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Pierre Bellemare comme vous ne l’avez jamais entendu ! C’est la promesse de ce nouveau podcast imaginé à partir des archives exceptionnelles du Service Patrimoine Sonore d’Europe 1.
Affaires criminelles, true crime, crimes, enquêtes, crimes historiques ou plus récents, crimes crapuleux, crimes familiaux, crimes inexpliqués surtout : Pierre Bellemare est le pionnier des grands conteurs de récits radiophoniques. Dans les années 70, cette voix culte d’Europe 1 a tenu en haleine les auditeurs avec ses histoires extraordinaires. Des histoires vraies de crimes en tout genre qui mettent en scène des personnages effrayants, bizarres ou fous. Des phrases à couper le souffle, des silences lourds de suspense, un univers de polar saisissant et puissant.
Avec un son remasterisé et un habillage modernisé, plongez ou replongez dans les grands récits extraordinaires de Pierre Bellemare.

[ARCHIVE EUROPE 1 - Les récits extraordinaires de Pierre Bellemare] 

C’est un réveillon de Noël qui s’annonce merveilleux. Ce 24 décembre 1953 au soir, les boules multicolores, les guirlandes et les cadeaux envahissent le salon de la famille B. Madame B. est ravie : jamais son mari ne lui a offert un si beau manteau ! Raymond B est un père de famille sans histoire. Il est marié et mène une vie paisible dans la petite commune de Marignac, en Haute-Garonne. Sauf que la police ne va pas tarder à sonner à la porte…
Quelques mois plus tôt, Raymond B. a rencontré la très belle Lucienne au hasard d’une route. Il tombe instantanément sous le charme de cette très élégante femme aux cheveux roux. Le père de famille ne peut s’empêcher de foncer dans cette aventure qui pimente dorénavant sa vie. Pour charmer Lucienne, l’homme s’invente alors une carrière, des propriétés et fait même allusion à un héritage qui le transformera bientôt en châtelain. L’homme est pris dans son mensonge et commence ainsi à mener une double vie. Toutes ses économies partent dans les cadeaux qu’il fait à la belle Lucienne. Il n’a bientôt plus le choix que d’emprunter de l’argent à ses amis. Sa femme et ses enfants ne se doutent de rien. Mais bientôt, des soupçons sur la fidélité de Lucienne naissent chez Raymond B.. Un soir en voiture, elle lui avoue tout. Si elle est avec lui, ce n’est pas pour ses beaux yeux mais bel et bien pour son argent. C’en est trop pour l’homme. Il veut la faire taire. Raymond B. attrape un vieux couteau qu’il trouve dans sa voiture et s’acharne sur Lucienne. Mais il doit faire bonne figure, bientôt il faudra aller préparer le dîner de Noël à la maison. Que va-t-il faire du corps ? Et surtout, du cadeau de Noël de Lucienne ? Ce manteau hors de prix…Pierre Bellemare raconte cette incroyable histoire dans cet épisode du podcast "Les récits extraordinaires de Pierre Bellemare", issu des archives d’Europe 1 et produit par Europe 1 Studio.
Retrouvez "Les Récits extraordinaires de Pierre Bellemare" sur : http://www.europe1.fr/emissions/les-recits-extraordinaires-de-pierre-bellemare

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Transcription
00:00 Bienvenue dans les récits extraordinaires de Pierre Belmar.
00:07 Un podcast issu des archives d'Europe 1.
00:11 Le soir de Noël, dans tous les pays de tradition chrétienne, la famille se resserre autour du foyer.
00:17 On essaie d'oublier les problèmes quotidiens, les tracas, les inquiétudes, les dissensions, parfois même les drames.
00:24 Une fois de plus, on sort de leur boîte, les boules multicolores, on suspend les guirlandes,
00:28 on installe les santons dans la crèche, on enveloppe les cadeaux de papier décoré.
00:33 Les plus jeunes enfants ne tiennent plus en place. Que trouveront-ils demain devant la cheminée ?
00:39 On ouvre les huîtres, on met le vin blanc à rafraîchir, la joie se lit sur tous les visages.
00:44 Pour un soir, pour quelques heures, tous les hommes, toutes les femmes retrouvent un peu de l'émerveillement de leur enfance.
00:52 C'est pourtant un drôle de Noël que s'apprête à passer la famille Bardin le 24 décembre 1953,
00:59 dans la petite ville de Marniac, aux confins de l'Aquitaine et du Périgord.
