• il y a 6 mois
Pierre Bellemare comme vous ne l’avez jamais entendu ! C’est la promesse de ce nouveau podcast imaginé à partir des archives exceptionnelles du Service Patrimoine Sonore d’Europe 1.
Affaires criminelles, true crime, crimes, enquêtes, crimes historiques ou plus récents, crimes crapuleux, crimes familiaux, crimes inexpliqués surtout : Pierre Bellemare est le pionnier des grands conteurs de récits radiophoniques. Dans les années 70, cette voix culte d’Europe 1 a tenu en haleine les auditeurs avec ses histoires extraordinaires. Des histoires vraies de crimes en tout genre qui mettent en scène des personnages effrayants, bizarres ou fous. Des phrases à couper le souffle, des silences lourds de suspense, un univers de polar saisissant et puissant.
Avec un son remasterisé et un habillage modernisé, plongez ou replongez dans les grands récits extraordinaires de Pierre Bellemare.

Comment l’amour peut-il mener à la mort ? C’est la question qu’on se pose face à l’histoire d’Alfred et Raymonde. Cette histoire commence en 1930, dans un village du nord de la France. Ces deux amants, jeunes et a priori insouciants, veulent seulement vivre leur amourette d’adolescents en paix. Mais le père de Raymonde ne l’entend pas ainsi. Le vieux forgeron voit d’un mauvais œil ce jeune homme malingre et rêveur…

Il comprend qu’il a peut-être commis une erreur en rejetant furieusement son amant, venu lui quémander sa main, lorsque celui-ci tire dans le ventre de la jeune fille de colère et tente de se suicider.

Les deux amants survivent, même si le jeune homme est dorénavant aveugle suite à sa tentative. Cette histoire aurait pu s’arrêter là, mais la jeune Raymonde décide de prendre la défense de son bien-aimé au procès. Elle prétexte qu’il a déjà payé, maintenant qu’il est handicapé à vie. Ils reprennent d’ailleurs contact, au grand désespoir de son père.

Était-ce également la bonne décision pour la jeune Raymonde…?

Quelles raisons ont finalement conduit Alfred à commettre un tel acte ? Pour le savoir, écoutez Pierre Bellemare raconter cette histoire dans cet épisode du podcast "Les récits extraordinaires de Pierre Bellemare", issu des archives d’Europe 1 et produit par Europe 1 Studio.
Retrouvez "Les Récits extraordinaires de Pierre Bellemare" sur : http://www.europe1.fr/emissions/les-recits-extraordinaires-de-pierre-bellemare

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Transcription
00:00Bienvenue dans les récits extraordinaires de Pierre Bellemare, un podcast issu des archives d'Europe 1.
00:11Je suppose que nombre d'entre vous, chers amis, se sont déjà rendu compte au moins une fois dans leur vie qu'ils avaient tort.
00:19Oh je suis comme vous et comme vous je sais que c'est une chose parfois difficile à admettre.
00:25Pour peu, que l'on soit un tantinet têtu.
00:28Seulement il y a des choses sur lesquelles il n'est pas grave de se tromper,
00:32des choses pour lesquelles on peut faire amende honorable sans pour autant faire une question de vie ou de mort.
00:39Dans l'histoire que vous allez connaître aujourd'hui, un homme s'est trompé, lourdement trompé, par deux fois.
00:46Il a eu pourtant largement le temps d'admettre qu'il avait tort.
00:50Oh je vous le dis dès le départ, il n'a pas commis de crime.
00:54Selon la loi, ce n'est pas lui que l'on jugera devant les assises.
01:00Et s'il est mort maintenant, c'est de mort naturelle.
01:04Probablement persuadé qu'il n'avait pas tout à fait tort.
01:09C'est tout ce qu'un homme dans sa situation pouvait admettre.
01:12Cet homme, c'est un père de famille, un homme simple et rude.
01:18Il est forgeron à Frenantours, dans un petit village du nord-est de la France où, comme à l'ouest, on est têtu.
