La romancière Maria Pourchet, qui consacre la série de l'été de France Inter à Romain Gary, est l'invitée du grand entretien. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20/l-invite-de-8h20-du-week-end-du-dimanche-30-juin-2024-4355867
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00:00Et c'est une promesse de l'aube ce matin sur France Inter, Romain Garry est à l'honneur
00:04du grand entretien Romain Garry qui sera notre compagnon de route tout l'été et ce grâce
00:09à une romancière, à une autrice, elle a publié Feux, Western, des romans et aujourd'hui
00:16elle nous accompagne pour passer tout cet été avec Romain Garry, dès ce lundi, tous
00:20les jours de la semaine, ce sera à 7h55, bonjour Maria Pourchet, et bienvenue, vous
00:26avez donc consacré tout un été, vous avez consacré toute une série à Romain Garry,
00:33on vous connaît comme romancière, comme écrivaine, qu'est-ce qui vous a enchanté
00:36pour reprendre l'un des titres de son roman Les Enchanteurs ?
00:39Qu'est-ce qui m'a enchantée chez Romain Garry ? Alors ça remonte à assez loin, c'est
00:47une rencontre qui, enchantement est le bon terme, déjà Romain Garry c'est, je peux
00:53reprendre ? Alors ma rencontre avec Romain Garry, elle fonctionne, je crois, exactement
01:03comme un grand amour, on peut dire que quand on n'est pas la même personne avant et
01:08après, il y a un avant et un après, cette rencontre avec Romain Garry, elle a lieu
01:12quand j'ai 15 ans, si j'ai un peu de temps pour développer, elle a lieu quand j'ai
01:1615 ans, je découvre Les Enchanteurs au format poche, dans le vide poche de la voiture de
01:22mon père, je précise toujours le contexte, parce qu'il y a toujours un lacanien pour
01:25dire « c'est ça, il est là, le neuf ». Et on sait d'ailleurs que Romain Garry
01:30lui-même était intéressé par la psychiatrie, même s'il s'en défendait, en tout cas
01:34c'est donc un livre de 1973, Les Enchanteurs, et c'est comme ça que commence le premier
01:40épisode de votre série, par une déclaration d'amour, « Garry, je vous aime ».
01:45Je me suis demandé, c'est venu très vite, l'adresse immédiate à Garry, lui dire
01:52« vous » et pas lui dire « tu ». Ce n'est pas un dispositif que j'ai cherché longtemps,
01:55il vient du cœur, des cellules, je ne pouvais pas m'adresser à lui autrement, et c'est
02:02ce que j'avais à lui dire de plus sincère, et je me suis aussi posé la question de qu'est-ce
02:06que j'attends de cette série, si je passe tout l'été à parler aux éditeurs d'Inter
02:10de Romain Garry, j'ai envie qu'on tombe amoureux aussi.
02:14Mais c'est impossible de ne pas tomber amoureux de Garry, de l'homme, de l'œuvre.
02:21Après, je vois ce que vous voulez dire, et pourtant il est tissé d'une série de
02:27paradoxes qui peuvent déconcerter aussi certains.
02:33En tout cas, pour tomber amoureux de l'homme, ne pas tomber amoureux de l'œuvre, j'en
02:37ai connu quelques-uns, je ne sais pas quoi leur dire d'ailleurs, à chaque fois ça
02:41me désarme.
02:42Mais c'est rare, c'est très rare.
02:44Lisez, lisez, après tout, tout simplement, on va reparler de ce livre « Les Enchanteurs
02:49Romain Garry », c'est évidemment un immense écrivain.
02:51Maria Porchet, c'est l'auteur de « La promesse de l'aube », deux fois pris concours,
02:55ce qui est interdit, impossible, à moins de changer de nom et de dire que l'on s'appelle
03:02non pas Romain Garry, mais publié sous le nom d'Émile Ajar, je suis désolé, je
03:06vais la refaire.
03:07Romain Garry, c'est un immense écrivain, Maria Porchet, auteur de « La promesse de
03:11l'aube », deux fois pris concours, ce qui est théoriquement impossible, à moins de
03:14publier sous un autre nom.