01:05 En apparence, c'est une famille comme les autres, avec un père, chef de district à l'EDF,
01:10 une mère bonne ménagère, quatre enfants âgés de 7 à 13 ans, une jolie maison, une existence paisible.
01:16 Il y a de beaux cadeaux au pied de l'arbre de Noël, il y a même un trop beau cadeau,
01:23 un manteau de fourrure pour Mme Bardin, un vêtement comme elle n'en a jamais eu,
01:29 qu'elle ne portera pas, c'est certain, sans un petit battement de cœur.
01:34 On ne sait pas si les enfants se doutent de quelque chose, s'ils sentent avec cette intuition qu'ils manifestent parfois
01:40 qu'un drame est en train de couver, peut-être se donnent-ils tout entier à l'émerveillement de Noël, on le souhaite.
01:49 On le souhaite avec beaucoup de force, parce que les enfants Bardin vivent là leurs derniers jours de bonheur,
01:56 de bonheur simple et de bonheur vrai. Le destin s'est déjà mis en marche.
02:03 Qu'ils éclatent de rire tant qu'ils en ont encore envie, cela ne leur arrivera plus d'ici longtemps.
02:11 Oui, le destin s'est déjà mis en marche le samedi 26 décembre, aux premières heures de la matinée,
02:19 le commissaire Dufil de la police de Bordeaux, accompagné de deux inspecteurs,
02:24 se présentait au domicile de Bardin et priait celui-ci de les suivre.
02:31 [Musique]
02:49 Raymond Bardin a débuté dans la vie quelques années avant la Deuxième Guerre mondiale
02:54 comme chauffeur à l'énergie électrique du Sud-Ouest.
02:58 La guerre venue, il rejoint les rangs de la résistance, participe à plusieurs actions clandestines et se fait arrêter par la Gestapo.
03:05 Déporté à Dahao, il a la chance d'en revenir, mais il en revient profondément marqué, prématurément vieilli.
03:15 Dès son retour à cause de ses activités patriotiques, il connaît une promotion inhabituelle.
03:20 Il est nommé chef de district de la toute jeune EDF à Margnac.
03:25 Malgré l'insuffisance de sa formation technique, il remplit son rôle avec beaucoup de compétences,
03:30 grâce notamment à sa rigueur professionnelle et à son intégrité.
03:34 C'est un homme tranquille, au visage déjà lourd, au regard insistant, aux lèvres plutôt épaisse.
03:40 Ses supérieurs l'apprécient.
03:42 Il assure une existence aisée à sa femme et à ses quatre enfants, on pense de lui qu'il a réussi,
03:47 et tout le monde trouve cela juste et naturel.
03:51 Et pourtant. Ce citoyen, apparemment sans histoire, mène depuis quelques mois une double vie.
04:00 Et oui, on s'imagine volontiers que seuls les aventuriers ou les personnages de romans
04:05 jouent leur existence sur plusieurs tableaux, présentent plusieurs visages,
04:09 dédoublent leur emploi du temps, pas du tout.
04:11 Les hommes les plus ordinaires, ceux que l'on ne remarque jamais, connaissent eux aussi bien souvent
04:16 l'ivresse et l'angoisse d'une vie multipliée.
04:20 Raymond Bardin n'a pourtant rien à coureur de jupons.
04:23 Lucienne sait probablement sa première aventure.
04:26 Il était forcé d'en sortir meurtri, blessé, bouleversé.
04:30 Leur première rencontre a eu lieu le six août précédent au hasard de la route,
04:34 juste comme cela se passe au cinéma. Pour un peu, on n'arriverait pas à y croire.
04:39 Bardin revenait en voiture vers Marignac, il était midi et demi,
04:42 et il se dit soudain qu'il arrivera trop tard chez lui pour déjeuner
04:45 et décide de faire halte au premier restaurant venu.
04:48 Devant lui s'arrête une autre voiture d'où descendent trois dames.
04:51 Il en connaît une, Marguerite Pascal, la femme d'un de ses collègues de l'EDF.
04:55 On se salue, on se présente. Raymond Bardin, Madame Feldman, Lucienne Clébert.
05:02 On décide de déjeuner ensemble.
05:05 Lucienne Clébert vient de Paris, elle a 31 ans, c'est une ravissante jeune femme rousse
05:09 avec un visage finement dessiné, elle est élégante, coquette, provocante même à l'occasion.
