• l’année dernière
Anne Fulda reçoit Cécile Desprairies pour son livre «La Propagandiste» dans #HDLivres

Category

🗞
News
Transcription
00:00 Bienvenue à l'heure des livres, Cécile Despréry.
00:02 Alors, vous venez de publier un roman, votre premier roman,
00:06 qui s'appelle "La propagandiste", pardon, c'est paru au Seuil.
00:09 C'est un très beau livre qui est saisissant, tout en retenue, dense
00:14 et qui, en plus, fait partie de la première liste de sélection du concours.
00:17 Donc, nous sommes contents de vous recevoir.
00:19 Et c'est un livre qui est très différent de vos précédents,
00:21 puisque vous êtes historienne et germaniste de formation.
00:25 Vous avez écrit beaucoup de livres consacrés à l'occupation.
00:30 À la collaboration aussi. Alors, qu'est-ce qui vous a fait changer,
00:33 qui vous a décidé à changer de registre, à passer au roman ?
00:36 Je pense que c'est venu tout doucement.
00:39 J'ai mis une quinzaine d'années à arriver à écrire ce livre,
00:44 qui est un roman familial, il faut bien le dire.
00:47 Peut-être que j'ai attendu que les protagonistes soient morts.
00:52 Et un jour, c'est venu. Il fallait l'écrire.
00:58 Oui, vous dites "il fallait l'écrire", c'était une nécessité
01:00 que vous avez sentie grandir en vous.
01:02 Parce que donc, il s'agit dans ce livre, le personnage principal,
01:06 qui s'appelle Lucie, est en fait votre mère.
01:09 Et vous racontez votre enfance, vous commencez par l'enfance.
01:15 Et peu à peu, on découvre qui est cette Lucie, qu'elle a été collaboratrice
01:21 pendant l'occupation, qu'elle a soutenu les thèses nazies.
01:27 Ça a été un processus douloureux ?
01:28 Non, plutôt même un processus...
01:30 - Ou libérateur. - Plutôt libérateur.
01:32 Plutôt libérateur.
01:34 En fait, les recherches que j'avais menées ont pris leur place
01:38 et tout a pris sens.
01:40 En fait, les archives m'ont beaucoup aidée, puisque
01:42 dans les familles de collabos,
01:46 généralement, on cache, il y a une grande omerta.
01:50 Et là, il a fallu passer par plusieurs détours pour quelques témoins,
01:55 quelques derniers témoins, pour arriver à accéder au ton juste.
02:00 C'est quand même un roman familial, ça reste un roman.
02:04 Ça reste un roman.
02:05 Ce qui est intéressant, c'est qu'au début, on commence,
02:07 vous donnez quelques indices, comme ça,
02:09 lorsqu'il y a votre mère dans sa quatre ailes,
02:11 qui, de temps en temps, a des réflexions un peu,
02:14 qui dit "ah les salauds", quand elle parle de ceux qui ont condamné Pétain.
02:18 Elle prend des mines mystérieuses quand elle évoque les années 40.
02:22 Donc, peu à peu, on a envie de confondre la donneur-atrice et vous,
02:28 se rend compte qu'il y a quelque chose qui ne tourne pas rond.
02:33 C'est ça qui est intéressant.
02:34 Alors, j'imagine que ce n'est pas un hasard si l'historienne que vous êtes
02:40 s'est préoccupée essentiellement de cette période de l'occupation.
02:44 Oui, c'est-à-dire que j'ai commencé par travailler sur les lieux,
02:47 parce que les lieux, c'est une chose intangible.
02:49 Les lois, les ordonnances, les images de propagande.
02:53 Et peu à peu, ça a pris son sens.
02:56 Mais il fallait peut-être tout ce chemin et ces 15 ans de travail
02:59 pour arriver à comprendre et avoir un ton juste,
03:04 ni dans l'excès, ni dans l'emphase, ni être trop éliptique non plus.
03:10 Et aussi, c'est vrai que c'est l'historienne qui éclaire le regard de l'enfant.
03:14 Et je trouve qu'il y a beaucoup d'histoires de résistants,
03:19 mais il n'y a pas beaucoup d'histoires de collabos.
03:21 Donc, c'était important, ça me semblait important de rendre compte
03:25 de ce que pouvait être une ambiance, donc une histoire familiale,
03:29 un roman familial, où tout le monde est collabo à différents degrés,
03:33 dans différents registres et tout est normal.
03:36 Et la parentèle, les amis, je crois qu'on ne dit pas ça.
03:41 On ne le voit pas. On le voit rarement.
03:42 On ne le voit pas, oui, parce que par exemple, il y a eu des livres
03:44 comme celui de Sanchalondo, "Enfant de salaud".
03:48 Dans votre livre, qui est un roman, mais qui a beaucoup de parts autobiographiques,
03:55 on ne sent pas de haine, ni de ressentiment.
03:57 Il y a presque une forme de neutralité, si ce n'est à la fin.
04:00 Vous parliez de ce rire jaune.
04:01 Ah oui, c'est-à-dire que je crois que l'humour sauve aussi.
04:07 J'ai essayé de rester neutre, mais je ne sais plus qui a dit
04:11 que dans l'humour, il y avait une part de peur.
04:13 En fait, c'est quelque chose de maîtrisé,
04:16 mais c'est la meilleure façon d'en parler.
04:18 La haine ne mène à rien.
04:20 Juste comprendre.
04:21 Ça, c'est très, très important de comprendre.
04:23 J'ai l'impression de comprendre un peu mieux.
04:24 Et du coup, que mes personnages sont plus humains.
04:28 Oui, c'est vrai, ils le sont.
04:31 Oui, ils le sont.
04:32 Ils sont terriblement humains.
04:33 Finalement, vous en voulez à votre mère ?
04:36 C'est une vraie question.
04:39 Depuis peu, je la trouve plus humaine.
04:46 Je ne sais pas si je peux le dire.
04:48 Pour les besoins d'un magazine, on a fait un reportage à l'endroit
04:51 où elle avait travaillé, au Champs-Elysées, à l'ORAF,
04:55 un organisme de la propagande où elle concevait des affiches.
04:58 Et par la grâce d'une gardienne, on a pu visiter l'immeuble.
05:02 Et tout d'un coup, je l'ai vue, jeune femme amoureuse.
05:07 C'est aussi une histoire d'amour.
05:08 Oui, c'est une histoire d'amour.
05:09 Un amour fou.
05:10 Elle était veuve à 24 ans de cet homme qui était un pro-nazi convaincu.
05:14 C'est alsacien.
05:15 Mais elle n'a jamais renoncé et à cet amour et à ses convictions.
05:20 Je l'ai trouvé humaine.
05:22 En tout cas, votre livre laisse.
05:24 Il est vraiment très beau livre.
05:27 Premier roman, donc, Cécile Desprairies.
05:29 Ça s'appelle La propagandiste et c'est paru au Seuil.
05:32 Merci beaucoup.
05:32 Merci Anne Fulda.
05:34 [Musique]
05:38 [SILENCE]

Recommandations