03:16Lui a choisi Émile Ajar, on va y revenir.
03:19Qu'est-ce qui fait que Romain Garry, c'est plus qu'un romancier ? Justement, qu'il
03:23rentre dans la catégorie de ces enchanteurs, pour toujours reprendre le titre de ses romans
03:28et d'un film que vous lui aviez consacré ?
03:30Parce qu'il le définit, il le définit assez, assez, d'ailleurs il le définit très
03:35bien dans « Les Enchanteurs », où c'est l'histoire de Fosco Zaga, qui est un illusionniste
03:41hérité d'une famille d'illusionnistes, et en définissant ce qu'est Fosco Zaga,
03:44on est au 18e siècle, sous le règne de Catherine de Russie, et donc c'est un illusionniste.
03:53Illusionniste sous la plume de Garry, c'est quelqu'un qui est à la fois magicien, comédien,
03:57conseiller politique, thérapeute, chanteur, prestige auditateur, en fait c'est quelqu'un
04:04qui fournit des versions modifiées, magnifiées, transcendées du réel, à qui lui demandent,
04:12est-ce qu'on ne peut pas vivre du réel ? Et surtout pour Garry, après Auschwitz,
04:15on ne peut vraiment pas survivre au réel, et donc ce qu'il propose, c'est aussi,
04:22vous me demandez comment j'avais rencontré Garry, c'est qu'il m'a proposé une feuille
04:26de route à un moment où j'en manquais cruellement, il dit « serre les dents, ferme
04:32les yeux et invente ». C'est vraiment, on ne peut pas survivre sans une puissance
04:36d'invention.
04:38Sans aller contre la réalité.
04:40Sans la réinventer, sans l'inventer mieux.
04:42Le réel pour Garry c'est une proposition, maladroite, agressive, et la seule manière,
04:49et pour lui il est pauvre, c'est les gens qui n'ont pas d'imagination.
04:52Il y a une citation qui est absolument prodigieuse, qu'on trouve dans un autre livre, « Les
04:56cerfs-volants », c'est, je cite « rien ne vaut la peine d'être vécu qui n'est
05:01pas d'abord l'œuvre de l'imagination, ou alors la mer ne serait plus que de l'eau
05:05salée ».
05:06Ça résume ce que j'essayais de dire, plus maladroitement que lui, mais c'est
05:12effectivement qu'on ne peut pas boire de l'eau salée, on ne peut pas se satisfaire
05:15de l'eau salée.
05:16Il faut inventer la mer, il faut inventer la Méditerranée avec toutes ses promesses,
05:19la Méditerranée qu'il appelait « la mer des mille pardons ».
05:23La mer des mille pardons ?
05:24La mer des mille pardons.
05:25Lui qui a été s'installer avec sa mère à Nice, justement, après avoir fui Vilnius,
05:32le grand empire, la Pologne, l'antisémitisme de l'Europe de l'Est.
05:36Qui avait acheté une maison à Roquebrune et qui revenait après chaque année terrible
05:43ou pas, passer dans des consulats différents, et ses cendres sont dispersées dans la Méditerranée.
05:49Rien ne vaut la peine d'être vécu qui n'est pas d'abord l'œuvre de l'imagination,
05:54c'est quelque chose qu'il défendait, et qu'il défendait même pour lui-même,
05:57à savoir le droit à avoir plusieurs identités, à l'identité multiple, la possibilité
06:03de s'inventer totalement, de se réinventer.
06:06On a parlé rapidement d'Emile Hajar, son pseudonyme de Romain Garry, il a eu plusieurs
06:13noms en vérité, 5, 6, 7 en tout cas qu'on a aujourd'hui répertoriés.
06:18Ce droit de se réinventer, est-ce que ça correspond à un besoin chez lui ?
06:21C'est presque militant chez lui, effectivement.
06:26Il y a quelque chose que Garry appelle « l'assignation à résidence », c'est-à-dire la clôture
06:33identitaire.
