• il y a 10 mois
L'artiste Magyd Cherfi était l'invité du 8h20 de France Inter dimanche 4 février, à l'occasion de la parution de son premier roman, "La vie de ma mère !" chez Actes Sud. Il y raconte son rapport à ses origines et à sa mère.

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Transcription
00:00 Un grand entretien ce matin avec Marion Lourdes, nous recevons un artiste engagé, un chanteur,
00:07 le fondateur, la voix d'un groupe culte né à Toulouse, Zebda, il a fait danser la France
00:15 entière, il l'a fait réfléchir également, il a toujours célébré la vie dans toute
00:20 sa diversité, les yeux toujours ouverts pour affronter les grandes questions de société,
00:26 il a publié des récits autobiographiques comme ma part de Gaulois par exemple qui vient
00:32 d'être adaptée au cinéma et qui est sortie mercredi dernier, il publie son premier roman
00:37 La vie de ma mère, La vie de ma mère avec un point d'exclamation, c'est publié chez
00:42 Actes Sud et on a le bonheur de recevoir Magit Cherfi, bonjour, Magit Cherfi vous aurez l'occasion
00:49 de dialoguer avec les auditeurs d'Inter, je suis sûr que beaucoup d'entre eux ont
00:54 dansé sur vos tubes, en l'occurrence ils peuvent vous joindre au 01-45-24-7000, c'est
01:01 le numéro du standard ou sur l'application France Inter, on connaît vos albums cultes,
01:07 on connaît des phrases dont vous avez fait des hymnes, on connaît aussi vos engagements
01:11 et votre parcours, vous avez eu l'occasion de vous raconter, là vous passez au roman,
01:18 le roman La vie de ma mère, j'aimerais juste que vous nous expliquiez pourquoi, j'ai
01:23 regardé toute votre discographie Magit Cherfi pour préparer cet entretien, c'est peut-être
01:29 une folie mais vous ne jurez jamais, vous ne jurez jamais dans vos chansons à part
01:36 une fois, une fois seulement et c'est un sujet dont on va parler dans un instant mais
01:43 en l'occurrence certains ont compris La vie de ma mère, point d'exclamation, comme
01:48 un juron, je te jure ! Oui c'était presque volontaire, un point d'exclamation de me
01:55 ramener à la rue de mon enfance avec cette façon de dire "La vie de ma mère" et
02:03 l'autre façon, elle est beaucoup plus adulte.
02:05 Elle est beaucoup plus adulte, c'est-à-dire que vous racontez la vie, on pourrait dire
02:10 la liberté de votre mère ou la libération de la mère qui est la mère du narrateur
02:16 dans ce livre et c'est comme si c'était un étonnement.
02:19 Tiens, ma mère a une vie.
02:22 C'est une question qui est le fil rouge de ce livre, elle est paradoxale.
02:27 Oui, oui, oui parce qu'on se retrouve à presque 60 balais, on regarde sa mère, on
02:35 se dit "Mais attends maman, mais qui t'es ? Qui es-tu ?" Et pendant toutes ces années
02:42 ça a été une mère, donc dévouée à ses enfants, dévouée à son mari, dévouée
02:47 à son père, à toute la smala masculine comme toutes ses mères.
02:51 Parce que vous l'avez beaucoup chantée votre mère.
02:53 Pas mal, oui.
02:55 Elle revient régulièrement dans vos chansons comme celle qui vous a sauvé, celle qui vous
02:59 a mis par exemple un livre énorme dans votre cartable, "Le petit Robert", c'est le titre
03:05 d'une des chansons d'un album.
03:08 "L'essence ordinaire".
03:09 Exactement, "L'essence ordinaire" qui a été un album culte.
03:12 Votre mère c'était une figure qui vous a porté, qui vous a tenu.
03:16 Là il s'agit d'autre chose.
03:18 Oui, il s'agit d'une anticipation.
