• il y a 11 mois
Dans ses interviews, Sophie de Menthon, présidente du mouvement patronal Ethic, se met dans la peau des patrons...

Category

🗞
News
Transcription
00:00 Bonjour Alain et Marc, quelle chance de vous recevoir.
00:03 Vous savez que c'est rare de pouvoir parler bijoux comme ça, à l'antenne et tout savoir
00:07 ce qu'on veut.
00:08 Alors donc vous dirigez la marque Mauboussin, on ne voit qu'elle en ce moment, mais je
00:13 vais vous laisser vous présenter.
00:14 Je dirige Mauboussin, la maison, depuis 21 ans.
00:18 La maison a 21 ans a évidemment évolué, mais le monde a évolué.
00:24 J'ai eu la chance de pouvoir au cours de mon mandat, travailler en profondeur le positionnement
00:32 de la maison, dans la mesure où il y a 20 ans, la haute joaillerie c'était essentiellement
00:39 un métier dans lequel on vendait des trophées à des hommes.
00:43 Trophées à des hommes ? Et qui l'offraient à d'autres trophées,
00:48 leurs compagnes ou leurs femmes.
00:49 Vous voulez dire qu'ils se servaient de leurs femmes comme trophées ?
00:51 Je veux dire qu'ils se servaient dans les soirées de leurs femmes pour présenter les
00:57 trophées qui étaient la preuve de leur richesse et de leur puissance.
01:00 On ne déteste pas d'ailleurs.
01:02 Non, non, pas du tout, c'est tout à fait louable et d'ailleurs ça continue et c'est
01:07 très bien, sauf que moi je pensais que les années 2000 allaient voir émerger une génération
01:14 de femmes qui souhaitaient pouvoir acheter elles-mêmes le bijou comme elles achetaient
01:19 des objets de mode et qui allaient souhaiter le faire parce que le bijou est une seconde
01:24 peau.
01:25 C'est une carte d'identité de votre émotion et une femme d'aujourd'hui est une femme
01:30 qui souhaite pouvoir s'exprimer et notamment au travers des bijoux.
01:34 Pour ça il fallait féminiser le métier, c'est-à-dire il fallait que les grands joailliers
01:42 se disent que leur cliente devenait la femme, directement ou indirectement, qu'elles allaient
01:48 choisir, il fallait faire donc des collections, des collections qui moins statutaires devaient
01:54 être renouvelées plus souvent.
01:56 C'est très intéressant parce qu'effectivement il y avait le bijou et vous avez fait passer
02:02 le bijou qu'on regarde comme ça, qui n'est pas accessible, vous l'avez, en disant que
02:09 vous l'avez féminisé, vous nous l'avez rendu accessoire, enfin accessoire de maquillage,
02:15 de vêtements etc.
02:16 C'est intéressant.
02:17 Et d'air du temps.
02:19 Oui.
02:20 Mais ce qui est aussi très intéressant c'est la démarche marketing.
02:24 Parce que moi j'ai connu Mobusa depuis toujours.
02:26 Mobusa était une marque de haute joaillerie, on regardait ça un peu, je ne sais pas si
02:30 vous étiez Place Vendôme, mais c'était pareil, et c'était inaccessible.
02:35 Il ne pouvait y avoir qu'un homme qui vous offrait un bijou à une circonstance ou éventuellement
02:40 soi-même si on était en capacité de le faire.
02:44 Mais alors qu'est-ce que c'est devenu ?
02:45 Parce que par exemple, je vois vos bijoux, je vois toutes les jeunes femmes, je vois
02:50 une magnifique campagne de pub que vous avez où on voit une bague de fiançailles qui
02:54 me semble très abordable, peut-être pas pour tout le monde mais elle est quand même très
02:57 abordable avec un diamant, donc on a l'impression d'accéder à une sorte de statut qu'on
03:03 n'avait pas avec ce type de bague de fiançailles.
03:05 Mais vous avez encore, et je me surprends à rêver devant une bague que j'ai vue
03:09 chez vous, que vous connaissez, qui est absolument magnifique, qui est une bague de haute joaillerie.
03:15 Donc vous continuez aussi cette joaillerie ?
03:17 Oui, c'est aujourd'hui.
03:18 Mais est-ce qu'elle n'est pas un peu dépassée par le prêt-à-porter ?
03:21 Écoutez, elle représente à peu près aujourd'hui en chiffre trois fois ce qu'elle représentait
03:26 chez Mauboussin en 2002.
03:28 On devait faire en 2002 à peu près 3 millions par an de bijoux supérieurs à 15-20 000
03:38 euros.
