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00:00 Les matins de France Culture, Quentin Laffey.
00:07 7h14, la question du jour, c'est avec vous, Marguerite Caton, bonjour.
00:10 Bonjour Quentin, bonjour à tous.
00:12 Et ce matin, vous faites le point sur les interdictions de manifester.
00:15 En compagnie d'une juriste, Charlotte Denizolae, maître de conférence en droit public à l'université Paris-Panthéon-Assas.
00:22 Bonjour madame.
00:23 Bonjour Marguerite Caton.
00:24 Samedi, se sont tenues plusieurs manifestations de solidarité avec la Palestine, à Perigueux, à Nice, à Marseille, à Lille, Strasbourg, Montpellier, Paris.
00:33 Certaines étaient autorisées, d'autres interdites.
00:36 Qu'est-ce que cela signifie, Charlotte Denizolae ?
00:37 Est-ce qu'un droit comme celui de manifester peut s'octroyer au cas par cas ?
00:42 Oui, absolument.
00:43 Ce droit s'octroie et s'apprécie au cas par cas en fonction des circonstances locales.
00:48 La liberté de manifestation, c'est une liberté fondamentale, mais elle obéit à un régime particulier qui est celui de la déclaration.
00:54 La manifestation est déclarée, le préfet est donc informé de la déclaration, et il dispose de ce qu'on appelle les prérogatives de police administrative.
01:02 Comme le maire, il a pour mission de prévenir, c'est vraiment un rôle préventif, c'est le Code général des collectivités territoriales qu'il indique,
01:10 de prévenir les atteintes à l'ordre public.
01:13 L'ordre public, il se définit selon une trilogie traditionnelle qui est la sécurité publique, la tranquillité publique et la salubrité publique.
01:21 En droit administratif, depuis le début du XXe, le principe est le suivant, la liberté est la règle, la restriction de police l'exception.
01:28 La restriction de police, elle peut aller jusqu'à la mesure la plus grave, la plus attentatoire aux libertés qui est l'interdiction, pure et simple.
01:34 Mais l'interdiction, qui est donc générale et absolue, pour être légale, elle doit être nécessaire, adaptée, proportionnée,
01:42 ça veut dire qu'il ne faut pas qu'une mesure plus légère ait pu être adoptée,
01:45 et surtout, elle doit être justifiée par des circonstances locales particulières,
01:50 qui en ce moment s'apprécient en tenant compte notamment des moyens humains, matériels et juridiques dont disposent les forces de l'ordre localement.
01:58 Et puis aussi, il peut y avoir la prise en compte de troubles locaux.
02:02 J'ajoute que lorsque les interdictions viennent devant le juge administratif, dans le cadre de ce qu'on appelle les référés liberté fondamentale,
02:09 qui permettent en 48 heures d'avoir une réponse du juge administratif,
02:13 c'est intéressant d'observer que, s'agissant notamment des ordonnances du tribunal administratif de Paris,
02:17 certaines ont rejeté les demandes de suspension d'interdiction, alors que d'autres y ont fait droit.
02:24 On comprend donc que le préfet, c'est chargé d'évaluer à l'avance le risque de trouble à l'ordre public.
02:29 C'est pour ça que les manifestations sont déclarées d'ailleurs préalablement. C'est obligatoire ou pas, Charlotte Denizolaï ?
02:34 Oui, pour répondre à la première partie de votre question, oui, les manifestations sont déclarées pour que le préfet soit informé
02:41 et qu'il puisse apprécier à l'avance les éventuels risques de trouble à l'ordre public.
02:46 Ce qui est intéressant, c'est de voir que les libertés collectives sont soumises à ce régime déclaratif.
02:51 La liberté de réunion publique, la liberté d'association, le droit de grève, toutes ces libertés doivent être, avant d'être exercées,
02:57 doivent faire l'objet d'une déclaration préalable.
03:00 Pour la liberté de manifestation, le principe est le suivant, trois jours francs avant la manifestation, il faut se déclarer en préfecture.
03:06 Les organisateurs doivent se présenter en indiquant leur nom et leur adresse.
03:11 Ils doivent indiquer le jour, l'horaire et l'itinéraire prévu, bien sûr, et le but de la manifestation.
03:18 S'il préfète n'émet aucune réserve, très bien, elle est autorisée. Il peut prendre des mesures plus ou moins sévères.
03:24 Il peut changer un itinéraire, par exemple, ou aller jusqu'à l'interdiction totale.
03:28 Et dans ce cas-là, il doit informer immédiatement, par inérité, les organisateurs.
03:32 Vous me demandiez si elle est obligatoire, oui, elle est obligatoire depuis longtemps, puisqu'elle l'est depuis 1935.
03:37 Donc c'est ancien. Aujourd'hui, on trouve ça à l'article 211-1 du Code de sécurité intérieure,
03:42 qui prévoit que toutes les manifestations sur la voie publique doivent être déclarées.
03:46 Il y a une exception à ça, ce sont ce qu'on appelle les sorties sur la voie publique conformes aux usages locaux,
03:51 ce sont les carnavals, les processions religieuses, les défilés d'anciens combattants.
03:55 Toutes ces manifestations ne font pas l'objet de déclarations. Sinon, elles sont illégales.
04:00 Actuellement, on a l'impression, dans le cadre de manifestations au soutien à la Palestine,
04:03 que les préfètes rassentent une ligne de partage au sein des associations et des organisations.
04:07 Entre celles qui condamnent l'attaque du Hamas du 7 octobre, et puis les autres.
04:11 En quoi condamner l'attaque du Hamas garantira une manifestation plus calme, à votre avis ?
04:16 Alors, je ne suis pas sûre que la condamnation du Hamas par l'entité organisatrice garantisse une manifestation plus calme.
