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00:00 6h39, les matins de France Culture, Guillaume Erner.
00:06 La question du jour, c'est avec vous Marguerite Caton, bonjour.
00:09 Bonjour, bonjour Guillaume, bonjour à tous.
00:11 Ce matin, vous nous parlez de la révision de la Constitution envisagée hier par le
00:16 président et surtout des référendums parce qu'il en veut plus.
00:20 Il en veut plus Guillaume, et je dirais que ce n'est pas vraiment une ambition exagérée
00:24 dans la mesure où depuis 2005 il n'y en a plus.
00:27 Le référendum est tombé en déshérence et le président a souligné hier devant le
00:31 Conseil constitutionnel que les citoyens attendent d'être plus souvent sollicités.
00:36 Alors s'il ne s'est pas engagé à l'utiliser davantage, il a quand même proposé d'élargir
00:41 la possibilité juridique d'y recourir.
00:43 Vous me direz que si c'est pour ne pas l'utiliser, c'est une réforme à peu de frais, mais
00:47 Dominique Rousseau vous répondra que toucher à la Constitution n'est jamais anodin.
00:52 Bonjour Dominique Rousseau.
00:53 Bonjour.
00:54 Vous êtes le secrétaire de droit constitutionnel à Paris 1 Panthéon-Sorbonne, ancien membre
00:57 du Conseil supérieur de la magistrature de 2002 à 2006.
01:01 Comment expliquez-vous la frilosité récente des gouvernements français en matière de
01:06 référendum ?
01:07 Vous l'avez dit, le référendum de 2005, le gouvernement de l'époque, Jacques Chirac,
01:14 fait un référendum attendant le oui et c'est le non qu'il emporte.
01:18 Sur la Constitution européenne.
01:19 Sur la Constitution européenne.
01:20 Et à partir de là, évidemment, les gouvernants, ceux qui posent la question, s'attendent
01:24 toujours à ce qu'on réponde oui et quand le peuple répond non, on ne réutilise pas
01:29 cet instrument.
01:30 Ça tranche avec d'autres pratiques européennes, peut-être plus populistes ?
01:34 Il y a d'autres référendums, effectivement, en Europe.
01:38 Il y a eu un référendum, par exemple, en Croatie, où on a demandé au peuple s'il
01:41 était pour ou contre le mariage pour tous.
01:44 Et le peuple croate, par référendum, a dit non au mariage pour tous.
01:48 La même année d'ailleurs, où en France, le Parlement, lui, reconnaissait le mariage
01:53 pour tous.
01:54 Comment s'est imposé au sein de la majorité, et même au-delà, l'idée que le champ du
01:59 référendum est trop étroit et qu'il faut élargir son périmètre, comme l'a annoncé
02:03 hier le Président ?
02:04 Alors, ce n'est pas nouveau, cette volonté d'élargir le champ du référendum.
02:08 Il a déjà été élargi en 1995, aux questions économiques, sociales et ensuite environnementales.
02:15 Et François Mitterrand, en 1984, souvenez-vous, lors de la crise de l'école privée, tout
02:23 le monde demandait un référendum pour ou contre l'école privée, et Mitterrand avait
02:27 répondu "mais l'article 11 ne peut pas, ne le permet pas".
02:31 Donc ce que je vais faire, disait Mitterrand, c'est je vais faire un référendum pour
02:35 élargir le champ du référendum aux questions de société, et ensuite on fera un référendum
02:40 sur l'école privée.
02:42 On est dans la même situation aujourd'hui.
02:44 C'est-à-dire, à ceux qui demandent un référendum sur l'immigration, le Président
02:48 de la République répond "mais la Constitution ne le permet pas".
02:51 En revanche, je vais d'abord réviser la Constitution pour élargir le champ du référendum
02:57 aux questions de société, il reste à savoir ce que c'est qu'une question de société,
03:01 les punaises peut-être, et ensuite on fera éventuellement un référendum sur l'immigration.
03:06 C'est la question que j'allais vous poser.
03:08 Qu'est-ce qui, dans la définition économique, sociale et environnementale, enfin bon, surtout
03:12 sur le mot social, empêche de faire un référendum sur l'immigration ? Qu'est-ce qu'il faut,
03:15 un nouvel objectif sociétal ?
03:17 Il faut un nouvel objectif sociétal où, comme c'était proposé en 1984, dire qu'on
03:24 peut faire un référendum sur toutes les politiques relatives aux droits et libertés
03:31 garantis par la Constitution.
03:34 Alors ça peut être le droit d'asile, ça peut être le droit d'avortement, dont il
03:39 a parlé d'ailleurs.
03:40 Avec une nuance, il n'a pas parlé de droit, il a parlé de liberté.
03:44 Ce qui est, ce que le Sénat veut.
03:46 C'est totalement différent.
03:47 Le droit, ça veut dire, si les femmes ont le droit, ça veut dire que l'État a l'obligation
03:54 de satisfaire ce droit.
03:56 S'ils ont simplement la liberté, on donne aux femmes la liberté, puis après on leur
03:58 dit "débrouillez-vous".
03:59 Donc, si vous voulez, il y aurait aussi un problème de rédaction qui n'est pas...
04:03 Qu'on a déjà vu, puisque l'Assemblée Nationale dit "droit", le Sénat dit "liberté",
04:07 ils n'arriveront peut-être pas à s'entendre.
04:08 Absolument.
04:09 Et ce qui est intéressant de voir, c'est que le Président de la République a repris
04:11 la formule, non pas de l'Assemblée Nationale, de ses propres partisans d'ailleurs, mais
04:16 du Sénat.
