• il y a 11 mois
Pierre Bellemare comme vous ne l’avez jamais entendu ! C’est la promesse de ce nouveau podcast imaginé à partir des archives exceptionnelles du Service Patrimoine Sonore d’Europe 1.
Affaires criminelles, true crime, crimes, enquêtes, crimes historiques ou plus récents, crimes crapuleux, crimes familiaux, crimes inexpliqués surtout : Pierre Bellemare est le pionnier des grands conteurs de récits radiophoniques. Dans les années 70, cette voix culte d’Europe 1 a tenu en haleine les auditeurs avec ses histoires extraordinaires. Des histoires vraies de crimes en tout genre qui mettent en scène des personnages effrayants, bizarres ou fous. Des phrases à couper le souffle, des silences lourds de suspense, un univers de polar saisissant et puissant.
Avec un son remasterisé et un habillage modernisé, plongez ou replongez dans les grands récits extraordinaires de Pierre Bellemare.

[ARCHIVE EUROPE 1 - Les récits extraordinaires de Pierre Bellemare] Au printemps de l’année 1930, Charles Bornais, résidant d’un quartier de Puteaux, rentre chez lui en compagnie de son fils. C’est en apparence une journée banale même si sa femme est restée toute la journée dans sa chambre. Il prétend que celle-ci est malade. Lorsqu’il met son petit garçon au lit, il l'étouffe brutalement avec un oreiller. Sa femme, dans la chambre d’à côté, a en réalité subi le même sort, six heures plus tôt. Le jour suivant, Charles Bornais continue sa routine quotidienne. Il prend le bus, se rend à Versailles pour y prendre un café et continuer ses affaires. Charles Bornais, ouvrier médiocre, est un grand manipulateur. Il a déjà été condamné deux fois pour escroquerie. Le soir, il rentre comme à son habitude se coucher à son domicile où les cadavres de sa famille gisent. L’homme est strictement indifférent au double crime qu'il vient de commettre. Le deuxième jour, Charles Bornais installe une corde au plafond de son appartement avant de reprendre le chemin du café de Versailles. A-t-il réellement songé à se suicider ou est-ce une mise en scène ? Charles Bornais écrit une lettre à la police et il l’assure : quand ils viendront chez lui, son corps sera noyé dans la Seine. Pourtant, à l’heure où les autorités débarquent, le meurtrier stratège est toujours à Versailles devant son café crème. Quelle est la suite du plan du “monstre étrangleur” ? Pierre Bellemare raconte cette incroyable histoire dans cet épisode du podcast "Les récits extraordinaires de Pierre Bellemare", issu des archives d’Europe 1 et produit par Europe 1 Studio.
Retrouvez "Les Récits extraordinaires de Pierre Bellemare" sur : http://www.europe1.fr/emissions/les-recits-extraordinaires-de-pierre-bellemare

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Transcription
00:00 Bienvenue dans les récits extraordinaires de Pierre Belmar.
00:07 Un podcast issu des archives d'Europe 1.
00:10 L'homme referme doucement la porte derrière lui,
00:14 comme s'il ne voulait réveiller personne alentour.
00:18 La petite rue Curtaud, dans un quartier de Putot, est calme en ce printemps 1930.
00:24 Une giboulée vient de nettoyer les pavés, qui luisent sous le soleil blanc.
00:29 L'homme sursaute.
00:31 Quelque part, le clocher d'une église vient de sonner deux coups.
00:36 C'est l'heure tranquille de l'après-déjeuner.
00:39 L'homme s'appelle Charles Bornet.
00:42 Depuis bientôt cinq ans, il habite cet immeuble,
00:45 eau et gaz à tous les étages, un petit appartement de deux pièces, à l'entresol.
00:50 Avec peut-être le fruit d'une longue habitude,
00:54 il glisse sans bruit devant la loge de la concierge.
00:58 Elle fait probablement la vaisselle, car il perçoit des bruits caractéristiques de plats entrechoqués.
01:05 Une fois sur le trottoir, Charles Bornet s'écarte rapidement des maisons voisines.
01:10 Il presse le pas, car il a quelque chose à faire.
01:14 Il va chercher son petit garçon chez sa grand-mère pour le ramener chez lui.
01:19 Lorsqu'il arrive, il est encore tôt dans l'après-midi, et le petit garçon proteste.
01:24 Il veut rester. Grand-mère a commencé la lecture d'une belle histoire.