06:34Ça va nourrir tous ces combats contre l'idéologie victimaire, qu'on n'appelait pas encore
06:38comme ça à l'époque.
06:39Et le premier à s'échapper de l'assignation à résidence, c'est lui, puisque son identité
06:44de Romain Kadzeff, son nom original, il est né à Vilnius en 1914, dans l'actuel Lituanie
06:56mais qui à l'époque était en Pologne, qu'il n'était plus à ce moment-là,
06:59qui était un pays de l'Empire russe assez malmené.
07:02Et jusqu'à ce qu'il arrive en 1928 à Nice, il subit les ravages de la Russie antisémite,
07:12les pogroms.
07:13Il arrive ensuite dans la France xénophobe.
07:15Ce qu'il éprouve dans la France xénophobe des années 30, qui est quand même beaucoup
07:21mieux que la Pologne antisémite, mais que ce n'est quand même pas génial pour lui.
07:25Oui, à l'époque, on disait « heureux comme un juif » en France, quand on était de ce
07:29côté-ci de l'Europe.
07:30En tout cas, c'est ce que rapporte Robert Banninter dans un livre qu'il consacrait
07:33à sa grand-mère.
07:34Oui, on voit bien la vie de la grand-mère de Banninter, Idice, évoque de très près
07:40la vie de Romain Garry, je trouve, que j'ai découverte il n'y a pas longtemps.
07:44Et en fait, lui, sa réponse à ça, c'est « je ne suis pas obligé ». Il ne veut
07:52pas endosser, ça sera important toute sa vie, ce qu'il appelle la figure du persécuté.
07:57Et pourtant, Maria Pourcher, loin de là, c'est aussi un homme d'imagination qui
08:03a été en prise avec le réel et avec le réel le plus dur.
08:07Vous venez d'en évoquer une facette, à savoir celle de l'antisémitisme, de la violence
08:12et de la haine en Europe de l'Est, mais c'est aussi un homme qui a raconté son époque
08:16mieux que personne.
08:17Quand on ouvre l'un de ses livres, qui est un chef-d'œuvre, qui est un récit autobiographique,
08:23le titre c'est « Chien blanc ». « Chien blanc », c'est un destin extraordinaire.
08:27Il est à l'époque consul général de France à Los Angeles, Romain Garry, il est en couple
08:32avec Jean Seberg, qui est très engagé du côté des Black Panthers et du mouvement
08:37d'émancipation des Noirs, on est en pleine ségrégation.
08:40Et lui qui trouve ce chien devant sa porte en 68, il écrit sur Hollywood, il écrit
08:48sur la ségrégation raciale, mais il écrit aussi sur la possibilité de transformer ce
08:55chien.
08:56Dites-nous rapidement, quelle est l'histoire ?
08:57L'histoire, c'est qu'il habite à Ardennes, pas loin d'Hollywood, ce chien déboule chez
09:03lui, il adore les bêtes, Garry l'y voit, il a toujours dit qu'il y voyait parfois
09:08plus de dignité que chez les hommes, encore un de ses paradoxes, c'est un grand humaniste
09:12qui n'arrête pas de balancer l'humanité, il tombe amoureux de ce chien et puis un jour
09:17le pisciniste vient, le pisciniste est noir, il arrive dans le jardin, et Batka lui saute
09:24à la gorge et essaie de le dévorer.
09:27Garry comprend que c'est ce qu'on appelle un chien blanc, c'est-à-dire des chiens
09:31dressés pour attaquer spécifiquement les Noirs, voire les tuer.
09:35Et lui, comme c'est quelqu'un autre des paradoxes de Garry, il a une foi dans la rédemption
09:40qui est inouïe, un espoir incroyable, et il se dit que cette bête est la victime de
09:46la connerie occidentale et qu'il va donner la preuve qu'on peut le rééduquer.
09:50Et que ce chien qui est raciste contre les Noirs peut finalement redevenir un animal
09:56bienveillant, et donc il va le confier à des dresseurs d'animaux d'Hollywood.