01:27Depuis deux ans, il tient bon le père Veyron, envers et contre les sentiments que sa propre fille Raymonde éprouve à l'égard d'un garçon
01:35qui ne plaît pas à la famille mais qui surtout ne lui plaît pas à lui.
01:40En homme habitué à manier le fer rouge et à le tordre, il ignore les états d'âme de sa fille, comme il dit.
01:46La gamine doit céder et elle cédera.
01:49Quant à l'amoureux Alfred, il est trop malingre, un bon à rien rêveur.
01:55Il cédera aussi.
01:56Tout rentrera dans l'ordre et il se charge, lui, Veyron, de se trouver un gendre qui lui conviendra.
02:02Un bon gars, bien costaud, prêt à faire du bon travail et de beaux enfants,
02:05qui nourrira sa famille en travaillant du lever du jour au coucher du soleil.
02:09Un bon ouvrier, un bon père, un bon mari et un bon gendre qui ne perdra pas son temps à parler des étoiles au clair de lune
02:15et à raconter toutes ces sortes de bêtises qui viennent dans la tête des gens de la ville.
02:20Mais Alfred et Raymond, le Roméo et la Juliette du village, allaient donner tort au papa irascible.
02:30Ils allaient lui donner tort une première fois, puis une seconde fois,
02:34en s'y prenant de telle manière que leur histoire d'amour, qui aurait pu, que dis-je,
02:40qui aurait dû être banale, est devenue l'un des dossiers extraordinaires de la police.
02:47Je vous ai dit que Veyron, le forgeron Veyron, père de la jeune Raymonde, allait avoir tort, plutôt deux fois qu'une.
03:14Voyons donc la première fois.
03:17Le forgeron est un homme puissant, haut en couleur, qui a l'habitude probablement de taper sur la table en tenant ses opinions bien hautes.
03:25Sa fille, qu'il a élevée seule, en sait quelque chose.
03:29Entre eux, les confidences sont rares.
03:31Raymonde habite chez sa grand-mère une paysanne brave, bien âgée, guère bavarde, qui semble venir d'un autre siècle.
03:39La personnalité et les allures de sa petite-fille lui font un peu peur.
03:43De son temps, n'est-ce pas ?
03:45Alors, là aussi, les confidences sont rares.
03:48Et Raymonde a dix-neuf ans.
03:50C'est dur de se taire à dix-neuf ans l'âge des rêves, des enthousiasmes, des incertitudes.
03:55À qui confier tout cela ?
03:57À l'instituteur ?
03:59Elle est trop grande maintenant.
04:00Au curé, où il lui dira d'être sage et d'obéir à son père.
04:03Au facteur.
04:05Elle racontera au bistrot et les garçons riront sur son passage le dimanche au bal.
04:10Raymonde n'a pas d'amis de son âge.
04:12Et on aurait-elle qu'il serait difficile de leur dire qu'elle a un amant ?
04:16Oh, ce n'est pas une chose que l'on affiche en 1930.
04:19Raymonde passerait pour une dévergondée, comme on dit au pays.
04:22Une de ces filles qui viennent au bal sans cavalier et repartent accompagnées par les chemins sombres.
04:27Et puis, de toute façon, une passion cachée doit rester une passion cachée pour garder tout son mystère.
04:33Dans les livres de quatre sous que Raymonde achète chez la mercière, les amants sont toujours persécutés.
04:39Quelquefois même, la jeune fille meurt à la fin.
04:41Et le fiancé désespéré la rejoint dans la mort.
04:44C'est beau.
04:46En l'occurrence, le fiancé que fréquentait Raymonde depuis deux ans s'appelle Alfred.
04:50Ce n'est pas un prénom très romantique, mais peu importe.
04:53Alfred, Hélin, donc.
04:55À 23 ans, il est manœuvrier.
04:57C'est-à-dire qu'on l'embauche à la journée pour les travaux agricoles.
05:00Madame Hélin, sa mère, a mis au monde douze enfants, dont sept sont nord-en-bas âge.
