
34:23 on se dit qu'elle a ouvert la voie au féminisme d'aujourd'hui ?
34:26 Oui, mais les féministes, beaucoup ne l'aiment pas.
34:29 Et pourquoi ?
34:30 Parce que c'est une féministe très libre,
34:32 qui ne s'oppose pas aux hommes.
34:35 En fait, pour elle, elle est de toute manière légale des hommes.
34:38 Et vous savez, pour les 343 salopes, c'est ça ?
34:42 Oui, c'est ça.
34:44 Elle avait signé, ils l'ont retirée.
34:46 Elles l'ont retirée.
34:48 Elles n'ont pas accepté qu'elle fasse partie des signataires.
34:51 Et qu'est-ce qu'elle ferait aujourd'hui s'il était parmi nous ?
34:53 Oulah ! Je pense qu'elle s'en prendrait plein la figure,
34:55 de la part de toutes les féministes.
34:57 Je crois qu'elle était habituée quand même.
34:59 En tout cas, merci d'en parler comme ça avec émotion.
35:01 On va maintenant parler de vous à travers votre livre.
35:04 Et la date du 2 février 2024.
35:06 A tout de suite sur Sud Radio avec Léa Wiazemsky.
35:09 Sud Radio, les clés d'une vie. Jacques Pessis.
35:12 Sud Radio, les clés d'une vie. Mon invité Léa Wiazemsky.
35:15 On a beaucoup parlé de Régine Deforge, votre mère,
35:17 en lui rendant hommage dix ans après sa disparition.
35:20 Et il se trouve que vous, sa fille, vous êtes aussi écrivain.
35:24 Et le 2 février 2024, à vos livres précédents,
35:28 vous avez ajouté un petit éloge des cafés.
35:30 C'est un livre qui est paru chez les Peregrines,
35:33 qui raconte votre amour pour les cafés,
35:36 qui sont votre seconde maison, je crois.
35:38 Oui.
35:39 Comment c'est né cette idée de livre ?
35:41 Elle est née parce qu'on voulait, avec Aude Chevrillon, mon éditrice,
35:44 travailler ensemble.
35:46 Qu'ils ont chez les Peregrines depuis longtemps cette collection Petit Éloge.
35:49 Et que j'ai une passion depuis toujours pour les cafés.
35:53 J'y ai traîné beaucoup, j'y ai même travaillé longtemps.
35:57 Et donc c'était une évidence pour moi de faire un Petit Éloge des cafés.
36:01 Et en même temps, c'est raconter des lieux et les souvenirs qui en découlent, vous concernant.
36:04 Oui, tout à fait.
36:05 Alors d'abord, vous racontez une histoire.
36:07 C'est un Paris historique qui a parfois disparu.
36:11 Le vrai troqué parisien existe de moins en moins.
36:16 Là, je me rends compte que tous les cafés dont je parle dans le livre,
36:19 où j'allais, où j'aimais aller, ont tous fermé, en fait.
36:23 Voilà.
36:24 C'est terrible.
36:25 Il y a plusieurs noms.
36:26 Il y a le troqué, le rat, le boui-boui.
36:29 Pierre Perret l'a immortalisé dans ses chansons.
36:31 C'est vrai que le café a plusieurs noms.
36:33 Oui.
36:34 Et vous les avez retrouvés, vous avez donné des explications à chaque fois.
36:36 Oui.
36:37 Parce qu'en fait, ça vraiment, il désigne une époque, une fonction aussi.
36:41 C'est-à-dire que le café, c'était vraiment un lieu, en tout cas avant la fin du 19e siècle,
36:50 c'était un lieu chic, où on ne fumait pas, où on allait plutôt pour réfléchir et converser.
36:54 Contrairement aux rads ou aux troquets, ou aux bistrots.
36:57 Comment est né votre amour des cafés, Lia Wazemsky ?
37:00 Je pense très jeune.
37:02 Ma nourrice m'y emmenait beaucoup parce que sa soeur en tenait un.
37:05 Donc j'y étais longtemps.
37:07 Et puis après, mes parents avaient aussi leur lieu où on allait déjeuner le week-end,
37:10 qui était le Chez de l'Abbaye, où j'adorais aller avec eux.
37:14 Et puis à l'âge de 16 ans, 17 ans, pardon, je me suis fait une bande d'amis, une bande de filles,
37:22 qui m'a introduit dans les cafés.