10:00Écoutez, Romain Garry, il parle de cette époque-là, et il parle de chiens blancs.
10:05C'est un livre, en fait, c'est une anatomie de la haine.
10:08Alors qu'on se rende compte à quel point nous sommes tous touchés par cette forme
10:12paranoïaque qu'est la haine, à quel point c'est contagieux, à quel point nous sommes
10:18tous en besoin d'un contrôle, je ne dirais pas psychiatrique, c'est absurde, mais d'une
10:22propre surveillance que nous exercerions nous-mêmes, sur nous-mêmes, du point de
10:27vue de la véritable salubrité d'hygiène psychique.
10:30Alors, il le dit avec des mots compliqués, mais au fond, il dit que le problème noir
10:34aux Etats-Unis pose une question qui le rend pratiquement insoluble, celui de la bêtise.
10:39Il a ses racines dans la plus grande puissance spirituelle, la connerie.
10:44C'est extraordinaire comme manière de parler du racisme et de la haine.
10:48Oui, parce que lui, le phénomène qu'il analyse, dans ce livre, ce qui est rare, pas
10:54chez Garry, mais qui est rare en général dans la littérature, c'est qu'il parle
11:00du racisme anti-noir et du racisme anti-blanc, et comment l'un exploite l'autre, sur le
11:04plan financier, idéologique, matériel, dans un marché de dupes qui laisse tout le monde
11:09en sang.
11:10Jeanne Siberg, la première, parce qu'elle va donner tout ce qu'elle a, son temps, son
11:16intelligence, son argent à ce mouvement-là, et à des militants qui savent exactement
11:24comment exploiter sa culpabilité de protestante blanche de l'Aïwa.
11:29Et en fait, lui, il est dupe de rien, le drame de Garry, c'est d'être frappé de lucidité
11:36à un point pathologique, et donc il observe tout ça et il le restitue tel qu'il le voit.
11:43Donc effectivement, à la fin, ce qui touche à l'os, c'est la connerie occidentale.
11:48La connerie, et à l'époque de Chien Blanc, c'est aussi un moment où on est en mai 68,
11:54il fait le voyage à Paris, c'est toujours dans ce livre-là, il faut imaginer cet écrivain,
12:00cet homme fort, extrêmement élégant, avec sa moustache, avec sa diction, avec son costume,
12:06en train de se promener au milieu des scènes d'émeutes en mai 68, en plein Paris, et on
12:11aurait pu le croire engagé du côté des étudiants, c'est pas franchement le cas.
12:16C'était pas ça l'engagement chez Garry, il avait un truc un peu kessélien, vous savez
12:21qu'Essel, quand on lui demandait, vous êtes de droite, vous êtes de gauche, il répondait
12:25franc-tireur, et Garry il disait, je ne peux pas m'engager, désormais ça pue de tous
12:30les côtés.
12:31Donc sa façon de s'engager, elle était littéraire, alors pour le coup il tranchait
12:36vraiment avec son époque, effectivement c'est quelqu'un de très connu, mais à cette époque-là,
12:40en 68, les jeunes ne doivent pas lire, ils liront Émile Lajard, c'est un des moins
12:45lus, parce qu'il écrit des romans dans l'action, du point de vue de l'action, très
12:51picaresque, où le personnage est au centre, à un moment où il le dit lui-même, le roman
12:56c'est Céline qui enferme l'individu dans la merde, Kafka dans l'angoisse, et Sartre
13:03dans l'incompréhension.
13:04Le roman est conceptuel, il y a une dialectique, et son engagement c'était ça.
13:13« Le patriotisme c'est l'amour des siens, le nationalisme c'est la haine des autres. »
13:17C'est aussi une phrase de Romain Garry, elle est entre guillemets dans « La promesse
13:21de l'aube », on la cite souvent.
13:23Qu'est-ce qu'elle dit de lui ? Non pas qu'est-ce qu'elle veut dire, mais qu'est-ce
13:26qu'elle dit de lui ?