05:14 Bardin est ébloui, il n'avait jamais rencontré une telle femme dans sa vie,
05:17 les environs de Marignac en sont naturellement dépourvus,
05:20 il n'y a qu'au cinéma ou dans les magazines qu'il a pu en voir.
05:24 Et voici que soudain le film est devenu réalité.
05:27 Alors Bardin s'informe discrètement, Lucienne vit seule ou plutôt sans mari
05:31 puisqu'elle élève avec l'aide de sa mère une fillette de 10 ans,
05:33 elle mène une vie apparemment très sage.
05:36 Pourtant elle n'a pas peur des hommes, c'est évident.
05:38 Elle considère Bardin avec un regard malicieux, il est rigolo ce petit homme.
05:43 Est-ce que ça vaudrait la peine de s'en amuser quelque temps ?
05:46 En tout cas, cela vaut certainement la peine d'essayer.
05:49 Et toujours est-il que l'on se téléphone, que l'on se revoit,
05:52 que des rendez-vous s'organisent et que Raymond Bardin se jette dans la plus belle aventure de sa vie.
05:57 Une aventure éblouissante, inespérée, réellement incroyable.
06:00 Comment ? C'est bien lui Raymond Bardin, l'incolore, le médiocre, l'inexistant
06:04 qui tient cette merveilleuse créature entre ses bras ?
06:06 Eh bien oui, oui c'est bien lui.
06:09 Et voici qu'il ne supporte plus de rester incolore, médiocre, inexistant.
06:12 Il s'invente une jeunesse, des diplômes, des propriétés.
06:15 Il devient ingénieur, sorti des arts et métiers.
06:17 Il possède des terres tout autour de Marniac.
06:19 Il fait même allusion à un héritage qui le transformera bientôt en châtelain.
06:24 Naturellement, il faut bien accompagner ses discours de preuve tangible.
06:28 Bardin se montre généreux, non seulement il reçoit sa maîtresse dans des hôtels de premier ordre,
06:32 mais encore il insiste pour l'aider à élever sa petite fille.
06:35 Les enfants, il en a quatre, lui Bardin, il sait ce que ça coûte.
06:40 Et il ne supporterait pas l'idée que le cher ange puisse manquer de quoi que ce soit.
06:44 Il donne de l'argent à Lucienne, il fait des cadeaux, il parle même d'une pension régulière.
06:50 En fait, il est tout juste en train de perdre la tête.
06:55 Entièrement aveuglé par sa passion toute neuve,
06:58 il ne voit pas ou il fait semblant de ne pas voir qu'il court tout droit vers l'abîme.
07:05 D'où Raymond Bardin tire-t-il tout cet argent qu'il remet sans compter à Lucienne ?
07:11 C'est très simple.
07:13 Il l'a d'abord tiré de ses économies,
07:15 bien que sa famille ne manque de rien, le ménage vit d'une manière assez modeste,
07:18 mais le compte en banque est assez vite à sec.
07:22 Alors Bardin commence à emprunter des sommes de plus en plus importantes à ses amis.
07:28 Lucienne se laisse faire.
07:30 Elle n'a jamais eu de chance dans la vie, pense-t-elle.
07:32 Elle n'a jamais rencontré que des hommes égoïstes, conquérants et grossiers.
07:35 Elle tient sa revanche.
07:37 Elle a l'intention de la savourer.
07:40 Pourtant, dans le ciel passionné de Raymond Bardin, commence à se former un tout petit nuage.
07:45 Lucienne Clébert ne vit pas aussi seule qu'elle l'a prétendue au cours de leur première rencontre.
07:50 Il y a un autre homme dans sa vie.
07:53 « Qui est-ce ? » demande Raymond.
07:56 « Oh, c'est qu'une vieille liaison. »
07:59 « Faut pas y attacher d'importance. »
08:01 « Si, Lucienne. »
08:03 « Tu sais très bien que c'est important pour moi. »
08:06 « Il faut absolument que tu règles cette histoire. »
08:10 « T'inquiète pas, j'y suis décidé. »
08:13 « Ce n'est plus qu'une question de jour. »
08:17 Bardin accuse tout de même le coup.
08:20 Il devient jaloux, méfiant. Il exige la rupture.
08:24 Lucienne est lue de la question, puis elle promet, mais sans beaucoup de conviction.