05:05Son médecin dit d'elle qu'elle est peu résistante physiquement et fantasque au mental.
05:10On le serait à moins.
05:12Monsieur Hélin, son père, est à la retraite, vieux colonial.
05:15Il a été réformé pour troubles nerveux à la suite d'un traumatisme reçu en service au commandé.
05:21L'ambiance familiale chez les Hélins est assez déprimante et Alfred, lui non plus, ne se confie guère.
05:27Un père instable, une mère usée, un frère qui s'est jeté sous un train il y a quatre ans, on n'a jamais su pourquoi.
05:33Alors Alfred, à peine la soupe avalée, se sauve de cette maison et va errer dans les chemins d'alentours,
05:39regardant le monde, rêvant aux étoiles.
05:41Tout ce que le père Veyron n'aime pas.
05:45Un jour, il a rencontré Raymond.
05:48Elle lui a parlé.
05:50Ils se sont revus.
05:52Ils se sont confiés l'un à l'autre.
05:54Et bien sûr, ils se sont aimés.
05:57Ils ont maintenant pour eux, tout seuls, un minuscule univers de tendresse, de confiance absolue.
06:04Ce qui leur a toujours manqué, ils l'ont enfin.
06:08Pour se soustraire aux ragots du village et à l'autorité du père Veyron, qui a eu vent de la chose,
06:13ils se retrouvent en secret tous les jours dans le petit bois de Monceau-les-Loups.
06:18Ils font de grandes promenades silencieuses et lorsqu'ils s'assoient au pied d'un arbre,
06:22c'est pour échanger des serments que les petites revues à quatre sous de la mercière ne reniraient point.
06:28Lorsqu'ils sont empêchés de se voir, Raymond écrit des petits billets passionnés.
06:34« Je t'ai vu passer à bicyclette.
06:36J'étais dans l'auto de mon oncle et je voulais me jeter par la portière.
06:40Mon frère chéri, je souffre.
06:42Viens-moi en aide.
06:43Je suis martyr.
06:44Je pleure.
06:45Par pitié, j'ai confiance en toi.
06:47Malgré toutes les misères que l'on me fait, je serai à toi pour la vie. »
06:51Puis les choses se gâtent sérieusement.
06:54Alfred a pris son courage à deux mains et il est allé voir le père de Raymond pour se justifier et lui demander sa main.
07:03Le père s'est fâché de tout rouge.
07:05Il a traité Alfred de tous les noms.
07:07« Pour lui, c'est un malade, un ivrogne, un feignant.
07:10Bref, ce n'est pas un homme et il n'aura pas sa fille.
07:12Et quand je dis non, c'est non ! »
07:14crie le forgeron en jetant Alfred à la porte.
07:18Pleurs, supplications de Raymond, de rien n'y fait.
07:22Et le père a ajouté « Tu es mineur et tu m'obéiras, en tout cas jusqu'à ta majorité ! »
07:31J'imagine aujourd'hui un père disant ça à sa fille et se faisant rire au nez tout simplement,
07:36ou bien alors subissant une contestation en règle à propos de l'autorité parentale.
07:40Mais on ne parle pas encore de contestations en 1930 dans le petit village de Monceau-les-Loups.
07:45Et le père Veyron se perçoit qu'il a mis un terme à ce roman stupide.
07:51C'est là qu'il commence à se tromper.
07:57Il aurait dû essayer de comprendre au lieu de t'empêter.
08:01À cette minute, il vient de prendre le risque de voir se transformer,
08:05ce qu'il était peut-être jusque-là qu'une petite amourette.
08:09Il vient de prendre la responsabilité de la faire grandir en passion.
08:13Et par là même, de devenir incontrôlable.
08:18Pauvre père Veyron.
08:21Sa forge ne n'a pas habitué au tourment de Mme Bovary et il croit bien fait.
08:27Alors Alfred et Raymonde, qui jusque-là n'étaient que deux amoureux incompris,
08:32se sentent devenir sublimes.
08:36Il ne leur reste qu'une solution.