03:23 À partir de cette question de "Mais qui es-tu maman ?" j'ai compris quand même qu'il y
03:28 avait une femme derrière cette mère et que cette femme a eu du désir.
03:32 Parce qu'il y a plus de 20 ans, un jour d'aveu incroyable, elle me dit "Oui, dans ce camp
03:40 de gitans où on est arrivé au début des années 60, il y avait ce beau gitan au regard
03:47 ténébreux".
03:48 Et là j'ai été tétanisé, je ne voulais pas en savoir plus.
03:51 Non, surtout pas.
03:52 C'est ça, votre narrateur, ce qui est mal, ça lui fait peur quand même cette émancipation
03:55 à un moment.
03:56 Elle lui dit "Tu ne veux pas que je guérisse ?".
03:57 Si, mais pas trop.
03:58 Oui.
03:59 Pas trop, parce que quoi ? Parce que la liberté des femmes c'est effrayant.
04:02 Oui, oui, bien sûr.
04:04 Parce qu'il est tiraillé entre une envie de modernité, de dépasser les tabous.
04:11 Il a passé sa vie à essayer d'obtenir une espèce de libre arbitre et en même temps
04:20 il est raccroché à sa famille, il est raccroché à un peu de tradition, il est raccroché
04:28 à de l'histoire.
04:29 Il voudrait être lié d'une certaine façon à l'Algérie et d'une autre ne plus être
04:36 du tout lié.
04:37 Et donc il y a deux adversaires dans sa tête, un autre personnage qui se pète la gueule
04:44 en se revendiquant de la même personne.
04:48 Il est dans l'ambiguïté.
04:49 À un moment vous écrivez "Dormir, les femmes de sa tribune n'en avaient pas le droit
04:53 à dormir, c'était péché pour une femme, c'est aux guerriers que revenait ce droit
04:57 fossile, autrement dit à l'homme.
04:59 Cette espèce de charge mentale des femmes, elle est encore d'actualité aujourd'hui ?
05:02 Oui, bien sûr, oui.
05:04 Parce que je vais souvent en Algérie et je regarde autour de moi et je me dis "le désastre
05:12 c'est la situation des femmes".
05:14 Il peut y avoir un désastre social, économique, tout ça est entendu.
05:18 Mais je regarde ma famille, on est dans des montagnes, beaucoup en Kabylie, je me dis
05:25 "bon, bon, bon, c'est un désastre".
05:27 Donc voilà, une sacrée bataille à mener.
05:30 Le roman, il rend visible des personnes, des femmes qui étaient invisibilisées justement.
05:36 Ces femmes de la première génération d'immigrés algériens qui sont venues en France, qui
05:41 ne savaient ni lire, qui ne savaient pas écrire, qui comme vous le disiez, n'avaient jamais
05:46 pu être femmes.
05:47 Et là c'est l'histoire de Slimane, un père de 50 ans qui renoue le dialogue avec
05:51 sa mère.
05:52 Il renoue le dialogue après un long silence, il veut qu'il se parle d'égal à égal.
05:57 Qu'est-ce que ça veut dire ça Magid Cherfi ?
05:59 - C'est ce rêve de cette seconde génération d'accéder à une société féministe, antiraciste,
06:14 progressiste.
06:15 Il pense avoir beaucoup avancé, il se croit émancipé.
06:20 Et cette rencontre tout à coup lui fait dire qu'il n'en est pas à la fin du combat,
06:25 mais qu'il n'en est qu'au début.
06:26 Puisqu'il a du mal à admettre que sa femme puisse être une femme.
06:30 Sa mère !
06:31 - Sa mère puisse être une femme.
06:32 - Et ce n'est pas la moindre de ses ambiguïtés parce que le rapport à ses origines, il est
06:39 français et en même temps il dit qu'il se sent arabe quand il y a trop de personnes
06:44 au mètre carré, qu'il se sent français blanc au milieu d'algériens.
06:49 - Il dit "dès que je suis en colère je redeviens arabe, ça ne me va pas la colère".
