Anne Fulda reçoit Boualem Sansal pour son livre «Vivre. Le compte à rebours» dans #HDLivres
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00:00 - Bienvenue à l'Heure des livres, Boalem Sansal.
00:02 On est ravis de vous recevoir.
00:04 Vous êtes un des grands écrivains algériens de langue française.
00:07 Vous avez écrit déjà de nombreux livres, reçu de nombreux prix,
00:11 notamment le Grand Prix du roman de l'Académie pour 2084,
00:14 à la fin du monde, aussi le Prix Constantinople.
00:16 Et vous venez de publier "Vivre, le conte à rebours",
00:19 un roman qui est publié chez Gallimard,
00:21 dans lequel on retrouve votre sens aigu de l'observation
00:26 et une ironie mordante, réjouissante.
00:30 Même si c'est un livre dans lequel vous évoquez
00:34 la fin de notre monde, d'une certaine façon.
00:37 Comment vous est venue cette idée
00:40 d'évoquer finalement un futur proche où seule une poignée d'élus,
00:46 finalement, les appelés, échapperont à la disparition de l'humanité ?
00:50 - Vous savez, depuis que l'homme existe sur Terre,
00:53 il s'est construit des narratifs, évidemment, sur d'où il vient,
00:58 c'est quoi la vie, qu'est-ce qui va se passer après la mort.
01:01 Et chaque civilisation a créé son narratif.
01:04 Pour nous, les monothéistes, voilà, c'est le schéma est simple,
01:08 Dieu qui crée l'humanité et puis qui lui indique une façon de vivre.
01:15 Et puis ensuite, on va au paradis ou en enfer.
01:16 Voilà, ça nous satisfait, ça explique tout.
01:18 Mais je crois qu'aujourd'hui, l'accélération de l'histoire
01:23 fait que tous les narratifs sont épuisés.
01:28 Ils ne suffisent plus.
01:30 Qu'ils soient religieux, qu'ils soient politiques, qu'ils soient idéologiques,
01:33 le communisme, tout ce que tous les narratifs que l'homme s'est donné
01:37 pour se protéger, pour se donner une identité,
01:40 vivre plus ou moins confortablement, tombent.
01:44 Il reste un narratif qu'on n'a pas écrit,
01:47 c'est le narratif scientifique.
01:50 Aujourd'hui, on voit la science fait des progrès absolument considérables.
01:55 Notre vision sur la cosmologie de l'univers est complètement changée.
02:00 La physique quantique est en train d'amener des visions absolument neuves
02:06 sur l'espace, sur le temps.
02:08 C'est quoi le temps ?
02:08 Le temps n'existe pas dans la physique quantique, l'espace non plus.
02:11 L'individualité de la matière n'existe pas.
02:15 C'est de l'énergie, c'est du vide.
02:18 Et donc, j'essaie d'écrire ce narratif.
02:23 Donc toute la première partie, c'est à dire 95% du roman,
02:27 c'est on est aujourd'hui, le narratif se construit.
02:30 Une voix parle à des individus, à Paolo, d'où elle vient cette voix ?
02:35 On ne sait pas.
02:36 Elle lui dit que c'est la fin du monde et que vous êtes les appelés.
02:42 Il faut choisir les élus qui vont être sauvés.
02:45 Et puis, après, les dernières pages.
02:48 Je propose donc un nouvel narratif qui se situerait
02:52 au-delà de l'espace connu.
02:54 Voilà.
02:56 Vous écrivez d'ailleurs, page 155,
03:00 "l'humanité est entrée dans un temps inversé dans lequel l'intelligence,
03:03 les sciences et les arts se développent dans les mémoires vives des ordinateurs,
03:06 pendant que l'ignorance et la bêtise s'agit pompeusement
03:09 dans les cerveaux stériles des hommes."
03:11 Pensez-vous, ce que vous évoquez quelques lignes plus tard,
03:15 qu'un temps où les machines devenues quantiques
03:18 n'auront plus besoin des hommes peut vraiment arriver ?
03:21 - Comment on y est déjà arrivé ?
03:22 Vous avez un téléphone, il est dix fois plus intelligent que vous.
03:27 Il sait un milliard de fois plus de choses que vous,
03:30 avec Wikipédia, avec tout.
03:32 Donc, il sait tout.
03:33 Il va un milliard de fois plus vite que vous.
03:36 L'intelligence artificielle qui arrive, elle, est une véritable intelligence.
03:43 C'est-à-dire qu'elle va inventer sa propre existence, sa propre identité.
03:49 Et puis, le monde, l'univers autour de nous est en train de se renouveler.
03:53 Le narratif standard ne fonctionne plus.
03:57 L'histoire de Big Bang, de machin, tout ça est remis en question.
04:00 On y est déjà.
04:04 Nous allons passer très rapidement du statut de terrestre,
04:07 de terrien terrestre à l'extraterrestre.
04:09 Nous sommes en train de devenir des extraterrestres
04:13 avec la physique quantique, l'ordinateur quantique,
04:15 l'intelligence artificielle.
04:18 Et puis, nous sommes tout à fait disposés à cela,
04:20 parce que ça nous rassure beaucoup, parce que c'est scientifique.
04:24 1+1=2.
04:26 Alors que dans nos narratifs précédents, 1+1, ça peut être égal à 0.
04:32 Ça dépend, c'est des caprices des rois.
04:35 - Alors, rapidement, vous êtes un athée.
04:40 Vous dites vous-même que les narratifs des religions ne conviennent plus.
04:45 Néanmoins, en exergue de votre livre, il y a une citation de l'ecclésiaste.
04:50 Et puis, ces appelés, il y a une dimension, les élus,
04:53 il y a quand même des résonances religieuses.
04:55 - Mais tout n'est pas à jeter dans les religions.
04:58 - Oui, c'est ça.
05:00 - Évidemment, il y a beaucoup de choses.
05:02 Au fond, ce qu'on peut reprocher à la religion,
05:06 c'est d'être un prêt à penser, un prêt à comportement.
05:10 Voilà la liberté individuelle, la liberté de conscience,
05:15 l'esprit de la critique, de la dérision.
05:17 La religion nous interdit cela.
05:19 La science, non.
05:21 C'est pour ça, vous l'avez remarqué,
05:23 je traite de choses extraordinairement dramatiques,
05:26 mais sur un temps léger.
05:27 - Sur un temps léger, oui.
05:28 - On n'a pas besoin de pleurer un matin et soir sur notre...
05:31 - Et puis, il y a une nouvelle humanité possible.
05:32 - Voilà.
05:33 - C'est ça, c'est ce qu'il faut là.
05:34 En tout cas, je vous conseille vraiment de lire ce livre,
05:38 "Vivre, le compte à rebours".
05:39 Merci beaucoup, Colette Françard.
05:41 C'est paru chez Gallimard.
05:43 Merci beaucoup.
05:44 (Générique)
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