• il y a 9 mois
Le 13/14 reçoit aujourd'hui 1er mars 2024, Vincent Jauvert, grand reporter, ancien chef du service étranger de "L’Obs" et auteur de « A la Solde de Moscou » qui paraît ce jour vendredi 1er mars, aux éditions du Seuil.

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Transcription
00:00 Bonjour Vincent Jauvert, vous êtes journaliste, vous avez réalisé plusieurs enquêtes par le passé sur le renseignement militaire,
00:06 milieu que vous connaissez bien, et vous publiez aujourd'hui aux éditions du Seuil à la solde de Moscou.
00:12 C'est une enquête qui nous apprend que des personnalités françaises, journalistes, hommes politiques, hauts fonctionnaires,
00:18 ont trahi leur pays dans les années 60, 70, 80, en donnant des informations ou en vendant des informations au régime communiste d'Europe de l'Est
00:27 et c'est notamment au service de la Tchécoslovaquie, la STB. On va en parler ensemble, on va en parler avec les auditeurs également,
00:33 qui peuvent vous poser leurs questions. 0145 24 7000, ça se passe aussi via l'application France Inter.
00:40 Vincent Jauvert, on va prendre l'histoire au départ. Ces noms que vous publiez dans cette enquête, vous les découvrez dans les archives des services secrets tchécoslovaques.
00:50 Comment est-ce que vous avez l'idée d'aller y fouiller ?
00:54 Oh, c'est tout simple. J'ai trouvé un article dans une revue spécialisée d'un historien tchèque d'aujourd'hui,
01:02 qui racontait des histoires de Ben Barka, je ne vais pas en parler dans le détail, qui était lui aussi un agent de la STB, donc des tchèques,
01:10 et il citait plusieurs noms de journalistes ou plusieurs noms de journaux. Donc, je lui ai téléphoné, on s'est parlé et j'ai compris qu'il y avait vraiment une matière extraordinaire,
01:19 puisque c'est le seul service de renseignement qui est ouvert, toutes ces archives, jusqu'en 89, jusqu'à l'archive du communisme.
01:26 Et donc, on a tout l'opérationnel, le quotidien de tous les jours.
01:32 Il y a vraiment le détail dans ces rapports.
01:34 Les détails des rencontres, les factures, des cadeaux, tout.
01:38 Les notes de restaurant.
01:39 Les notes de restaurant. Il faisait attention à avoir des notes manuscrites, de façon à bien piéger les gens.
01:47 Et donc, on a toutes ces notes manuscrites de chacun de ces agents français ou collaborateurs.
01:54 Donc, c'est un document exceptionnel.
01:55 Je parle de ces archives et du coup, ça donne un livre original de ce fait là.
01:59 Avec les noms en français et aussi les pseudos, les deux figures dans les rapports.
02:05 Les noms et les différents pseudos.
02:10 Au fur et à mesure de leur carrière d'agent, ils changeaient de pseudos, soit pour les protéger, soit parce qu'ils montaient en grade.
02:16 C'est une enquête dont on parle de sources.
02:17 La source principale, ce sont ces rapports.
02:19 Est-ce que vous en avez eu d'autres ?
02:20 Est-ce que vous avez cherché à confirmer ces noms auprès d'autres sources françaises, par exemple ?
02:25 Oui, bien sûr.
02:26 J'ai vérifié auprès des anciens de la DST, du service d'espionnage français,
02:30 les responsables de ces années-là, pour confirmer leur soupçon ou pas.
02:35 Pour certains, ils ont été surpris.
02:37 Pour d'autres, ils m'ont dit "faites attention".
02:39 C'est quelqu'un qui travaillait en fait pour nous.
02:40 C'est le cas de Patrick Collier, qui en fait travaillait...
02:43 - Ancien président de l'Assemblée nationale, qui en fait était un agent double.
02:46 - En fait, oui, une sorte d'agent double qui travaillait,
02:51 qui a tout de suite prévenu la DST qu'il était en cheville.
02:55 Il a fait en sorte que les Tchèques essaient de le recruter et il a prévenu la DST tout de suite.
02:59 - Et ces informations ne restaient pas en Tchécoslovaquie.
03:01 Elles étaient transmises régulièrement à Moscou, d'où le titre du livre "À la solde de Moscou".
03:06 - Absolument.
03:07 La STB, le service tchécoslovaque, n'était qu'une filiale, une petite sœur du KGB.
03:12 Il renvoyait tout, il demandait en permanence s'il voulait recruter quelqu'un.