04:23 Il est en réalité très difficile de prévoir qui constituera le cortège de manifestants.
04:28 Puisque parmi les manifestants, vous allez trouver des manifestants pacifiques,
04:32 qui demandent un cessez-le-feu, qui demandent l'arrêt des frappes, et qui soutiennent éventuellement une solution à deux États.
04:37 Et vous avez aussi des personnes radicalisées, extrémistes, proches des mouvances islamiques.
04:42 Donc ça, c'est impossible de le déterminer à l'avance.
04:44 Cela étant, vous avez raison, la question de l'identité des organisateurs et des associations est scrutée vraiment par les autorités.
04:51 Je rappelle que le Hamas est une organisation terroriste classée comme telle dans un règlement européen du 20 juillet 2023,
04:58 avant même l'attaque du 7 octobre.
05:00 Et pour les préfets, les manifestations qui sont organisées par des associations,
05:04 soit qui valorisent ou alors qui justifient les attaques du 7 octobre, sont de nature à entraîner des troubles à l'ordre public.
05:10 Pourquoi ? Parce qu'il risque d'y avoir des agissements relevant du délit d'apologie du terrorisme,
05:17 ou alors relevant de la provocation publique à la discrimination, à la haine ou à la violence,
05:23 à l'égard d'un groupe de personnes en raison de son appartenance à une nation ou à une religion.
05:28 Et ce qu'on craint tout particulièrement, ce sont des actes ou des paroles antisémites.
05:31 Le préfet de Paris, Laurent Nunes, disait d'ailleurs, pour interdire, en justification de l'interdiction de la manifestation,
05:38 qui s'est quand même tenu ce samedi à Paris, place du Châtelet, il a invoqué un trouble à l'ordre public de nature immatérielle.
05:44 Est-ce que ça existe dans les textes, Charlotte de Nizolaès, un trouble à l'ordre public immatériel ?
05:48 Alors, pour vous répondre, oui, oui, l'ordre public immatériel existe. Il existe dans la jurisprudence, il existe aussi dans les textes.
05:55 Dans la jurisprudence, c'est le Conseil d'État, en 1995, qui a ajouté à la trilogie classique "Sécurité, Tranquillité, Salubrité",
06:04 une quatrième composante relative à la dignité de la personne humaine, dans une affaire qui était relative au lancé de Nain.
06:11 Dans les arrêtés d'interdiction, les préfets rappellent qu'ils ont pour mission de prévenir les atteintes à la dignité de la personne humaine.
06:18 Ils reviennent sur les regains de tension qui sont observés depuis le 7 octobre, qui se sont traduits par une recrudescence des propos antisémites.
06:27 Et ces propos sont attentatoires à la dignité de la personne humaine. Mais en outre, ils constituent des délits pénaux.
06:32 Et ça, c'est le deuxième élément de la réponse par rapport au trouble immatériel. Ils sont prévus par la loi.
06:37 Le Code de Sécurité Intérieure dit qu'il s'agit de prévenir la commission suffisamment certaine et imménente d'infractions pénales
06:45 susceptibles de mettre en cause la sauvegarde de l'ordre public, même en l'absence de troubles matériels.
06:51 Et c'est le cas pour les propos antisémites, puisqu'ils constituent des infractions pénales, mais il n'y a pas nécessairement de troubles matériels ou de troubles physiques.
06:59 - Il y a aussi parfois des considérations très pratiques qui jouent. Vous avez dit le circuit proposé pour un défilé.
07:08 De manière générale, un rassemblement statique a moins de chances d'être interdit qu'une déambulation.
07:13 Est-ce que c'est une spécificité française, ce goût du défilé ?
07:17 - Oui, vous avez raison. La manifestation mobile est une tradition française qui est vraiment ancrée dans notre culture historique et sociale.
07:24 Et nous n'avions pas la culture du quettling, la technique de la nasse, qui a été inventée au Royaume-Uni dans les années 70 par les policiers britanniques
07:34 et qui consiste à regrouper les manifestants au sein d'un cordon de police.
07:39 C'est une technique qui est très usitée dans les pays de common law, mais qui tente à être de plus en plus utilisée en France.
07:45 Et ça a suscité d'ailleurs des critiques du défenseur des droits.
07:48 En France, nous avons donc une tradition pour la manifestation mobile sur la voie publique.
07:54 C'est vrai que c'est un argument qui a été important dans l'arrêté de Laurent Nunez pour le week-end dernier concernant l'interdiction de la manifestation,
08:00 qui devait rallier la place du Châtelet jusqu'à la place de la République en passant par la gare de l'Est.
08:06 Une déambulation, évidemment, est toujours beaucoup plus risquée qu'une manifestation statique.
08:12 Il faisait valoir que la manifestation allait traverser des quartiers très commerçants qui connaissent une forte fréquentation,
08:17 avec des commerces qui pouvaient être considérés comme des symboles du capitalisme,
08:20 et donc être des cibles potentielles d'actions violentes.
08:25 Et en revanche, c'est vrai que les rassemblements statiques, comme celui du 18 octobre, sont plus faciles à maîtriser.
08:31 Plus faciles à contrôler et peu d'interpellations.
08:33 On comprend très bien le raisonnement des pouvoirs publics, même si cette manifestation interdite a quand même eu lieu,
08:38 mais les participants risquent 135 euros d'amende.
08:41 Merci Charlotte Denizolae pour vos explications.
08:43 Je rappelle que vous êtes maître de conférence en droit public à l'université Paris Panthéon, à Sass.
08:48 Merci madame et merci Marguerite Caton.
08:50 La question du jour se retrouve sur le site de France Culture, France Culture.fr et sur l'application Radio France.

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