06:52 Il est entre deux eaux là.
06:54 - Oui, il a tout le temps été entre deux eaux.
06:56 A la fois parce que, d'une certaine façon, ce personnage qui me ressemble un petit peu,
07:04 la France lui a tout donné.
07:05 Il s'est construit une identité par l'école, par le savoir.
07:11 - C'est votre part de gaulois ça ?
07:12 - Absolument.
07:13 La part de gaulois qui est immensément majoritaire d'ailleurs.
07:17 D'un côté il y a cette France qui lui a tout donné et il y a cette France qui n'a
07:24 rien donné à l'immensité immigrée.
07:27 Et donc autre bataille schizophrénique pour lui.
07:31 - Autre bataille schizophrénique, on a de nombreuses questions sur l'application France
07:35 Inter, je vais y revenir dans un instant.
07:37 Zebda, on se souvient évidemment de ce groupe et de ce que ça veut dire.
07:41 - Le beurre a tartiné.
07:42 - Le beurre a tartiné et en l'occurrence ça faisait écho à ce moment où on appelait
07:47 toute une catégorie de la jeunesse des beurres.
07:50 Les beurres ça existe encore, Magid Cherfi, puisqu'il y a une génération qui est passée
07:55 entre le moment où vous chantiez avec Zebda, où vous étiez sur scène, et aujourd'hui.
08:01 - Il me semble que les jeunes, la troisième et quatrième génération ne s'appellent
08:08 plus des beurres.
08:09 Je crois qu'ils n'ont plus de nom.
08:10 - Ils n'ont plus de nom ?
08:14 - Oui, ils refusent toute identification.
08:17 Et vous voyez même les plus jeunes s'identifier, je le vois dans des classes dans lesquelles
08:22 je fais des interventions, ils s'identifient en malien, en sénégalais, en marocain, mais
08:28 jamais j'ai entendu un mot me dire "moi je suis français".
08:31 - C'est intéressant cette question de l'identité parce qu'au début du roman, vous racontez
08:34 comment le narrateur a lancé son food truck avec son copain Boris qui est juif, et chacun
08:39 présente les sandwichs du camion à sa façon.
08:41 Ils sont soit kachères, soit halal selon la tête du client j'imagine.
08:45 Le narrateur dit que ça a posé question, problème en fait cette association, que plusieurs
08:50 fois le camion a été tagué de mécréants, d'Israël assassins, qu'il a été victime
08:54 de menaces.
08:55 Cette ambiance-là, elle existe ? Elle est inspirée de faits réels ?
08:58 - Oui, bien sûr qu'elle existe.
08:59 Oui, elle existe parce que si on ne veut pas se raconter de salades, l'immensité musulmane
09:04 est infusée de Palestine.
09:06 Moi, mon propre père fêtait nos naissances en disant "et un soldat de plus pour la résistance
09:12 palestinienne".
09:13 Donc moi je suis des Palestiniens sans l'avoir voulu.
09:15 Et donc ensuite, plus ou moins, on arme un combat politique ou pas, mais tout de suite
09:22 on est palestinien avant quelques réflexions que ce soit.
09:25 - Ça n'empêche pas de monter un food truck avec quelqu'un qui est juif, Boris.
09:29 - Bouris !
09:30 - Bouris !
09:31 - Il y a quelque chose d'assez extraordinaire d'ailleurs dans ce roman, c'est qu'il y a
09:35 l'invention d'une langue parce que finalement, il n'y a pas que le français, il y a des
09:39 mots d'arabe, il y a des mots kabyle, il y a des mots espagnols.
09:42 C'est quelque chose qui est présent notamment par exemple dans une chanson "Le dimanche
09:48 autour de l'église".
09:49 Partout, il y a des langues qui se mélangent.
09:51 Où est l'interprète ? En fait, on n'a pas besoin d'interprète.
09:55 - Absolument.
09:56 Parce que c'est le milieu dans lequel on vit qui est multiculturel, mais sans l'avoir
10:03 choisi.