08:28 Bardin n'a pas de mal à imaginer que les 500 km qui les séparent
08:32 accordent à sa maîtresse une liberté bien dangereuse.
08:35 Il lui fait des reproches qu'elle n'accepte pas volontiers.
08:38 Des brouilles s'élèvent, puis des scènes.
08:40 Le désenchantement commence à naître dans l'esprit de Raymond Bardin.
08:44 Il y a maintenant quatre mois qu'il a rencontré Lucienne pour la première fois,
08:49 un peu plus de trois mois qu'elle est devenue sa maîtresse.
08:52 Trois mois pendant lesquels il a éprouvé le sentiment de vivre une vie toute entière,
08:57 même s'il se refuse à regarder la vérité en face.
09:00 Il comprend que cette vie est en train de finir, que son aventure se meurt,
09:03 qu'il va retrouver le vide d'une existence morne et grise entre son bureau de l'EDF,
09:07 sa petite maison, son épouse effacée, ses enfants.
09:11 Alors pour éviter la rupture, il décide de mettre un peu d'ordre dans leur liaison.
09:17 Il ne veut plus d'une situation ambiguë, flottante, incertaine.
09:20 Il veut que les choses soient nettes, claires, honnêtes.
09:24 Il donne rendez-vous à Lucienne pour le week-end du 19 au 20 décembre.
09:28 Un rendez-vous curieux d'ailleurs, un rendez-vous fixé entre deux personnes
09:31 qui commencent déjà à ne plus se comprendre, comme vous allez vous en rendre compte.
09:36 À quoi pense-t-il le chef de district Raymond Bardin, employé modèle et père de famille ?
09:48 À quoi pense-t-il ce samedi 19 décembre 1953,
09:51 tandis qu'il roule de Bordeaux à Paris pour y rejoindre sa maîtresse,
09:54 l'ensorcelante Lucienne Clebel ?
09:57 Il a beaucoup de soucis, Raymond Bardin.
10:00 D'abord, sa double vie commence à lui coûter très cher.
10:03 Il a emprunté des sommes importantes autour de lui,
10:05 des sommes qu'il aura du mal à restituer.
10:07 Ensuite, il vient d'apprendre l'existence d'un autre homme dans la ville lucienne,
10:11 une vieille liaison prétentelle dont elle n'arrive pas à se débarrasser.
10:14 C'est pour essayer de mettre un peu d'ordre dans leurs relations actuelles et futures
10:18 que Raymond Bardin fait le voyage.
10:21 Parvenu à Tours, il fait halte et téléphone chez sa maîtresse.
10:24 C'est la mère de Lucienne qui répond.
10:26 Allô ? Bonjour madame Cleber, Raymond Bardin à l'appareil.
10:29 Pourrais-je parler à Lucienne ?
10:31 Monsieur Bardin ?
10:33 Mais... Lucienne n'est pas là, monsieur Bardin.
10:36 Elle est partie pour Bordeaux au train de midi trente.
10:39 Partie pour Bordeaux ?
10:41 Enfin, je ne comprends pas.
10:43 Vous avions convenu que je venais la retrouver à Paris.
10:46 C'est pourtant ce qu'elle m'a dit, monsieur Bardin.
10:49 Bardin raccroche furieux et déconcerté.
10:52 Il téléphone à l'hôtel Bordelais où Lucienne a l'habitude de descendre.
10:56 Il laisse un message pour annoncer son arrivée au premier sort de la matinée.
10:59 Il est tard, très tard, mais... il reprend la route.
11:03 Effectivement, ce n'est que dans la matinée du dimanche qu'il retrouve Lucienne.
11:07 Comme à chacune de leurs rencontres, il est émerveillé.
11:09 Il oublie momentanément ses soupçons, ses rancunes.
11:12 Il lui offre un somptueux repas dans un très beau restaurant
11:15 et puis, il part faire une longue promenade en voiture dans la campagne bordelaise.
11:19 Mais petit à petit, ses inquiétudes reviennent à la surface.
11:23 Il est question de leurs allées et venues, de la difficulté qu'ils ont à se voir,
11:26 de ces problèmes familiaux à lui, de l'existence de cet homme
11:29 dont elle lui a parlé, dont il ne sait rien,
11:31 tout ce qui les sépare, les barrières sociales,
11:34 la distance, les préjugés, l'argent, la jalousie.
11:36 Tout reprend corps, acquiert une consistance de plus en plus ferme,
11:39 de plus en plus insurmontable.