03:16 Il demandait à Moscou "Est-ce qu'on peut le faire ? Est-ce que vous avez des choses sur lui ?"
03:19 Parfois, il disait "Non, on l'a déjà chez nous" ou "On est intéressé", donc il s'est tombé.
03:25 - Voilà pour le travail.
03:26 Les sources, c'était important parce que ce sont des accusations extrêmement graves,
03:30 évidemment, que vous publiez.
03:34 Donc, il fallait expliquer comment vous avez travaillé.
03:37 Alors, les noms que vous découvrez, il y a des noms qui nous sont familiers.
03:40 Le plus en vue, c'est celui de Gérard Carrérou, qui est à l'époque chef du service politique d'Europe 1,
03:44 qui deviendra plus tard patron de l'info de TF1.
03:46 Son nom de code, c'est "Franck".
03:48 Et vous trouvez trace de ces renseignements de 1981 à 1985.
03:54 Quel rôle est-ce qu'il a joué précisément ?
03:56 - Alors, Gérard Carrérou n'était pas un agent.
03:59 Il était ce qu'on appelle un collaborateur de confiance.
04:01 C'est-à-dire qu'il renseignait la STB en fonction de ce que la STB lui demandait.
04:07 Son officier traitant lui demandait.
04:09 Mais il n'était pas aux ordres comme les agents.
04:13 Et il n'était pas rémunéré.
04:14 Il recevait des cadeaux, quelques-uns.
04:18 Gérard Carrérou travaillait plutôt par idéologie, dans une certaine mesure.
04:21 À l'époque, c'était quelqu'un qui était assez à gauche.
04:24 Et parce qu'il était flatté par l'attention que lui accordait son officier traitant,
04:29 qui n'était officiellement qu'un modeste employé à l'ambassade de Tico-Slovakie.
04:33 Et qu'il a rencontré toutes les six semaines pendant trois ans.
04:37 Donc ça, ça figure dans les rapports.
04:39 Il y a par exemple les notes de restaurant.
04:41 Donc vous savez quand il a déjeuné avec ce représentant.
04:48 En fait, c'était le numéro deux des services spéciaux tico-slovak à Paris.
04:52 Il faut dire qui est Gérard Carrérou à l'époque.
04:54 Il est chef du service politique d'Europe 1.
04:56 Mais c'est aussi un proche de Pierre Bérigauvois, qui est secrétaire général de l'Elysée.
05:00 Il a ses entrées à l'Elysée où François Mitterrand vient d'être élu.
05:03 Absolument. D'autant plus qu'il était...
05:06 Ça fait drôle aujourd'hui, le connaissant, il était au PSU.
05:10 - Parti socialiste unifié, donc plus proche de Michel Rocard, si je dois résumer.
05:14 - Michel Rocard, Mendès France, Bérigauvois, Ernu.
05:18 Tout ceux qui... Une bonne partie de ceux qui seront au pouvoir à partir de mai 80.
05:23 Et donc, il était parmi les journalistes qui avaient la meilleure entrée au sein du pouvoir français.
05:29 Il voyageait avec François Mitterrand à l'étranger.
05:32 Et donc, c'est pour ça qu'il a été ciblé, bien sûr.
05:34 - Et vous affirmez qu'il informe les services tchécoslovaques que le président Mitterrand a un cancer.
05:39 Alors, il se trompe de cancer. Mais enfin, les tchécoslovaques sont avertis très tôt,
05:43 avant les Français d'ailleurs, que le président de la République est malade.
05:46 - Oui. Et d'ailleurs, Gérard Carrérou, que j'ai rencontré, bien évidemment, j'ai fait mon travail, ne dément pas ça.
05:52 Effectivement, il a informé de sa rencontre avec un médecin ou plusieurs médecins du Val-de-Grâce,
05:59 du fait que François Mitterrand allait régulièrement se faire soigner là-bas.
06:02 Lui dit aujourd'hui, ça faisait partie de mon métier de sortir, de rencontrer des gens, de déjeuner.
06:07 Et j'ignorais que cet homme faisait du renseignement.
06:11 - Eh bien, c'est là où nous ne sommes pas d'accord.
06:13 D'abord, rencontrer toutes les six semaines, pendant plusieurs années,
06:18 un modeste employé de l'ambassade tchécoslovaque, pays ennemi, petit pays ennemi à l'époque.
06:24 Nous étions dans l'autre camp.
06:26 Je ne vois pas en quoi c'était des relations mondiales traditionnelles.