10:04 Donc, ce n'est pas un délire d'un télo qui dit "soyons dans la mixité de ceci ou
10:09 de cela".
10:10 Là, il y a une vraie mixité, mais elle n'est pas choisie et donc elle peut exploser à
10:13 tout moment.
10:14 - Multiculturel, vous dites, et si on revient à cette question de la Palestine, vous avez
10:18 mis du temps du coup à arriver à parler après le 7 octobre parce que vous ne saviez pas
10:22 du tout vous positionner.
10:24 C'était compliqué.
10:25 - Oui, absolument.
10:26 Prendre position, c'est toujours avoir un ennemi.
10:30 Prendre l'autre position, c'est d'avoir un autre ennemi.
10:33 Et donc, ça ne m'a pas étonné que toute la population musulmane s'est eue parce que
10:41 comment aller contre la Palestine ?
10:43 Bon, évidemment, là, c'est le Hamas, donc c'est particulier.
10:46 - Ce n'est pas la Palestine dans son entier.
10:48 - Voilà.
10:49 Et en même temps, c'est des Palestiniens.
10:52 Et donc, j'ai voulu dire, oui, nous sommes mal parce qu'il y a deux camps qui s'opposent
10:59 et deux camps auxquels on appartient.
11:02 Comme disait Sibia Arafat, ce sont nos cousins.
11:04 Donc voilà, c'est comme une guerre fratricide.
11:07 - Vous me demandez comment on dit Freud en hébreu et comment on dit Oedipe en arabe
11:12 dans le roman.
11:13 - Oui, absolument.
11:14 - Il n'y a pas la réponse, mais la question est géniale.
11:16 Et aujourd'hui, vous vous sentez comment par rapport à tout ça ?
11:18 - Je me sens tiraillé parce que nous admettons évidemment qu'il y ait un État israélien
11:25 et nous sommes tétanisés à l'idée qu'il ne puisse pas y avoir 70 ans après un État
11:33 pour la Palestine.
11:34 Donc, on reste en suspens en se disant, bon, les Palestiniens n'auront jamais un État.
11:43 - C'est ce que vous pensez ça ?
11:45 - J'en viens à penser ça.
11:48 - Vous l'avez même écrit d'ailleurs dans le roman.
11:50 - Oui, oui, absolument.
11:53 Et on en vient là.
11:55 D'où la désespérance et des lendemains pas terribles.
11:59 - Vous avez été optimiste.
12:01 Vous avez cru à la possibilité de l'égalité.
12:05 Je ne parle pas de l'intégration, je parle dans le travail associatif, dans le militantisme
12:10 politique, à la possibilité d'une égalité comme horizon, comme espoir.
12:15 Et vous avez déchanté.
12:16 Vous ne vous posez pas la question de savoir qui suis-je ?
12:20 Vous avez une chanson qui dit "Je suis".
12:23 Je suis tout simplement, je suis mais ça ira.
12:26 Je ne suis pas né le jour de ma naissance.
12:28 Je suis né le jour où j'ai compris ma différence.
12:31 Je suis en équilibre, je le jure.
12:33 Est-ce que vous êtes en équilibre ?
12:35 C'est là le moment où vous jurez.
12:37 C'est la seule fois dans votre discographie que vous jurez, Magide Cherfi.
12:41 Est-ce que vous êtes en équilibre ?
12:44 - Je crois pas.
12:45 - Non ?
12:46 - Il ne peut pas y avoir d'équilibre parce qu'il y a trop d'injustice, si vous voulez.
12:49 Moi, la France m'a tellement fait français que j'ai eu envie de l'être moins.
12:54 C'est quand même un truc de malade.
12:56 Il faut que je donne une part à mon autre part, celle que la République refuse, celle à qui elle n'a pas fait de place.
13:05 Et donc, je parlerais plutôt d'un mouvement permanent dans lequel...