08:39Raver la famille, le village et le monde entier par la même occasion.
08:46Un dimanche solitaire s'est écoulé pour l'un comme pour l'autre
08:50et l'on a pris rendez-vous pour le lendemain lundi dans le Petitbois.
08:55C'est le mois de mai.
08:57Le village entier est au travail.
09:01Raymonde se sauve de chez sa grand-mère et court vers le Petitbois
09:05où Alfred doit la rejoindre.
09:07Ils arrivent en retard car il est allé faire une course mystérieuse,
09:13une course qui gonfle la poche de son veston de manière inquiétante.
09:20C'est la fin d'une belle journée de printemps.
09:24Raymonde et Alfred, se tenant par la main, marchent côte à côte sur un petit sentier.
09:28Leur dialogue est difficile.
09:30Le garçon tremble de nervosité mais son regard est ferme et décidé.
09:35Les arbres défilent lentement au rythme de leurs pas.
09:41« Si tu as peur, si tu t'échappes, je te tirerai dans le dos. »
09:51Il tire. Dans le ventre.
09:57Raymonde s'écroule avec juste un léger recul en arrière.
10:05Alfred retourne l'arme contre lui, tire à nouveau.
10:10La balle pénètre dans sa tête.
10:14Il tombe à son tour et le silence revient dans le Petitbois.
10:23Le lendemain dans la rubrique « Fait d'hiver » de l'Éclaireur de l'Est, on peut lire.
10:28La jeune fille, malgré ses blessures, parvint à gagner les premières habitations du village de Pont-à-Bussy
10:33où elle fut secourue.
10:36À son tour, Alfred et Hélène arrivaient à l'entrée du pays.
10:38Les deux désespérés furent transportés d'urgence à l'hôpital de Lens
10:42où nous avons pu apprendre que malgré la gravité de leurs blessures,
10:45les deux jeunes gens ne seraient pas en danger de mort.
10:50On a pu extraire la balle du corps de la jeune fille.
10:52Quant à Hélène, il restera aveugle.
10:58L'histoire pourrait s'arrêter là en effet comme un simple « fait d'hiver ».
11:01Mais les faits d'hiver sont-ils toujours si simples ?
11:05Le vieux forgeron irascible aurait-il eu raison de cette histoire d'amour stupide
11:08et qu'il finirait aussi mal ?
11:12Sûrement pas.
11:14Je vous le disais au début de cette histoire,
11:15l'avenir va lui donner tort une fois de plus, très vite,
11:20et plus gravement encore.
11:22Après ce double suicide malheureux,
11:24Alfred et l'un passent en correctionnelle le 4 octobre 1930,
11:27cinq mois environ après le drame de la forêt de Mont-Sous-l'Île.
11:32Pendant cet intervalle, il est resté à l'hôpital de Lens en traitement.
11:36Sa cécité est définitive.
11:39Au village, le soir, à la veillée, on cancanne un peu.
11:42J'étais chaud, j'avais mal au dos, j'avais mal au dos,
11:44j'avais mal au dos, j'avais mal au dos, j'avais mal au dos,
11:46j'avais mal au dos, j'avais mal au dos, j'avais mal au dos,
11:47j'avais mal au dos, j'avais mal au dos, j'avais mal au dos,
11:48Au village, le soir, à la veillée, on cancanne un peu.
11:51J'étais sûr que ça tournerait mal.
11:53La Raimonde, c'est une orgueilleuse, elle est comme son père.
11:57Suffisait que le père dise non pour qu'elle se mette le garçon en tête.
12:00A une bien belle fille, pourtant, et qui mérite mieux, enfin.
12:03C'est fini maintenant.
12:05Au café du village, on philosophe bon train.
12:07Oh, l'amour, quand ça vous tient, c'est beau quand même.
12:10Qui l'aurait cru que l'Alfred aurait des idées comme ça ?
12:14Des idées comme ça, le tribunal correctionnel les condamne
12:16à quatre mois de prison avec sursis.
12:19Et Alfred est aveugle, à 24 ans.