13:27Qu'est-ce qu'elle dit de lui ? Elle dit qu'il a fait du chemin, parce que lui la
13:33haine des autres, il l'a subi très longtemps jusqu'à la fin, y compris de la part de
13:39la critique française.
13:40J'ai été chercher plein d'archives, il sera toujours le français, il n'y a pas
13:50plus grand français, Diplomate, Croix de Guerre, Compagnon de la Libération, on dira
13:54jusqu'à la fin qu'il écrivait mal le français.
13:56Parce que venu d'ailleurs, parce que juif, venu de la Grande Russie.
14:06Même son premier roman, il y a une journaliste dont je ne citerai pas le nom, si jamais
14:10quelqu'un s'en souvient encore, qui dit que ce soldat Katsef a volé son manuscrit
14:16sur le corps d'un aviateur polonais, à la fois c'est trop mal écrit et trop bien.
14:22Donc voilà, s'il y a un sujet qu'il connaît, c'est la haine.
14:26C'est ce que j'ai envie de répondre à votre question.
14:28Et il a combattu, il a combattu les armes à la main, Maria Pouchet, il a combattu de
14:33manière héroïque en étant dans l'aviation, du côté des forces aériennes libres françaises.
14:39Il est entré en résistance dès le 18 juin 1940 et il va se choisir le nom de Garry.
14:46Qu'est-ce que ça veut dire Garry en russe ?
14:49Alors juste un truc, lui il était rétif au qualificatif de héros.
14:52Parce qu'il se rendait quand même bien compte de ce que c'était des populations civiles
14:56qui bombardaient.
14:57Il ne s'en est jamais remis de ça.
14:58Ça aléante son dernier, son ultime texte pseudo et témoigne de ça, il ne s'est jamais
15:05remis de ce geste.
15:06Malgré tous les honneurs, malgré toutes les récompenses.
15:07Et il n'a jamais fait un roman sur l'escadrille Lorraine, son escadrille qui partait de Grande
15:13Bretagne pour aller frapper l'armée nazie.
15:16Ils sont revenus à 5, il l'a dit lui-même, il n'a jamais nourri son mago littéraire
15:20de ça.
15:21Il n'a jamais pris la pose, c'est important de le dire, de l'auteur de La Libération,
15:28le libérateur résistant, il l'aurait pu, c'est vraiment une voix qu'il aurait pu
15:31prendre.
15:32C'est pas Malraux ?
15:33Non, c'est pas Malraux.
15:34Même Malraux, non plus, il n'a pas fait ça.
15:35Non, je plaisante.
15:36Il s'aimait beaucoup.
15:37Non, mais en fait, même sans forcément revenir à Malraux, mais le nom Gary, qu'est-ce
15:44qu'il veut dire ?
15:45Brûle.
15:46Brûle à l'impératif.
15:47Brûle en russe ?
15:48Brûle en russe.
15:49Avec un I.
15:50Lui, il ne l'a écrit qu'avec un Y parce qu'il avait aussi une passion pour la figure
15:54de Gary Cooper.
15:55Donc, il réunit cet impératif et quelque chose d'une Amérique qu'il est déjà en
16:00train de regretter, l'Amérique de Gary Cooper.
16:03Et Ajar, ça dira cendre.
16:05Si on traduit Ajar en russe également, ça veut dire cendre.
16:09Pour un homme qui a été aviateur, pilote de bombardier pendant la Seconde Guerre mondiale,
16:14c'est là que, comment dire, impossible de parler de Romain Gary sans parler de la promesse
16:23de l'aube qui est sans doute son roman le plus connu.
16:26Rappelez-nous, qu'est-ce que c'est que cette promesse ?
16:27La promesse, c'est la promesse que vous faites l'amour d'une mère.
16:31Pardon, pardon, pardon.
16:32J'ai raté un truc en fait.
16:33J'ai raté de Gaulle.
16:34Donc, Brûle, ça s'arrête donc, blim, tac.
16:43Il devient donc compagnon de la Libération.