01:27 « S'il te plaît, papa, encore un peu. »
01:29 Mais papa s'énerve. Il faut le comprendre. Il a des soucis. Maman est malade.
01:33 Elle a saigné du nez. Il faut rentrer.
01:36 Le petit garçon insiste. La grand-mère aussi.
01:38 Papa se fâche. Il referme brutalement le livre d'images.
01:41 L'enfant pleure, s'accroche au livre que son père essaie de lui arracher.
01:45 Qu'il arrache ! Et en guise de claque, le bel album vient s'abattre sur la joue enfantine.
01:51 Puis le père et le fils, l'infurieux, tirent l'autre, larmoyant.
01:56 S'en retournent à la maison de putot, et la grand-mère, stupéfaite, les voit disparaître au coin de la rue.
02:02 « Je ne pars de la porte. »
02:04 Son beau-fils lui a jeté au visage.
02:07 « Ne vous inquiétez pas. Je retourne m'occuper de votre fille. Avec moi, elle sera bien soignée. »
02:14 Maintenant, le père et l'enfant pénètrent dans l'appartement familial, sur la pointe des pieds.
02:20 « Il ne faut pas faire de bruit, » dit le père.
02:22 Maman dort dans la pièce à côté.
02:25 La nuit est venue. Après un dîner silencieux, l'enfant baille.
02:32 Il faut aller se coucher. Maman dort toujours.
02:36 Pour ne pas la déranger, ils vont s'étendre tous les deux côte à côte sur un lit de la pièce voisine.
02:43 Bientôt, le petit garçon dort profondément.
02:48 Alors, toujours doucement, le père se lève.
02:55 D'une main, il cherche un oreiller,
02:58 l'approche du visage de l'enfant,
03:02 l'appui brutalement,
03:06 et de l'autre, l'étrangle en silence.
03:14 L'enfant est petit et fragile. La chose se passe assez vite.
03:19 Puis, l'homme le prend dans ses bras et se dirige vers l'autre pièce.
03:24 Il ouvre la porte du pied et va déposer le petit corps inerte sur le lit où repose sa mère.
03:31 Elle ne bouge pas. Son mari l'a étranglée six heures plus tôt.
03:37 L'homme referme la porte toujours silencieux, il regagne son lit et s'endort.
03:44 Et c'est pour ce calme, cette indifférence hors du commun,
03:50 que Charles Bornet fait aujourd'hui partie des dossiers extraordinaires de la police.
03:55 [Musique]
04:13 Monsieur Bornet est absent, mettez les lettres sous la porte.
04:17 Le petit écriteau se balance gaiement à la porte du logement des Bornet.
04:21 Les persiennes sont closes, la silhouette de Charles Bornet longe le trottoir au rythme d'un pain tranquille.
04:27 Il est 9 heures du matin, c'est le premier lendemain de son crime.
04:32 Il pénètre dans un petit café, s'accoude au bar, demande un crème.
04:37 Observons-le une seconde dans la glace.
04:41 Petit, la cinquantaine, une tête ronde, le teint pâle, petite moustache grise,
04:48 petite bouche grise, les yeux noirs enfoncés dans les orbites.
04:52 Il n'a pas l'air fatigué, il ressemble à un voyageur de commerce un peu sournois, un peu menteur,
04:57 prêt à vous vendre des cravates au rayon pour de la soie.
05:00 Charles Bornet avale son café crème et sort.
05:02 Pour un homme qui vient de tuer sa femme et son fils, il n'a pas l'air pressé.
05:05 Peut-être hésite-t-il à se rendre au policier.
05:08 Le commissariat de Pluto n'est pas loin.
05:10 Non, non, il ne prend pas la bonne rue.
05:13 Charles Bornet a autre chose à faire.
05:15 D'ailleurs, il porte une petite valise de mauvais carton bouillie.
05:18 Il stoppe devant le panneau d'arrêt de l'autobus pour Versailles.
05:22 À quoi peut-il bien penser en cette minute ?
05:26 Probablement à l'argent.
05:28 L'argent a toujours été sa principale préoccupation.
05:31 Bien qu'il ne se soit jamais donné beaucoup de mal pour en gagner.
05:35 Ses parents étaient porcelainiers à Vierzan.
05:38 Misère médiocre.