13:10 Alors, le jour de la victoire de la gauche au pouvoir, on était...
13:14 - 1981.
13:15 - 1981.
13:16 On était largement français.
13:17 Le jour où M. Hollande préconise la déchéance de la nationalité, je suis redevenu algérien.
13:24 - Et alors, avec la loi immigration qui vient d'être adoptée, vous vous sentez quoi ?
13:29 - Cette loi immigration, pour moi, ce n'est qu'un assaut.
13:33 Un assaut supplémentaire de ce sentiment qui fait qu'on représente une menace.
13:43 Et Mitterrand lui-même, en arrivant au pouvoir, avait dit...
13:47 Attention, il y a un seuil de tolérance.
13:49 Nous étions déjà trop le jour où nous avions cru entrer en France.
13:55 Et depuis, après, vous aviez Laurent Fabius qui a dit que le Front National posait de bonnes questions.
14:02 - Mais apportait les mauvaises réponses.
14:04 Il y a eu Jacques Chirac avec "Le bruit des odeurs".
14:07 Vous l'avez chanté, vous en avez même fait un hymne.
14:11 Aujourd'hui, il y a Zemmour qu'on croise dans le roman également.
14:15 - J'ai vu, je ris.
14:16 - Je ne sais pas s'il aimera la manière dont il est décrit, mais vous le qualifiez de bougnoule.
14:21 Vous l'accusez d'avoir mis au centre du débat public, dans la conversation générale, des mots qui font mal.
14:30 - Oui, et le plus dramatique, et ça je l'ai vécu, c'est que c'est un véritable humoriste dans les quartiers.
14:40 - Éric Zemmour ?
14:42 - Oui !
14:43 - Allez, allez ! On le regarde à la télé, pour s'amuser.
14:47 - Oui, dehors, tout de suite, bateau, et les mecs en rient.
14:54 Parce qu'il a oublié que d'abord ce sont des Français, tous ces membres,
14:59 et puis surtout, ils n'ont plus rien à foutre de quelque notion de république que ce soit.
15:04 - Et dans le roman, la mère de Slimane sort dans la rue, elle croise une affiche de Marine Le Pen,
15:08 et elle la décolle un petit peu. Il ne reste que ça pour lutter contre l'extrême droite ?
15:15 - Oui, je pense que non seulement la jeunesse issue d'une immigration est démunie,
15:22 mais surtout désespérée.
15:25 Et c'est pour ça que d'ailleurs, on peut voir des membres de 10 ans avec une gandoura filée à la mosquée.
15:31 Moi, il y a 40 ans, je n'aurais jamais imaginé une immigration qui se replie de la sorte.
15:36 J'avais même imaginé une génération laïque, laïcarde, athée, républicaine.
15:42 Bon, on était en 81 et nous révions !
15:45 - Et peut-être que la nouvelle génération a d'autres questions que celles que vous vous posiez à l'époque.
15:51 On va au standard. Bonjour Magid !
15:54 - Bonjour !
15:55 - Et bienvenue à un autre Magid qui va interpeller Magid Cherfi, notre invité aujourd'hui.
16:01 - Bonjour Magid !
16:03 - Bonjour Magid !
16:04 - En fait, je ne sais pas si je vous vois ou si je vous tutoie.
16:08 - Tu peux me tutoyer, je pense.
16:09 - C'est vrai ? En fait, j'ai envie de te tutoyer parce que j'ai l'impression de te connaître.
16:14 En fait, tu ne me connais pas, je suis un inconnu pour toi,
16:17 mais moi je te connais depuis que je m'intéresse à la musique,
16:21 en fait depuis que mon cœur vibre avec la musique.
16:25 Et bref, je vais essayer d'être bref pour te poser une question,
16:29 parce que je pense qu'on n'a pas toute la journée.
16:31 Après, mon rêve en fait, ce serait de pouvoir en discuter avec toi autour d'un verre.
16:36 Bref...
16:37 - Alors, votre question Magid ?