03:39 On en fait aujourd'hui plus de 8 millions.
03:42 C'est fou ça !
03:44 Avec en fait les mêmes ingrédients parce que la maison est la même.
03:48 Vous avez fait les mostes de quartier, je ne devrais pas citer de marque concurrente,
03:51 mais c'est un peu ça aussi, il y a des mêmes démarches.
03:53 Non, c'est-à-dire qu'en fait, c'est la même créativité, c'est la même excellence.
03:59 C'est simplement la taille des pierres que nous travaillons qui est différente.
04:05 C'est-à-dire que si je travaille des diamants de plusieurs carats, je vais effectivement
04:10 être cher, enfin être plus cher.
04:12 Et si je travaille des petites pierres, ça nécessitera la même excellence, la même
04:18 créativité, peut-être voir un peu plus, pour en fait exprimer l'art du temps et le
04:23 rendre accessible à la princesse de la rue.
04:26 Et il n'y a pas eu de concurrence.
04:29 Quand on est là, tu as un très beau bijou chez vous, on ne se dit pas mais quand même,
04:32 il y a des bijoux pas chers.
04:34 Est-ce que votre image de marque a subi des fluctuations ?
04:37 Vous savez, l'image de marque d'une maison de création, c'est sa création.
04:40 L'image de marque d'une maison de luxe, c'est l'excellence de sa production.
04:46 Et je sors du sujet, puisque vous me parlez de pierres, mais j'ai vu qu'on avait découvert
04:50 des mines de saphir en France.
04:53 C'est absolument extraordinaire, je ne sais plus dans quelle région.
04:55 Et donc, il y a des pierres précieuses qui arrivent.
04:59 Donc, c'est important, toutes ces matières premières.
05:02 D'abord, est-ce que ça, ça va être intéressant ? Et ensuite, l'or coûte de plus en plus
05:06 cher.
05:07 Et enfin, vous êtes un industriel, parce qu'il y a quand même de l'industrie dans
05:11 tout ça.
05:12 Et est-ce que tout est fait en France ? Comment vous gérez tout ça ?
05:15 - Non, la joaillerie est fabriquée à 65% en France et les 35 autres pourcents sont
05:22 fabriqués en Italie, en Espagne et au Portugal.
05:24 - Ah oui ? Pourquoi ?
05:27 - Mais d'abord, parce qu'il faut trouver de la capacité de production en France, suffisante,
05:32 pas si fatigue que ça.
05:33 Il y a eu quand même une partie du parc industriel qui a été captée par des grands groupes.
05:38 Donc, il a fallu se redéployer avec une nouvelle génération de jeunes industriels.
05:44 Et bon, il faut monter en puissance au fur et à mesure de leur capacité.
05:48 - Vous sous-traitez aux industriels, ça ? Vous avez vos propres industries ?
05:53 - Nous n'avons aucune usine dans notre périmètre capitalistique, mais on a des gens avec lesquels
06:00 on travaille d'une manière extrêmement importante.
06:03 On peut représenter deux tiers, voire plus, de leur capacité de production.
06:08 Au fond, ce qui est important, c'est l'excellence.
06:11 Ce qui est important, c'est la capacité d'exprimer la création.
06:14 Et quand vous êtes une maison comme la nôtre, il faut que vous ayez en tête que la même
06:19 usine ne peut pas produire les mêmes objets.
06:22 - Bien sûr.
06:23 - Donc, ça veut dire qu'il faut effectivement… J'ai un atelier de haute joaillerie qui
06:26 est rue de Tournons, à Paris, donc tout près, et ce qui me permet de faire un métier de
06:33 haute joaillerie dans sa plénitude.
06:35 Ça veut dire qu'au-delà de la création, il y a en fait toute l'expérience client.
06:39 Un bijou de haute joaillerie, c'est un bijou que vous essayez.
06:42 C'est un bijou qui est vraiment fait pour vous.
06:44 Même si vous voyez un modèle comme par exemple la bague qui vous attire, qui s'appelle
06:50 la princesse des stèpes, si demain, cette bague, vous souhaitez l'acquérir, ça ne
06:55 sera pas la bague que vous voyez, ça sera la princesse des stèpes faite pour vous.
07:00 Ça, c'est véritablement la différence d'une maison de haute joaillerie avec une
07:04 maison qui ne l'est pas.
07:05 - Et alors, c'est un tel univers que j'ai été étonnée de voir que vous développez
07:12 aussi d'autres secteurs, parce que j'ai vu que les montres, ça explose.