05:39 Comme ils n'aiment ni la porcelaine ni Vierzan,
05:42 il s'engage dans l'infanterie coloniale et fait 15 ans de service à Tahiti.
05:47 La guerre.
05:48 Il l'a faite en rejoignant les bureaux de la coopérative militaire.
05:51 Son séjour à l'étranger ne l'a pas débarrassé de son accent paysan.
05:55 Entré à Paris, il fait tous les métiers, ou presque, sans forcer.
05:59 Il y a la pension militaire qui permet de survivre.
06:02 4 000 francs.
06:03 De 1920 à 1930, 10 ans d'activité.
06:07 Bornet travaille chez Renault, à la Maison de Blanc, chez Citroën,
06:10 au Journal le Matin, aux Fondry, chez De Dion et même chez le Maraja de Kapurtala.
06:17 Il est ouvrier médiocre, gardien de nuit inefficace
06:21 et on le renvoie chaque fois à la première occasion.
06:25 Par contre, Charles Bornet est un menteur.
06:29 Ça, il sait très bien le faire.
06:31 Il est même expert en la matière et pour récupérer de l'argent, il a deux méthodes.
06:35 Le mensonge escroqueur avec les étrangers
06:39 et l'attendrissement tout aussi escroqueur avec la famille.
06:43 A tout seigneur, tout honneur, il commence par se mentir à lui-même
06:47 en se fabriquant une fausse citation à l'ordre de son régiment,
06:51 histoire de se prendre pour héros.
06:53 Puis, il fait croire que sa femme est malade
06:56 et storque de l'argent à son beau-frère, à la grand-mère.
07:00 Une autre fois, c'est lui qui est malade,
07:02 ce qui lui permet de taper à nouveau son beau-frère.
07:04 Quand il va rendre visite à ses parents, des choses disparaissent mystérieusement.
07:07 Cuillère, papier, monnaie, peu importe.
07:10 Puis, il agrandit le champ de ses activités.
07:13 C'est la crise du logement.
07:15 Il devient secrétaire d'un syndicat de locataires communistes
07:19 et il s'en va avec la caisse.
07:22 Dans la rue, il propose ses appartements, reçoit de l'argent,
07:24 donne de faux reçus, a vendre des propriétaires pressés de louer,
07:27 des agences imaginaires,
07:29 deux condamnations pour escroquerie et sept mois de prison.
07:32 Il est fiché à la police de puto.
07:36 C'est probablement pour cela qu'il prend l'autobus pour Versailles.
07:40 Là-bas, on peut faire des affaires, les commerçants ne le connaissent pas,
07:43 mais lui, lui il connaît un excellent petit restaurant,
07:46 car l'homme qui vient de tuer sa femme et son fils, il a faim.
07:54 Et il va s'offrir un excellent déjeuner.
07:57 Au dessert, il ouvre sa petite valise, montre au patron une pile de serviettes.
08:04 Il lui vend pour 40 francs.
08:06 Puis il s'offre un petit pousse-café pour fêter l'affaire.
08:10 Le soir venu, il reprend la direction de Paris.
08:14 N'importe qui à la place de Charles Borné irait dormir n'importe où,
08:17 à l'hôtel, dans un hall de gare, mais pas chez lui.
08:20 Pas chez lui où il y a deux morts,
08:22 deux êtres qu'il a tués de ses propres mains, sa femme, son fils.
08:26 Rares sont les assassins qui ne fuient pas le théâtre de leurs crimes.
08:29 Et encore parmi ces derniers, y a-t-il une bonne proportion de malades mentaux ?
08:34 Charles Borné n'est pas un malade mental.
08:36 Charles Borné n'est pas fou.
08:38 La voisine qui le croise ce soir-là devant sa porte
08:41 n'imagine pas une seconde qu'elle dit bonsoir à un être exceptionnel.
08:45 Il a l'air du mari qui rentre un peu tard chez lui,
08:48 fatigué d'une journée active et laborieuse, d'un locataire sans couleur,
08:52 d'un homme comme il sont des milliers, des centaines de milliers en France.
08:57 Et pourtant, avec une désavolture et une indifférence effarantes,
09:02 alors que j'insiste sur ce point, il n'est ni inconscient, ni malade, ni responsable,
09:06 ni contraint, efforcé, ni rien, sinon lui-même.
09:11 Charles Borné rentre tranquillement se coucher dans la pièce voisine
09:15 de celle où sont morts depuis vingt heures au moins sa femme et son fils.