04:17 Est-ce qu'on peut comprendre et envisager qu'à l'avenir, si des futurs référendums
04:22 existent, ils seront sur des questions du coup de société, la fin de vie, l'immigration,
04:26 c'est ça l'avenir ?
04:27 Absolument, tout à fait.
04:28 On peut faire...
04:29 Si le référendum sur l'élargissement du champ du référendum touche les questions
04:34 sociétales, comme vous dites, ou si on reprend la formule "droit" et "liberté", on pourra
04:39 faire des référendums sur la fin de vie, sur l'asile, sur l'accueil des étrangers,
04:47 bref, sur toutes les questions qui... sur les éoliennes, sur la transition énergétique,
04:53 sur tous les problèmes intéressants touchant la liberté de la presse, la liberté d'aller
04:59 et venir, tout ça.
05:01 Le droit de grève, on pourrait faire un référendum sur le droit de grève, parce qu'il faut le
05:05 limiter, l'étendre, le restreindre, voilà.
05:08 Donc le champ du référendum deviendrait immense.
05:11 Et si ce champ devient immense, à quoi va-t-il servir ? C'est-à-dire qu'il va permettre
05:16 de venir peut-être dénouer des crises parlementaires ? Et c'est peut-être ça que le président
05:20 a dans l'idée, il sait qu'il va vers des crises parlementaires du fait de sa majorité
05:24 relative et d'usage un peu maximisé du 49-3.
05:27 Et dans ce cas, le référendum, ce serait l'outil de secours.
05:30 Alors l'outil de secours, oui, c'est souvent comme ça que l'on présente le référendum,
05:35 avec deux fonctions principales.
05:38 Résoudre une crise, penser par exemple au référendum organisé par le général de
05:43 Gaulle, résoudre la crise algérienne, alors qu'à l'époque, il n'avait pas une majorité
05:48 très solide, voire pas du tout à l'Assemblée nationale, et que l'armée était hésitante.
05:52 Et donc il a joué le peuple, il avait été rappelé au pouvoir pour garder l'Algérie
05:59 française, il change d'avis entre temps, donc il fait un référendum pour mettre les
06:05 français devant cette responsabilité.
06:07 Le général de Gaulle, en 1968, avait voulu utiliser le référendum pour sortir de la
06:14 crise, et Pompidou lui avait dit "non, non, on est trop dangereux, on va dissoudre l'Assemblée
06:19 nationale".
06:20 Donc le référendum est conçu comme un moyen de résoudre des crises.
06:25 Est-ce que c'est le bon instrument ? Pompidou avait dit à de Gaulle "non, ça serait plutôt
06:29 la dissolution".
06:30 Donc on peut anticiper, on peut considérer que le président de la République, vu le
06:36 blocage actuel, parce qu'il n'a pas de majorité absolue à l'Assemblée nationale,
06:41 essaie de contourner en quelque sorte cette absence de majorité par l'instrument du
06:47 référendum.
06:48 Mais attention, il peut faire la stratégie de Mitterrand, c'est-à-dire "j'élargis",
06:54 et vous l'avez souligné tout à l'heure, "j'élargis le champ du référendum, mais
06:58 pas sûr ensuite que je fasse un référendum sur l'immigration".
07:01 Parce que, contrairement à ce qu'on croit, même si le champ du référendum est élargi,
07:07 on ne fera pas un référendum sur, pour ou contre l'immigration.
07:11 On fera un référendum sur un projet de loi qu'il faudra rédiger.
07:16 Emmanuel Macron s'est aussi prononcé en faveur d'une simplification de la procédure
07:21 du référendum d'initiative partagée qui est entré en vigueur en 2015.
07:24 Le RIP, comme on dit, permet de soumettre au vote des Français une proposition de droit
07:28 qui bénéficie du soutien d'une partie des députés et des citoyens, mais à l'heure
07:33 actuelle, c'est un outil qui n'a jamais fonctionné.
07:35 Alors comment l'expliquez-vous, Dominique Rousseau ?
07:37 Il n'a jamais fonctionné parce qu'il a été conçu pour ne jamais fonctionner.
07:43 Quand vous pensez qu'il faut un cinquième des parlementaires, ce qui fait à peu près
07:48 185 et puis 10% du corps électoral, ce qui fait 4 900 000, très difficile à obtenir
07:55 4 900 000 signatures de citoyens.
07:58 La dernière fois que ça a marché, c'était pour la privatisation d'ADP et ça a été
08:02 jusqu'à un million et quelques.
08:04 Si on veut véritablement réformer ce fameux référendum d'initiative partagée, il faut,
08:13 me semble-t-il, de mon point de vue, renverser les choses.
08:17 C'est-à-dire donner l'initiative aux citoyens, appuyer le cas échéant par les parlementaires.
08:22 Aujourd'hui, c'est les parlementaires qui lancent et les citoyens qui appuient.
08:25 Là, ce serait plus simple de donner aux citoyens l'initiative et aux parlementaires d'appuyer.
08:30 Et je renvoie d'ailleurs les auditeurs à la tribune que vous avez fait paraître dans
08:33 Le Monde mardi, Dominique Rousseau, où vous dites "il faut réfléchir à une nouvelle
08:36 constitution pour faire entrer dans la sphère du pouvoir un nouvel acteur, le citoyen".
08:40 Merci beaucoup de toutes ces explications.
08:42 Je rappelle que vous êtes professeur de droit constitutionnel à l'Université Paris 1,
08:45 Panthéon-Sorbonne.
08:46 Merci Marguerite Caton.

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