37:24 Et ça, ça a été merveilleux parce qu'on y révisait, on séchait les cours là-bas.
37:30 Enfin, c'était génial.
37:31 Oui, sauf que votre mère, de temps en temps, ne savait pas où vous étiez.
37:34 Non.
37:35 Mais elle n'était pas très inquiète, contrairement à la mère d'une d'entre elles,
37:38 qui appelait le café pour savoir où était sa fille.
37:41 Moi, maman, le café en question était rue de Bussy, donc je la voyais passer
37:45 parce que son bureau et son appartement étaient d'un point à l'autre du café.
37:51 Et elle ne vous disait rien ?
37:53 Elle ne me voyait pas, je me cachais. J'étais très timide.
37:56 Et d'ailleurs, les cafés, ça a été aussi le lieu de prédilection de Jean-Marie Gouriot
38:00 pour écrire ses brefs de comptoir, sauf qu'il prenait des notes à partir du matin,
38:04 qu'il buvait quelques coups et le lendemain matin, il n'arrivait pas à relire toutes ses notes.
38:08 Ça ne m'étonne pas.
38:10 Et Michel Audia aussi traînait dans les cafés,
38:12 et c'est comme ça qu'il a pu trouver ce vocabulaire qui est devenu le classique dans ses films.
38:17 Alors, dans les cafés, il y avait aussi un garçon qui vendait Le Monde tous les jours
38:21 et qui continue à le vendre aujourd'hui.
38:23 Ali, c'est extraordinaire, il était dans tout sa germe indéprêt,
38:26 et il avait une fausse une du monde qu'il inventait, et il vendait des paquets de journaux.
38:31 Oui, et les gens y croyaient, c'est-à-dire qu'ils criaient un mensonge gros comme une maison,
38:36 et finalement, tout le monde courait acheter ses journaux, c'était très drôle.
38:39 Et c'était une époque où justement il y avait une joie de vivre dans les cafés ?
38:43 Oui, oui, oui. Mais elle a disparu il n'y a pas si longtemps que ça, cette joie de vivre.
38:47 Et c'était quoi cette joie de vivre ?
38:49 C'était une forme de liberté, d'insouciance, on pouvait effectivement rester à une table
38:55 pendant plus d'une heure, deux heures, trois heures, sans consommer autre chose qu'une tasse de café.
38:59 Aujourd'hui, c'est plus possible.
39:01 Et à l'époque, vous buviez quoi ?
39:03 Du café, enfin non, je buvais des verres de lait, parce que je n'aimais pas le café,
39:06 et que la seule chose qui était moins chère, qui avait le même prix que le café, c'était le verre de lait.
39:11 Le reste était beaucoup trop cher, les jus d'orange, les cocas, c'était hors de prix.
39:14 À l'époque, on vous laissait effectivement passer avec vos copines quelques heures sans que ça pose au moins de problèmes.
39:20 Oui, mais je pense qu'ils nous croyaient à l'école, enfin ils nous croyaient au lycée.
39:23 Ils ne pensaient pas du tout qu'on était au café.
39:26 Il se trouve aussi que les garçons de café étaient à l'époque une institution, les Avias-Emsky.
39:32 Oui, et c'est vraiment une marque de fabrique à la française, le garçon de café,
39:37 avec son plastron, son plateau, cette espèce de raideur comme ça dans le corps.
39:44 On n'en voit plus beaucoup, à part encore au Flore ou au Demago, dans des lieux comme ça,
39:50 ça reste quelque chose de rare malheureusement.
39:52 Et les premiers cafés, d'après mes recherches, datent de 1800,
39:56 mais personne n'y croit, puisqu'en 1869, on dit "les cafés, ça passera comme racines".
40:01 Oui, tout à fait.
40:02 C'était Madame de Sévigné qui disait ça, qui disait que le café passera comme racines.
40:08 Oui, peut-être pas tout à fait à raison.
40:10 Alors, il se trouve justement, à propos de Madame de Sévigné,
40:12 que dans les cafés, il y a l'histoire de France,
40:15 et vous le racontez dans ce livre, les Avias-Emsky notamment, en évoquant le Procope.
40:19 Oui, qui est le premier café parisien.
40:21 Et donc il y avait Diderot, d'Alembert, et c'est là qu'est née l'idée de l'encyclopédie ?
40:25 Oui, et c'est là que Franklin écrit les débuts de la constitution des Etats-Unis.