09:21 Durant toute cette journée d'ailleurs, il n'est apparu à quiconque
09:24 que Charles Borné avait un problème. Il n'a pas de problème.
09:27 Il avait qu'à ses occupations, manger, bu, fumer, parler en toute quiétude.
09:31 Et ce soir-là, il n'est qu'un homme qui rentre chez lui se coucher, sans plus.
09:38 Mais si nous ne comprenons pas ce qui se passe dans la tête de cet homme après son crime,
09:42 peut-être pourrions-nous mieux comprendre en nous penchant sur ce qui s'est passé avant le crime.
09:48 S'il n'a pas peur, s'il ne se cache pas,
09:51 s'il agit comme un fou alors qu'il ne l'est pas,
09:54 peut-être y a-t-il, espérons-le, une explication.
09:58 Dans les journaux qui paraissent lors de son procès,
10:07 on peut lire notamment dans le Figaro du 23 décembre 1930,
10:10 un monstre étrangle sa femme et son fils.
10:13 Charles Borné serait donc un monstre.
10:16 Parmi les nombreuses définitions du monstre, on trouve celle-ci,
10:19 « personne effrayante par son caractère, son comportement et sa méchanceté.
10:23 Puis, lorsqu'il s'agit d'une chose, chose bizarre et incohérente formée de parties disparates. »
10:29 Borné est-il une personne effrayante ?
10:32 Effrayant, il ne l'est pas, puisqu'il s'est marié.
10:35 En 1918, à Vierzon, alors qu'il rentrait de son séjour à l'armée,
10:38 il rencontre une veuve, déjà mère d'un grand-fils.
10:41 Il l'épouse pour elle-même, puisqu'elle n'a pas d'argent et sa famille non plus.
10:44 Il ne la bat pas, ne la trompe pas, du moins de façon visible,
10:47 et lui donne un fils.
10:49 Ça n'a rien d'effrayant en soi.
10:52 Borné est-il une chose bizarre et incohérente ?
10:56 Là, nous approchons peut-être d'une vérité.
10:58 Il est indiscutablement paresseux.
11:00 Tous les témoignages se rejoignent sur ce point.
11:02 Son beau-fils, son beau-frère, sa concierge, ses relations
11:05 le présentent unanimement comme infénient.
11:08 Mais, paradoxalement, il déborde d'une ingéniosité fébrile
11:12 lorsqu'il s'agit d'entourlouper quelqu'un et de lui sortir de l'argent.
11:16 Il ne se préoccupe jamais de savoir comment mange sa femme
11:19 et de quoi elle se prive.
11:21 Pourtant, cette femme, anémiée par la misère, le gêne.
11:24 Elle le gêne probablement parce qu'elle ne se plaint jamais.
11:27 Quoi de plus insupportable, finalement, pour un égoïste
11:30 que quelqu'un qui ne se plaint jamais, qui comprend tout,
11:33 qui pardonne tout, qui soutient ?
11:35 Quoi de plus insupportable que l'esclavage parfait ?
11:39 Près de dix ans de mariage tyrannique de la part de Borné
11:42 et d'esclavage consenti de la part de sa femme
11:45 ont-ils une explication à ce crime ?
11:48 Sûrement pas.
11:50 Ou alors bien des maris seraient depuis bien longtemps
11:53 des criminels en puissance.
11:55 Alors qu'une passionnelle, oh, difficilement envisageable,
11:58 amène heureuse femme entièrement à sa dévotion,
12:01 se faisant cuisinière pour le nourrir,
12:03 usant sa santé à préserver la sienne,
12:05 devenant laide et triste à force de soucis,
12:07 ne permet pas d'envisager que Borné en devienne jaloux.
12:10 Même en examinant de plus près la vie de Charles Borné
12:13 dans le double meurtre, son geste demeure un mystère.
12:17 Revenons donc au jour qui le suive immédiatement.
12:20 Charles Borné est donc rentré chez lui à plus tôt et se couche.
12:24 Le lendemain matin, deuxième jour de l'assassinat,
12:28 il se lève comme tous les autres jours
12:30 et s'active dans l'appartement silencieux.
12:32 Il fouille dans les tiroirs, déniche un marteau,
12:34 un piton et une corde.
12:37 Grimpé sur une chaise, il s'excrime à fixer le piton
12:40 dans le plafond qui s'écaille.