11:42 Lucienne ne se montre guère conciliante à la vérité.
11:45 On dirait qu'elle prend plaisir à hériter Raymond.
11:47 Peut-être, de son côté, est-elle décidée à rompre.
11:50 Bien entendu, on ne le saura jamais, mais elle a tort.
11:53 Elle a tort de pousser à bout un amant jaloux, exaspéré par son attitude,
11:56 mais aussi épuisé par 24 heures de route, malade de sommeil, à bout de force.
12:00 Et c'est alors qu'elle recommence à parler d'argent.
12:03 Il ne lui en donne pas assez, elle en réclame encore.
12:06 Elle ne sait probablement pas qu'il s'est couvert de dettes.
12:09 Elle croit toujours au mythe de l'ingénieur propriétaire terrien futur châtelain.
12:13 Bardin se sent pris au piège.
12:15 Il refuse de lui donner ce qu'elle lui demande.
12:17 Elle s'énerve, elle le brave, elle l'insulte presque.
12:20 Ils roulent sur une petite route déserte au milieu d'une forêt de pin.
12:24 Bardin donne un violent coup de frein qui fait glisser entre eux un objet lourd,
12:28 dissimulé sous son siège. C'est un pistolet que Raymond ramasse vivement.
12:32 Prise de panique, Lucienne se jette sur lui pour le lui arracher des mains.
12:36 Elle se met à hurler. "Mais qu'est-ce que tu crois donc depuis le temps ?
12:40 Tu t'imagines que c'est pour ta sale gueule que je couche avec toi ?
12:43 Tu n'as pas encore compris que c'est ton pognon qui m'intéresse ?
12:46 Tu ne t'es jamais donc regardée, mais c'est pas possible !"
12:49 "Lucienne, tu sais à quel point je t'aime. Je me fiche pas mal de ton amour.
12:53 J'en ai un autre qui m'aime.
12:55 Qui m'aime mieux que toi. Et que j'aime aussi.
12:58 Et que je n'ai pas l'intention de quitter."
13:00 Raymond tire.
13:05 Il tire deux fois.
13:07 Mais bien qu'il soit bouportant, il manque Lucienne.
13:11 Il la manque deux fois.
13:13 Elle parvient à ouvrir la portière.
13:16 Et tout en continuant de hurler sa haine et son mépris,
13:19 elle bondit sur le talus.
13:21 Bardin saute derrière elle. Il a jeté son pistolet, mais
13:24 il tient un couteau, un vieux couteau qui se trouve dans la voiture
13:27 et qui lui sert, par temps de pluie, à nettoyer ses garde-boues.
13:30 C'est à une autre tâche qu'il va lui servir aujourd'hui.
13:33 Bardin frappe. Il frappe sept fois, à la poitrine et au ventre.
13:37 Il frappe cette femme à qui il doit les seuls jours de bonheur qu'il a eus.
13:41 Les seuls jours de soleil d'une existence obscure et qui vient de le plonger
13:44 dans le plus profond, dans le plus insupportable des espoirs.
13:47 Il ne frappe pas seulement la jeune femme.
13:50 Ce couteau ébréché qui taille dans une jeune chair, c'est aussi
13:53 les illusions, les espoirs, les raisons de vivre de Bardin qu'il assassine.
13:56 C'est sa vie même qu'il réduit à néant.
14:00 Le meurtrier se relève un peu hébété, les cris se sont eus.
14:03 Que vient-il de faire ?
14:07 Pour lui, maintenant, une longue, une très longue nuit va commencer.
14:12 Une nuit dont il n'a gardé presque aucun souvenir.
14:16 Ce sont quelques indices plus tard qui permettront d'en fixer les étapes,
14:19 sans grande précision d'ailleurs.
14:22 Pour l'instant, tout ce que l'on sait se résume à peu de choses.
14:25 Bardin ramasse le corps de son ami et le jette, quelques heures plus tard,
14:29 juste avant l'aube, dans la Dordogne, par-dessus le pont de Kubzak.
14:33 La nuit s'achève, une nouvelle journée commence,
14:37 la première journée d'une vie d'assassin.
14:40 Alain Bardin a prévenu sa femme qu'il ne rentrerait pas avant le lundi soir.
14:46 C'est un homme ponctuel, c'est donc le lundi soir qu'il se retrouvera chez lui.