12:23Raimonde, elle, s'en est bien sortie, si l'on peut dire.
12:26Elle a regagné le village et retrouvé sa famille.
12:28Ou bien sûr, elle écrit des lettres embrouillées
12:30qui tantôt parlent d'amour, tantôt d'abandon,
12:32toujours avec la même passion, pourtant.
12:35Si tu savais comme tu me manques, je n'avais que toi pour être aimé.
12:40Mais Alfred, au fond, n'est pas sûr que la pitié n'entre pas pour beaucoup
12:43dans ce genre de déclarations.
12:45Brutalement privé de contact avec l'extérieur,
12:47il se renferme de plus en plus, devient jaloux.
12:50Raimonde voit toujours le monde, et le monde la regarde.
12:53Il sait aussi que, pour une grande part,
12:55il lui doit la clémence du tribunal correctionnel,
12:57car c'est elle qui a supplié le procureur lors du procès
13:00en adressant au tribunal une longue lettre qui se terminait ainsi.
13:04« Je vous supplie à genoux de ne pas punir Hénin,
13:07ce pauvre aveugle déjà puni par lui-même,
13:09puisque sa vie, désormais, doit rester dans la nuit éternelle,
13:12ayez pitié de deux pauvres enfants.
13:15Toujours lyrique, la jeune Raimonde.
13:18Alors le tribunal a rejeté l'essentiel de la faute
13:20sur le père de Raimonde et son intransigeance.
13:24Sur son lit d'hôpital, Alfred a eu le temps de réfléchir à tout cela.
13:27Et c'est lui qui écrit maintenant,
13:29ou plutôt qui fait écrire à sa fiancée, de l'oublier.
13:32Elle répond, le traitant de lâches, d'ingrats.
13:35Novembre arrive.
13:37Alfred doit partir pour Soissons, dans un centre de rééducation pour aveugles.
13:41Et Raimonde, qui semblait s'être un peu détachée de lui,
13:43tout à coup ne peut plus supporter l'idée de cette séparation.
13:46Elle veut partir avec lui.
13:48Mais pour partir, il faut de l'argent.
13:49Alfred n'en a pas et le fisc lui réclame les frais de justice de son procès.
13:52On l'avouera bien, le fisc.
13:54Indifférent aux histoires d'amour, au reste d'ailleurs.
13:57Plus d'argent, plus de foyer, plus de métier.
14:00La misère.
14:02Et le père de Raimonde refuse toujours le mariage, bien entendu.
14:04Plus que jamais, même.
14:06Il prétendra plus tard qu'il avait donné son consentement.
14:10Si cela était vrai, on comprend mal ce qui va suivre.
14:14Quoi qu'il en soit, le mardi 11 novembre 1930, jour de l'armistice,
14:18Alfred sort de l'hôpital de Lens.
14:21Raimonde est là. Il est 13 heures.
14:24L'un s'appuyant sur l'autre, ils descendent lentement la rue Saint-Martin.
14:28Il fait gris et froid et ils ne savent où aller.
14:31Alors ils se dirigent vers la gare.
14:33Raimonde est glacé, il s'attape devant des boissons chaudes
14:36et Alfred parle, parle, parle.
14:39Il veut faire comprendre à Raimonde que la vie sera difficile.
14:42Il faut de l'argent, des soins, trouver un emploi plus tard.
14:47Raimonde s'en moque.
14:49Alfred continue son monologue dans le décor sinistre,
14:53au milieu de teintement des tasses, du allaitement des locomotives.
14:56Les voyageurs sont rares et fatigués, ils ne s'attardent pas.
15:00Un ivrogne sur une banquette, une femme chargée de paquets,
15:03un vieil arbre du poil qui s'enfume.
15:05On ne les remarque pas.
15:07On a l'habitude dans les buffets de gare,
15:10les gens qui refont ou défont leur vie avant de prendre un train.
15:16Raimonde ne se rend pas compte que son fiancé a changé.
15:20Elle ne se rend pas compte que cette angoisse dans la voix, c'est la peur.