12:42 Il y accroche la corde, la fixe solidement à une extrémité,
12:45 puis à l'autre, fait un noeud coulant, un essai de tension.
12:48 La corde résiste. Il est satisfait.
12:51 Charles Borné descend de la chaise, contente de son installation.
12:57 Visiblement, il a décidé de se suicider.
13:00 Voilà enfin une réaction que, sans approuver pour autant,
13:03 on peut qualifier de logique.
13:06 Cherchons maintenant une lueur de désespoir dans l'œil de Borné
13:09 et tout sera simple.
13:11 Mais dans l'œil de Borné, à ce moment-là,
13:13 tandis qu'il contemple le noeud coulant,
13:15 il n'y a qu'une lueur passive.
13:17 Quelques minutes passent, puis de nouveau il s'active,
13:21 remplit sa petite valise et il sort.
13:25 Comme la veille, il ferme soigneusement la porte à clés,
13:28 accroche le petit carton absent sur la poignée
13:30 et s'en retourne, prend dans l'autobus, pour Versailles.
13:35 À midi, il est au même restaurant où il prend son repas.
13:38 Il est sociable, entame la conversation avec ses voisins,
13:41 salue le propriétaire, paye et s'en va.
13:44 Il rend ensuite visite à un petit bar dont il connaît le gérant,
13:47 s'y installe et entame un négoce.
13:49 « Tenez, je viens d'acheter ça au Montepiété, » dit-il,
13:51 en extirpant de sa valise un couvre-lit.
13:53 « Je le vends à bon prix. »
13:55 Et il le vend.
13:57 Pendant ce temps, une vieille femme frappe à la porte
13:59 de son appartement de putot.
14:01 C'est la grand-mère, inquiète de ne pas avoir de nouvelles
14:04 de sa fille et de son petit-fils.
14:06 On ne lui ouvre pas, bien entendu, et de toute façon,
14:09 le petit écriteau sur la poignée se balance toujours.
14:12 « Monsieur Bornet est absent. »
14:14 La concierge ne sait rien.
14:16 Les voisines guèrent plus.
14:18 « Madame Bornet peut être souffrante.
14:20 Son mari parlait de l'envoyer à la campagne il y a quelques jours. »
14:24 Déçue, la grand-mère s'éloigne, vaguement inquiète.
14:28 Il y a peu de temps, sa fille lui avait parlé de divorce possible,
14:32 obligée d'abandonner son travail de cuisinière.
14:35 L'as peut-être de supporter un mari oisif et exigeant,
14:38 elle y pensait sérieusement.
14:41 C'est à ce moment précis, au milieu de cette dernière journée
14:44 de liberté curieuse, que Charles Bornet va se conduire
14:47 de façon plus étrange encore que précédemment.
14:49 Installé à la terrasse d'un café, il les fréquente beaucoup à Versailles,
14:53 il demande au garçon du papier une enveloppe.
14:56 « Dix lignes d'une écriture régulière et un peu ronde,
14:58 une gorgée d'anisette, » et il ferme l'enveloppe
15:01 sur laquelle il a inscrit le nom du destinataire.
15:03 Il jette la lettre dans la première poste venue
15:06 et retourne se coucher tranquillement, mais dans la chambre
15:09 d'un hôtel de Versailles, cette fois.
15:12 Le lendemain, le troisième jour, Charles Bornet est un peu plus inquiet
15:16 que les deux jours précédents.
15:18 Il ne s'est pas rasé, l'argent de ses petites ventes a fondu,
15:21 et il vaillerait dans Versailles toute la journée,
15:23 se nourrissant de café et fumant ses dernières cigarettes.
15:26 À un ami qu'il a rencontré par hasard, il confie
15:29 « Ma femme est malade, je me fais du souci pour elle,
15:32 j'ai dû l'envoyer à la campagne avec mon fils,
15:35 je ne suis pas riche, la vie est dure de nos jours. »
15:38 Nous sommes le 16 mars. Ce jour-là, le commissaire de police de Putot,
15:43 qui tous les jours, comme tous les policiers du monde,
15:46 dépouille un nombre incalculable de lettres anonymes, d'injures,
15:49 de chantage divers, tombe sur la lettre que Charles Bornet
15:53 a envoyée la veille à son attention depuis la poste de Versailles.
15:57 C'est une lettre signée.
15:59 « Vous pouvez vous présenter chez Bornet, rue Curteaux.