40:30 Benjamin Franklin, il est venu en France à ce moment-là, il a rendez-vous avec Louis XVI.
40:34 Tout à fait.
40:35 Et il va dans ce café.
40:36 Oui.
40:37 Parce que...
40:38 C'est le café où il faudrait être.
40:39 Voilà, exactement.
40:40 Et je ne sais pas si vous le savez, mais ensuite, quand il voit Louis XVI,
40:43 il rencontre Marie-Antoinette, qui lui demande comment ça va dans votre pays,
40:46 et il répond à "Madame, ça ira, ça ira".
40:48 Et c'est comme ça qu'est née la chanson historique de la Révolution.
40:53 Alors, les cafés, c'était aussi le lieu incontournable,
40:56 je vais vous le raconter, avant l'arrivée de la télévision.
40:59 C'était le réseau social de l'époque, c'était là où tout se passait, se disait,
41:03 c'était là où on apprenait souvent, c'était là où il y avait un poste de radio
41:06 ou même une télévision au tout début.
41:08 Donc c'était là que les gens se retrouvaient pour prendre des nouvelles des uns des autres,
41:12 des nouvelles du monde, et où se créaient des amitiés, des inimitiés d'ailleurs,
41:18 des histoires d'amour...
41:20 C'est une vie, c'est un microcosme en soi, un café, c'est vraiment un monde à part entière.
41:25 Et vous assistiez à des scènes comme ça, assez étonnantes ?
41:28 Oui, j'ai assisté à des rencontres, à des histoires d'amour folles, à des bastons...
41:33 En même temps, la télévision, c'est vrai qu'à l'époque, il y en avait très peu,
41:37 ça a démarré vraiment quand Elisabeth II a été couronnée,
41:40 là on a vendu, je crois, 5 000 postes par jour,
41:42 mais avant, personne ne regardait la télévision.
41:44 Non.
41:45 Et vous, à la maison, vous aviez la télévision ?
41:47 On avait la télévision. Je ne l'ai plus aujourd'hui, mais on avait la télévision.
41:51 Alors, votre enfance, Léa Wysalemski, c'est aussi un café Place Saint-Michel,
41:55 où vous pensez à tout ce qui s'est passé à Saint-Germain-des-Prés.
41:57 Oui.
41:58 D'ailleurs, j'y suis passée hier, et figurez-vous que lui aussi a disparu.
42:05 On lui a changé son nom, ça s'appelle "Le G", donc ce n'est plus "La Gentilhommière",
42:10 et c'est devenu un café qui ressemble à tous les autres, avec des couleurs pastelles ridicules.
42:15 Ça m'a rendu très triste.
42:17 Oui, d'autant plus que ce quartier de Saint-Germain-des-Prés, vous n'avez pas connu,
42:20 mais c'était le quartier de Gréco, de Vadim, des existentialistes.
42:25 Oui, et c'est vrai que ma mère a connu, elle, pour le coup, tout ça.
42:28 Elle était déjà dans ce quartier-là, à ce moment-là.
42:31 Et finalement, vous auriez aimé vivre cette époque ?
42:35 Je crois, oui.
42:38 Je pense, parce que ça correspond exactement à ce que vous aimez.
42:42 La première photo, la première fois où on parle des existentialistes,
42:46 c'est une photo qui a été prise au Tabou, dans la cave,
42:49 avec Juette Gréco et Roger Vadim, jeunes assistants,
42:52 et dans "Samedi soir", qui est l'ancêtre des "Journo People",
42:55 on voit le mot "existentialiste". C'est comme ça que c'est né.
42:58 Et le café de flore, justement, aussi, Sartre y était.
43:02 Bon, vous ne l'avez pas croisé, mais en même temps, on a raconté qu'il avait fait une conférence au café de flore.
43:07 Mais alors, il paraît que ce n'est pas vrai.
43:09 Mais oui, il l'a fait ailleurs.
43:11 Mais en même temps, ça fait partie des légendes.
43:14 Quand vous étiez dans ces cafés, vous pensiez à ceux qui, un jour, y étaient passés ?
43:19 On ne peut pas s'empêcher de ne pas penser à eux. Ils ont quand même créé ces lieux.
43:22 C'est eux qui leur ont donné leur grandeur.
43:25 Vous avez aussi été serveuse dans un café. Je crois que vous avez commencé au culot.
43:30 Oui, parce que le café où on a les jeunes filles, c'était le Dauphin.