06:31 Lui dit, je voyais énormément de gens.
06:32 Et d'ailleurs, je n'avais pas besoin de me faire inviter au restaurant.
06:35 J'allais toujours au restaurant pour rencontrer des sources.
06:37 C'était mon métier.
06:38 - C'est vrai, c'est ce qu'il dit.
06:39 Mais s'il peut expliquer pourquoi est-ce qu'il a rencontré si souvent cet homme-là, plus de 30 fois ?
06:45 Pourquoi il a arrêté au bout d'un moment ?
06:47 Si c'était un ami, pourquoi du jour au lendemain, il n'a plus voulu le voir ?
06:51 Et pourquoi dans les dossiers tchécoslovaques, il est écrit que lui-même a accepté d'être agent,
06:57 alors que quand quelqu'un dont on cherchait à être l'agent, dont on voulait qu'il soit l'agent,
07:05 souvent les tchèques disaient que ça n'a pas marché.
07:08 Le recrutement n'a pas marché.
07:10 Ils l'ont d'ailleurs dit pour Gérard Carreyrou dans les années 60.
07:13 Ils ont essayé dans les années 60 et ça n'a pas marché.
07:15 Ils l'ont écrit. Là, ils ne l'ont pas écrit.
07:17 - Question d'Emmanuel qui nous appelle de Limoges.
07:21 Bonjour Emmanuel.
07:22 Question sur les motivations, je crois.
07:24 On a dit que Gérard Carreyrou n'était pas rémunéré.
07:28 On vous écoute.
07:29 - Bonjour.
07:30 J'ai une double question.
07:33 Quel était l'intérêt intellectuel, puisque c'est forcément intellectuel,
07:39 de favoriser les Russes à ce moment-là,
07:43 sachant qu'effectivement après l'Union soviétique,
07:46 a eu Eltsine, qui était un alcoolique notoire,
07:49 qui a amené la démocratie, mais qui était alcoolique,
07:51 pour déboucher à Poutine.
07:53 Quelle a été à ce moment-là la vision des socialistes de se dire
07:57 on va aider le gouvernement russe de l'époque ?
08:01 - Merci Emmanuel pour cette question.
08:04 Il n'est pas question des socialistes dans votre livre.
08:07 Il y a des personnalités qui viennent de tous bords politiques.
08:11 - On était bien avant l'arrivée de Boris Yassine.
08:15 On était au sommet de la guerre froide.
08:18 C'était Brazinien au pouvoir encore pendant quelques temps.
08:20 Donc on était dans une situation complètement différente.
08:23 - Quel est l'intérêt ?
08:25 Si on ne s'enrichit pas...
08:27 - Et quel intérêt avait Philby, qui n'était pas payé non plus ?
08:30 C'est un mélange d'idéologie et de flatterie.
08:33 Vous savez, quand on vous dit ce que vous nous avez dit,
08:36 c'est d'aller directement au Kremlin,
08:38 ça les a beaucoup intéressés, et vous avez aidé
08:42 au développement de la paix dans le monde.
08:44 Eh bien on est flattés.
08:47 Et je pense que c'est pour cette raison que Gérard Carier,
08:49 qui n'était pas de loin l'agent le plus important,
08:51 c'est celui dont on parle le plus, mais il n'était pas de loin le plus important,
08:55 je pense que c'est pour cela que Gérard Carier a tenu pendant quelques années
08:59 avant de dire stop et arrêter complètement.
09:01 - Et on se rend compte, à vous lire Vincent Jauvert,
09:03 que les informations transmises peuvent être extrêmement sensibles.
09:06 On a parlé de la santé du président Mitterrand à l'instant.
09:09 Je pense au rôle qu'a joué l'ancien résistant Albert-Paul Lantin,
09:12 devenu journaliste, qui donne des éléments dans les années 60
09:17 aux Tchécoslovaques sur la bombe H française,
09:19 qui est en préparation.
09:21 - Exactement.
09:21 Il leur révèle que la bombe H a des retards,
09:25 les travaux ont du retard.
09:26 Il dit exactement quels sont les nouveaux scientifiques
09:30 qui vont travailler sur la bombe H.
09:32 - Il donne des noms de scientifiques ?
09:33 - Il donne des noms, information totalement secrète à l'époque.
09:36 Et donc c'est une information décisive dans le cadre de l'affrontement Est-Ouest.
09:41 Donc oui, il donne d'autres choses Lantin, et d'autres sources.