16:03 Il n'y a pas eu d'assassinat.
16:05 Nous avions résolu d'en finir avec la vie.
16:08 Nous étions mal vus de la famille.
16:10 Quand vous recevrez cette lettre, mon cadavre sera dans la Seine. »
16:15 Signé Charles Bornet.
16:17 Le commissaire n'aime pas les lettres qui annoncent des suicides.
16:20 Quelquefois, il arrive à temps et tombe sur un isolé
16:23 qui avait surtout besoin de parler ou qu'on s'occupe de lui.
16:26 Mais quelquefois, il est trop tard et ce n'est jamais agréable
16:29 d'enfoncer la porte d'un appartement en se doutant
16:32 de ce qu'on va trouver derrière.
16:34 « Oh, bien sûr, il en a vu d'autres, le vieux commissaire.
16:37 Mais il ne s'y fait pas. »
16:39 Alors, morose, prend son chapeau, sa canne,
16:43 demande à l'inspecteur et trois agents.
16:46 À cinq, il s'entasse dans une vieille renault de service sans portière,
16:50 pour descendre plus vite probablement,
16:52 et à quarante à l'heure, traverse Putot.
16:55 Il enfonce la porte rucurto.
16:58 Une violente odeur de décomposition règne dans la pièce.
17:02 Sur le lit, côte à côte,
17:05 le cadavre de Mme Bornet et de son fils.
17:10 Au plafond, pend une corde.
17:13 Mais dans le nœud coulant, personne.
17:19 Une fois terminées les formalités de routine,
17:22 le commissaire regagne son bureau et demande à tous les commissariats de Paris
17:25 et des alentours de lui signaler toute apparition de noyés non identifiés
17:28 que la scène pourrait charrier dans les jours qui viennent.
17:31 Oh, il n'y croit pas beaucoup, mais ça aussi, c'est la routine.
17:34 Ce qui gêne surtout le commissaire, c'est la mise en scène de l'appartement.
17:39 Deux cadavres étranglés ou étouffés sur un même lit,
17:42 une femme et un enfant, et cette corde sans pendue.
17:46 À son avis, Bornet a voulu faire croire qu'il allait se suicider
17:49 ou alors pris de panique.
17:52 Après son double assassinat, il n'a pas eu le courage de mourir et il s'est enfui.
17:56 De toute façon, il faut le faire rechercher.
17:59 Personne ne l'a aperçu dans l'immeuble et il n'a pas de travail actuellement.
18:03 Mais l'élan se délie.
18:05 Sa belle-mère l'accuse d'avoir supprimé sa fille
18:07 parce qu'elle ne pouvait plus subvenir aux besoins du ménage.
18:09 Mais dans ces cas-là, on travaille soi-même ou on divorce,
18:11 le mobile n'est pas évident.
18:13 Et l'enfant ? Pourquoi tuer un enfant de 9 ans ?
18:15 La grand-mère affirme, il m'a dit qu'il emmenait son fils
18:18 et que je ne le reverrai pas avant longtemps.
18:20 C'est un fou criminel.
18:21 J'avais bien prévenu ma fille de se méfier de lui,
18:23 mais elle ne voulait rien entendre.
18:25 Le 17 mars, la photo de Bornet paraît dans tous les journaux
18:29 avec la description détaillée de l'affaire.
18:32 Bornet y est appelé "le monstre étrangleur de sa femme et de son fils".
18:36 La photo est bonne.
18:38 On reconnaît parfaitement son visage rond, ses yeux caves, sombres,
18:41 au-dessus de la petite moustache grise.
18:44 Bornet, le matin du 17 mars, achète le journal, comme tout le monde,
18:48 et le lit, en prenant son café.
18:51 Il apprend que la police le recherche, qu'on ne croit pas à son suicide,
18:55 qu'il est un homme traqué dont l'arrestation est imminente.
18:58 Le commissaire de Putot a mis toute une brigade sur les dents
19:00 et des avis de recherche sont dans les mains de tous ses collègues parisiens.
19:04 Bornet n'a plus d'argent.
19:06 Il ne peut plus payer l'hôtel.
19:08 Il ne peut plus, bien sûr, retourner chez lui.
19:10 Il sait que sa famille ne le défendra pas.
19:14 A-t-il jamais eu l'idée de se suicider ?
19:17 En tout cas, il prend une décision, la seule logique d'ailleurs.