16:47Il est entré dans l'armée de l'air et puis il a évidemment été l'un des compagnons
16:53un peu distants du général de Gaulle et voici comment il en parlait, c'est assez
16:57frappant.
16:58La raison pour laquelle je suis là, moi, romancier Romain Gary, créateur de personnages,
17:03c'est qu'il y avait là un personnage, un romancier personnage qui s'est créé lui-même
17:09comme un romancier écrit et créé une oeuvre.
17:12De Gaulle s'est créé, a été créé par lui-même comme Balzac créé ce personnage.
17:17C'est une création artistique prodigieuse.
17:20C'est étonnant comme manière de parler de la figure du grand homme.
17:24Oui, c'est alors là, il y a une toute petite pause esthétique parce que ce qui dans les
17:29textes, quand il parle de De Gaulle, c'est beaucoup plus ému que ça.
17:34En fait, pour lui, c'est c'est celui qui s'oppose pour Garry, ce qu'il y a de fondamentalement
17:42humain, ce qui nous distingue des animaux, c'est la capacité à s'opposer, à ne pas
17:48se résigner à aucune force, à aucune oppression.
17:50Et en 43, pour lui, De Gaulle représente ça.
17:54C'est pour ça qu'il y va.
17:55Ce qui nous distingue peut-être aussi des animaux, c'est la promesse, la capacité
17:58de promettre.
17:59Rappelez-nous ce qu'est la promesse de l'aube.
18:01C'est la promesse que nous fait l'amour d'une mère à l'origine, ce que dit Garry,
18:09et qui fait que toute la vie, on va manger froid.
18:11Comment ça ?
18:13On va rechercher les hommes qui ont eu l'amour.
18:17Tous les matins, elle lui répétait « tu seras ambassadeur mon fils, tu seras quelqu'un
18:21mon fils ».
18:22Et en fait, ce qu'il dit, c'est qu'on recherche dans chaque amour, dans chaque femme,
18:27on va chercher le même don, la même immensité d'amour et on ne va jamais la trouver.
18:31Et donc, on est condamné à manger froid.
18:35Vous commencez votre série par une déclaration d'amour.
18:38Et Garry, c'est un homme amoureux ? Et c'est un homme qui est amoureux sous toutes les
18:43formes ?
18:44Garry est amoureux, c'est très contrasté.
18:48C'est quelqu'un qui n'a jamais cessé de vanter le féminin, la féminité comme
18:54avenir de l'humanité.
18:55C'est-à-dire très lié à sa passion, il se réfère beaucoup à sa passion pour la
18:59figure du Christ.
19:00Il associe beaucoup la figure du Christ et la figure de la femme, c'est quand même
19:05très très haut.
19:06Dans les faits, il a un comportement qu'on pourrait qualifier de donjouanesque.
19:11Oui, si on se souvient de votre roman pour le coup, western, c'est plutôt du donjouanisme.
19:16Voilà, peut-être pas forcément dans cette version.
19:19Non, mais en tout cas, il y a une histoire d'amour véritable avec Jean Seberg, par exemple.
19:24Un mariage.
19:25Oui, il s'est marié, il s'est marié à la fin de sa vie.
19:27Quand elle le trompe avec Clint Eastwood, il va même jusqu'à provoquer Clint Eastwood
19:31en duel au revolver.
19:33Il ne pouvait pas faire moins.
19:34Non, mais c'est le panache de Romain Garry.
19:37Je pense qu'il a fait ça pour l'histoire.
19:39Mais oui, c'est vraiment, en tout cas, tel qu'il s'écrit, c'est vraiment un amoureux.
19:45Après, c'est quelqu'un qui a eu une suite de conquêtes, beaucoup de jeunes femmes,
19:52et qui disait, pour qui la fidélité n'était pas une valeur, exactement comme donjouan,
19:57et qui l'avait déclaré à sa première épouse, Alice Liblanc, il lui avait dit « attention,
20:02je veux bien vous épouser, la journaliste anglaise Alice Liblanc, mais je suis attirée
20:07par les femmes plus jeunes et je ne me sens pas, dans cette vie, à la possibilité d'être
20:14fidèle.