15:23Car maintenant Alfred est là, peur de tous, des gens qu'il ne voit plus
15:27et qui peut-être le regardent de Raimonde, qu'il aime toujours,
15:29mais qui n'a plus de visage, de geste pour lui.
15:32Il est jaloux de tout ce qui est là et qui ne lui appartient plus.
15:36Alors il se lève.
15:39Un seul refuge pour retrouver peut-être la vie d'autrefois sa mère.
15:43Il faut qu'il retourne là-bas au village, sa mère l'accueillera, il en est sûr.
15:48Il est maintenant près de 5 heures.
15:50Raimonde va prendre deux tickets au guichet, les voilà sur le quai, puis dans le train.
15:57À 20h45, ils sont à Fresse-en-Cours et se dirigent vers la maison des parents Hélas.
16:05Près déserte.
16:08C'est bête.
16:10Si quelqu'un s'y...
16:12Si seulement quelqu'un attendait...
16:15Si quelqu'un tendait les bras, servait la soupe, rallumait le feu en parlant de tout et de rien,
16:20peut-être que...
16:22Si quelqu'un était simplement là.
16:27La porte d'une chambre est ouverte.
16:30Il y a un lit.
16:32Un beau lit de campagne gonflé d'un hédredon de crottone.
16:35Au-dessus, un crucifix de bois.
16:40C'est là...
16:42qu'on trouva Raimonde étranglé.
16:45Sur le lit.
16:47Lui, debout sur le pas de la porte.
16:50Attendait les gendarmes.
16:54Le jour le lendemain, on pouvait lire à nouveau dans l'éclairant de l'Est,
16:58mais sur deux colonnes et en première page, cette fois.
17:01Que se passa-t-il exactement ?
17:03Au premier interrogatoire, Rélin déclara s'être élancé sur la jeune fille
17:07et comme un fou lui avoir serré la gorge à plusieurs reprises,
17:10jusqu'à ce qu'elle perdit connaissance bientôt, la mort avait fait son oeuvre.
17:14Le drame se déroule à sans témoin.
17:16À leur retour, les parents avertirent les gendarmes.
17:19Ceux-ci firent diligence et avec perspicacité interrogeaient Rélin
17:22pour faire fil au récit que nous venons de rapporter.
17:24Le meurtrier a été écroué dans la soirée.
17:28À l'audience du 10 février 1931 de la cour d'assises de l'Aisne,
17:31on se posa la question de savoir si Raimonde, comme l'affirmait son amant,
17:34avait à nouveau demandé à mourir.
17:37Le parquet en doutait et le président partagea ce doute.
17:41Des témoins ont dit que Raimonde avait peur de la mort
17:44et qu'elle ne vous a défendu au premier procès que par pitié.
17:48Raimonde m'a demandé la mort.
17:52Alfred s'exprime lentement et il se défend avec un calme singulier,
17:55droit à son banc, les mains croisées dans le dos, pour les cacher peut-être.
17:59Dans la grande salle gothique de l'ancien évêché ou siège de tribunal,
18:02l'auditoire grandit à chaque minute passionnément attentif.
18:05Une curiosité malsaine les attire vers cet accusé qui ne voit pas ses juges.
18:10Raimonde vous avait dit qu'elle vous épouserait à 21 ans.
18:12Deux ans s'est vite passé.
18:14Pourquoi vous aurait-elle demandé la mort ?
18:19Elle en avait assez de tous ses affronts
18:21et ses parents ne voulaient plus me tolérer dans sa chambre.
18:26Alfred dit cela naïvement.
18:28Rien ne les branle.
18:30On vous dit paresseux, sournois, brutal, alcoolique.
18:34Paresseux ?
18:36Quand on paiera bien l'ouvrier agricole, il travaillera mieux.
18:4123 témoins vont défiler presque le village entier
18:44et l'on abreuve les jurés de ragots de voisinage.
18:47C'est à ce moment-là que le père de Raimonde affirme
18:49qu'il avait donné son consentement à ce mariage.
