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00:00 6h39, les matins de France Culture, Guillaume Erner.
00:06 Marguerite Caton, bonjour.
00:08 Bonjour Guillaume, bonjour à tous.
00:10 Retour sur la loi immigration.
00:11 Oui, car la semaine qui s'ouvre s'annonce décisive pour le texte.
00:15 Hier, les cortèges d'opposants à la loi ont rassemblé 75 000 personnes dans toute
00:19 la France, selon le ministère de l'Intérieur, 150 000 au dire de la CGT.
00:23 Et jeudi, le Conseil constitutionnel rendra son verdict.
00:27 En attendant, une double question nous occupe ce matin.
00:30 La loi immigration, telle que rédigée par la commission mixte paritaire, consacre-t-elle
00:34 un principe de préférence nationale ? Et si oui, est-ce conforme ou contraire à la
00:40 Constitution ?
00:41 Bonjour Thibault Millier.
00:42 Bonjour.
00:43 Vous êtes maître de conférence en droit public à l'Université Paris Nanterre.
00:45 Est-ce qu'on peut revenir pour commencer sur le concept même de préférence nationale
00:49 ? A-t-il une valeur juridique ou s'agit-il d'une expression purement politique ?
00:53 A priori, c'est une expression purement politique qui a été pensée à partir des
01:00 années 80 par un certain nombre de membres du club de l'horloge plutôt rattachés à
01:06 l'extrême droite.
01:07 Il n'existe pas en soi dans le droit positif français.
01:11 Mais il peut interroger un certain nombre de principes juridiques qui ont valeur constitutionnelle,
01:17 à commencer par le principe d'égalité et in fine le principe de fraternité.
01:22 Et est-ce qu'il n'y a pas aussi en droit un principe d'universalité qui rentrerait
01:27 aussi en contradiction avec l'idée de préférence nationale ?
01:30 Oui, bien sûr, ce serait rattaché au principe républicain fondateur.
01:35 Et là, en l'occurrence, la préférence nationale porterait atteinte à ce principe
01:41 d'universalité puisque c'est dans une certaine mesure l'idée de décourager la
01:46 venue des étrangers, de leur priver ou de limiter l'accès à certaines prestations
01:50 sociales au profit de nationaux français qui en tireraient un bénéfice.
01:56 Vous l'avez dit, il s'agit de décourager.
01:59 La loi immigration ne prévoit pas d'exclure absolument les étrangers de la protection
02:04 sociale ou de différentes aides sociales.
02:06 Le TEC se propose de restreindre leur accès à ces droits en les conditionnant à une
02:11 durée de séjour minimale sur le territoire national.
02:13 On peut quand même parler de préférence nationale à votre avis ?
02:16 Alors, je ne sais pas si pour le juriste on peut parler de préférence nationale.
02:21 En tous les cas, il y a une interrogation à l'égard du principe d'égalité dans
02:27 la mesure où un certain nombre de dispositions de la loi, je pense à l'article 19 sur
02:31 les prestations sociales, remet en cause l'universalité d'accès aux droits, enfin à certaines prestations
02:37 sociales, c'est-à-dire qu'elle n'était fondée que sur un critère de résidence
02:41 stable et régulier et désormais on lui adjoint une condition, soit être affilié à un régime
02:49 de sécurité sociale depuis au moins 30 mois si on exerce une activité professionnelle
02:54 ou attendre un délai de 5 ans qui nécessairement va limiter l'accès à un certain nombre
02:58 de prestations sociales et ça commence à sortir dans les médias des études sur cela
03:06 et bien qui risque pour un certain nombre d'étrangers d'entrer dans une situation
03:13 de pauvreté, voire de grande pauvreté.
03:15 Mardi dernier, Emmanuel Macron qui était interrogé durant sa conférence de presse
03:19 sur la question sur ce conditionnement des aides sociales a expliqué que de son point
03:23 de vue ce n'était pas problématique, c'était déjà le cas pour certaines prestations.
03:26 Il a notamment cité le RSA.
03:28 Qu'est-ce que vous pensez de cet argument Thibaut Mullier ?
03:31 Alors c'est un argument qui revient souvent et je ne serai pas aussi catégorique que
03:37 le Président de la République qui à titre accessoire et doit s'assurer du respect de
03:41 la Constitution et le RSA avait déjà fait l'objet d'une décision du Conseil Constitutionnel
03:48 en 2011, une question prioritaire de constitutionnalité et avait estimé que la condition d'accès
03:54 au RSA pour les étrangers d'une durée de 5 ans de résidence sur le territoire était
03:59 conforme à la Constitution mais il avait bien regardé que c'était lié à l'objet
04:05 de la loi, c'est-à-dire que le RSA déjà n'est pas une prestation de sécurité sociale,
04:09 c'est une aide publique financée par les départements et eux-mêmes subventionnées
04:12 par l'État, ce n'est pas exactement la même chose.