07:16 Vos vitrines regorgent de montres jolies, colorées, etc.
07:21 Et puis, j'ai vu la maroquinerie récemment, non ?
07:24 - Oui, on vient de lancer la maroquinerie.
07:26 Alors, l'horlogerie, c'est un bon exemple.
07:28 L'horlogerie, nous avons à côté une collection de montres de précision, principalement suisse-mède.
07:36 On a développé une autre collection qui est faite sur des mouvements japonais, qui
07:41 nous a quand même permis de passer de 1 500 montres en 2015 à 76 000 en 2023.
07:49 C'est un changement important.
07:52 Et on vient de lancer la maroquinerie, après deux ou trois saisons de marché test.
08:01 Et je suis très, très content du démarrage, d'abord parce que j'ai trouvé une jeune
08:06 styliste exceptionnelle, parce que tout commence et ne termine pas le premier.
08:11 C'est vraiment là que ça se passe.
08:12 Je suis très content parce que j'avais acheté pour cette première saison de quoi vendre
08:16 12 500 pièces.
08:18 - Vous achetez le cuir en France ?
08:21 - On n'achète absolument rien en France, parce que notre collection est construite
08:27 et conçue en Inde.
08:28 J'ai trouvé un sous-traitant avec lequel c'est possible de monter des collections,
08:33 c'est possible d'atteindre un très, très bon niveau de qualité.
08:37 D'ailleurs, il n'y a que des sacs et de la petite maroquinerie en cuir.
08:43 Il n'y a aucune matière autre.
08:44 Et 12 500 pièces achetées, et au cours des cinq premières semaines de vente, on en
08:51 avait vendu 6 500.
08:52 - Impressionnant.
08:53 - Après, il faut réussir la fin de la saison.
08:56 Mais concrètement, c'est quand même exceptionnel parce que je n'ai qu'un seul magasin de maroquinerie
09:03 que j'ai ouvert en décembre à Vélizy, et le reste, je l'ai vendu dans mes propres
09:07 magasins sur la partie linéaire qui me restait possible, et puis dans une dizaine de pop-up
09:13 stores dans les galeries Lafayette.
09:15 Mais l'univers, le point central, c'est la création.
09:20 Le point central, c'est l'amour, puisqu'en réalité, la plupart des objets que je fais
09:26 sont des objets qui s'échangent par amour.
09:28 C'est vrai, évidemment, des bijoux, mais c'est vrai des mots.
09:30 - Ils sont faits pour séduire.
09:31 - Exactement.
09:32 Ils sont faits pour séduire, et la séduction est une valeur importante.
09:36 - Sûre.
09:37 Et donc, vous avez effectivement tout ça.
09:40 Est-ce que vous êtes condamné à innover, et qu'est-ce qu'il en est par rapport à
09:45 l'international ? Est-ce que vous avez attaqué l'international pour les ventes ?
09:49 - Nous avons un deuxième pays très important qui est le Japon.
09:54 J'ai en France à peu près 90 magasins, mais j'ai au Japon 12 magasins, et qui sont
10:02 dans des grands magasins.
10:04 Et le Japon est un pays pour lequel je développe.
10:07 Je développe des collections, évidemment pour les Françaises et les Français, mais
10:10 je développe des collections pour les Japonais.
10:12 En dehors de ça, j'ai des ambassades.
10:14 - Et les Japonais aiment ça parce que c'est français ?
10:18 - Oui.
10:19 La France, l'élégance française, le goût français au Japon, c'est véritablement
10:24 une valeur.
10:25 - Oui, c'est un plus.
10:26 Autant que votre marque.
10:27 Autant que votre marque, parce qu'elle est française.
10:30 - Oui, c'est la France qui est vraiment synonyme d'élégance, de bon goût au Japon.
10:36 Plus que l'Italie, par exemple, au Japon.
10:39 - Ah oui.
10:40 Et je reviens au… Vous parliez des montres.
10:45 On avait quand même la Vallée de Joux, qui est une vallée dans le Jura, qui est très
10:52 spécialisée dans les montres.
10:54 Néanmoins, vous les faites faire plutôt ailleurs.
10:58 - Non, parce que vous savez, il y a un juge de paix dans l'industrie.
11:03 - C'est le client.
11:04 - C'est la compétitivité par rapport au client.
11:06 Il faut que le produit soit parfait.
11:08 Et en France, on sait faire des produits parfaits.
11:11 Il faut qu'il soit aussi dans le marché.
11:13 Et il faut que beaucoup de choses soient réunies.
11:18 Il faut certes que l'investisseur, le capitaliste soit là.