18:52Alors pourquoi ?
18:54Elle m'a supplié, alors j'ai serré le cou.
18:57Combien de temps ?
18:594 à 5 minutes.
19:02Vous étiez calme comme maintenant ?
19:04Comme maintenant.
19:06Et en étant calme, vous avez pu serrer le cou de votre fiancé pendant 5 minutes ?
19:12C'est un coup de désespoir.
19:15J'étais entré dans le désespoir de Raimonde.
19:18Montrez vos mains au juré.
19:22Il l'élève.
19:24Énorme.
19:27Et la salle frémit.
19:30Le docteur Rogue, aliéniste, conclut à une responsabilité pénale certaine mais atténuée.
19:34Et l'un a commis un crime passionnel.
19:37« Étrangement calme, ce crime passionnel », pense le président.
19:41Un seul témoin fait rebondir l'affaire, c'est l'instituteur.
19:44Après le premier attentat, il a eu avec Raimonde une conversation qu'il rapporte à la barre.
19:49Je lui ai demandé si elle voulait toujours épouser Hélin.
19:52Elle m'a répondu « Si je refuse, j'ai peur qu'il me fasse un mauvais coup ».
19:57Alors le défenseur d'Alfred Hélin s'agite.
20:00Il inonde les jurés de la correspondance échangée entre les deux amants.
20:03« Raimonde aimée, c'est évident », chaque mot le crie.
20:06« Et elle n'aurait pas demandé la mort ? »
20:08Elle a laissé une preuve certaine de ce désir de mourir.
20:10Elle a laissé son corps. Sur lui, aucune trace de violence.
20:13Aucune égratignure. Elle aurait pu s'échapper.
20:16Elle était jeune, vigoureuse. Elle aurait griffé, frappé, mordu.
20:20Hélin ne portait aucune trace de ce genre quand on l'a arrêté.
20:25Le médecin légiste confirme « Raimonde ne s'est pas défendue ».
20:31Je ne vous ferai pas le grand plaisir de vous lire, chers amis,
20:34les autres passages lyriques de la plaidoirie du défenseur.
20:36J'ignore s'il est encore de coutume, dans les prédoires de cités baudelaires,
20:39à tous les échos, un seul vers peut-être.
20:41« Vivre est un mal, c'est un secret de tous connus »,
20:45clame leur romantique avocat.
20:47Le procureur, beaucoup plus prosaïque et c'est son rôle,
20:49se contente de rappeler que le meurtrier, avant de tuer,
20:52s'est servi et a bu une tasse de café chaud.
20:55Et qu'après avoir tué, il a allumé une cigarette.
20:58Puis, lorsque sa mère est arrivée, il a dit tout de go,
21:01« Raimonde est morte, va chercher les gendarmes ».
21:04« Guerre plus émue que s'il venait de rentrer les foins »,
21:07a conclu le procureur.
21:09En vérité, la seule chose qui troubla les jurés,
21:12était que cette fois-ci, Alfred Hélin n'avait pas tenté de se suicider.
21:16Ils se laissèrent pourtant entraîner par la défense
21:18et accordèrent les circonstances atténuantes
21:20avec cinq ans seulement de réclusion.
21:23On pourrait presque dire, en somme,
21:26que la première fois,
21:28Alfred Hélin avait été condamné pour avoir tenté de tuer
21:32et que la seconde fois,
21:34il était acquitté pour avoir réussi.
21:36Et cela non plus, le père de Raimonde ne l'a compris jamais.
21:40Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org
22:10Reconnaissances musicales, Julien Tharaud.
22:12Productions, Lisa Soster.
22:15Patrimoine sonore, Sylvaine Denis, Laetitia Casanova, Antoine Reclus.
22:20Remerciements à Roselyne Belmar.
22:23Les récits extraordinaires sont disponibles sur le site et l'appli Europe 1.
22:28Écoutez aussi le prochain épisode
22:30en vous abonnant gratuitement sur votre plateforme d'écoute préférée.

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