04:14 Mais surtout le bénéficier du RSA s'inscrit dans l'idée d'exercer un emploi ou l'idée
04:22 d'être réinséré sur le marché de l'emploi.
04:25 Or le Conseil Constitutionnel nous disait que la condition de résidence est une condition
04:32 essentielle pour revenir sur le marché de l'emploi et donc à ce titre-là, la condition
04:39 de 5 ans était en lien avec l'objet de la loi et donc pouvait être déclarée conforme
04:43 à la Constitution.
04:44 Oui, c'est-à-dire qu'il avait estimé que la différence de traitement prévue par
04:47 la loi était en rapport direct avec l'objet même.
04:49 Avec l'objet de la loi, exactement.
04:50 Et il faut quand même rappeler que le Conseil Constitutionnel avait été saisi, vous l'avez
04:54 vu, par une question prioritaire de constitutionnalité qui invoquait un article important, l'alinéa
04:59 11 du préambule de la Constitution de 1946.
05:01 La nation garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère, aux vieux travailleurs, la protection
05:06 de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs.
05:09 Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation
05:13 économique, se trouve dans l'incapacité de travailler, a le droit d'obtenir de la
05:16 collectivité des moyens convenables d'existence.
05:19 Tout être humain, c'est ça le principe d'universalité et c'est peut-être sur ça
05:22 qu'il pourrait y avoir une discussion parce que si on reprend le raisonnement du Conseil
05:26 Constitutionnel qui dit que le RSA peut être conditionné à 5 ans de présence sur le
05:29 territoire parce que c'est une prestation qui vise à permettre une stabilisation aussi
05:33 dans l'emploi, ce raisonnement peut difficilement s'appliquer, pour le coup, à l'allocation
05:38 personnelle d'autonomie, par exemple, qui dans le texte de loi immigration serait, elle
05:43 aussi, conditionnée à 5 ans de résidence.
05:44 Qu'est-ce que vous en pensez ? Est-ce qu'on pourrait appliquer le même raisonnement ?
05:47 C'est difficile à dire mais tout l'enjeu va être, et c'est un travail constant de
05:54 la part du Conseil Constitutionnel, c'est d'interpréter un certain nombre de dispositions
05:59 de valeurs constitutionnelles et est-ce qu'au regard de l'interprétation retenue, les dispositions
06:06 de la loi y portent ou non atteintes.
06:07 Et c'est vrai que vous l'avez rappelé, la linéa 11 du préambule de la Constitution
06:11 de 1946, je pense aussi à l'ordonnance de 1945 sur la sécurité sociale, envisage une
06:19 universalité.
06:20 Dans la jurisprudence du Conseil Constitutionnel, il n'y a jamais eu dans ces décisions l'idée
06:27 selon laquelle on ne peut pas limiter les droits des étrangers mais on doit toujours
06:31 leur garantir un minimum de protection des droits et libertés, notamment des droits
06:36 sociaux et en particulier des droits d'accès aux prestations sociales.
06:40 A priori, la portée d'un certain nombre de dispositions de cette loi immigration serait
06:46 peut-être trop large et donc contraire, mais on utilise un conditionnel, au principe d'égalité.
06:51 - Et de la question du versement conditionnel des allocations, il y a un autre point qui
06:55 mérite d'être débattu très rapidement, celui de la caution que les étudiants étrangers
06:58 non communautaires vont devoir verser pour obtenir une carte de séjour.
07:02 Là, on n'est pas dans un conditionnement mais on a véritablement un traitement différent.
07:06 C'est légal ça, très rapidement ?
07:08 - A priori, à mon sens, ce serait plutôt inconforme à la Constitution parce qu'on
07:14 fait peser dans une certaine mesure la suspicion sur des étudiants étrangers.
07:19 Ils viendraient en France pour obtenir un titre de séjour et donc être en situation
07:24 régulière et ne suivraient pas leurs études de manière sérieuse.
07:29 Cette disposition, comme les deux autres sur les étudiants, sont assez inquiétantes dans
07:34 la mesure où on fait peser sur les étudiants étrangers, on limite l'accès des étudiants
07:39 étrangers à l'université, ce qui est contraire à ces principes.
07:42 - Merci beaucoup Thibault Mullier.
07:43 On aura jeudi les conclusions du Conseil constitutionnel.
07:46 En attendant, je rappelle que vous êtes maître de conférence en droit public à l'Université
07:50 Paris-Nanterre.

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