14:52 Que fait-il depuis le moment du meurtre jusqu'à l'heure de son retour ?
14:57 Roule-t-il éperdu dans la campagne bordelaise,
15:00 épuisé par une journée et demie sans sommeil ?
15:03 S'est-il assoupi dans sa voiture, dissimulé au fond d'un bois ?
15:06 Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il repasse mille et mille fois dans sa tête
15:09 l'histoire de son amour pour Lucienne et les circonstances du drame.
15:12 Leur rencontre d'abord dans un restaurant comme au cinéma,
15:15 l'éblouissement provoqué en lui par cette jeune femme élégante,
15:18 les merveillements de la tenir quelques semaines plus tard entre ses bras,
15:21 l'argent qu'il lui a donné, un argent qu'il a dû emprunter auprès de différents amis,
15:25 dès que ses économies ont été épuisées.
15:27 La révélation soudaine de l'amant parisien, vieille liaison sans importance,
15:31 disait-elle d'abord, en fait, liaison plus sérieuse, profonde et peut-être complice.
15:36 Enfin, ce rendez-vous à Bordeaux, la promenade dans la campagne hivernale,
15:39 le cynisme de Lucienne, ses exigences, son mépris,
15:42 le désespoir de Raymond et ses coups de doigt follés, irrémédiables.
15:46 Et maintenant ?
15:48 Il faut rentrer à la maison, retrouver une femme et quatre enfants,
15:52 sourire à tous, préparer Noël.
15:55 C'est bien de Noël qui va être question désormais.
15:59 Il rentre pourtant.
16:03 Il fait tant bien que mal bonne figure.
16:05 Une nouvelle nuit se passe, une nuit traversée de cauchemars.
16:09 Un nouveau jour se lève,
16:12 sur un cauchemar d'une tout autre nature.
16:16 Un cauchemar en trois étapes.
16:21 Première étape, mardi matin, 22 décembre, le téléphone sonne.
16:24 Allô ? M. Bardin ?
16:27 Ici Jean-Pierre Galbaud.
16:29 Mon nom ne vous dit rien ?
16:32 Vraiment ?
16:34 Je suis l'ami de Lucienne Kleber.
16:38 Elle devait rentrer hier soir à Paris.
16:41 Je me suis dit que vous auriez peut-être de ses nouvelles.
16:44 De ses nouvelles ?
16:46 Non, monsieur, non, je n'en ai pas.
16:50 Pourtant, elle m'avait bien dit qu'elle allait à Bordeaux pour vous y rencontrer.
16:54 Je ne l'ai pas vue, voilà tout.
16:56 Vous êtes bien sûr ?
16:58 N'insistez pas, monsieur.
17:00 Bardin accroche.
17:02 Il s'appuie un instant contre le mur du salon parce que sa tête tourne.
17:06 Jean-Pierre Galbaud, l'amant de Lucienne.
17:10 S'il laisse tout être quelque chose, celui-là.
17:13 Mais, il n'aura tout de même pas le culot de se manifester.
17:18 Il n'aurait pas le beau rôle.
17:20 Madame Bardin surgit à ses côtés.
17:23 Elle n'est pas tranquille.
17:25 Elle ne comprend pas ce qui se passe.
17:27 Alors, elle n'est pas tranquille.
17:28 Elle veut savoir.
17:29 Elle a le droit de savoir.
17:30 Bardin s'effondre.
17:33 Il avoue.
17:35 C'est vrai, il a une maîtresse depuis quelques semaines, mais c'est bien fini.
17:39 Ça, oui.
17:40 Qu'elle ne s'inquiète pas, c'est bien fini.
17:44 La journée de mardi se passe entre le bureau et la maison dans une sorte de rêve éveillé.
17:48 Deuxième étape, mercredi matin, 23 décembre.
17:51 Nouveau coup de téléphone.
17:53 C'est encore Galbaud, mais il est à Bordeaux cette fois.
17:55 Et il menace.
17:56 Écoutez, Bardin.
17:58 Je suis certain que Lucienne est venue ici.
18:01 Vous me dites que vous ne l'avez pas vue.
18:03 Je veux bien vous croire.
18:04 Quoi qu'il en soit, il faut faire une déclaration à la police.
18:07 À la police ?
18:09 Mais pourquoi ?
18:11 Après tout, Lucienne n'a aucun compte à nous rendre.
18:14 Si elle veut prendre quelques jours de vacances, c'est bien son droit.