43:34 Et les deux serveurs du Dauphin, qui s'appelaient Laurent et Gérald,
43:39 ont quitté le Dauphin pour créer leur propre bistro,
43:43 qui s'appelait le 3ème Bureau, dans le 11ème.
43:46 Et ma mère m'avait dit "Ok, tu veux faire du théâtre, très bien, mais tu te paieras tes cours."
43:50 Donc je suis allée les voir, je leur ai dit "Est-ce que je peux être serveuse ?"
43:53 Ils m'ont dit "Est-ce que tu l'as déjà été ?" Je dis "Bien sûr que oui !"
43:55 Ce qui n'était absolument pas vrai.
43:57 J'ai eu quelques heures pour apprendre à tenir deux tasses en même temps.
44:00 Et puis voilà. J'ai commencé une carrière dans la restauration que j'ai adorée.
44:05 Pendant des années.
44:07 À s'occuper du bar, à s'occuper de quoi ?
44:10 Du bar, de la salle, de tout.
44:14 Et en parallèle, vous prenez des cours de théâtre chez Jean Périmoni, je crois.
44:17 Et puis il y a quand même des cafés importants dans la vie.
44:20 Il y a quelqu'un qui a travaillé dans un café pendant 40 ans pour payer ses dettes.
44:24 * Extrait de "Le Grand Café" de Charles Trenet *
44:33 Le Grand Café de Charles Trenet, qui évoque ses cafés plein de manieurs,
44:36 ses cafés d'avant-guerre qu'il a connus enfant.
44:39 Et c'est vrai que Charles Trenet, c'est votre idole absolue ?
44:43 C'est notre idole à tous les deux.
44:45 Oui, c'est ma grande histoire d'amour.
44:48 C'est-à-dire ?
44:49 Je l'ai découverte toute petite en voiture avec les parents.
44:53 Je connaissais toutes ses chansons par cœur.
44:55 Je suis allée le voir en concert plusieurs fois.
44:57 J'ai même dragué Guy Béart pour pouvoir rentrer dans sa loge
45:00 lors d'un de ses derniers concerts à Pléiel.
45:03 Oui, je vous ai croisé d'ailleurs.
45:05 Donc j'ai des photos de moi.
45:07 Il traînait où je suis à genoux devant lui, où je le regarde.
45:10 Et puis sa mort a été...
45:13 Mes amis m'appelaient pour me faire part de leur condoléance.
45:17 Oui, carrément.
45:18 D'ailleurs, vous avez été à la Madeleine aussi ?
45:20 Oui, avec le culot, pareil.
45:22 Je pleurais tellement que le policier m'a laissé rentrer
45:25 dans l'église de la Madeleine, qui était réservée aux gens connus et importants.
45:29 Et puis je me suis retrouvée assise à côté d'Aznavour.
45:32 Et j'ai pu toucher son cercueil.
45:34 Et Aznavour aussi est devenu votre idole ?
45:36 Alors oui, mais en fait, j'ai jamais aimé l'homme.
45:40 Pour l'avoir vu souvent lui aussi sur scène, j'ai jamais aimé l'homme.
45:44 Ce qu'il dégageait sur scène ne m'a jamais touchée.
45:46 J'ai aimé ses chansons, bien sûr, mais là où il traînait,
45:49 je pouvais passer des heures à le regarder chanter sur scène.
45:52 Aznavour, je l'ai toujours trouvé très froid sur scène.
45:55 Alors que c'est un homme d'une chaleur incroyable, moi je l'ai bien connu aussi.
45:58 Il riait comme un fou.
46:00 Quand il traînait, et lui ensemble, c'était le roi et le prince,
46:03 il riait pendant des heures ensemble.
46:05 Ça devait être beau à voir.
46:06 C'était magnifique, et c'est vrai qu'il y avait une admiration réciproque.
46:09 Les chansons vous ont marqué aussi dans les cafés.
46:12 Les Chaudassins, Celles du Lais Amoureux, Les Amants d'un Jour.
46:16 Il y a plein de chansons liées à des cafés.
46:18 Plein, et encore, je ne les ai pas toutes mises.
46:20 Il y a aussi quelqu'un qui vous a marqué,
46:22 et que vous avez croisé dans un café, Léa Wyszynski, c'est Johnny Hallyday.
46:26 Oui, j'ai été fan deux fois dans ma vie, c'est de Traînay et de Johnny.