16:39 - Ma question c'est, dans une de tes chansons que tu avais écrite lorsque tu as voulu faire une carrière solo,
16:48 il y a une phrase qui m'a marqué.
16:52 Donc la phrase était "Avec les mots, on sait qui assassine".
16:57 Je ne sais pas si tu vois des questions sur ce qu'il s'agit.
16:59 - Non, je ne vois pas précisément la chanson.
17:03 - D'accord.
17:04 "On n'est pas des animaux, pas des bêtes, on est quoi sur cette planète ?
17:08 On est quand on tourne la tête, on est pour la défaute."
17:10 - Oui, troisième degré.
17:11 - Ah ouais, excuse-moi, c'est même pas...
17:12 - C'est du zebda.
17:13 - Avec zebda, tout à fait, ouais.
17:15 Tu te souviens de la fin de la chanson ?
17:18 - Non, la fin, je ne sais plus.
17:20 - Ouais, bref.
17:21 - Mais en tout cas, cette phrase que cite Magid, "Avec les mots, on sait qui assassine",
17:26 les mots ont ce pouvoir-là, Magid Cherfi ?
17:28 - Oui, oui, ils ont le pouvoir.
17:30 - Oui, oui.
17:31 C'est la grande question de l'accession, j'allais dire, aux codes.
17:36 Et ceux qui ont les codes ont les mots, et quand on a les mots, on a un peu le pouvoir.
17:42 - C'est un peu ce qu'on entend, ce qu'on lit dans votre livre, pour la mère de Slimane,
17:48 j'ai envie de dire votre mère, mais c'était inouï pour elle.
17:50 Tout un monde à traduire en petites boucles noires sur un papier, ça lui paraissait démoniaque.
17:54 Elle peinait à concevoir qu'on puisse convertir une pensée en petits gribouillis
17:57 et il lui semblait que ça pouvait incendier un cerveau.
18:00 C'est si fort que ça, l'écriture ?
18:01 - Oui, oui, oui.
18:03 Bien sûr, parce que ses mères, elles ont rêvé d'apprendre, entre autres, à écrire.
18:09 Et il y a eu, parce que la République n'a pas rien fait, il y a eu ces cours d'alphabétisation
18:16 dans les quartiers populaires, et les plus courageuses y sont allées,
18:20 et puis à apprendre le minuscule, tenir un stylo.
18:28 Et on oublie qu'avant d'apprendre à écrire, il faut l'apprentissage de l'objet qu'on a entre deux doigts.
18:34 - Le juste mécanique.
18:35 - Oui, un objet fin.
18:37 Et donc, maman a été désespérée.
18:40 J'ai remis cette idée dans le roman, avant d'écrire, il y a déjà la manipulation digitale en quelque sorte.
18:53 On oublie plein de choses, et elles ont un chouet à apprendre à écrire.
18:59 - Dans votre roman, il y a presque une bande originale, on entend entre guillemets
19:03 Aya Nakamura, Georges Brassens, le rappeur Jul, entre autres.
19:07 - Et aussi les Michel.
19:08 - Les différents Michel.
19:10 - Oui, oui.
19:11 - Et vous en êtes où avec la musique ? Il y aura un album bientôt, c'est ça ?
19:15 - Absolument, je sors un album en mai, qui s'intitule "Le propre des ratures".
19:22 - En solo ?
19:23 - En solo !
19:25 - Et c'est quoi le propre des ratures ?
19:27 - Le propre des ratures, c'est l'imperfection est un idéal.
19:33 Alors après, évidemment, si vous me donnez deux heures, nous pourrions en disserter.
19:37 C'est l'idée de l'imperfection qui m'a plu dans ce titre.
19:43 - Vous gardez malgré tout l'envie de faire danser, l'envie de rire, malgré vos désillusions,
19:50 même si vous avez désenchanté, Magit Cherfi ?
19:52 - Oui, je suis désenchanté, oui.