18:17 Non, Bardin.
18:18 Elle ne m'aurait pas laissé sa nouvelle.
18:20 Vous allez venir me rejoindre à Bordeaux.
18:23 Nous irons ensemble déclarer sa disparition à la police.
18:25 Mais enfin, si vous ne venez pas tout de suite, je vais vous chercher.
18:29 Bardin a compris.
18:32 Le scandale le guette, il prend sa voiture et file à Bordeaux.
18:35 Effectivement, il signera à la police la disparition d'une jeune femme de sa connaissance
18:39 qui aurait quitté Paris en voiture avec des amis le samedi précédent
18:42 et qui n'a pas donné signe de vie depuis quatre jours.
18:45 Le mercredi se traîne.
18:48 Le jeudi en fait autant.
18:50 Le soir, c'est la lugubre veillée de Noël.
18:53 Madame Bardin ne comprend pas le sens de ce somptueux manteau de fourrure.
18:57 Hélas, rien ne prouve qu'il lui était destiné.
19:01 N'était-ce pas un ultime moyen de conserver Lucienne ?
19:04 Pauvre Lucienne.
19:07 Qui n'aura plus jamais besoin de fourrure,
19:09 ni d'aucune sorte de manteau.
19:11 Il reste encore un jour de répit, un jour de sursis,
19:14 un jour de plus à vivre dans l'angoisse, le désespoir.
19:17 Et puis c'est la troisième étape.
19:19 Le matin fatal où le commissaire Dufil vient chercher Raymond Bardin à son domicile.
19:23 Il ne s'agit que d'enregistrer son témoignage, bien entendu.
19:26 Mais le soir même, le meurtrier signe des aveux complets.
19:30 Nous voilà au bout de notre histoire.
19:34 Tout le reste appartient à la routine judiciaire.
19:36 Tout au plus pourrait-on se poser une question.
19:39 Comment la police en est-elle venue si vite à soupçonner Raymond Bardin
19:43 alors que sa liaison était conduite avec une assez grande discrétion ?
19:46 La réponse est très simple.
19:48 Jean-Pierre Galbaud.
19:50 Il est facile de supposer que cet amant passionné lui aussi,
19:53 jaloux lui aussi, angoissé lui aussi,
19:55 s'est empressé de raconter toute l'histoire à la police
19:57 en insistant sur l'intention de Lucienne de rompre avec Bardin.
20:01 Il fallut un mois
20:03 pour qu'un pêcheur à la ligne découvre le corps de la jeune femme.
20:07 Cette découverte n'ajouta rien de plus à l'enquête.
20:10 Pendant l'instruction de son procès,
20:12 Raymond Bardin manifesta soudain des troubles mentaux assez graves.
20:15 Ses propos devenaient incohérents.
20:17 Il avait perdu la mémoire de tous ses actes.
20:19 On dut le transférer dans un hôpital psychiatrique.
20:22 Un an plus tard,
20:24 Bardin se présentait devant la justice des hommes.
20:27 Cette justice lui fut indulgente.
20:30 Les jurés prirent en considération sa douceur habituelle, son intégrité,
20:34 mais aussi les troubles provoqués par sa déportation
20:37 et puis par une aventure au-dessus de ses forces.
20:39 On le condamna à quatre ans de prison juste pour la forme.
20:43 « Rien d'extraordinaire, penserez-vous, dans ce dossier ? »
20:47 « J'en suis pas aussi sûr que vous.
20:50 Ah, ce n'est pas tous les jours qu'un homme modeste, ponctuel, ordinaire
20:54 croise le chemin parfumé d'une femme fatale.
20:57 Ce n'est pas tous les jours que la vie se met à ressembler
21:01 à un scénario de cinéma.
21:04 Et naturellement, comme au cinéma,
21:07 cela se termine très mal. »
21:10 [Musique]
21:29 Vous venez d'écouter les récits extraordinaires de Pierre Belmar,
21:33 un podcast issu des archives d'Europe 1 et produit par Europe 1 Studio.
21:38 Réalisation et composition musicale, Julien Taro.
21:42 Production, Sébastien Guyot.
21:45 Direction artistique, Xavier Joli.
21:48 Patrimoine sonore, Sylvaine Denis, Laetitia Casanova, Antoine Reclus.
21:53 Remerciements à Roselyne Belmar.
21:56 Les récits extraordinaires sont disponibles sur le site et l'appli Europe 1.
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