19:21 À pieds un peu agarres, affamé, parasé,
19:25 il quitte Versailles.
19:27 Le chemin est long.
19:29 Dans la nuit du 17 au 18 mars, il dort quelque part au bois de Boulogne.
19:34 Le voilà sur les quais de la Seine.
19:37 Il pleut finement, le temps est gris et sombre.
19:41 À 17h30, il se présente qu'il est les Orfèvres à la direction de la police judiciaire.
19:48 « Je suis Charles Bornet.
19:50 J'ai tué ma femme et mon fils.
19:53 Je viens me constituer prisonnier et je n'ai pas mangé depuis deux jours. »
19:58 Il est calme.
20:00 Indifférent.
20:03 On l'inculpe et on lui sert un repas, qu'il mange de fort bon appétit,
20:07 puis il répond au premier interrogatoire.
20:09 « Ma femme était malade.
20:11 Elle voulait se suicider, il était convenu que je la tuerais,
20:13 que je ferais disparaître notre fils, puis que je mettrais fin à mes jours
20:17 et je n'en ai pas eu le courage. »
20:21 Peut-être, effectivement, il n'en a-t-il pas eu le courage.
20:25 Mais c'est normal.
20:27 La plupart des criminels de ce genre ont le courage de tuer les autres,
20:30 mais rarement de mourir eux-mêmes.
20:34 De toute façon, personne ne le croit, car il ne cesse de mentir,
20:38 surtout sur de nombreux détails.
20:41 Il pleut sur le bureau du juge d'instruction des témoignages d'escroquerie,
20:44 de mensonges, de vêlerie, de violence même.
20:47 Le médecin légiste affirme que Mme Bornet n'était pas malade
20:50 et sa famille jure qu'elle n'a jamais eu d'intention suicidaire,
20:53 ni pour elle-même, ni surtout pour son fils, qu'elle adorait.
20:57 Pour cela, Bornet persiste à prétendre qu'il a tué sa femme et son fils
21:00 parce qu'elle le lui avait demandé, et jusqu'au bout de son procès,
21:03 il se tiendra à cette version qui n'a pourtant aucun sens.
21:07 Son avocat se donne beaucoup de mal, mais la cause est mauvaise
21:11 et Bornet, tranquillement assis dans son box,
21:13 ricane à la moindre affirmation des témoins.
21:17 Seul, quelques lettres saisies à son domicile
21:20 et écrites à sa femme, de freine,
21:23 durant l'un des six jours qu'il y fit précédemment,
21:26 pourraient peut-être accréditer la thèse de la maladie.
21:29 Il écrit « Je connais ta maladie, je saurais te soigner
21:33 et te faire oublier tes douleurs ».
21:36 Mais l'enfant, quel péril menaçait son existence
21:40 pour que son propre père l'étrangle ?
21:43 Bornet est-il un criminel ordinaire ou un fou ?
21:48 Le psychiatre qu'il a examiné le trouve au contraire parfaitement normal,
21:51 parfaitement lucide, parfaitement responsable,
21:54 et les jurés aussi, qui le condamnent, sans aucune hésitation,
21:57 à la peine de mort.
22:00 Bornet entend le verdict tomber sans un réflexe, sans une émotion,
22:04 avec l'air d'un homme qui vient simplement de régler une affaire
22:07 et s'en va, entre ses deux gardes.
22:12 Il laisse derrière lui une étrange impression
22:16 d'escroquerie morale et de frustration.
22:21 Personne n'a compris le mystère de cet homme et après tout,
22:25 ce n'était peut-être pas nécessaire.
22:28 Il l'avait dit lui-même au cours du procès au président du tribunal.
22:33 « Ça m'épatrait que vous compreniez ».
22:37 Et il en fallait beaucoup pour épater Charles-Louis Bornet.
22:43 [Musique]
23:01 Vous venez d'écouter les récits extraordinaires de Pierre Belmar,
23:06 un podcast issu des archives d'Europe 1 et produit par Europe 1 Studio.
23:11 Réalisation et composition musicale, Julien Taro.
23:15 Production, Sébastien Guyot.
23:17 Direction artistique, Xavier Joli.
23:20 Patrimoine sonore, Sylvaine Denis, Laetitia Casanova, Antoine Reclus.
23:25 Remerciements à Roselyne Belmar.
23:28 Les récits extraordinaires sont disponibles sur le site et l'appli Europe 1.
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