19:55 - Mais vous gardez l'esprit de Zebda, c'est-à-dire à la fois affronter les problèmes
20:00 et d'un autre côté faire danser la France entière ?
20:03 - Oui, parce que c'est aussi une façon pour nous d'être accessibles, d'apporter du rire,
20:07 d'apporter de la dérision, de laisser respirer toute cette terreur qu'est le vivre ensemble,
20:14 auquel on n'accède pas.
20:17 - Avant, vous disiez que tout est paisible, tout semble si paisible,
20:21 quand le Front National à l'époque remportait des élections municipales,
20:24 arrivait à la tête de ville, est-ce que vous diriez aujourd'hui que la France est si paisible que ça ?
20:29 - Alors quand je disais paisible, c'était presque une façon ironique de dire
20:36 "Tiens, voilà, oui, c'est marrant, il n'y a pas de guerre civile, pourtant ils sont là, ils arrivent,
20:41 ils arrivent", c'était à 40 ans, imaginez, on sait que Marine Le Pen sera au second tour,
20:48 voilà un acquis qui est tout à fait désespérant.
20:52 - Dans ma part de Gaulois, le père de Mourad, qui est votre avatar, pour le coup,
20:56 qui est autobiographique, il pense à rentrer en Algérie après l'élection de Mitterrand,
21:01 il n'est pas content lui de le voir arriver, parce qu'il dit que c'est la gauche qui a autorisé la gégène,
21:05 envoyer des parrains en Algérie, et en revanche, Mourad, lui, il est content de voir arriver les socialistes.
21:10 Quel regard Mourad Magid porte sur la gauche aujourd'hui ?
21:15 - La gauche, évidemment, j'ai été comme tous ces jeunes gens, à l'arrivée de la gauche au pouvoir,
21:22 on a cru que le racisme allait disparaître sur la surface de la Terre, je ne crois pas exagérer,
21:27 de mes 20 ans là, et puis elle a réussi un certain nombre de choses, de lois sociales,
21:33 beaucoup d'ailleurs, le grand échec de la gauche, ça a été l'immigration, le pur désastre,
21:40 ils n'ont pas su nous faire entrer dans le récit français.
21:43 - Et maintenant ?
21:44 - Toujours pas, je vous parlais de Hollande qui préconisait la déchéance de la nationalité,
21:49 là c'est le chaos, il y avait le précipice, il s'est refermé, allez maintenant...
21:54 - Et Macron qui est appelé "Macroute" par la maman d'ailleurs, dans le moment.
21:58 - "Macroute" c'est un gâteau donc !
22:00 - Oui, parce qu'elle retient des sonorités !
22:03 - L'histoire continue, cette histoire de l'égalité qui n'existe pas à part dans les rêves, elle continue.
22:08 - Oui, avec chez nos mères, cette façon de mal prononcer des mots, des noms propres,
22:15 parce que c'est leur guerre à elles, elles ont cette arme mal prononcée,
22:20 la guerre à la France, à cette France qui ne nous veut pas, c'est de mal prononcer les prénoms,
22:25 et donc Macron tout à coup c'est "mais qui c'est ça Macroute ?"
22:28 - "Qui c'est ça Macroute ?" Et d'ailleurs il y a donc le mélange des langues, je le disais,
22:34 il y a cette phrase que je trouve magnifique dans le roman, "tout mélanger c'était mon obsession"
22:40 écrit le narrateur, "être indéfinissable mais toujours épicé comme un portrait lassant de moi-même".
22:47 Et il y a de très nombreux auditeurs qui nous écrivent sur l'appli pour vous remercier pour vos mots,
22:52 Magie de Cherfille, les mots, ce que vous écrivez, ce que vous chantez, ce que vous allez continuer à chanter et à porter.
23:00 "La vie de ma mère !", c'est donc un roman qui vient de paraître chez Actes Sud,
23:05 avec ce food truck à l'halberger en couverture. Merci infiniment d'avoir été l'invité d'Inter ce matin.

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