20:15Donc, voilà, c'était ça aussi, comme amoureux.
20:17C'est l'auteur de « La vie devant soi » et c'est celui qui a mis fin à la sienne
20:22de vie, de la manière la plus violente qui soit, puisqu'il s'est tué d'une balle
20:26de revolver dans la bouche en laissant une lettre.
20:29Sur cette lettre, il y avait écrit « jour J », phrase mystérieuse, ou est-ce que ça
20:33correspond au D-Day, on ne sait pas, et il dit aussi « rien à voir avec Jim Seberg ».
20:40Oui, parce que Jim Seberg s'est suicidé dans sa voiture un an auparavant, après des
20:46années de souffrance psychique de moins en moins vivable, et en fait, ce qu'il voulait
20:54dire, c'est que son suicide n'était pas la réponse à celui de Jim.
20:59Il y a eu mille interprétations de cette lettre.
21:05En fait, il sait que c'est un personnage qui va marquer l'histoire, il sait que quelques
21:09jours après, quelques heures après, on va apprendre qu'il est aussi Émile Ajard,
21:12donc il est éternel et il sait très bien qu'on va interroger son éternité.
21:17Ça fait longtemps qu'il prépare ce geste, c'est un auteur, donc s'il dit ça, c'est
21:21pour donner une première clé d'interprétation, « chercher ailleurs ». Est-ce que ça veut
21:25dire précisément qu'il ne fallait pas chercher ailleurs ? On ne saura jamais en
21:28fait.
21:29On ne sait pas.
21:30On ne saura jamais ?
21:31Non.
21:32En tout cas, moi je…
21:33Même vous qui le connaissez par cœur, même vous qui l'aimez…
21:35Je me permets peu de suppositions sur… Je pense que la fin de l'amour…
21:40Même vous qui l'appelez Romain, comme s'il était un intime.
21:44La fin de l'amour était insupportable pour lui.
21:46La solitude et la fin de l'amour étaient insupportables.
21:50Mais c'est simplement lié à son âge.
21:52Son âge lui était insupportable.
21:54Mais plein d'autres choses.
21:55Il refusait de vieillir et il avait fait le serment de ne jamais vieillir ?
22:00Je n'ai pas envie de dire ça non plus.
22:03Oui, effectivement, il ne voulait pas vieillir.
22:07Il voulait mourir plus tard.
22:10C'est quand même quelqu'un qui a organisé sa vie après la mort.
22:13C'est-à-dire qu'il est né comme Émile Lajard après février 1980.
22:19Donc, effectivement, il avait organisé son éternité exactement comme Fosco Zaga.
22:25Mais quelqu'un qui a eu la trajectoire qu'il a eue, et on parlait de son implication dans
22:33la résistance, de ce qui est arrivé à sa famille.
22:38Toute sa famille a été liquidée par les nazis dans les premiers pogroms ou dans les
22:42camps.
22:43Jusqu'à quel point on vit avec ça ? Je ne sais pas.
22:49Donc, dire qu'il refusait de vieillir, ou l'histoire de son livre « Au-delà de cette
22:54limite, votre ticket n'est plus valable » parce qu'il ne pouvait plus avoir les performances
22:58amoureuses qu'il voulait, c'est tellement en dessous du personnage, en dessous de ma
23:02passion pour lui, que je préfère laisser ça au mystère, au néant.
23:08C'est ce que j'allais vous dire, laissons ça au mystère, laissons ça aussi au paradoxe
23:14au pluriel qu'habitait cet homme romain Garry.
23:19Merci infiniment, Maria Pourchet, d'avoir été l'invité du Grand Entretien Inter.
23:23On passe l'été avec vous, ce sera donc dès ce lundi et tous les jours de la semaine
23:28à 7h55, le samedi à 15h30 en version longue, et ça se terminera forcément sous la forme
23:34d'un livre, vous le savez.
23:35Oui, j'en rejouis ! Et nous aussi, je vous souhaite une excellente journée.
23:40Merci.