46:32 Ça a été deux grandes histoires d'amour qui continuent d'ailleurs aujourd'hui.
46:36 Et Johnny, vous l'avez croisé comment ?
46:38 Je l'ai croisé à la terrasse du café Edouard VII,
46:42 un café dans un théâtre,
46:45 où il était venu rencontrer, je crois, Murat,
46:48 Bernard Murat, pour mettre en scène cette pièce de Tennessee Williams.
46:53 Et quand j'étais là, j'étais là dans le café,
46:56 et je vois cette silhouette de fauve qui sort d'une pièce,
47:01 et je reste...
47:03 J'ai pu m'approcher de lui, me mettre aussi à ses genoux,
47:07 lui prendre la main et lui dire "Tout mon amour".
47:09 Et il était très gentil.
47:11 Très gentil.
47:12 C'est le contraire de ce qu'on aurait pu imaginer.
47:14 Il y a aussi quelque chose qui vous a marqué dans les cafés,
47:18 on vous a vu pleurer un jour parce que vous lisiez "Les Misérables".
47:21 Oui, j'ai terminé "Les Misérables" au Dauphin, rue de Bussy,
47:26 et je me souviens de ce moment parce que j'étais prise de sanglots,
47:29 j'étais inarrêtable.
47:30 Pour moi, c'est le chef d'oeuvre absolu,
47:33 avec le conte de Monte-Cristo.
47:34 Et il se trouve que les Thénardiers ont existé,
47:36 en fait il y avait un ennemi personnel, Victor Hugo, le baron Thénard,
47:39 d'où les Thénardiers.
47:40 Et puis alors vous évoquez les cafés de Paris,
47:42 mais aussi ceux de la Douce France Profonde,
47:45 parce qu'il y en a beaucoup en France, à Bordeaux, à Toulouse, un peu partout,
47:48 qui sont très importants et qui aujourd'hui restent dans la tradition.
47:52 Oui, et qui ont fait l'histoire de ces villes.
47:54 Voilà, et ça vous les connaissez ?
47:57 Je les connaissais, et puis j'y suis retournée pour écrire le livre,
48:00 et je me suis renseignée.
48:01 Par exemple, à Toulouse, je ne savais absolument pas
48:04 que Jaurès avait traîné dans ce café-là.
48:07 Il écrivait ses articles.
48:08 Et il y avait aussi Aix-en-Provence, où Cézanne venait.
48:11 Les deux garçons.
48:12 Et finalement, on sait que dans l'région parisienne,
48:15 les cafés sont toujours du branché,
48:16 mais les autres restent dans leur jus, non ?
48:18 Oui, heureusement.
48:19 C'est encourageant ?
48:21 En tout cas, c'est une respiration.
48:24 Quel est pour vous l'avenir des cafés ?
48:27 À entendre les jeunes aujourd'hui, ils continuent à y aller.
48:32 En fait, il n'y a qu'eux qui pourront redonner un souffle au café.
48:35 Il faut que la jeunesse continue à y aller,
48:37 et se rendre compte que c'est le seul endroit réel
48:40 où on peut connecter avec les gens, avec les autres,
48:44 où des milieux différents peuvent s'associer.
48:47 Et en même temps, il faut que le patron du café soit quelqu'un qui aime ce lieu.
48:52 Oui, de toute façon, pour faire ce métier, il faut aimer faire ça.
48:55 D'ailleurs, je vais rendre hommage, j'ai appris hier la mort de Michel,
49:00 qui tenait le dindon en laisse,
49:02 qui est une personne qui a son chapitre entier dans le livre,
49:06 et qui me disait, c'est un sacerdoce tenir un bistrot.
49:10 Si on veut faire du chiffre, il faut tenir une brasserie d'angle,
49:13 mais c'est un don de soi être bistrotier.
49:16 Et Michel a fait ça toute sa vie,
49:18 et d'une manière absolument merveilleuse.
49:21 Pour moi, c'est le dernier bistrotier qui est parti hier.
49:24 J'espère qu'il y en aura d'autres en tout cas.
49:26 Et en attendant, il faut lire ce petit éloge des cafés aux éditions Léber et Green.
49:30 Merci de l'avoir écrit, et merci car grâce à vous, on a vu vos paroles aujourd'hui.
49:35 Merci Jacques.
49:36 Merci, l'École d'université terminée pour aujourd'hui.
49:38 On se retrouve bientôt. Restez fidèles à l'écoute de Sud Radio.

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