09:46 Il donne aussi les fragilités de certains responsables
09:52 sur leur meurtre sexuel, sur leur situation financière,
09:54 de façon à pouvoir les mettre en fragilité
09:58 et qu'ils puissent être recrutés par la STB.
10:02 - Il y a ça aussi effectivement, notamment via Gérard Lecomte,
10:06 qui est conseiller du préfet de police de Paris,
10:08 qui a accès à toutes les notes des renseignements généraux.
10:10 Donc à Prague et à Moscou, on sait quelles sont les turpitudes,
10:16 les vices, les faiblesses des personnages importants de Paris,
10:20 mais de tout un tas de personnalités parisiennes et françaises de premier plan.
10:25 - Absolument.
10:27 Toutes ces notes blanches des RG, des RG,
10:30 mais aussi des notes de la DST, mais aussi des notes du SDEC,
10:32 l'ancêtre de la DGSE, sont transmises à la STB,
10:37 et surtout en fait au KGB, c'est celui qui en avait le plus besoin.
10:40 Donc ils ont un portrait assez saisissant de la France des années 60.
10:46 Il faut attendre l'ouverture des archives du KGB pour savoir ce qu'ils en ont fait.
10:50 - Ça veut dire que notre contre-espionnage était complètement à la ramasse ?
10:54 Vous me pardonnez l'expression ?
10:57 - Non, pas sur le compte.
10:59 Ils savaient, ils l'ont même arrêté,
11:02 mais dans les mémoires d'un ancien directeur de la DST
11:06 qui parle de cette affaire sans donner le nom,
11:08 il est clair que les Français, les autorités politiques
11:11 n'ont pas voulu faire connaître cette affaire
11:14 parce qu'ils ne voulaient pas dire que l'État français était infiltré.
11:17 - Alors il y a les noms qu'on trouve dans cette enquête à la solde de Moscou,
11:21 il y a ceux qui n'y figurent pas non plus.
11:23 Il n'y a pas de personnalité politique de premier plan,
11:25 il n'y a pas de nom de chef d'État, de Premier ministre ou de ministre.
11:30 Est-ce à dire que ça n'a pas existé ?
11:32 Ou bien que peut-être si ces noms ou si ces personnalités
11:36 ont travaillé avec l'Est,
11:38 elles n'ont pas été retranscrites ou c'est dans d'autres dossiers ?
11:41 - Chez les Tchèques, la personnalité politique de l'époque
11:45 qui travaillait pour eux la plus importante était Claude Estier.
11:49 Maintenant, la rumeur a circulé depuis longtemps.
11:52 Là, on a les preuves.
11:53 - Ancien sénateur socialiste.
11:55 - Ancien sénateur, président de la commission des affaires étrangères quand même.
11:59 Non, il n'y avait pas de ministre et d'homme de ce niveau-là
12:03 dans les archives de la STB, Tchécoslovaque.
12:05 - C'est ça.
12:06 - Ça ne veut pas dire qu'il n'y en a pas dans les archives du KGB.
12:09 - Vous écrivez, c'est d'ailleurs au tout début du livre, Vincent Jauvert,
12:13 "C'est toujours vrai, voilà pourquoi les services secrets russes",
12:16 on parle d'aujourd'hui,
12:17 "continuent de recruter informateurs et agents d'influence
12:20 parmi les reporters occidentaux plus que jamais sans doute".
12:24 Ce que vous lisez ou ce que vous entendez dans la bouche de certains reporters,
12:28 là, ces jours-ci, depuis quelques semaines,
12:29 dans le traitement de la guerre en Ukraine,
12:31 vous fait dire qu'il y a parmi les journalistes des agents russes ?
12:34 - Ça me paraît évident que...
12:39 Comment imaginer qu'un pouvoir russe,
12:42 qui est fait uniquement d'anciens du service de renseignement,
12:47 qui est en guerre avec nous,
12:50 dont l'ADN et le renseignement ne cherchent pas à recruter
12:54 des journalistes, des hommes politiques français,
12:57 la France étant un des pays les plus en point dans la guerre.
12:59 C'est une évidence.
13:01 - D'où la question de Stéphane,
13:02 est-ce qu'il y aura un tome 2 sur les années 90 ?
13:04 - Non, parce que les archives ne seront pas ouvertes.
13:06 - Voilà, et donc on s'arrête au début des années 80, aux années 80.
13:10 Merci à vous, Vincent Jauvert.
13:11 Votre enquête à la solde de Moscou
13:14 paraît aujourd'hui aux éditions du Seuil.

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