11:24 Mais il ne peut pas être seul.
11:25 Il faut qu'il soit accompagné d'un micro-climat autour de lui, qui permette de développer
11:32 sa production, de développer l'emploi dans un contexte de compétitivité.
11:39 - Et vous trouvez des salariés ? Vous trouvez en France une main d'œuvre pour ce que vous
11:45 faites, pour développer aussi bien dans la vente que dans la joaillerie elle-même ? Pas
11:50 de problème d'emploi ?
11:51 - C'est très difficile dans la joaillerie, parce que la formation des gens est longue.
11:57 - Elle est longue ?
11:58 - Pour avoir un niveau d'excellence qui correspond aux bijoux que l'on fait, la formation n'est
12:05 pas courte.
12:06 - Combien de temps ?
12:07 - Pour qu'un ouvrier devienne à niveau, il faut plusieurs années.
12:13 Il faut un environnement qui le rende possible.
12:18 On a des bassins.
12:19 Paris, évidemment, et la région parisienne, mais Lyon beaucoup, Rhône-Alpes, et puis
12:26 un tout petit peu d'autres régions, l'Est de la France, le Centre de la France.
12:29 Enfin, il y a du chemin à parcourir pour nous permettre de rapatrier ce qui n'est pas fabriqué
12:34 en France sur le territoire français.
12:36 - Et vous avez l'impression, qu'est-ce qu'il faudrait pour que ça aille encore mieux en
12:43 France ? Vous avez une baguette magique ? Qu'est-ce qui vous gêne ? Qu'est-ce qu'il faudrait
12:48 améliorer ? Que ce soit au niveau peut-être de la fédération de la profession, de la
12:52 haute joaillerie, que des écoles, qu'il y a une formidable université des arts de la
12:59 main qui est en train de se développer par le groupe LVMH.
13:03 Qu'est-ce qu'il faudrait ?
13:05 - Il faut plusieurs choses, parce que nous sommes en fait aux confins, nous, de trois
13:11 métiers.
13:12 Nous sommes à la fois des créateurs, nous sommes des industriels et nous sommes des
13:16 commerçants.
13:17 Le commerce a besoin de quiétude.
13:22 Les quelques dernières années qu'on vient de vivre sont des années dans lesquelles
13:28 les magasins, quelles que soient les villes, les magasins ont dû faire face à des périodes
13:35 agitées.
13:36 Quand le samedi, on représente à peu près 35% de votre chiffre d'affaires et que vous
13:42 avez quasiment dans certaines villes des manifestations régulières tous les samedis, qu'on le veuille
13:50 ou non, il y a un climat d'insécurité, de non-apaisement qui se diffuse et qui fait
13:58 que les gens ont peur.
14:00 - Y compris peur de les porter, les bijoux.
14:04 - Oui, tout à fait.
14:05 L'insécurité c'est un vrai sujet et nous ne nous trompons pas, nous faisons sur le
14:11 web notre chiffre d'affaires nationale.
14:12 La part nationale, nous faisons 20% de notre chiffre d'affaires sur le web.
14:15 - Et est-ce que vous pensez, ça c'est une question un peu personnelle, mais on a de
14:20 plus en plus de femmes attaquées, de femmes qui disent "moi je ne mets plus mes bijoux
14:23 pour sortir".
14:24 Il y a la peur, alors d'abord la peur du vol dans vos boutiques, ça ça doit être quelque
14:28 chose qui doit être inquiétant.
14:29 La peur d'être agressé parce que vous symbolisez le riche, ce qui est riche.
14:34 Et puis la peur des femmes qui veulent, là avec les bijoux que vous vendez c'est moins
14:40 inquiétant que pour les grosses pièces, mais est-ce que c'est une de vos inquiétudes
14:44 la sécurité ?
14:45 - Ça devrait les rassurer de venir acheter chez Mauboussin, elles courent moins de risques
14:50 qu'avec d'autres marques.
14:52 Mais concrètement c'est clair qu'un climat qui est un climat non serein, ne peut pas
14:57 profiter au commerce, ne peut pas du tout.
14:59 Mais en fait on n'achète pas forcément l'objet en pensant qu'on va être amené
15:05 à le porter dans la rue.
15:06 C'est une seconde peau et en même temps c'est un objet d'échange d'amour.
15:11 - On va finir là-dessus parce que c'est très beau et c'est exactement ce que ça
15:14 symbolise à mes yeux aussi.
15:16 Merci infiniment Alain Desmarques et continuez.
15:19 - Merci beaucoup.
15:20 [Musique]
15:23 [Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org]

Recommandations